Une année polaire ★☆☆☆

Un auteur norvégien à succès, Karl Ove Knausgård, a raconté dans son autobiographie l’année qu’il est allé passer au-delà du cercle polaire pour y enseigner dans une école élémentaire. Il y raconte la découvert d’une terre inhospitalière, ses difficultés à s’y faire accepter par ses élèves et par leurs parents, la solitude et le froid de la nuit polaire, la splendeur des aurores boréales, les liens d’amitié qui se sont lentement noués avec les mêmes habitants.

C’est quasiment la même histoire que raconte Samuel Collardey dans son dernier film. Ses précédents étaient déjà basés sur le même principe. Faire tourner dans leur propre environnement des acteurs amateurs : un employé de ferme dans L’Apprenti, un pêcheur dans Tempête.

Ici l’action se déroule au Groenland. Samuel Collardey, qui fut chef opérateur avant de passer à la réalisation, en filme longuement les paysages majestueux. On ne saurait le lui reprocher tant ils sont grandioses. Mais ses séquences tirent parfois un peu trop son film vers le documentaire. Son héros, Anders Hvidegaard dans son propre rôle, est un géant danois taciturne qui refuse le destin tout tracé qui l’attend dans une grande exploitation agricole du Jutland qu’il est censé reprendre à la mort de ses parents. Il veut du dépaysement. On lui propose un poste tranquille à Nuuk (l’ancienne Godthab), la capitale du Groënland ;  il préfère Tiniteqilaaq un village d’une centaine d’âmes dans une des régions les plus froides du pays.

Une année polaire est un film attachant dont le scénario, prévisible, se laisse aisément deviner à sa seule bande annonce. Après avoir été chahuté par ses élèves et tenu à bout de gaffe par ses parents, le gentil Anders réussira à s’en rapprocher. Rien ne vient enrichir cette trame bien pauvre. Ni amourette avec une jeune fille du village, ni querelle avec un Inuit pris d’alcool, tout juste un blizzard qui oblige nos gentils personnages à construire un igloo de fortune durant une chasse à l’ours. À force de filmer des paysages grandioses, Samuel Collardey oublie de raconter une histoire et de donner de l’étoffe à ses personnages.

Si les sonorités du Kalaallisut vous envoûtent et si vous aimez voir courir des Inuits tout nus sur l’inlandsis, je vous conseille plutôt Atanarjuat, la légende de l’homme rapide de Zacharias Kunuk ou Le Voyage au Groenland, le film désopilant de Sébastien Betbeder.

La bande-annonce

Hedy Lamarr: from Extase to Wifi ★☆☆☆

Hedy Lamarr née Hedwig Kiesler (1914-2000) a eu une vie hors du commun. Sa beauté stupéfiante a ouvert à cette jeune Autrichienne les portes des studios du cinéma où elle fit une entrée fracassante en jouant nue dans Extase (1933) et en y simulant un orgasme. D’origine juive, elle prend rapidement la poudre d’escampette vers l’Angleterre puis vers les États-Unis où Louis B. Mayer la recrute. Elle tourne sous la direction des plus grands : King Vidor, Victor Fleming, Richard Thorpe, Cecil B. DeMille (qui lui donne dans Samson et Dalila en 1949 son rôle le plus célèbre).

Mais Hedy Lamarr n’est pas seulement une diva dont la tumultueuse vie sentimentale (elle n’eut pas moins de six époux) fit le bonheur des tabloïds. Comme l’indique le sous-titre du documentaire, Hedy Lamarr était aussi une femme inventive. Dans les années quarante, elle imagina et fit breveter un système de communication par sauts de fréquence pour permettre le guidage des torpilles sous-marines. Le brevet ne fut pas utilisé. Mais quelques années plus tard, l’armée américaine le reprit à son compte. Et aujourd’hui, la technologie utilisée  par la WiFi et le GPS empruntent au dispositif imaginé par Hedy Lamarr pendant la Seconde Guerre.

