Un jour si blanc ★☆☆☆

Une femme meurt dans un accident de voiture sur une route verglacée d’Islande. Son mari, inspecteur de police, est effondré. Placé en congé d’office le temps de faire son deuil, il s’abîme dans la rénovation d’une maison destinée à accueillir sa fille unique, son beau-fils et leur enfant. Il découvre bientôt que sa femme a eu une liaison avant sa mort. Son amant est un voisin avec lequel il joue régulièrement au football. Il développe pour lui une haine meurtrière.

L’Islande est une île quasi-désertique deux cent fois moins peuplée que la France. Cela ne l’empêche pas de posséder une tradition cinématographique que beaucoup de pays plus peuplés lui envient. Baltasar Kormákur (SurvivreJar City), Dagur Kári (L’Histoire du géant timide, Dark Horse), Grímur Hákonarson (Mjólk, La Guerre du lait, Béliers), Hafsteinn Gunnar Sigurðsson (Under the tree), Rúnar Rúnarsson (Echo) sont les réalisateurs islandais plus réputés. Hlynur Palmason n’est pas un nouveau venu qui s’était fait connaître il y a deux ans avec Winter Brothers, primé à Locarno.

On retrouve dans le second film de ce plasticien son goût pour le formalisme, le souci qu’il apporte à la musique et à l’image. Les deux premières scènes donnent le la qui suit, pour la première, une voiture dans la brume, et montre, pour la seconde, les lents progrès de la construction d’une maison filmée au rythme des saisons.

L’atmosphère dans laquelle baigne Un jour si blanc est envoûtante. Le film hélas ne l’est pas autant qui, bien vite, fait du surplace. Ingvar Eggert Sigurðsson a beau livrer une interprétation habitée (qui lui a valu le prix Louis Roederer de la meilleure révélation à Cannes l’an dernier), le spectateur se désintéresse bientôt des obsessions qui le hantent.

La bande-annonce

La Beauté des choses (1995) ★☆☆☆

À Malmö, en 1943, Stig est lycéen. Il étouffe dans sa famille et jalouse son frère aîné qui a quitté le foyer. Une nouvelle professeure, la petite trentaine, vient d’arriver de Stockholm. Un jeu de séduction commence entre Stig et Viola qui deviennent bientôt amants. Leur relation se déroule au vu et au su de Kjell, le mari de Viola, un représentant de commerce, mélomane et alcoolique.

La Beauté des choses est le dernier film de Bo Widerberg, un réalisateur suédois mort en 1997 dont la réputation a été éclipsée par la renommée envahissante de son compatriote Ingmar Bergman. Il avait beau avoir remporté le Grand Prix du jury à Berlin et avoir été nommé aux Oscars du meilleur film étranger, il était resté inédit en France et n’est sorti dans les salles que mercredi dernier.

Le titre original, Lust och fägring stor, se traduit difficilement. Je remercie mon ami Johan Frisell de m’y avoir aidé. Il est tiré d’un psaume récité au début de l’été dans les collèges. Le titre français ne veut pas dire grand chose ; le titre anglais (All Things Fair) non plus.

Son thème est sulfureux (le film, fort sage, a été pourtant autorisé à tous les publics par le CNC quand bien même Allociné et l’Officiel affichent à tort une interdiction aux moins de douze ans) : les relations entre un jeune homme et une « milf ». Le thème n’est pourtant pas nouveau : Le Diable au corps, Le Blé en herbe, Le Lauréat , Mourir d’aimer (inspiré de faits réels que Georges Pompidou résuma dans une formule qui fit date), sans parler du Souffle au cœur qui y ajoutait une dimension incestueuse.
On aura noté que l’ensemble des livres et des films mentionnés ci-dessus mettaient en scène un jeune garçon et une femme plus âgée. La question de la pédophilie et du consentement ne s’y posait pas. Pas encore.

Stig est sans l’ombre d’un doute mineur. Pourtant, il n’y a aucun parfum de scandale dans la relation qu’il noue avec Viola. Consentants, ils le sont l’un et l’autre. Le plus érotique du film est peut-être son affiche qui, hélas, ne correspond à aucune des images que l’on voit dans le film.

Sa première partie est la plus intéressante où les deux protagonistes se rencontrent, se frôlent, se séduisent. Le premier baiser est échangé dans une scène que la bande-annonce dévoile. La suite est hélas plus fade. Le trio déroutant qui se crée avec le mari, dont le consentement à l’adultère dont il est victime doit autant à son éthylisme qu’à sa largesse d’esprit, n’est guère crédible. Le film se termine par une scène que je n’ai pas comprise. Qui voudra me l’expliquer en mp en sera remercié !

