Le documentariste Frederick Wiseman nous surprend encore à quatre-vingt-dix ans passés. On avait l’habitude de le retrouver à échéances régulières avec des documentaires hors normes où, dans un style bien à lui, sans voix off, ni carton explicatif, il disséquait l’organisation d’une institution : la mairie de Boston (City Hall, 2020), la bibliothèque publique de New York (Ex Libris, 2017), la National Gallery de Londres (National Gallery, 2014), l’Université de Berkeley (At Berkeley, 2013), le Crazy Horse (Crazy Horse, 2011), etc.
Son dernier film n’est pas un documentaire. Il ne dure pas trois ou quatre heures mais une heure à peine. On n’y voit qu’une seule actrice, Nathalie Boutefeu, coiffée d’une élégante natte, enveloppée dans un châle aux motifs bariolés. Elle joue Sophia Tolstoï, l’épouse du célèbre romancier russe, et récite quelques passages de sa correspondance à son mari.
Le propos est étonnamment moderne : Sophia se plaint de son mari qui se décharge sur elle de l’éducation de leurs nombreux enfants et du train du ménage. Elle nourrit une immense admiration pour son mari dont elle recopie patiemment les brouillons (mais dont on ne saura rien des conseils qu’elle lui donne) mais lui reproche sa cyclothymie, sa froideur, ses silences. On regrette que ne soient jamais évoqués les livres qu’écrit Léon Tolstoï : lui consacrer tout un documentaire sans parler de Guerre et Paix ou d’Anna Karénine est bien frustrant.
Frederick Wiseman a opté pour un procédé théâtral intimidant : une seule actrice récite un texte dans les paysages splendides de Belle-Île aux falaises battues par le ressac, aux landes venteuses et aux étangs immobiles. Pourquoi l’avoir filmée dans ce splendide écrin ? Pour donner peut-être un peu de vie à un procédé dont l’austérité devient vite ennuyeuse. Pour autant, même si le film est court, on trouve vite le temps bien long…