L’Odeur de la mandarine ★★☆☆

Nous sommes en 1918, à la fin de la Grande Guerre. Lui, Olivier Gourmet, propriétaire terrien, capitaine de cavalerie, y a perdu une jambe. Elle, Georgia Scalliet (sociétaire de la Comédie-Française et révélation du film), infirmière, y a perdu le père de sa fille.
Comme de bien entendu, ces deux écorchés vont se rencontrer, se plaire, s’aimer et se marier. Sauf que… ils le feront dans le désordre !

C’est d’abord la rencontre de deux solitudes et la camaraderie des survivants ; puis le mariage, par pur calcul rationnel, malmené par l’arrivée d’un soldat désertant le front.

Gilles Legrand filme à l’ancienne, sans se presser, cette histoire. La passion que les humains peinent à exprimer est mise en image à travers les animaux : la jument Mandarine et l’étalon Oslo. La métaphore ne brille pas par sa subtilité, mais reconnaissons-lui son efficacité.

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Maryland ★★☆☆

Maryland est un film déconcertant.
Le toujours excellent Matthias Schoenaerts (Bullhead, De rouille et d’os) y joue le rôle du garde du corps bodybuildé mais post-traumatisé de la toujours sublime Diane Kruger (Inglorious Basterds, Troie).

Un tel pitch met l’eau à la bouche. Hélas, Maryland ne démarre jamais vraiment. Très réaliste, il est lesté des temps morts qui font le quotidien d’un garde du corps. Le spectateur est du coup plongé dans une léthargie anxieuse et lorsque la violence explose, sans qu’on en comprenne ni l’origine ni les motifs, elle le laisse abasourdi.

Bref, Maryland ressemble à Bodyguard… en mieux (Whitney Houston ne joue pas) et en moins bien (Whitney Houston ne chante pas)

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Ni le ciel, ni la terre ★★☆☆

Ni le ciel ni la terre est un film hybride qui louche du côté d’Apocalypse Now, des Revenants et… du Mystère de la chambre jaune.

Film de guerre à petit budget qui ne saurait rivaliser avec les superproductions hollywoodiennes, il a pour cadre la frontière afgho-pakistanaise et pour héros un peloton français chargé de lutter contre les talibans.
Film fantastique, il interroge les relations avec l’au-delà.
Film policier, il tente de dénouer une énigme : où sont passés les soldats disparus pendant leur sommeil d’une guérite verrouillée de l’intérieur ?

De façon plus intéressante, ce film souligne les difficultés d’une troupe d’occupation à dialoguer et à comprendre les populations qu’elles sont censées protéger. Se pose d’abord la question de la langue qui nécessite le truchement d’un traducteur. Mais se pose surtout le défi de dépasser les différences culturelles. Chez les Afghans, Allah décide de tout. Chez les Français, Allah ne décide de rien. Évidemment, personne n’a raison.

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Je suis à vous tout de suite ★★★☆

La bande-annonce augurait le pire : une comédie franchouillarde à l’humour gras. Le film au contraire est un bijou d’originalité. La réalisatrice avait co-signé les scénarios de Au nom des gens et Hippocrate. Deux belles réussites — déjà — du cinéma français.

Je suis à vous tout de suite se résume mal : un couple mixte (Ramzy et Jaoui) a une fille et un fils qui suivent deux évolutions différentes : elle est française jusqu’au bout des ongles, il recherche ses racines dans le retour à l’islam.

Le sujet est grave. Il est traité avec légèreté, mais sans la vulgarité que la bande-annonce laissait craindre. Un coup de cœur qui doit beaucoup à son héroïne : Vimala Pons, brune piquante déjà remarquée aux côtés de Vincent Macaigne (La Fille du 14 juillet) et de Bruno Podalydès (Comme un avion).

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Fatima ★★☆☆

La quarantaine, originaire d’Algérie, peinant à parler le français, vivant de petits boulots précaires, Fatima habite avec ses deux filles dans un HLM de la banlieue lyonnaise. L’aînée commence sa première année de médecine. La cadette, encore collégienne, se rebelle.