La bande-annonce

#Jesuislà ★★☆☆

Stéphane (Alain Chabat) s’ennuie. La cinquantaine blanchissante, séparé de son épouse, il marie son fils aîné et garde auprès de lui son cadet qu’il emploie dans son restaurant, une auberge basque dans son jus.
Stéphane a rencontré Soo, une Coréenne francophone, sur Instagram. Elle est devenue son jardin secret. Avec elle, ce taiseux discute. Avec elle, ce pudique se confie.
Jusqu’au jour où Stéphane décide de tout plaquer pour aller retrouver Soo à Séoul.

Les réseaux sociaux réécrivent les « lois de l’amour ». C’était le titre d’un essai de Janine Mossuz-Lavau qu’on m’avait offert pour la Saint Valentin en… 1992 et qui racontait l’appareil juridique réglementant la sexualité en France depuis 1945. Quand Marie Bergström publie Les Nouvelles Lois de l’amour en 2018, il n’est plus question de droit, mais d’Internet, ainsi qu’en témoigne son sous-titre : « Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique ». Peut-être me l’offrira-t-on vendredi prochain.

Deux inconnus se rencontrent sur Internet. Quel point de départ stimulant : romance, comédie, thriller, film d’honneur… Ce pitch ouvre tous les possibles. Il est étonnant qu’il n’ait encore guère été exploité au cinéma. Ne me vient guère à l’esprit que le récent Seules les bêtes – dont il ne constituait d’ailleurs pas l’argument central. Je prends le pari qu’il le sera dans les prochaines années.

On pourrait croire qu’il s’agit du sujet de #Jesuislà : la rencontre de Stéphane et de Soo, organisée en trois volets. Dans le premier, on est avec Stéphane près d’Hendaye où il s’ennuie gentiment. C’est la partie la plus convenue du film qui met en scène une midlife crisis dépressive comme on en déjà tant vu (on pense à Jean-Paul Bacri dans Kennedy et moi adapté de Jean-Paul Dubois, à Frédéric Beigbeder dans L’amour dure trois ans ou à Yvan Attal dans Mon chien Stupide et on se dit que le Pays basque est décidément propice à la crise de la quarantaine). Dans le deuxième, il atterrit à Séoul et va passer plusieurs jours à errer dans les couloirs de l’aéroport d’Incheon. C’est la partie la plus drôle du film. Dans la troisième, il quitte l’univers aseptisée de l’aéroport pour aller à Séoul. On n’en dira pas plus. C’est la partie la plus surprenante du film.

Et on réalise, sans pouvoir en dire plus sauf à dévoiler la fin du film, que son vrai sujet n’est pas celui qu’on croit. Il s’agit moins d’une rencontre entre deux inconnus, d’une histoire d’amour qui commence, d’un voyage exotique dans un pays inconnu, que d’une quête intérieure, que d’un retour vers soi-même, que d’une introspection.

Et on sort de la salle avec une question qu’on pose en redoutant d’être taxé de narcissisme. Que cherche-t-on sur les réseaux sociaux ? L’autre ou soi-même ?

La bande-annonce

La Cravate ★★☆☆

Bastien Régnier a vingt ans. Il a grandi dans l’Oise. Il a deux passions dans la vie : le Laser Quest et le Front national. La Cravate le suit pendant la campagne présidentielle 2017.

Approcher la « bête immonde ». Nous faire comprendre de l’intérieur les motifs d’un engagement à l’extrême-droite. Le pari est difficile. La fiction s’y est essayée avec succès avec American History X, This is England, ou, pour la France, Un français en 2014 et Chez nous en 2017. Le documentaire devait s’y frotter.

Mains brunes sur la ville l’avait fait en 2012 en étudiant le cas d’Orange et de Bollène, éclairante démonstration de sociologie électorale pour y comprendre les ressorts du front national. La Cravate n’a pas cette ambition transversale. Il cherche à s’intéresser à un individu et à son parcours. Et il le capte à un moment bien particulier de l’histoire du Front, comme l’annonce le titre : celui de sa dédiabolisation, celui où le mouvement fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen troque rangers contre cravate pour gagner la respectabilité sans laquelle il n’est pas de victoire électorale possible.

Le pari n’est qu’à moitié réussi. Deux écueils guettaient les co-réalisateurs – qui avaient déjà signé ensemble l’excellent La Sociologue et l’Ourson qui revenait en 2016 sur la querelle autour du mariage pour tous. Le premier était de sombrer dans la caricature, de charger la barque en décrivant un nazillon peinant à cacher son idéologie rance derrière un vernis de respectabilité. Le second était inverse : verser dans l’empathie et rendre sympathique une personnalité qui ne pouvait pas l’être.

