Fête de famille ★★★☆

Dans la belle demeure familiale, Andréa (Catherine Deneuve) accueille ses enfants pour son anniversaire. L’aîné Vincent (Cédric Kahn) est venu avec son épouse et ses deux garçons. Le cadet Romain (Vincent Macaigne), qui peine à trouver sa voie, est accompagné de sa nouvelle fiancée, une jeune Argentine prénommée Rosita. S’invite sans crier gare le troisième enfant de Andréa, Claire (Emmanuelle Bercot) qui avait quitté depuis trois ans la France pour les États-Unis, laissant derrière elle aux soins d’Andréa l’éducation de sa fille Emma.
La réunion de famille est l’occasion de solder de vieux comptes.

Le repas de famille est un genre cinématographique à lui tout seul. C’est un genre très français : À nos amours de Pialat, Un air de famille de Klapisch. Mais c’est un genre qui n’a pas de frontière : Festen du Danois Vinterberg, Sieranevada du Roumain Puiu.

J’ai une sympathie particulière pour les films de Cédric Kahn que j’avais découvert à la fin des années quatre-vingt-dix dans l’adaptation de L’Ennui de Moravia. Je considère que ces dernières réalisations comptent parmi les meilleurs films de ces dernières années. J’ai mis quatre étoiles à La Prière qu’il a réalisé et à L’Économie du Couple où il interprétait aux côté de Bérénice Bejo le rôle principal.
Pour autant, j’ai été sévèrement rebuté par la bande-annonce de cette Fête de famille, diffusée ad nauseam ces dernières semaines. Elle me donnait l’impression d’avoir déjà tout vu du film et d’en avoir épuisé les pauvres ressorts. Si besoin en était, mon manque d’attirance était encore refroidi par les critiques calamiteuses que le film recueillait.

Bien m’a pris de ne pas m’arrêter à ces a priori. Car Fête de famille, s’il n’est pas un chef d’œuvre inoubliable, est une honnête réussite. Certes, comme l’écrit ironiquement Première « Deneuve deneuve, Macaigne macaigne et Bercot bercotte ». Le cinéma français a un rythme de production tel que ses figures les plus bankables réapparaissent sur les écrans à des intervalles trop rapprochés pour ne pas finir par nous lasser. C’est le cas depuis très longtemps de Catherine Deneuve. C’est en train de le devenir pour Vincent Macaigne, qui devrait gagner en sobriété s’il ne veut pas devenir horripilant. C’est un reproche excessif pour Emmanuelle Bercot qui, dans le rôle de la fille prodigue et frappadingue, tire le mieux son épingle du jeu.

L’espace d’une journée, on regarde cette famille bourgeoise s’aimer et se déchirer, se disputer et se réconcilier, entre tendresse et cruauté, avec des confessions et des non-dits. On est ému ; on sourit. La direction d’acteurs est impeccable. Les scènes de groupe sont parfaitement chorégraphiées et d’un naturel étonnant. Le scénario maintient la tension jusqu’au bout. Que demander de plus ?

La bande-annonce

Liberté ☆☆☆☆

1774. Quelques nobles débauchés ont quitté la cour de Louis XVI. Ils ont trouvé refuge dans un duché allemand. 
À la nuit tombée, dans un bois éclairé par la lune, ils se réunissent pour se livrer à leurs vices.

Albert Serra est un réalisateur hors normes. Le Chant des oiseaux mettait en scène les Rois mages. Histoire de ma mort imaginait la rencontre de Dracula et de Casanova. La Mort de Louis XIV montrait un Jean-Pierre Léaud hiératique, cloué dans son lit, interpréter l’agonie du Roi-soleil face à une cour médusée. Ce dernier film avait suscité de ma part un coup de gueule. Sa lenteur surlignée, sa préciosité m’avaient horripilé.

Ce sont les mêmes défauts qu’on retrouve dans Liberté.
Son titre, pas vraiment subtil, a valeur de manifeste : ces débauchés qui forniquent plus ou moins joyeusement dans les sous-bois ne recherchent pas seulement l’assouvissement de leurs sens mais l’expérience d’une liberté vraie, débarrassée des carcans du temps.

On aimerait le croire ; mais c’est un autre spectacle qui nous est montré. Pendant plus de deux heures interminables, on voit, sans souci de continuité, une succession de scènes de sexe. Urolagnie, coprolalie, candaulisme, anulingus, l’avantage de Liberté est d’élargir notre vocabulaire (et je vous imagine, fidèle lecteur, en train de compulser avec gourmandise votre dictionnaire).