Ce qui précède résume la vie de Hedy Lamarr et la vision hagiographique qu’en donne le très conventionnel documentaire de Alexandra Dean.
Il faut lui reconnaître aussi le mérite d’évoquer la « légende noire » de l’actrice-inventrice : un fils adoptif qu’elle a abandonné, des arrestations et même de la prison pour une kleptomanie compulsive et des opérations ratées de chirurgie esthétique qui la défigureront au crépuscule de sa vie.

Mais cette série d’avanies est présentée comme autant de malheurs subis par une femme qui n’aurait pas mérité de finir sa vie dans la misère, faute d’avoir touché les revenus que son invention géniale aurait dû lui garantir.

On peut émettre des réserves sur une telle approche. Car outre son visage d’une exceptionnelle beauté, il n’est pas sûr que Hedy Lamarr mérite la fascination que la réalisatrice nourrit à son égard et voudrait nous faire partager. La modestie de Hedy Lamarr n’était pas sa plus grande qualité. Sa misanthropie et son égoïsme sont frappants – si on les compare par exemple à l’engagement d’une Katherine Hepburn. Et ses droits sur une invention tombée dans le domaine public sont discutables. Quant à sa déchéance physique et à sa solitude dans son vieil âge, on s’en apitoiera si on a du cœur et on estimera qu’elle en porte en partie la responsabilité si on n’en a pas.

La bande-annonce

Lutine ★★★☆

Savez-vous ce qu’est le polyamour ? Le terme nous vient de l’américain polyamory – parfois traduit polyamorie. Il se répand avec le livre The Ethical Slut publié en 1997. Françoise Simpère qui le vulgarise en France lui préfère le terme de lutinage.

Le polyamour est la possibilité de vivre simultanément plusieurs relations sans tromperie ni mensonge. Le polyamour prône une non-exclusivité sexuelle et sentimentale librement consentie. Le polyamour, qu’on le vive seul.e (on parle de solo-poly), à deux, à trois ou à plus, entend dépasser le couple. Il se distingue de l’infidélité ou du donjuanisme – qui est une forme de non-exclusivité mais pas librement consentie – du libertinage – qui prône une liberté sexuelle mais pas amoureuse – ou de la polygamie – qui réduit la relation au cadre matrimonial. C’est une nouvelle forme de féminisme qui place les deux parties du couple sur un pied d’égalité.

Le sujet est intéressant et méritait un documentaire. On imagine volontiers qu’il aurait pu s’organiser autour de l’interview face caméra de tout un panel de sociologues et de polyamoureux, sur le même mode que celui récemment utilisé par Amandine Gay pour donner la parole aux femmes noires (Ouvrir la voix).

Mais Isabelle Broué ne se laisse pas aller à cette facilité. Elle préfère construire une histoire autobiographique dont elle serait l’héroïne, se filmant en train d’interviewer quelques personnalités marquantes du polyamour, et filmant aussi son couple que le tournage de ce film met à mal. Cette voie-là, les amours contrariées d’une quarantenaire, n’est pas sans rappeler l’excellent Jeune femme ou le non moins excellent Victoria. Ce parti-pris est est charmant. Mais ce n’est pas encore sur le terrain de la comédie romantique que Lutine est le plus intéressant.

Car Lutine a plusieurs tiroirs et cache un troisième film. Un film que n’annonce ni son titre ni son affiche et qu’à moitié son pitch. Lutine est un film sur une réalisatrice, intello bohème, diplômée de la Fémis, en panne d’inspiration et de financement depuis son dernier film tourné dix ans plus tôt, en train de tourner son film. Et il le fait avec une auto-dérision, avec une sincérité, avec une malice, avec une intelligence qui forcent l’admiration. En phase avec son temps, Lutine a la liberté de ton, la simplicité des meilleurs films français, petits par leur budget, mais pas par le talent de leur réalisateur : Antonin Peretjako, Guillaume Brac, Antoine Desrosières, Sophie Letourneur…