La Cravate évite ces deux écueils et grâce doit lui être rendue d’y être parvenu. Mais pour autant – et on pourra légitimement me trouver bien sévère – l’ambiguïté de son héros prive ce documentaire d’une partie de son sel. On sent que les réalisateurs avaient décelé en lui des failles et un potentiel. Les failles, ils auront tôt fait de les percer à jour. On n’en dira pas plus sauf à dévoiler une révélation qui n’en est pas vraiment une et que d’ailleurs la moitié des critiques évoquent dans leurs récensions. Le potentiel, hélas, restera inexploité : Bastien Régnier ne sera pas choisi pour porter les couleurs du FN aux législatives, au terme d’un processus de désignation trop vite survolé.

La Cravate est construit selon une mécanique très artificielle. Les réalisateurs invitent son protagoniste, après le tournage, à lire face caméra le script de leur documentaire et à y réagir à chaud. On voit donc avec lui le film de sa vie raconté par une voix off mielleuse qui débite un texte très littéraire à la façon des romans d’apprentissage. On s’interroge sur la raison d’être de cette présentation : offrir à Bastien Régnier un droit de réponse ? prouver aux spectateurs que son accord a été recueilli pour le présenter sous un jour qui n’est pas toujours flatteur ?

Au moment de refermer le script, Bastien Régnier s’interroge : « Est-ce que je suis un connard ? ». Les spectateurs de la salle parisienne où j’ai vu le film hier – le département de France où le FN fait son plus mauvais score – avaient spontanément envie de répondre oui. Mais la vérité oblige à tempérer ce jugement : « Tu es simplement un naïf qui s’est fait avoir en exposant sa vie ».

La bande-annonce

The Gentlemen ★★☆☆

Mickey Pearson (Matthew McConaughey, aussi beau qu’élégant), le baron de la drogue à Londres, veut se retirer et jouir de la vie avec sa femme Rosalind (Michelle Dockery, l’aînée des trois sœurs de Downton Abbey). Un gangster chinois (Henry Golding, le gendre idéal de Crazy Rich Asians) souhaite lui racheter son entreprise ; mais Mickey lui préfère un milliardaire américain.
Un journaliste d’investigation (Hugh Grant qu’on ne présente plus) a vent de ces manoeuvres et veut faire chanter Raymond (Charlie Hunnan, la star de Sons of Anarchy), le bras droit de Mickey.

On l’annonce urbi et orbi : Guy Ritchie est de retour. Après quelques détours hasardeux par Hollywood, le « Tarantino anglais », l’ex-mari de Madonna, ceinture noire de judo, ceinture marron de jiu-jitsu, revient à ce qui fit son succès au tournant du siècle : la comédie mafieuse.

La bande-annonce donne le la. Humour britannique, violence cartoonesque, gangsters archétypaux. Tous les ingrédients semblaient réunis pour retrouver le succès de Snatch et d’Arnaques, Crimes et Botanique.

Il faut être cul-serré pour considérer que cette feuille de route n’est pas remplie. Les personnages sont croustillants, l’intrigue joyeusement alambiquée, les situations parfois désopilantes.
Mais il faut être bien indulgent pour voir dans The Gentlemen un grand film. Les recettes qu’il utilise sont trop éculées pour créer la même surprise que celle éprouvée lorsqu’on découvrait les premiers films de Guy Ritchie. On passe un bon moment. On ne regarde pas sa montre. C’est déjà ça. Mais ce n’est guère plus.

La bande-annonce

Les Traducteurs ☆☆☆☆

Pour garantir la confidentialité de la sortie du dernier tome d’une trilogie à succès, oeuvre d’un romancier anonyme, l’éditeur Eric Angstrom (Lambert Wilson) réunit dans un bunker coupé du monde neuf personnes chargées de sa traduction.
Malgré ces mesures de sécurité draconiennes, les dix premières pages du roman sont bientôt mises en ligne gratuitement. Le hacker réclame une rançon faramineuse sous la menace de dévoiler le reste du roman. Le coupable se cache nécessairement parmi les neuf traducteurs.

Le pitch des Traducteurs met l’eau à la bouche. On escomptait le même plaisir à ce Cluedo que celui qu’on a pris, il y a quelques semaines, devant À couteaux tirés. Las ! la déception est aussi grande que l’attente était forte.