Le film de Philippe Faucon traite d’un thème désormais courant dans le cinéma français : l’intégration des populations immigrées (Samba, La Graine et le Mulet, Dheepan, Les Héritiers, L’Esquive…) Il le fait avec l’immense douceur et l’infinie générosité qui caractérisaient déjà ses précédents films (Samia, Dans la vie).

Hélas, à force de bons sentiments, il finit par verser dans la caricature que ne gomme pas le jeu maladroit des actrices : « mère courage », Fatima souffre en serrant les dents, sa fille aînée peine sur ses révisions et sa cadette joue la caillera en rentrant les épaules.

Si Fatima a remporté le César du meilleur film, c’est plus à son sujet politiquement correct qu’il le doit qu’à ses qualités cinématographiques.

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Sicario ★★★☆

Les Américains vivent sur un territoire aseptisé et hypersécurisé qui coexiste, à sa frontière méridionale, avec ce qu’ils croient être une jungle sans loi.

Le cinéma américain a, depuis quelques années, mis en scène cette frontière et la peur paranoïaque qu’elle suscite chez le brave Yankee : Traffic de Soderbergh, Savages de Stone, Babel d’Iñárritu, sans parler de Breaking Bad sont des œuvres au titre explicite.

Sicario s’inscrit dans cette généalogie.
Emily Blunt (Edge of Tomorrow, Looper) est un agent du FBI embringuée, à son corps défendant, dans une opération undercover contre les cartels mexicains de la drogue. CIA ? Barbouzes ? Elle plonge, et nous avec, dans le déluge de violence que déchaînent ses coéquipiers. Les fins de leur action sont-elles justes ? En tout état de cause, les moyens pour y parvenir sont répréhensibles.

Sicario est un film d’une redoutable efficacité. La musique oppressante de Jóhann Jóhannsson, le désert texan filmé par Roger Deakins (qui avait signé la photo de No Country for Old Men), la fragilité à fleur de peau d’Emily Blunt et la colère rentrée de Benicio del Toro : tout concourt pour faire du film de Denis Villeneuve un film terriblement excitant.

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Suicide Squad ☆☆☆☆

Brainstorming chez Warner Bros :
Le directeur de la création — Quelqu’un a des idées pour le prochain blockbuster ? Faudrait trouver un truc qui ait autant de succès que Deadpool. Un truc de mauvais garçons, drôle et bourré de clins d’œil.
Le stagiaire de troisième — On pourrait faire un film autour du Joker avec cet acteur génial qui jouait dans
Batman.
Le directeur — Heath Ledger ? Euh… il est mort.
Le stagiaire — Ah… pas grave. On pourrait alors mettre un tas de bad guys. Le public adore les bad guys.
Le directeur — Bof. Et tu verrais qui comme acteurs ?
Le stagiaire — On pourrait mettre Will Smith, c’est l’acteur le plus cool au monde, et  Margot Robbie. Depuis Le Loup de Wall Street, c’est l’actrice la plus sexy au monde.
Le directeur — Margot Robbie, c’est une bonne idée. Tu lui donnerais quel rôle ?
Le stagiaire — Une pétasse en couettes bleu, blanc, rouge avec un short ras les fesses et un T- shirt mouillé.
Le directeur — Oui… bon… Il faudrait quand même un scénario. Non ?
Le stagiaire — Les bad guys sont en prison et se voient promettre une remise de peine pour combattre un super méchant.
Le directeur — Tu sais que c’était déjà le scénario des Douze Salopards ?
Le stagiaire — Ah non. Je connaissais pas. C’est un film du XXe siècle ? On s’en fout ! J’étais pas né ! De toute façon, le scénario on s’en fiche. On mettrait plein d’effets spéciaux et une BO : Les Meilleurs Hits de l’été. Et hop ! C’est plié !
Soupirs affligés…

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Tête baissée ★☆☆☆

Longtemps éclipsé par son voisin septentrional, le cinéma bulgare se fait désormais une – petite – place sur nos écrans. Après The Lesson en septembre 2015, voici Tête baissée.