Au départ, on a l’impression d’être embarqué dans une entreprise que l’héroïne, un peu bordélique, ne sait pas vraiment comment mener à bien. Le scénario et les acteurs eux-mêmes font de constants allers-retours entre la réalité et le film : ainsi de Philippe Rebbot, excellent comme toujours, qui joue tout à la fois le rôle d’un producteur médiocrement réceptif au projet de d’Isa, puis celui de Philippe, l’acteur qui joue le rôle de l’amoureux d’Isa car celui-ci – lui-même interprété par l’acteur Mathieu Bisson – refuse d’y jouer, avant de jouer aussi le rôle de Philippe dans le film d’Isa. Au bout d’un moment, le spectateur s’y perd (comment Philippe peut-il à la fois jouer le rôle de l’amoureux d’Isa et le sien dans le film d’Isa ?) et les personnages eux-mêmes font mine de s’y perdre aussi.
Mais tout est parfaitement contrôlé. Si Lutine a des faux airs de making-of, son écriture au cordeau ne laisse aucune place à l’improvisation ou à la sortie de route. Le résultat réussit à être à la fois d’une étonnante spontanéité et d’une parfaite maîtrise.

À la fin de cette « comédie romantique de fiction documentée », on n’en sait hélas guère plus sur le polyamour ; mais on est tombé sous le charme d’Isabelle Broué, aussi talentueuse devant que derrière la caméra. Et on n’espère ne pas avoir à attendre dix ans pour voir son prochain film.

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Opération Beyrouth ★☆☆☆

1972. Mason Silkes (Jon Hamm) est un diplomate promis à un brillant avenir. Ministre-conseiller à l’ambassade américaine à Beyrouth, il reçoit avec sa femme Nicole (Leila Beikhti) et son fils adoptif Karim tout le gratin libanais dans sa belle résidence. Mais un groupe terroriste tue Nicole et kidnappe Karim.
1982. Mason Silkes vit désormais aux États-Unis et noie son chagrin dans l’alcool. Le département d’État le rappelle pour une mission spéciale à Beyrouth où son ancien collègue Cal (Mark Pellegrino) vient de se faire kidnapper. Sur place, Sandy Crowder (Rosamund Pike), une agente de la CIA sous couverture, va l’épauler.

Tony Gilroy est un des scénaristes les plus doués de sa génération. C’est lui qui a signé les scénarios de la saga Jason Bourne, transformant les insipides romans de Robert Ludlum en films d’action iconiques. On lui a même confié la responsabilité de Rogue One, un des spin-offs de la franchise Star Wars. L’idée de Beirut (subtilement rebaptisé en VF Opération Beyrouth) remonte à loin, à l’histoire vraie du responsable de l’antenne de la CIA à Beyrouth kidnappé en 1984 par le Hezbollah.

Sur le papier, Opération Beyrouth a les atouts des Syriana, Mensonges d’Etat ou Homeland : un film d’action, avec des personnages charismatiques (Jon Hamm et Romsaund Pike aussi sexys l’un que l’autre), une intrigue à rebondissements, un arrière-plan géopolitique compliqué.

À l’écran hélas le résultat est décevant. Opération Beyrouth manque de rythme, dont la réalisation plan plan fait se succéder des scènes convenues. Opération Beyrouth manque de suspens, qui essaie sans y parvenir de nous faire trembler pour des personnages dont on suit en baillant les déboires. Opération Beyrouth manque de piment faute d’alchimie entre ces deux héros, excellents quand ils sont seuls, calamiteux quand ils se donnent la réplique. Opération Beyrouth manque d’originalité qui raconte une histoire et des situations qu’on a déjà mille fois vues filmées avec autrement de talent.

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La mauvaise réputation ★★★☆

Nisha a seize ans. D’origine pakistanaise, elle vit en Norvège avec son père qui s’est sacrifié pour donner à ses enfants l’espoir d’une vie meilleure, sa mère, son frère aîné qui rêve de faire des études de médecine et sa sœur cadette qui n’est pas encore sortie de l’enfance. Nisha a les loisirs ordinaires des adolescentes norvégiennes de son âge : elle joue au basket, envoie des SMS, flirte avec des garçons… Mais ses parents, soucieux de « ce que les gens disent » (pour traduire mot à mot le titre norvégien), surveillent étroitement l’éducation de leur fille. Tout bascule quand le père de Nisha la surprend dans sa chambre en compagnie d’un garçon.