L’accumulation de ces scènes ne vise pas à exciter nos sens : Serra ne réinvente pas le porno. Elle ne vise pas un effet esthétique : les corps ne sont pas érotisés. Pénis détumescents, fesses flasques, la chair est montrée telle qu’elle est. Et elle n’est pas joyeuse. On cherche en vain une lecture genrée : Liberté peint-il l’humiliation de la femme ou au contraire son triomphe paradoxal (le soumis du couple SM n’étant, on le sait, pas toujours celui/celle qu’on croît) ?

L’accumulation de ces scènes ne sert à rien. Sinon peut-être à épuiser le spectateur. Le film aurait-il duré une heure de plus, il y serait mieux parvenu encore. Mais deux heures et douze minutes auront suffi à faire fuir la moitié des spectateurs.

La bande-annonce

La Famille ★★★☆

Carlo (Vittorio Gassman) célèbre son quatre-vingtième anniversaire. Il aura vécu toute sa vie dans le même appartement cossu du centre de Rome. Il y sera né, y aura grandi auprès de son frère Giulio, moins armé que lui face à la vie, qui finira par épouser Amelia, la bonne. Il y aura accueilli son épouse Béatrice (Stefania Sandrelli) dont il aura eu deux enfants et de nombreux petits-enfants.
Mais c’est de la sœur aînée de Beatrice, Adriana (Fanny Ardant), une concertiste partie vivre en France, que Carlo aura été toute sa vie amoureux.

Le cinéma d’Ettore Scola utilise comme moteur le sentiment qui m’étreint le plus au monde : la nostalgie. La Famille (1987) est construit selon le même principe que Nous nous sommes tant aimés (1974) et Le Bal (1983). Il s’agit de raconter le temps long, le temps d’une vie, en recourant aux mêmes acteurs qu’on aura copieusement grimés pour les rajeunir ou les vieillir (ainsi de Vittorio Gassman qu’on voit successivement avec des cheveux noir corbeau et blanc comme neige). Si ce mode de narration conduit à un émiettement du récit, organisé selon une succession de petites saynètes chacune séparée de la suivante par les années qui passent, son unité est assurée par l’unité du lieu. Pas plus qu’on ne sortait du dancing où se déroulait Le Bal, on ne met les pieds hors de l’appartement où vivent les personnages de La Famille.

Comme dans Une journée particulière, où la grande histoire (la rencontre à Rome du Führer et du Duce en 1938) servait d’arrière-plan à la petite (la rencontre de deux voisins, un homosexuel (Marcello Mastroianni) et une femme au foyer (Sophia Loren)), l’histoire du XXème est l’arrière-plan discret du récit intimiste que raconte La Famille. C’est ainsi qu’on y voit Carlo, jeune professeur de littérature, hésiter dans les années trente à prendre, comme son cousin Enrico, le chemin de l’exil. C’est ainsi qu’on voit sa famille souffrir des privations de la Guerre et de l’immédiat après-guerre. En revanche, rien n’est dit sur les années de plomb que traverse l’Italie dans les 70ies.

Le regard mélancolique que lance Ettore Scola et ses fidèles co-scénaristes Furio Scarpelli et Ruggero Maccari sur ce passé qui passe n’est jamais amer ni cynique. Pourtant, la vie de Carlo aurait pu l’autoriser. Il épouse une femme qu’il n’aime pas vraiment et passe sa vie à regretter le choix qu’il n’a pas eu le courage de faire. Son histoire est non seulement traversée par la nostalgie. Elle l’est plus encore par le regret : regret de la décision qu’il n’a pas osé prendre.
Mais ce regret n’est pas délétère. Après la mort de Béatrice frappée d’un cancer, vient pour Carlo l’âge de la solitude et de la vieillesse. Un âge que vient égayer sa nombreuse descendance. Le jour de son quatre-vingtième anniversaire, elle l’entoure pour une photo souvenir en tous points similaire à celle qui avait immortalisé l’anniversaire de son grand-père quatre-vingt ans plus tôt.
Le film se clôt comme il s’était ouvert. Ainsi va le cycle de la vie. La sagesse recommande de s’y plier.

