Bacurau ★☆☆☆

Bacurau est un village perdu dans le sertão brésilien délaissé par les pouvoirs publics. L’alimentation en eau potable y est aléatoire.
Teresa y revient pour les funérailles de sa grand-mère décédée à 94 ans. Des phénomènes inquiétants se succèdent : les habitants d’une ferme isolée sont sauvagement assassinés, le camion-citerne est criblé de balles, le réseau téléphonique est coupé.

On avait découvert de ce côté-ci de l’Atlantique Kleber Mendonça Filho avec ses deux précédents films : Les Bruits de Recife (2012) et Aquarius (2016). Projeté en Cannes, ce film-là avait provoqué un enthousiasme que je n’avais pas partagé. Mais ma réticence n’ôtait rien à mon impatience de découvrir la suite de son oeuvre.

Sur le papier, Bacurau a tout pour séduire. Empruntant à la fois au western, au film d’anticipation façon John Carpenter – dont l’école primaire du village porte ironiquement le nom – à la science-fiction, Bacurau ne se présente pas seulement comme un film d’action mais comme une métaphore des forces qui s’opposent dans le Brésil contemporain. C’est tout à la fois une critique du patriarcat, du népotisme électoral, de la relation inégalitaire aux États-Unis et un éloge du peuple et de la résistance.

Ca, c’est sur le papier. Mais le résultat est autre, qui s’étire interminablement sur plus de deux heures. Bacurau n’est au final qu’une banale série Z dont les pauvres ressorts se dévoilent assez vite. Si, pendant une demie-heure, on s’interroge sur l’origine des événements mystérieux qui s’enchaînent, on perd tout intérêt dans le film dès qu’elle nous est révélée. La violence éclate alors. Le gore prend le pas sur le reste. Le Prix du jury obtenu à Cannes en mai dernier semble bien indulgent sauf à considérer qu’il récompensait Aquarius reparti bredouille trois ans plus tôt.

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Nos défaites ★☆☆☆

Nos défaites est le résultat d’un projet mené par le documentariste Jean-Gabriel Périot (réalisateur en 2016 de Lumières d’été et en 2015 de Une jeunesse allemande) avec une classe de première option cinéma du lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine. Il s’agissait de faire jouer aux jeunes lycéens des scènes célèbres de films ou de documentaires des années soixante et soixante-dix ayant pour thème la lutte sociale. Toutes ne sont pas connues ; mais, avec le concours du générique de fin, on reconnaît La Chinoise de Godard (où Anne Wiazemsky, face caméra, lisait dans le Petit Livre rouge : « La révolution n’est pas un dîner de gala »), Camarades de Karmitz ou La Reprise du travail aux usines Wonder (où une jeune ouvrière crie son refus de « remettre les pieds dans cette taule »)

Le résultat est assez convaincant. Les jeunes acteurs jouent bien. Le grain de l’image en noir et blanc et du son d’époque sont restitués avec une étonnante qualité.

Mais l’exercice ne s’arrête pas là. Après le tournage, Jean-Gabriel Périot interroge les lycéens. « Qu’avez-vous compris de la scène que vous avez jouée ? » Et… le résultat est effarant. Avec un sourire désarmant et un embarras communicatif, Swann, Natasha, Ghaïs, Jackson, Julie, Alaa, Floricia, Martin et Rosalie (une panoplie de prénoms qui ferait la joie de Jérôme Fourquet) s’enlisent dans des réponses hésitantes avant de confesser n’y avoir rien compris. Un syndicat ? la grève ? la politique ? le communisme ? l’engagement ? La révolution ? Autant de concepts que l’interrogateur, un brin sadique, soumet aux jeunes lycéens et qui suscitent de leur part des réponses consternantes. Le travail ? « un moyen de gagner de l’argent ». La grève ? « le risque de perdre son travail ». La politique ? « tous des menteurs ». Le syndicat ? « je ne sais pas »

Du coup, le titre, profondément pessimiste, du documentaire s’éclaire. Nos défaites, c’est l’échec de notre génération – celle du documentariste, la mienne – à transmettre à la génération suivante les valeurs qui ont inspiré la génération qui nous a précédés, celle des luttes ouvrières et des progrès sociaux des années soixante.