Kamen Kalev, le réalisateur de Tête baissée, a été formé à La Fémis et son film lui ressemble : à cheval entre la France et la Bulgarie. Samy est une petite frappe qui magouille d’un pays à l’autre. Il baragouine le bulgare, s’acoquine avec la mafia locale et trafique des faux billets. Arrêté à son atterrissage à Marseille, il accepte d’infiltrer un réseau de proxénétisme pour éviter la prison. Il se sert d’Elka, une prostituée mineure pour s’y introduire.

Tête baissée est un petit film poisseux qu’on aimerait aimer. Il est remarquablement servi par Melvil Poupaud, dans le rôle principal qui, depuis une quinzaine d’années, n’en finit pas d’être l’un des meilleurs espoirs du cinéma français. Il évite le manichéisme et surprend par son épilogue. Il dresse de la Bulgarie une image désespérante : bidonvilles défoncés, mères maquerelles, boîtes de nuit glauques… Mais, à force de vouloir trop embrasser (la traite des femmes, la minorité tzigane, la sortie de l’adolescence, la rédemption d’un voyou…), Tête baissée peine à étreindre et nous laisse sur le bord de la route.

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Une jeunesse allemande ★★★☆

La jeunesse allemande que décrit Jean-Gabriel Périot dans ce documentaire est celle du post-nazisme soixante-huitard. Des enfants qui questionnent leur père : « Que faisais-tu en 1942 ? » « Ne ressens-tu aucune responsabilité ? »

La révolte de cette jeunesse contestatrice reste sympathique tant qu’elle emprunte des voies pacifiques : performance, street art, agit-prop… Elle devient plus inquiétante quand elle verse dans la lutte armée. Car la jeunesse allemande, que ce documentariste présente à un public français qui la connaît mal, est celle de la bande à Baader et sa dérive dans une violence nihiliste.

La figure d’Andreas Baader, rarement filmée, reste dans l’ombre. Celle d’Ulrike Meinhof prend toute la lumière. À peine sortie de l’adolescence, elle est invitée sur les plateaux où d’austères gérontes écoutent poliment ses argumentaires ciselés contre le capitalisme. Réalisant son impuissance, elle décide de passer dans la clandestinité. Son parcours, si logique et si absurde à la fois, fut celui d’une fraction de la jeunesse allemande hier. Il pourrait être celui d’une partie de la jeunesse française, révoltée à tort ou à raison contre le « système », aujourd’hui.

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Crimson Peak ★★★☆

Guillermo del Toro est un réalisateur fascinant. Il a résisté à la lessiveuse hollywoodienne (Hellboy, Hellboy 2, Pacific Rim) pour conserver l’identité visuelle de ses premiers films (Le Labyrinthe de Pan, L’Échine du diable).
Un cinéma gothique, fantastique, onirique (ça rime !)

Crimson Peak est son film le plus abouti qui mêle tous les genres sans perdre en cohérence.
Sa première moitié se déroule dans la bonne ville de Buffalo à la fin du XIXe siècle. On se croirait dans un roman d’Edith Wharton. Edith (!) Cushing, impeccablement interprétée par la blonde Mia Wasikowska (Alice au pays des merveilles, Jane Eyre), fille unique d’un veuf fortuné, gribouille des histoires de fantômes et s’amourache d’un nobliau anglais.
La seconde partie bascule dans le fantastique, lorsque l’innocente Américaine suit son jeune époux outre-Atlantique dans l’inquiétant manoir qu’il possède sur une lande battue par le vent.

Le scénario de Crimson Peak n’est pas surprenant, mais ce n’est pas un problème. L’intérêt de Crimson Peak est dans son visuel éblouissant. Chaque plan est millimétré. Chaque décor est étonnant. Chaque costume est parfaitement coupé.
Peu importe qu’on ne se laisse guère entraîner dans cette histoire de fantômes anglais, le plaisir des yeux emportant tout le reste.

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