La bande-annonce

River of Grass ★☆☆☆

Cozy s’ennuie. Elle est née et a grandi en Floride, s’y est mariée, a eu des enfants. Mais cela ne suffit pas à faire son bonheur.
Un beau jour, elle prend la poudre d’escampette avec Lee, un jeune tocard croisé dans un bar qui vient de trouver un revolver. Le propriétaire dudit revolver est à sa recherche. C’est Jimmy, le père de Cozy, qui travaille à la police.

Lorsqu’un auteur atteint un certain niveau de célébrité, on exhume ses œuvres de jeunesse. Il est de bon ton de s’en extasier. Soit qu’on les considère déjà comme des œuvres de génie injustement négligées. Soit qu’on y décèle, malgré leurs défauts évidents, les prémices d’un génie en éclosion. C’est le cas des carnets de dessins de Van Gogh, des nouvelles inédites de Proust… et du premier film de Kelly Reichardt qui avait fait sensation à Sundance en 1994 mais qui n’avait pas trouvé de distributeur en France.

La réalisatrice s’est fait un nom dans le cinéma indé américain pour ses films minimalistes et réalistes, prenant souvent pour objet des vies minuscules dans les étendues désertes de l’Oregon : Certaines femmes (dont l’action se déroule au Montana), Night Moves, Wendy & Lucy, Old Joy…. Elle est née au début des années soixante en Floride où se déroule le très autobiographique River of Grass. Son héroïne a le même âge que la réalisatrice. Comme Jimmy dans le film, le père de Kelly Reichardt travaillait à l’identification criminelle.

Le problème est que River of Grass est couturé des défauts qui lestent les œuvres de jeunesse. Filmé à l’arrache (son son est à peine audible, son image est granuleuse), ce petit film d’une heure et quatorze minutes n’a guère d’autres qualités que sa modestie. Le couple formé par Cozy et Lee n’est ni drôle ni attachant. Ses infortunes peinent à retenir l’attention.

River of Grass n’intéressera guère que les fans de Kelly Reichardt attachés à pouvoir prétendre, sans être contredits, qu’ils ont vu tous ses films. Je ne suis pas certain qu’ils soient si nombreux et si prétentieux…

Le Mariage de Verida ★☆☆☆

Verida va se marier. Ses parents en ont décidé. Son mariage aura lieu dans trois mois. Mais d’ici là, il lui faut prendre du poids : vingt kilos au moins pour atteindre les canons de beauté exigés par la société. Sa mère surveille son « gavage » et prépare à toute heure de la journée les viandes et les laitages que Verida doit ingurgiter.

La réalisatrice Michela Occhipinti vient du documentaire. C’est d’ailleurs un documentaire qu’elle projetait de réaliser à l’origine sur le gavage en Mauritanie. Le Mariage de Verida en porte la trace, qui a été tourné avec des acteurs amateurs et qui documente avec un souci quasi ethnographique la réaction des femmes à cette pratique d’un autre temps.

Le gavage des fiancées mauritaniennes est paradoxal dans un monde qui valorise plutôt la minceur des femmes que leur obésité. C’est le même paradoxe qui est à l’œuvre dans plusieurs régions du monde, et notamment en Mauritanie où les femmes noires sont minorisées par rapport à la majorité maure, où certaines cherchent à s’éclaircir la peau, alors que les femmes occidentales sont obsédées par leur bronzage.
Dans tous les cas, il s’agit d’une alinéation du corps des femmes, obligées à se soumettre à un diktat qu’elles n’ont pas choisi. L’aliénation dont est victime Verida ne concerne d’ailleurs pas son seul corps – qu’elle est contrainte de couvrir même la nuit « afin que les anges ne la voient pas » lui dit sa mère. Lui est dénié le droit de choisir son mari, quand bien même elle n’est pas insensible au charme du jeune homme qui, chaque matin, lui amène le pèse-personnes censé enregistrer ses progrès.
Michela Occhipinti ne situe pas son histoire dans une bourgade provinciale aux mœurs arriérés mais au cœur d’une grande ville, dans la classe moyenne (Verida travaille dans le cabinet d’esthéticienne de sa grand-mère et fréquente sans contrainte des amies libérées). Histoire de montrer que le gavage ne relève pas d’un folklore tribal mais bien d’une pratique usuelle.