Ce jeu de massacres se conclut avec un épilogue censé le contrebalancer. En décembre 2018, Jean-Gabriel Périot revient filmer les lycéens qui se sont mis en grève pour protester contre l’arrestation de leurs camarades accusés d’avoir taggé « Macron démission » sur les murs de l’établissement. Sans doute veut-il montrer que ces jeunes, qu’on avait vus ignorant le vocabulaire des luttes sociales, sont néanmoins capables de se mobiliser le moment venu. Mais cette épiphanie bien tardive ne parvient pas à les exonérer du lot répétitif d’âneries consternantes dont ils nous auront rebattu les oreilles durant l’heure précédente.

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Papicha ★★★☆

À Alger, au début des années quatre-vingt-dix, Nedjma (Lyna Khoudri) vit à la cité universitaire. Elle étudie les lettres modernes. Passionnée de stylisme, elle dessine, découpe et coud des robes pour ses amies. Avec ses voisines de dortoir, Wassila, Samira et Kahina, elle mène la vie d’une jeune femme libérée, fait le mur, sort en boîte.
Mais la situation du pays se dégrade. L’islamisme gagne du terrain. Quand la sœur de Nedjma est assassinée sous ses yeux, la jeune femme décide d’organiser un défilé de mode.

Quatre héroïnes sur l’affiche. Mais une actrice qui crève l’écran : Lyna Khoudri. On l’avait remarquée dans Luna (un des meilleurs films de l’année dernière passé injustement inaperçu) et dans Les Bienheureux. Elle explose cet automne où on la verra dans le Nakache/Toledano Hors normes et dans la série de Canal + Les Sauvages avant d’avoir un rôle dans le prochain film de Wes Anderson The French Dispatch (aux côtés de Timothée Chalamet, Tilda Swinton, Mathieu Amalric, Frances McDormand, Bill Murray, Benicio del Toro, Owen Wilson, Adrien Brody, Léa Seydoux… to name but a few!)

Il y a bien des façons de raconter la « décennie noire » traversée par l’Algérie dans les années quatre-vingt-dix. Les Bienheureux s’y était essayé du point de vue d’un couple d’Algériens cultivés faisant partie de l’intelligentsia (Nadia Kaci qu’on retrouve au générique de Papicha et Sami Bouajila). Le Harem de Madame Osmane l’avait fait en radioscopant un immeuble façon Les Choses de Perec.

Papicha décide de mettre au centre de l’histoire une bande de jeunes filles. Chacune a sa personnalité. Samira est voilée et fait ses prières. Kahina ne rêve que de départ. Nedjma et Wassila, son double, sont plus légères. Elles sont heureuses en Algérie et n’imaginent pas une autre vie. Mais elles ne peuvent concevoir que leurs libertés soient remises en cause par l’islamisme qui monte

Cette « bande de filles » – pour reprendre le titre du film de Céline Sciamma sorti en 2014 auquel Papicha emprunte la même fraîcheur – a son franc-parler. Les répliques fusent dans un sabir « françarabe », qui mélange les mots de français et d’arabe. L’ensemble a une énergie, une force roboratives.

Le film s’autorise certaines facilités. L’assassinat de Linda, la sœur aînée de Nedjma, est un événement trop important pour être traité si rapidement. Des seconds rôles sont trop brièvement esquissés qui auraient mérité plus d’attention, ainsi de la mère de Nedjma ou de sa directrice. Comme souvent dans un premier film, sa réalisatrice Mounia Meddour charge trop la barque.

Mais ses défauts lui seront pardonnés. Car Papicha, si remarquablement servie par son interprète principale, déborde d’énergie et suscite une vraie émotion.

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Music of my life ★★☆☆

1987. Luton : une ville sans âme du Bedfordshire au nord-ouest de Londres.
Javed a dix-sept ans. Il entre en terminale. Le walkman vissé sur les oreilles, il est fan de musique, tient un journal, écrit des poèmes et rêve de devenir journaliste. Mais ses rêves se heurtent aux interdits de son père, un immigré pakistanais qui a pour son fils d’autres ambitions.