Iram Haq sait de quoi elle parle. On imagine volontiers la part d’autobiographie que contient le deuxième film de cette actrice norvégienne d’origine pakistanaise, née à Oslo en 1976, passée depuis quelques années derrière la caméra. Le risque était grand qu’elle y égrène gentiment ses souvenirs, l’histoire d’une jeune fille à cheval entre deux cultures, dont les amourettes adolescentes doivent passer à la censure d’un contrôle parental tatillon.

Il n’en est rien. La mauvaise réputation choisit le drame façon Jamais sans ma fille. Au bout de trente minutes, par un saut dans l’espace aussi abrupt qu’inattendu, il nous transporte au Pakistan – l’affiche du film le laissait déjà à moitié présager. Car, pour le bien de sa fille, pour la sauver de la mauvaise réputation que son imp.r.udence lui vaut désormais dans la communauté pakistanaise de Norvège, son père décide de la renvoyer chez sa tante.

Le film change du tout au tout. La chronique gentillette d’une jolie jeune fille en mal d’intégration en Norvège devient le drame d’une femme kidnappée au Pakistan qui cherche à s’évader. On partage son désarroi ; on espère avec elle un sauvetage ; on est terrassé par son infortune. Bientôt le film prend un second tournant. Nouveau bond dans l’espace dont on ne dira rien sans en dévoiler l’intrigue. Avant de se conclure, on en voit venir un troisième qui n’aura pas lieu car le scénario prend un nouveau chemin, parant l’un des personnages d’une humanité qu’on ne lui espérait plus.

Ce qui séduit dans La mauvaise réputation c’est sa capacité à bifurquer, à nous entraîner là où on ne s’y attendait pas, à nous surprendre sans cesser de nous émouvoir. Déjà, l’an passé, le réalisateur belge Stephan Streker réalisait Noces sur le mariage forcé d’une jeune Belgo-pakistanaise, un des films de mon Top Ten 2017. Le filon est décidément fertile.

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Les Anges portent du blanc ★★☆☆

Mia travaille dans un petit hôtel à moitié vide d’une station balnéaire chinoise. Une nuit, un homme s’enregistre avec deux jeunes filles. Il loue deux chambres, s’installe dans la première et les deux filles dans la seconde. Mais grâce aux caméras de surveillance, Mia découvre qu’il les rejoint nuitamment et enregistre la scène sur son téléphone portable.
Le lendemain, les enseignants des deux jeunes filles, alertées par leur comportement inhabituel à leur retour au collège, demandent un examen médical qui révèle le viol qu’elles ont subi. La police mène l’enquête et interroge le personnel de l’hôtel. Mais Mia, qui travaille sans papiers, n’ose pas témoigner.

La Chine exporte des téléphones portables, des chaussettes… et des films. Pas les wu xia pan, ces films de sabre si populaires en Chine mais totalement incompréhensibles hors de ses frontières. Mais des petits films noirs, poisseux, d’ailleurs pas toujours diffusés en Chine soit que la censure leur mette des bâtons dans les roues, soit qu’ils n’y trouvent pas de public. Zhang Yimou hier – avant d’être rattrapé par l’industrie du blockbuster – Jia Zhangke et Wang Bing aujourd’hui sont les porte-étendards de ce cinéma-là.

Il décrit non sans noirceur la réalité de la Chine contemporaine, la corruption galopante (Black Coal, Mystery), la violence prête à exploser (A Touch of Sin), le délitement du lien social (People Mountain People Sea, Fantasia), le sort pitoyable désormais réservé aux aînés (Le Rire de Madame Lin), la déréliction des hôpitaux (À la folie), la pollution galopante (Sud eau nord déplacer), les conditions de travail débilitantes des ateliers (Argent amer) ou des mines (Blind shaft)…

C’est à l’enfance malheureuse que s’intéresse Vivian Qu, la productrice du remarquable Black Coal, qui a écrit le scénario et assuré la réalisation des Anges portent du blanc. L’enfance malheureuse des deux gamines victimes inconscientes de la pédophilie d’un apparatchik sans scrupule. Et l’enfance malheureuse de Mia, dont on ne saura rien du passé chaotique, sinon qu’il l’a conduite, à peine sortie de l’enfance, à quitter sa terre natale pour venir s’employer sur la côte, comme des millions de Chinois.es, sans papiers et pour un salaire de misère.