Rien ne marche. À commencer par l’interprétation grand-guignolesque de Lambert Wilson qui semble, depuis Matrix, condamné à interpréter des rôles de méchants Mérovingiens, grands seigneurs et grandiloquents. Le reste du casting, très cosmopolite, n’est guère plus convaincant. Les neuf acteurs caricaturent les nationalités qu’ils représentent : l’Italien est beau parleur, l’Allemande maniaque de l’ordre et le Grec…. homo. Soupirs. Même la toujours excellente Sidse Babett Knudsen, l’héroïne de Borgen, réussit à mal jouer. [Au passage, on se demande bien pourquoi le roman serait traduit en danois et en grec et pas en arabe, en japonais ou en turc]

L’intérêt d’un whodunit repose sur deux ingrédients : l’épaisseur de l’énigme et la subtilité de sa résolution. Hélas, les deux font défaut. L’énigme se réduit au résumé que j’en ai fait tout à l’heure. Sa résolution qui essaie pathétiquement de multiplier les rebondissements – y inclus une scène d’action sur la ligne 6 du métro dont on apprendra plus tard qu’elle ne servait à rien – défie l’entendement et n’excite jamais l’intelligence.

Une catastrophe pathétique…

La bande-annonce

Waves ★★★☆

Tyler et Emily sont deux rejetons de la classe moyenne supérieure. La vie pour eux sous le soleil de Floride, dans la splendide maison de leurs parents, pendant les dernières années de lycée, ressemble à un rêve éveillé. Coaché par son père qui lui impose une discipline de fer, Tyler est un des meilleurs éléments de l’équipe de lutte. Il vit une idylle avec Alexis, l’une des plus jolies filles du collège.
Mais une ombre pèse sur la carrière sportive de Tyler : une douleur persistante à l’épaule dont il ne réussit pas à se débarrasser.

Il est difficile de présenter Waves dont les quelques lignes ci-dessus ne donnent qu’un aperçu très partiel. Le film réserve bien des surprises et j’invite les spectateurs qui souhaiteraient qu’elles ne leur soient pas dévoilées à passer directement au paragraphe suivant. Waves est en effet la lente descente en enfer de Tyler qui, par la faute de sa blessure, devra interrompre la pratique du sport et qui, apprenant la grossesse d’Alexis, refusant la décision de la jeune fille de ne pas l’interrompre puis de rompre avec lui, la tuera dans un moment d’hystérie. Le film pourrait s’arrêter à sa condamnation à perpétuité qui laisse derrière elle une famille en miettes ; mais un second film, plus doux, commence, avec Emily, la sœur cadette comme héroïne. On la voit tomber amoureuse de Luke, un camarade de Tyler, et l’accompagner au Missouri pour une dernière visite à son père mourant.

On comprend alors le vrai sujet de Waves, qui était déjà celui des deux précédents films de Trey Edward Shults (Krisha, inédit en salles quoique couvert de prix, et It Comes at Night) : la famille, les poisons qui rongent les membres qui la composent et sa capacité unique à les aider à y faire face ensemble.

Cette thématique, me direz-vous, n’est pas nouvelle. Elle est terriblement américaine. Et ses relents chrétiens ne peuvent qu’inspirer méfiance aux dangereux laïcards que nous sommes de ce côté-ci de l’Atlantique, plus prompts à vanter les joies de l’adultère que la concorde familiale autour de la dinde de Thanksgiving.
Certes. Mais ce sujet, aussi banal et horripilant soit-il, est ici servi par une mise en scène hors normes. Les premières minutes du film suffisent à s’en convaincre qui voient le réalisateur nous démontrer toute sa maîtrise avec un panoramique à 360° tourné à l’intérieur de la voiture de Tyler et Emily roulant toutes fenêtres ouvertes, la radio hurlante, face à la skyline de Miami. Le reste du film est au diapason, très stylisé, parfois aux limites de l’ostentation, qui nous emporte néanmoins par son panache.

Mystère de la distribution, Waves sort dans cinq salles parisiennes et n’est pas visible en province : une salle à Marseille, une autre près de Lille, aucune dans la métropole lyonnaise. Quand on sait le triomphe critique et public de Moonlight, Oscar du meilleur film 2017, auquel Waves fait penser par bien des aspects, cette omerta est incompréhensible.

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Histoire d’un regard ★★★☆

Gilles Caron (1939-1970) a couvert pour l’agence Gamma l’actualité avant de disparaître au Cambodge. Il est l’auteur de quelques unes des photos les plus iconiques de l’époque. La documentariste Mariana Otero reprend ses planches contacts et décrypte les photos qu’il a prises au Vietnam, au Biafra, au Tibesti, en Israel pendant la guerre des Six Jours, en Irlande du Nord et à Paris pendant mai 68.

