Shttl ★★★☆

Mendele, un jeune Juif prometteur, a quitté son village en Galicie, à la frontière de la Pologne récemment occupée par le Reich, et s’est arraché à l’amour de Yuna, sa promise, pour aller étudier à Kiev. Devenu officier de l’Armée rouge, il en revient le 21 juin 1941 pour apprendre qu’un chidoukh, un mariage arrangé, va unir Yuna à son ami d’enfance, Folie, qui a versé dans l’hassidisme et renie toute forme de collaboration avec les Soviets. Le lendemain, Hitler lancera l’opération Barbarossa qui va entraîner l’invasion de ces territoires par la Wehrmacht et l’anéantissement de ses populations juives.

Shttl est une réalisation franco-ukrainienne tournée, avant l’invasion russe de 2022, à une heure de route de Kiev, dans un shtetl, un ancien village juif entièrement reconstruit pour l’occasion. Le réalisateur est français. L’équipe est largement ukrainienne. Le film est tourné en yiddish, cette langue germanique parlée par les Juifs ashkénazes que la Shoah a quasiment annihilée.

Ady Walter raconte avoir voulu parler de la Shoah sans la montrer. Sacrée gageure ! Il a eu l’idée de raconter le quotidien de ce petit village juif en faisant planer sur lui, dès la première scène, la menace d’un anéantissement imminent. Le film tout entier repose sur cette tension-là : le spectateur sait que, demain, ces êtres de chair et d’os qui se disputent sur leur avenir seront froidement exécutés par l’envahisseur nazi.

Ady Walter raconte avec une grande fidélité historique les tensions qui traversent un petit village juif d’Europe orientale. Deux voire trois courants s’y opposent. Le premier, bundiste, voit dans l’occupation soviétique et la collaboration une opportunité, une ouverture possible à la modernité. C’est Mendele qui l’incarne dans le film. En réaction, le deuxième, profondément réactionnaire, revendique le repli identitaire, le refus de toute hybridation, la défense de la pureté hassidique. Folie en est dans le film la figure presque caricaturale Un troisième se fait lentement jour – qui s’attire l’hostilité des deux premiers – qui voit dans la constitution en Palestine d’un Foyer national juif la seule issue possible à l’insoluble tension née de la confrontation du bundisme et du hassidisme.

Ces débats historiques et politiques sont aussi passionnants qu’ardus. Ady Walter fait le pari audacieux de ne pas les simplifier dans un manichéisme réducteur – par exemple dans la façon dont il se refuse à caricaturer l’antisémitisme ukrainien mais à montrer au contraire l’interpénétration des populations et des idiomes (le personnage de Damian, l’ami ukrainien de Mendele, est particulièrement intéressant à ce titre).
Il évite le piège du didactisme en optant pour une forme audacieuse et très efficace. Shttl est filmé en plans-séquences virevoltants, la caméra toujours en mouvement, suivant à la trace ses héros qui arpentent le village en tous sens. Ce choix technique confère une énergie folle au film qui donne l’impression d’être tourné en temps réel. Elle culmine dans la scène finale, qui ne nous surprend guère mais qui ne nous sidère pas moins.

La bande-annonce

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