N’espérez pas de happy end. La fin du film est d’un pessimisme désespérant. Au point qu’on pourrait trouver la barque trop chargée sur le point de sombrer. Pour autant, une fin plus gaie n’aurait eu aucun sens, sinon celui, bien futile, de rasséréner le spectateur en mal de pensée positive.

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Everybody knows ★★☆☆

Laura (Penelope Cruz) a émigré en Argentine pour y épouser Alejandro (Ricardo Darin). Elle revient en Espagne avec ses deux enfants pour le mariage de sa sœur. Elle y retrouve, dans la joie des festivités toute sa famille ainsi que Paco (Javier Bardem) son amour de jeunesse, qui a repris l’exploitation viticole familiale.
Mais un drame survient la nuit des noces qui va faire remonter à la surface les rancœurs enfouies.

Everybody knows a fait l’ouverture du festival de Cannes. À l’affiche, le couple de stars sans doute le plus hype du moment. Derrière la caméra, un réalisateur iranien rendu célèbre par Une séparation, Ours d’Or à Berlin , César, Golden Globe et Oscar du meilleur film étranger en 2011. De quoi susciter une attente, excitation et risque de déception.

Ashgar Farhadi aurait pu aller se perdre en Espagne, dans un biotope qui n’est pas le sien. Sa première tentative d’expatriation, le trop aride Le Passé, tourné en France en 2013, n’avait pas totalement convaincu. Les premières minutes de Everybody knows font craindre le pire. On s’y croirait dans une sous-histoire de Vicky Cristina Barcelona, l’étape espagnole du tour du monde de Woody Allen. Précisément, celle où le séduisant Javier Bardem emmène dans un bimoteur en escapade Penelope Cruz et Rebecca Hall visiter un village de carte postale de Galice.

Mais lentement le charme opère. Ashgar Farhadi prend son temps pour camper les personnages. Loin de lasser, cette lente exposition séduit. On assiste aux noces comme le ferait un lointain cousin de la famille, relégué à une table périphérique, mais régulièrement réapprovisionné en sangria.
Puis, soudainement, le film change de ton. La tendre chronique familiale vire à l’aigre ; la comédie tourne au drame. Les critiques invoquent à ce sujet Hitchcock et Bergman. Elles ont raison. Hitchcock pour l’intrigue policière. Bergman pour l’exposition sadique des jalousies domestiques.

Et nos craintes sont apaisées. Farhadi réussit à changer de pays sans perdre son âme. Il y a du mérite. Car d’autres réalisateurs se seraient laissés intimider par des acteurs aussi impressionnants : la fine fleur du cinéma ibéro-américain avec non seulement le couple-fashionista Cruz-Bardem mais aussi la star argentine Ricardo Darin et les seconds rôles Eduard Fernandez (L’Homme aux mille visages), Barbara Lennie (La Nina de Fuego) et Ramon Barea (Blancanieves, Abracadabra). Derrière cette artillerie lourde, on retrouve les thèmes chers au cinéaste iranien : la dissection du couple, des traumas refoulés, la loyauté et la fidélité mises à mal…

Alors pourquoi deux étoiles seulement ? Parce que, tout en reconnaissant la maîtrise formelle de Farhadi et la qualité de sa direction d’acteurs – avec un bémol toutefois pour Cruz un peu caricaturale dans son rôle de mère éplorée – je n’ai pas été touché par cette histoire là où j’avais été bouleversé par celle de Une séparation. C’est peut-être l’écueil qui guette ce réalisateur qui, à force de vouloir nous tétaniser par des scénarios si écrasants, risque de nous étouffer.