On avait découvert Gurinder Chadha en 2002 avec Joue-là comme Beckham, l’histoire d’une jeune fille britannique d’origine indienne qui s’émancipe grâce au football féminin. Après quelques détours par l’Inde (elle avait réalisé en 2004 Bride and Prejudice un remake réjouissant de Jane Austen à Bollywood et en 2017 Le Dernier Vice-roi des Indes, une biographie de Lord Mountbatten), elle revient à ses premières amours. À l’instar de Joue-là comme Beckham, Music of my life est un feel-good movie qui raconte l’émancipation d’un jeune immigré de la deuxième génération, qui cherche à desserrer l’étau culturel dans lequel il a grandi.
Le film a pour fil directeur les chansons du Boss, Bruce Springsteen, dont les textes aident le jeune lycéen à mettre des mots sur sa rebellion.

L’ensemble, qui flirte parfois avec la comédie musicale, est noyé dans les meilleures intentions. La crise existentielle de Javed est l’occasion de passer en revue les grands enjeux du débat politique économique et social : racisme, communautarisme, amours mixtes, patriarcat, émancipation par l’école et le savoir… Tout se terminera, comme de bien entendu, dans une réconciliation générale, aussi prévisible qu’émouvante.

Une confession : j’avoue le rouge au front aimer presqu’autant les tubes sucrés qu’on écoutait dans nos années lycées et qu’on  entend – trop brièvement – dans le premier quart du film (Pet Shop Boys, Tiffany, The Human League, A-ha…) que les titres de Springsteen.

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Le Regard de Charles ★★☆☆

Avec une caméra offerte en 1948 par Piaf dont il était le secrétaire, Charles Aznavour a filmé sa vie. Quelques années avant sa mort, il a ouvert à Marc di Domenico ses archives en lui confiant la mission d’en faire un film. Il est mort l’an dernier sans en voir l’achèvement.

Je connais mal Aznavour. Avec Brel, Brassens et Bécaud, il faisait partie des chanteurs préférés de la génération de mes parents. C’est la raison pour laquelle il me semblait si ringard et que je lui préférais, par esprit de contradiction, Jeanne Mas, Mylène Farmer et Gilbert Montagné. Preuve s’il en fallait du raffinement de mes goûts musicaux !

Pourtant, en allant voir ce documentaire, je réalise que ces chansons sont entrées dans notre vie : Les Comédiens, Hier encore, For me Formidable, La Bohême, Emmenez-moi… Impossible de lire cette énumération sans avoir dans la tête une mélodie et des paroles – qui, cher lecteur, vous accompagneront pour le restant de la journée.

« Un film de Charles Aznavour réalisé par Marc di Domenico ». Les mots qui barrent l’affiche posent question : de qui est ce film ? Il s’agit, nous dit-on, d’images tournées par Aznavour. Et pourtant, on le voit souvent à l’écran. Et c’est tant mieux. Les images qu’il ramène de ses tournées (aux États-Unis, au Japon, en Afrique, en Arménie) n’ont guère plus d’intérêt que les soirées diapo de Tonton Paul et de Tata Nénette [ma grand-tante s’appelait en effet Antoinette]. En revanche, on aime le voir, sec comme une trique, aussi maigre que minuscule (1m60 au garrot). Et surtout, on aime l’entendre…

On apprend quelques détails de sa vie privée, qui fut chaotique. Une première femme, Micheline, et la vie de Bohême dans une soupente de Montmartre. Une deuxième, Evelyn, « la renarde », avec laquelle il part (en paquebot !) à la conquête des États-Unis. Et une troisième, Ulla, qu’il épouse à Las Vegas en 1967 et qu’il ne quittera plus. Six enfants dont Patrick qui meurt à vingt-cinq ans d’une overdose et pour laquelle il composera L’Aiguille. Une vie…

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Atlantique ★☆☆☆

Souleiman travaille à Dakar à la construction d’une immense tour. La colère gronde parmi les ouvriers qui n’ont pas été payés depuis trois mois. Souleiman est amoureux de Ada, une jeune fille de son quartier que ses parents ont promise à Omar. Ada est elle aussi amoureuse de Souleiman et ne veut pas épouser le parti choisi par ses parents contre son gré.
Mais le destin de Souleiman et d’Ada sera tragique. Avec d’autres ouvriers, Souleiman prend la mer pour gagner l’Europe en quête d’une vie meilleure. Sa pirogue sombre.