Le titre original du film est plus évocateur encore : Il corpo della sposa (« Le Corps de l’épouse ») en italien et Flesh out (littéralement « toutes chairs dehors ») dans sa version destinée à l’export. Spectateurs nauséeux s’abstenir ! Les platées de nourriture que doit avaler la malheureuse Verida ont de quoi soulever le cœur.

Le sujet du film fera donc l’unanimité et émouvra les femmes et les hommes, les féministes et les autres. Mais son traitement laisse à désirer. La mise en scène voit alterner métronomiquement les scènes où Verida mange et celles où elle discute avec ses amies. Le suspense est tendu par une question binaire : se rebellera-t-elle ou pas ? Quand la réponse arrive, après une heure et trente-quatre minutes, on s’en est désintéressé. Désolé…

La bande-annonce

Les Hirondelles de Kaboul ★★★☆

Kaboul. 1998. Les talibans tiennent la ville et imposent leur loi d’airain.
Mohsen et Zunaira se sont rencontrés à l’université avant que Kaboul tombe aux mains des talibans. Il se destinait à enseigner l’histoire, elle le dessin. Mais l’ordre nouveau caparaçonne Zunaira derrière son tchadri opaque et étouffant et interdit à Mohsen d’enseigner l’histoire sans l’accommoder aux préceptes de l’islam.
Atiq et Mussarat forment un autre couple, plus âgé. Atiq est un ancien moudjahid qui a combattu l’URSS et qui est devenu gardien de prison. Sa femme se meurt d’un cancer.

Kaboul est donc la capitale de l’Afghanistan. Les talibans en ont été délogés en octobre 2001 pour avoir prêté main forte aux attentats du 11-septembre.  Bizarrement, le cinéma a tardé à s’emparer de leur histoire, souvent en adaptant des romans écrits quelques ans plus tôt : Les Cerfs-volants de Kaboul (sorti en 2007 et adapté du best-seller de Khaled Hosseini), Syngue Sabour (sorti en 2012 et tiré du Goncourt 2008 de Atiq Rahimi), Parvana (sorti en 2018 et inspiré du roman pour la jeunesse de Deborah Ellis). Ce dernier, un dessin animé lui aussi, qui met en scène une jeune fille obligée de se travestir pour faire survivre sa famille dans les rues de Kaboul, n’est d’ailleurs pas sans ressemblance avec le film d’animation co-signé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec.

Les Hirondelles de Kaboul est l’adaptation d’un roman de Yasmina Khadra sorti en 2002. Je l’avais lu en son temps et n’en avais pas gardé un souvenir impérissable. Les romans de Yasmina Khadra, bien qu’ils jouissent d’une grande popularité, ne m’ont jamais enthousiasmé : je les trouve excessifs, boursouflés de bons sentiments, frisant la démagogie à force de tire-larmisme.

Il a fallu plus de quinze ans pour le porter à l’écran. Zabou Breitman avait, au départ, l’idée d’en faire un film. Elle y a renoncé devant l’ampleur du projet (on imagine aisément que filmer une exécution capitale dans un stade de football ne doit pas être simple). Bien lui en prit ; car les aquarelles de Eléa Gobbé-Mévellec, qui avait déjà signé celles de Ernest et Célestine, font justice au texte. Mais elle a filmé les acteurs en costumes pour en tirer des cartons. On retrouve non seulement la voix de Swann Arlaud (Mohsen), de Zita Hanrot (Zunaira) de Simon Abkarian (Atiq) et de Hiam Abbass (Mussarat ) mais aussi leurs traits étonnamment fidèles.

L’histoire des Hirondelles, réduite à son squelette, a l’épaisseur d’une longue nouvelle. Le film, qui dure 1h20 à peine, en a aussi la durée. Il en a aussi la puissance, même si on en devine un peu trop vite le ressort. Si on craint dans la première moitié du film l’ennui, l’émotion nous prend dans la seconde jusqu’à un épilogue, mélodramatique et inéluctable, que le dernier plan nimbe d’une lueur d’espoir.

La bande-annonce

Je promets d’être sage ★★☆☆

Dramaturge au bord du burn out, Franck (Pio Marmai) décide de changer radicalement de vie. Il s’installe à Dijon, près de sa sœur et trouve un emploi de gardien au musée des Beaux-arts. La fréquentation des œuvres, la routine de son travail vont, pense-t-il, lui rendre la sérénité qui l’avait quitté. Mais c’est sans compter sur ses collègues de travail et notamment sur Sibylle (Léa Drucker) qui l’accueille froidement et refuse, pour des raisons qui s’éclaireront bientôt, de participer à l’inventaire des pièces du musée.