La bande-annonce

Place publique ★★☆☆

Productrice de télé survoltée, Nathalie (Léa Drucker) pend la crémaillère de la belle maison qu’elle vient d’acquérir « à trente-cinq minutes de Paris à vol d’oiseau »… mais un peu plus en voiture. Autour d’elle, sa sœur Hélène, toujours prête à s’engager pour la cause des déshérités au risque de négliger ses proches, l’ex-mari d’Hélène, Castro (Jean-Pierre Bacri) dont le talk-show racoleur produit par Nathalie connaît une perte de popularité, son chauffeur (Kevin Azaïs), la fille de Castro et d’Hélène, Nina (Nina Meurisse) qui va publier un roman à clés où elle caricature ses parents, la nouvelle femme de Castro, Vanessa (Hélène Noguera), ancienne miss Météo rêvant de monter sur les planches, Jean-Paul (Frédéric Dupont), l’homme dont Hélène est depuis toujours amoureuse, Biggistar, une nouvelle star de YouTube, etc.

Il est de bon ton de dire du mal du dernier film d’Agnès Jaoui. Les JaBac (Jaoui-Bacri), longtemps couple à la ville, pour toujours couple à l’écran, auraient épuisé la veine qui avait fait le succès de Un air de famille, On connaît la chanson, Le Goût des autres. Leurs grimaces feraient moins rire ; leurs dialogues feraient moins mouche.

La critique est méchante. car place publique est loin d’être un mauvais film. Il contient quelques scènes hilarantes – qui le seraient plus encore si on ne les avait vues et revues dans la bande-annonce diffusées ad nauseam avant la sortie du film. La direction d’acteurs est impeccable qui laisse s’exprimer tous les talents (mention spéciale à Léa Drucker, Sarah Suco et Olivier Broche). Et la morale du film, même si elle n’est guère innovante, touche souvent juste, qui fait le procès de la télé-spectacle, de la soif de célébrité et du jeunisme.

Place publique n’en a pas moins un immense handicap : il sort six mois après Le Sens de la fête, dont il reproduit quasiment à l’identique l’intrigue (une fête réunit l’espace d’une soirée une brochette de personnages), la tête d’affiche (Jean-Pierre Bacri au sommet de sa bacritude), le propos (une coupe longitudinale de la société française et de ses tics). Sur tous les tableaux, Place publique est juste un petit peu moins bon que Le Sens de la fête. Il m’a moins fait rire, m’a moins ému aussi.

La raison en vient peut-être, et paradoxalement, du manque de finesse du film de Nakache-Toledano. Les personnages de Gilles Lellouche, Jean-Paul Rouve, Vincent Macaigne ou Benjamin Lavernhe étaient hilarants parce qu’ils étaient monolithiques : un DJ prétentieux, un photographe ringard, un dépressif à la masse, un marié prétentieux… Dans Place publique, les personnages sont plus subtils, ni franchement sympathiques, ni carrément antipathiques. Du coup on s’y attache moins.

La bande-annonce

My Wonder Women ★★★☆

Récemment dévoilées par l’historienne américaine à Harvard Jill Lepore (The Secret History of Wonder Woman, 2014), la vie et l’oeuvre du professeur William Marston ont de quoi choquer les ligues de vertu. Dans l’entre-deux guerres, il enseignait avec sa femme Elizabeth – que la misogynie des temps avaient empêché de soutenir un PhD – la psychologie dans un collège de jeunes filles de la Côte Est. Le couple inventa le détecteur de mensonges en 1922. Pour les aider dans leurs recherches, William et Elizabeth recrutent et séduisent la jeune Olive Byrne, la nièce de Margaret Sanger, la fondatrice du féminisme moderne.

Mais les ragots vont bon train qui conduisent au renvoi de William désormais interdit d’enseigner et obligé de vivre de sa plume. C’est en puisant dans ses fantasmes que le professeur William Marston va alors inventer Wonder Woman la super héroïne la plus célèbre de la bande dessinée, avec son body en lycra frappé aux couleurs de la bannière étoilée, son diadème, son lasso et ses bracelets pare-balles.