Atlantique a fait sensation à Cannes en mai dernier. Sa réalisatrice est la première africaine en compétition. Franco-sénégalaise de trente-sept ans, elle est la fille du musicien Wasis Diop et la nièce du réalisateur Djibril Diop Mambéty. Atlantique est son premier long-métrage. Il est reparti de Cannes avec le Grand prix, lot de consolation des films qui ont raté d’un rien la Palme (BlacKkKlansman en 2018, 120 bpm en 2017, Juste la fin du monde en 2016…).

Un film politique sur l’émigration africaine et sur la place des femmes dans la société sénégalaise. Un film poétique sur Dakar – où j’ai vécu trois merveilleuses années. Atlantique avait tout pour me plaire – même si l’absence de toute publicité (pas une seule bande-annonce dans les cinémas, pas une seule affiche au cul des bus ou dans le métro) le condamnait à l’invisibilité.

Hélas j’ai été très déçu. D’abord parce qu’on ne voit presque rien – sinon deux couchers de soleils magnifiques depuis la piscine du Radisson et la terrasse du Sokhamon (ces seuls noms suffiront à se faire se pâmer de nostalgie les « anciens ») – de cette ville si photogénique. C’est la mer que Mati Diop filme, et ses reflets irisés. La terre ne l’intéresse pas.

Mais ce n’est pas le principal.
Alors que le sujet aurait pu se prêter à un traitement documentaire et naturaliste, Mati Diop opte pour la poésie et le fantastique. Elle imagine que les noyés viennent hanter les vivants. Souleiman se réincarne en la personne d’Issa, un jeune lieutenant de police chargé d’enquêter sur le mystérieux incendie qui s’est déclenché durant le mariage d’Ada et d’Omar. Les autres noyés, eux, prennent l’apparence de zombies qui viennent exiger de l’entrepreneur véreux qui avait détourné leurs salaires impayés le versement de leur dû.

Mal jouées, mal filmées, mal montées, ces séquences nocturnes sont le point faible du film. Si la scène finale, aussi attendue soit-elle, fait renaître l’émotion, elle arrive trop tard pour sauver l’ensemble.

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Steve Bannon – Le Grand Manipulateur ★☆☆☆

Steve Bannon est une des figures les plus emblématiques de l’extrême-droite américaine. Il fut l’un des plus proches conseillers de Donald Trump pendant sa campagne victorieuse et durant la première année de son mandat à la Maison-Blanche.
La documentariste Alison Klaymann – qui avait déjà filmé le dissident Ai Weiwei et qui ne peut être suspectée d’aucune complaisance avec son sujet – l’a suivi pendant un an.
Évincé de la Maison-Blanche en août 2017, mais toujours financé par de riches donateurs, le fondateur du site Breitbart News défend encore la politique du Président. Il sillonne l’Europe pour y coaliser les mouvements nationalistes et conservateurs.

Steve Bannon est une personnalité sulfureuse. Il fut l’âme damnée, le logiciel de Donal Trump, celui qui fournit à cet anti-intellectuel les concepts et les mots pour conquérir le pouvoir et administrer le pays. Michael Wolff en a fait le personnage central de Fire and Fury, l’essai sulfureux qu’il a consacré à la première année de la présidence Trump et qui se clôt par le départ de ce conseiller très spécial.

On était intéressé à aller y voir de plus près, à regarder sous le capot, à comprendre la personnalité de cet homme et la logique de ses idées. Las ! Alison Klaymann s’est perdue. Elle a voulu dresser le portrait d’un sale type. Et elle y réussit : Steve Bannon, mal rasé, mal fagoté, perfusé au RedBull, le nez collé à son téléphone portable (on ne le voit jamais lire un livre), insultant ses collaborateurs, ne ressort pas grandi de ce documentaire dont on se demande bien pourquoi il a autorisé le tournage.