Le numérique a révolutionné le photojournalisme. Aujourd’hui, un photographe peut prendre des centaines de photos sans se soucier de changer de pellicules. Il peut immédiatement en apprécier le résultat et prendre les mesures correctives appropriées. Dans la seconde, elles seront transmises à l’autre bout de la planète et seront mises en ligne dans l’heure, là où leur publication dépendait jadis d’un cheminement laborieux par le prochain avion.

Mais c’est moins à l’exercice d’une profession que s’intéresse Mariana Otero  qu’au regard d’un homme disparu dans la fleur de son âge. Le destin de Gilles Caron résonne avec celui de la mère de la documentariste, la peintre Clotilde Vautier, décédée en 1968 des suites d’un avortement clandestin, à laquelle elle avait consacré en 2003 Histoire d’un secret.

Avec une patience de laborantine, Mariana Otero développe les planches contacts de Gilles Caron, en tapisse les murs de son appartement, les reclasse dans l’ordre chronologique et identifie les lieux où ses photos ont été prises. C’est ainsi qu’elle reconstitue, en compagnie de l’historien Vincent Lemire, le cheminement de Gilles Caron, avec les troupes de Moshe Dayan à l’intérieur de Jerusalem reconquise pendant la guerre des Six Jours jusqu’au Mur des Lamentations. De la même façon, elle décrypte le concours de circonstances qui a conduit à la célèbre photo de Daniel Cohn-Bendit durant mai-68, jetant à un CRS imposant un regard narquois devant les portes de la Sorbonne.

Histoire d’un regard réussit à faire revivre une époque, celle de la fin des années soixante, avec son grain noir et blanc et ses voix nasillardes. Mais c’est surtout un hommage pudique à un homme trop tôt disparu et à son oeuvre dont on ne saura jamais quelles évolutions elle aurait pu connaître.

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L’Apollon de Gaza ★★★☆

En août 2013, une statue grecque, dans un extraordinaire état de conservation, est retrouvée par des pêcheurs au large de Gaza. La nouvelle agite vite le monde des conservateurs et des collectionneurs. Mais bientôt l’Apollon de Gaza disparaît.

Le documentariste suisse Nicolas Wadimoff mène l’enquête entre Jérusalem et Gaza en interrogeant tous les protagonistes de l’affaire. On peut d’ores et déjà le dire sans gâcher le suspense : ses recherches seront vaines et le mystère de l’Apollon de Gaza reste entier.

Mais l’histoire est suffisamment originale, ce qu’elle raconte est suffisamment éclairant sur le monde de l’art et sur la situation géopolitique de Gaza qu’elle mérite d’être comptée.

D’abord, on s’interroge sur la réalité même de cette statue. A-t-elle vraiment été découverte ? Ou n’est ce pas une « légende urbaine » ? L’Apollon de Gaza documente-t-il des faits réels ou est-il un « docu-menteur » à l’image de l’excellent Challat de Tunis qui racontait en 2014 la vraie-fausse histoire d’un motocycliste tunisien qui balafrait les fesses des passantes vêtues trop légèrement.

Une fois l’existence de la statue avérée, il faut documenter son origine. S’il semble acquis qu’elle ait été découverte en mer, y était-elle depuis longtemps ou y avait-elle été jetée plus récemment pour dissimuler une autre origine : un lopin de terre dont les propriétaires réclameraient leur part ? l’Égypte d’où la statue aurait été importée illégalement à travers les fameux « tunnels » de Gaza ?

Autre question : son authenticité. S’agit-il d’un faux grossier ? Mais, si c’était le cas, comment aurait-il pu être fabriqué à Gaza où les capacités pour fondre 700 kg de bronze font défaut ?

Et enfin, une fois toutes ces questions préalables tranchées, il faut éclaircir les conditions de sa disparition. A-t-elle déjà été vendue à un riche collectionneur privé ? Est-elle enterrée par un particulier qui attend que la rumeur soit retombée pour la faire sortir de Gaza et la mettre sur le marché ? A-t-elle été réquisitionnée par l’État palestinien, lui-même divisé entre les autorités de Gaza et de Ramallah ?

Même si le documentaire de Nicolas Wadimoff n’innove guère par sa forme, son sujet st si original, si intrigant que L’Apollon de Gaza mérite d’être vu… en attendant que soit peut-être un jour exposée la statue qui lui a donné son titre.

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