Je promets d’être sage s’ouvre par une scène hilarante. On y voit Pio MarmaI dans le rôle d’un directeur de troupe au bord de la crise de nerfs péter les plombs devant un public médusé et des acteurs tétanisés, dans une mise en scène à la Ian Fabre, toute de bruit et de fureur.
Mais la suite hélas n’est pas au diapason. On quitte les planches du théâtre pour les lambris du musée – un décor que le cinéma n’avait jamais investi à ma connaissance. On y retrouve Pio Marmai, joyeusement neurasthénique, dont on se dit qu’il est décidément l’un des acteurs les plus intéressants de sa génération. Le rejoint bientôt Léa Drucker, auréolée de son récent César, dans un registre comique qu’on ne lui connaissait pas et qui, tout compte fait, ne lui convient guère.

Non que le duo ne fasse pas mouche. On rit volontiers à ses tentatives plus ou moins maladroites de fourguer les pièces de l’inventaire qu’ils subtilisent. Mais le scénario n’est pas assez riche pour soutenir durablement l’intérêt. Cousu de fil de blanc, il se traîne vers un dénouement connu d’avance.

Je promets d’être sage ne parvient pas à se hisser au-delà de son cahier des charges : une comédie gentillette dans un cadre original bien servie par son duo d’acteurs. C’est déjà ça… mais ce n’est guère plus.

La bande-annonce

Les Baronnes ★☆☆☆

New York. 1978. La mafia irlandaise tient Hell’s Kitchen, le quartier populaire de Midtown Manhattan.
Mais quand Kevin, Jimmy et Bob sont arrêtés, le pouvoir devient vacant et leurs épouses n’ont d’autres solutions que de le reprendre, quitte à passer une alliance avec les Italiens de Brooklyn. C’est pour chacune un défi différent : Claire (Elisabeth Moss sans sa cape écarlate ni sa cornette blanche) est une femme battue, Ruby (Tiffany Haddish) est noire dans un milieu qui ne l’a jamais acceptée, Kathy (Melissa McCarthy qu’on vient de saluer dans Les Faussaires de Manhattan) est certes heureuse en mariage mais n’a jamais réussi à s’émanciper d’une famille trop encombrante.

Les Baronnes pâtit de la comparaison avec Les Veuves de Steve McQueen sorti sur les écrans il y a moins d’un an et dont il reprend le même sujet : des femmes minorisées qui s’unissent pour reprendre le flambeau abandonné par leur mari. La recette n’est pas mauvaise, qui mélange film de mafia et féminisme #metoo. Les Veuves étaient toutefois meilleur, en raison de la patte de son réalisateur et des rebondissements de son scénario.

Les Baronnes, plus classique dans sa narration, est moins riche, qui n’a d’autre intérêt que sa reconstitution soignée d’une époque où Hells’Kitchen n’avait pas encore été gentrifié. Entre comédie façon Drôles de dames et polar, Les Baronnes ne sait malheureusement pas sur quel pied danser.
Il est sorti au cœur de l’été sans quasiment de publicité ni de projections de presse. Signe que Warner France ne croyait pas vraiment à son potentiel.

La bande-annonce

Roubaix, une lumière ★★☆☆

Roubaix, une des villes les plus pauvres de France. Entre Noël et Nouvel An, on y suit le commissaire Daoud (Roschdy Zem) et le jeune lieutenant Louis Coterelle (Antoine Reinartz) dans leurs enquêtes : une arnaque à l’assurance, un incendie criminel, un viol sur mineure, une adolescente en fugue et deux jeunes marginales (Léa Seydoux et Sara Forestier, pétrifiée et passionnée) accusées du meurtre de leur voisine.

En compétition pour la dixième (!) fois à Cannes, Arnaud Desplechin surprend. Chef de file du cinéma français post-Nouvelle Vague, il a longtemps fait de la cellule familiale la matrice névrotique de ses films et s’est complu dans un cinéma intellectualisant qui ne m’a jamais convaincu alors même que je me situe probablement dans le cœur de cible de son public. Il abandonne cette veine pour réaliser un polar, à la frontière du documentaire et de la fiction. Il s’est inspiré de faits réels qui se sont déroulés en 2002 à Roubaix, sa ville natale et qui furent relatés dans un documentaire qu’il a vu par hasard sur France 3 en 2008.