Mais, que Steve Bannon fut un sale type, on s’en doutait. Qu’il ait de sales fréquentations, on l’imaginait sans peine. Et on s’en fiche un peu. Ce qui est intéressant dans le personnage, ce sont ses idées. Et c’est d’idées dont ce documentaire manque cruellement. Obnubilée à démasquer le bad guy, Alison Klaymann oublie de nous montrer le smart guy. On ne le voit quasiment jamais dérouler un argumentaire. Tout au plus l’entend-on répéter quelques mots sur le « nationalisme économique » présenté comme l’alpha et l’oméga de la vulgate trumpienne. Du coup, on n’apprend rien sur ses idées, sur leur force de persuasion et sur les façons d’y répondre.

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Ne croyez surtout pas que je hurle ★☆☆☆

Entre avril et octobre 2016, le cinéaste Frank Beauvais a vécu seul, cloîtré chez lui, dans un petit village des Vosges du Nord, victime d’une grave dépression après une rupture amoureuse. Pour tuer le temps, il a compulsivement visionné plus de quatre cents films sur son ordinateur, des DVD achetés au supermarché, des films téléchargés plus ou moins légalement sur Internet, des classiques hollywoodiens, des raretés soviétiques, des gialli sanguinolents…
Il a tenu son journal qu’il lit devant des micro-extraits de ces films.

Le journal est un genre littéraire à part entière. Son passage à l’écran ne va pas de soi. Quelles images pour raconter la lente succession des jours ? Comment illustrer les subtiles variations du moi intérieur ? Alain Cavalier s’y est essayé dans ses dernières œuvres de plus en plus expérimentales.
Le parti retenu par Frank Beauvais est plus simple – même si on mesure admirativement le travail de montage qu’il a nécessité : trouver dans l’immense base que constitue la foultitude de films qu’il a vus pendant sa réclusion des images qui illustrent, plus ou moins fidèlement, son journal.

Même si Le Monde et Télérama parlent de « chef d’œuvre », mon enthousiasme n’est pas si délirant. Pour deux raisons.

La première est de forme. Elle questionne la plus-value de l’œuvre filmée sur le journal écrit. Pour le dire moins obscurément : qu’apportent ces images au texte ? Ne se suffisait-il pas à lui-même ?  Sa lecture – et les respirations qu’elle aurait autorisée alors que l’audition d’un texte lu, en salles sinon devant un DVD, nous interdit toute pause – n’aurait-elle pas été aussi roborative que le visionnage d’un film ?

La seconde est de fond. Raconter la dépression est une contradiction en soi. Le dépressif ne se raconte pas. Il se noie dans son noir silence. Le rythme de Ne croyez surtout pas…, l’espérance vers laquelle il s’ouvre (on apprend très vite que la réclusion de Frank Beauvais sera temporaire et qu’il prépare activement son retour à Paris), son existence même sont la preuve que la dépression du réalisateur n’était pas si profonde. On s’en réjouit pour lui… mais le film en perd en gravité.

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Alice et le maire ★★☆☆

Jeune normalienne sachant écrire, Alice Heimann (Anaïs Demoustier) est recrutée au cabinet du maire de Lyon en dépit de son inexpérience et de son désintérêt pour la vie politique. Paul Théraneau (Fabrice Lucchini) est un vieil édile socialiste qui a sacrifié sa vie à sa vocation. Mais à l’heure de décider s’il va prendre la tête du parti pour se présenter à l’Élysée, le maire traverse une grave dépression.

Alice et le maire vient prendre sa place dans la liste, qui ne cesse de s’allonger, des films qui s’essaient à raconter la politique de l’intérieur. Le genre est récent. La France longtemps ne l’a pas pratiqué à la différence des États-Unis. J’ai chaque fois une petite déception à voir décrit sans réalisme, ce monde que je connais un peu. Dans Alice et le maire, comme dans L’Exercice de l’Etat, référence désormais incontournable et à mon sens surcotée, les situations sont caricaturales, les dialogues artificiels.