Le premier tiers du film n’est pas le plus réussi qui décrit les recherches scientifiques du couple Marston et leur rencontre avec la troublante Olive. On aurait pu nous épargner quelques scènes de détecteurs de mensonge où, comme de bien entendu, l’aiguille s’affole lorsque l’innocente jouvencelle s’entête à nier les sentiments qu’elle éprouve au contact du beau professeur et de sa séduisante épouse.
Il est beaucoup plus stimulant dans sa deuxième, où s’installe le « trouple », entre jeux érotiques raffinés, réprobation sociale et famille élargie (William aura deux enfants d’Elizabeth et deux d’Olive)
Mais c’est sa troisième  qui est la plus stimulante, pour les fans de bandes dessinées comme pour les féministes, qui procède à une relecture de Wonder Woman, princesse grecque élevée au milieu des femmes dans le culte de Sappho, qui, pour l’amour d’un officier britannique, le suit dans l’Angleterre du Blitz et met ses super-pouvoirs au service de la lutte contre l’envahisseur nazi.

My Wonder Women a reçu un accueil public et critique mitigé qu’il ne méritait pas. Sous ses airs d’inoffensif biopic, il s’agit d’un film étonnamment transgressif qui parle de triolisme et de sadomasochisme. Il le fait avec l’élégance qui caractérisait les personnages de l’époque, qu’on croirait tout droit sortis d’un épisode de Downton Abbey. Il le fait sans aucune vulgarité. Il le fait surtout avec le romantisme très premier degré qui imprègne les bluettes sentimentales d’hier et d’aujourd’hui. My Wonder Women a le bondage bon enfant, la badine badine. L’effet est paradoxal. Les cyniques y verront de la niaiserie, les bégueules du vice pernicieux, les autres un éloge de l’amour libre et une ode au féminisme.

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Retour à Bollène ★☆☆☆

Nassim est franco-marocain. Il a grandi à Bollène. Il est parti à Dubaï gagner sa vie dans la finance et épouser une Américaine.
Le temps d’un court séjour, il revient chez lui, sur une terre qu’il ne reconnaît pas, gangrénée par le racisme et l’extrême droite, rendre visite à sa mère, à ses deux sœurs, à un demi-frère qui sombre dans la schizophrénie et prenant soin d’éviter un père qu’il renie.

Retour à Bollène tangente trois sujets terriblement stimulants.

Premièrement, le retour au pays du fils prodigue.  La joie de sa famille et de ses amis de le revoir. Sa joie à lui mais aussi son malaise de retrouver des lieux et des visages dont sa vie l’a progressivement éloigné. Des sentiments que nous avons ressentis pour peu qu’on ait quitté le cocon familial pour entreprendre, loin de chez soi, des études à Paris et y débuter sa vie professionnelle. Un sujet traité dans Retour à Forbach ou Citoyen d’honneur. Un sujet largement autobiographique pour le réalisateur Saïd Hamich qui grandit à Bollène avant de monter à Paris pour devenir producteur.

Deuxièmement, comme le titre l’annonce, une analyse sociologique de Bollène, une petite ville sans âme du sillon rhodanien devenue terre d’élection de l’extrême droite. Un excellent documentaire, à diffuser dans les cours de géographie électorale, l’analysait finement. Mains brunes sur la ville montrait comment la crise économique combinée à une importante communauté maghrébine mal intégrée avait fait le terreau des idées extrémistes. Comme l’ancien professeur de lettres de Nassim, les communistes ont rallié le FN passant d’un extrême à l’autre « par la porte de derrière »;

Troisièmement, le mal être de la deuxième génération d’Afrique du nord, ces enfants d’immigrés, nés en France de parents maghrébins. Le très politiquement correct Fatima en faisait un tableau idéalisé. Son succès public et critique montrait que le sujet était toujours d’actualité et que nous aspirions tous à le voir réglé le mieux possible. La réalité est sans doute plus amère comme l’illustre le personnage de Nassim qui, faute de trouver une place en France, est parti la chercher aux Émirats.

Malheureusement, Retour à Bollène ne traite aucun de ces sujets. Trop court – soixante-neuf minutes – il se compte de les ébaucher. Il nous laisse sur notre faim, orphelin du film que nous espérions.

La bande-annonce