Le film d’Arnaud Desplechin respecte scrupuleusement la trame définie par ce documentaire. À travers lui, c’est la radioscopie d’une ville entre chien et loup, lessivée par un crachin sournois, qui se dessine. Le risque est de laisser le spectateur sur sa faim en esquissant des histoires dont on ne nous livre pas le fin mot : pourquoi la famille de Daoud est-elle repartie en Algérie ? pourquoi son neveu emprisonné lui voue-t-il une telle rage ? pourquoi la jeune Sophie a-t-elle fugué ? D’ailleurs les deux personnages principaux, le commissaire et le lieutenant, restent-ils l’un comme l’autre opaques à toute analyse psychologique.

Mais il y a plus grave.  Roubaix, une lumière souffre d’un déséquilibre rédhibitoire.
Il est écartelé entre deux parties et deux partis. Le premier est de raconter, au fil de l’eau, ces historiettes – comme l’avait très bien fait en son temps Polisse. Le second est de se focaliser sur Claude et Marie. En confiant ces rôles à deux stars, Desplechin ne pouvait pas ne pas leur laisser la part du lion. L’enquête menée par les policiers sur leur crime [dans des conditions dont je m’interroge sur le réalisme et la violence] occupe toute la seconde partie du film. Le rythme du film en est brisé. On passe de la chronique au huis-clos, du pluriel au singulier, du kaléidoscope au microscope.

Je ne dis pas que la première partie n’est pas intéressante. Je ne dis pas que la seconde ne l’est pas non plus. Mais je dis que leur attelage l’une à l’autre ne fonctionne pas.

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Frankie ★☆☆☆

Françoise Crémont alias Frankie (Isabelle Huppert) est une star internationale du cinéma. Atteinte d’un cancer incurable, elle sent sa fin s’approcher. Pour ses dernières vacances, à Cintra au Portugal, elle réunit tous ses proches : Michel, son premier mari (Pascal Greggory) qui a fait son coming out depuis qu’elle l’a quitté, Paul, le fils qu’elle a eu avec lui (Jérémie Rénier) qui va s’installer à New York après une énième déception amoureuse, Jimmy, son mari actuel (Brendan Gleeson), inconsolable du deuil à venir, Sylvia, la fille (Vinette Robinson) que celui-ci avait eu d’un premier lit, elle-même accompagnée de Ian, son mari, qu’elle s’apprête à quitter, et de Maya, sa fille en pleine crise d’adolescence. Complètent ce cercle strictement familial Ilene, l’ancienne coiffeuse de Frankie (Marisa Tomei) et Gary, son compagnon (Greg Kinnear), un chef opérateur qui a décidé de passer à la réalisation.

On attendait beaucoup, à Cannes, en compétition officielle, du nouveau film de Ira Sachs, le réalisateur new yorkais, remarqué pour ses précédents films : Brooklyn Village, Love is strange, Keep the Lights on… La déception a été grande.

Cet assemblage cosmopolite – un réalisateur new yorkais, une star française, des acteurs anglais, belge et irlandais, un tournage au Portugal – ne fonctionne pas. On dirait du Woody Allen pas drôle, du Rohmer sans élégance.

Le scénario se déroule en une seule journée du lever jusqu’au coucher du soleil (filmé dans un long plan fixe comme un tableau de maître qui sauverait presque à lui seul le film si on lui manifestait une indulgence coupable). Il se déroule dans les rues et les environs de Cintra où les personnages, rarement immobiles, sont filmés en pleine déambulation, au point d’en devenir un tic.
Chacun des neuf personnages est successivement montré en compagnie d’un autre. Les esprits mathématiques auront calculé que le nombre de possibilités s’élève  à trente-six et que le film aurait pu être très très long. Heureusement certains face-à-face nous sont épargnés tandis que d’autres sont élargis à un troisième participant.
Chaque dialogue est censé raconter une histoire : le coming out de Michel, le déménagement de Paul, le chagrin de Jimmy, la rupture de Sylvia, les amourettes de Maya, etc. Le récit est si kaléidoscopique qu’on ne s’attache à personne. Sinon peut-être à Isabelle Huppert qui – malgré le ras-le-bol que je ne manque pas d’exprimer à chacun de ses films – est impériale dans un film où, pour une fois, elle n’interprète pas le rôle d’une femme toxique.

La bande-annonce