L’héroïne de Alice et le maire ressemble à des personnages déjà filmés : une jeune Candide débarquant en politique. Le même rôle était interprété par Raphaël Personnaz dans Quai d’Orsay et par Finegan Oldfield dans l’hilarant Le Poulain. Mais Nicolas Pariser, formé à l’école de Rohmer ne prend pas le pari de l’humour. Son ton est grave. Trop peut-être. Il s’agit pour lui de filmer l’impuissance politique.

On dira que j’ose une lecture bien freudienne et passablement perturbée du personnage de Fabrice Luchini. Mais je crois que c’est l’impuissance qui le caractérise. L’homme n’a plus aucune activité sexuelle. Il est divorcé d’une femme castratrice, dont on aperçoit à peine la silhouette derrière la vitre d’un restaurant, et qui réussit, en l’espace d’une soirée à changer le cours de sa carrière. Il ne tente aucun geste de séduction avec la jeune Alice – alors qu’Anaïs Demoustier n’a jamais été aussi ravissante. Et, bien sûr, il a l’impression, quelles que soient les réalisations dont il puisse se targuer, d’être arrivé au bout d’un cycle, incapable à la fois de projeter sa ville au siècle prochain ou de faire face à l’urgence de l’accueil de réfugiés.

La jeune Alice pourrait secouer le même homme. Elle pourrait réveiller sa libido, lui redonner l’appétit de la conquête, le propulser vers l’Élysée en rédigeant le « discours de [s]a vie ». Le film de Nicolas Pariser a l’intelligence d’éviter cet happy end trop prévisible. Cyniquement, Alice renvoie au maire l’image glaçante de son électorat : en même temps insatisfait d’une classe politique en qui il a perdu sa confiance et incapable de lui proposer une alternative – sauf à tomber, comme Delphine (Maud Wyler), une amie d’Alice, dans une collapsologie apocalyptique.

Dans une interview au Monde, Nicolas Pariser évoque les deux façons de décrire la politique : avec Tchekhov, tout le monde est déçu mais personne ne meurt ou avec Shakespeare où personne n’est déçu mais tout le monde meurt. Nicolas Pariser s’inscrit résolument dans les pas de Tchekhov.

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Lucky Day ★★☆☆

C’est la quille pour Red. Après avoir purgé deux ans de prison pour un cambriolage qui a mal tourné, il est libéré aujourd’hui. Il retrouve sa femme, sa fille, son meilleur ami – qui lui révèle qu’une partie du butin a été sauvée. Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent là : Luc Chaltiel, un tueur psychopathe, est à ses trousses, qui lui reproche la mort de son frère dans le braquage. Et nul n’échappe à Luc Chaltiel.

Le Canadien Roger Avary a eu une étrange carrière . Ami de Quentin Tarantino, il co-signe les scénarios de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction. Son premier film, Killing Zoe, avec July Delpy et Jean-Hugues Anglade, est une oeuvre purement tarantinesque, qui reçut en 1994 le prix très spécial à Cannes. Avec Les Lois de l’attraction, Roger Avary adapte l’inadaptable Bret Easton Ellis. Et c’est la chute. Avary sombre dans l’alcool et la drogue. Il passe par la case prison après un accident de voiture qui entraîne la mort de l’un de ses passagers. La rédemption est lente. Seize ans se seront écoulés depuis son dernier film.

Lucky Day n’est pas exactement la suite de Killing Zoe que Roger Avary et son producteur, le regretté Samuel Hadida, avaient en tête. Mais il n’en est pas éloigné. Zed est devenu Red, Zoe Chloe. Le perceur de coffres a épousé la jolie Française et a eu une fille prénommée Béatrice.

Lucky Day renoue avec l’esprit Tarantino, comme si le temps n’avait pas passé depuis Killing Zoe et Pulp Fiction. Il en reprend les codes et les tics : héros cartoonesques, érotisme pop, ultraviolence pulp…
Le scénario de cette série B sinon Z tient sur un timbre-poste. Il se déroule l’espace d’une journée, tient en trois ou quatre scènes déjantées. Le film n’a pas d’autre ambition que de divertir. Il y réussit.

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