Maestro ★☆☆☆

Leonard Bernstein (1918-1990) est beaucoup plus célèbre aux Etats-Unis que dans le reste du monde. C’est dire la notoriété de ce compositeur de génie qui fut aussi un immense chef d’orchestre, un pédagogue hors pair et un dénicheur de talents.
Maestro prend le parti de raconter sa vie à travers sa relation avec Felicia Montealegre, une actrice chilienne qu’il épousa en 1951 et avec laquelle il eut trois enfants.

Maestro est LE film Netflix des fêtes, celui que, dans le monde entier, des millions de spectateurs ont regardé  en famille, réunis par la magie de Noël, noyés dans les vapeurs alcoolisées du (mauvais ?) champagne bu la veille et les reflux acides de saumon et de foie gras. Pour faire bonne figure, c’est donc dûment équipé de mon tube de citrate de bétaïne que je l’ai regardé entre mes deux fils avant-hier. Le premier nous a quittés au bout d’une heure ; le second m’a stoïquement accompagné jusqu’au bout. Son jugement, implacable, n’en est pas moins tombé : « décousu »

Certes Maestro est un film magistral. On sait par avance qu’il vaudra à ses deux acteurs au moins une nomination et peut-être une statuette aux prochains Oscars, sauf si Cilian Murphy (Oppenheimer) et Lily Gladstone (Killers of the Flower Moon) se mettent sur leur chemin. Co-producteur, réalisateur, co-scénariste, Bradley Cooper fait le pari réussi de singer Bernstein au prix d’un maquillage stupéfiant. Si l’Oscar du meilleur nez était attribué, il l’emporterait haut la main ! Mais c’est aussi sa voix qu’il restitue, qui nous est si familière depuis qu’on a été biberonné à sa présentation de Pierre et le loup, et qui l’est plus encore à des générations d’Américains qui l’ont entendue chaque semaine.
Quant à Carey Mulligan, certaines critiques affirment non sans motifs qu’elle est l’héroïne du film. C’est sans doute lui donner plus d’importance qu’elle n’en a. Son personnage n’en reste pas moins essentiel. Fan de la première heure depuis Une éducation qui est l’un de mes films fétiches, en passant par Drive, Shame, Loin de la foule déchaînée et She Said, je manque de l’objectivité la plus élémentaire pour la critiquer sans verser dans le dithyrambe.

Il n’en reste pas moins, comme le disait mon aîné d’un mot, que Maestro est « décousu ». Décousu dans sa forme, qui, si elle suit globalement la chronologie, s’autorise des flash forwards et des ellipses parfois déconcertantes. Un exemple : le film, sans qu’on en comprenne vraiment la raison, oscille entre le noir et blanc et la couleur, le 16:9 et le 4:3. Pourquoi ?

Décousu surtout dans le sujet qu’il entend traiter. S’agit-il du génie musical de Bernstein ? Sans doute. Bradley Cooper a apporté par exemple un soin jaloux à reconstituer mimétiquement la fameuse direction par Bernstein de la symphonie n° 2 de Mahler en 1973 dans la cathédrale d’Ely près de Cambridge. Mais, on aurait aimé en voir plus et surtout en entendre plus. Quelle frustration de passer sous silence West Side Story, le chef d’oeuvre de Bernstein, dont on ne saura rien de la composition et dont on entendra à peine quelques mesures de l’introduction.

On aura compris que le vrai sujet de Maestro est la vie privée de Bernstein, sa bisexualité revendiquée, étonnamment transgressive pour son temps. Le problème est qu’à force d’être normalisée, à force d’être « cool » (on rit volontiers quand Bernstein cajole un bambin en racontant qu’il a été successivement l’amant de sa mère et de son père), cette bisexualité n’a plus rien de problématique. Elle n’est ni douloureuse, ni enthousiasmante, pour Bernstein lui-même comme pour son épouse aimante. Elle nous devient tout simplement indifférente.

Et c’est bien le comble pour un film qui aurait dû nous transporter. Sa luxuriance nous laisse sur le bord du chemin.

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Sergent-major Eismayer ★☆☆☆

Charles Eismayer est instructeur dans l’armée autrichienne. Sa réputation le précède : un militaire implacable qui prend un plaisir sadique à maltraiter les jeunes recrues sous prétexte de les faire rentrer dans le moule. En fait, sous le masque de dureté qu’il affiche volontiers et sous l’apparence d’un bon mari et d’un bon père, Eismayer cache un secret. Il éclatera à l’arrivée de Mario Falak, un jeune engagé d’origine étrangère qui n’hésite pas à afficher son homosexualité.

Ce film autrichien est tiré d’une histoire vraie. Sponsorisé par Têtu, on en connaît par avance, au vu de son affiche et de son résumé, l’enjeu sinon le dénouement.

Il faut lui reconnaître son originalité – Le Monde écrit joliment qu’il s’agit d’un croisement de Full Metal Jacket et de Love Story – et sa sensibilité – il faut du courage pour faire son coming out dans l’institution militaire volontiers viriliste sinon homophobe. Mais Sergent-major Eismayer est écrasé par le didactisme qui le porte et tué dans l’œuf par l’absence de surprise de son scénario.

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Shttl ★★★☆

Mendele, un jeune Juif prometteur, a quitté son village en Galicie, à la frontière de la Pologne récemment occupée par le Reich, et s’est arraché à l’amour de Yuna, sa promise, pour aller étudier à Kiev. Devenu officier de l’Armée rouge, il en revient le 21 juin 1941 pour apprendre qu’un chidoukh, un mariage arrangé, va unir Yuna à son ami d’enfance, Folie, qui a versé dans l’hassidisme et renie toute forme de collaboration avec les Soviets. Le lendemain, Hitler lancera l’opération Barbarossa qui va entraîner l’invasion de ces territoires par la Wehrmacht et l’anéantissement de ses populations juives.

Shttl est une réalisation franco-ukrainienne tournée, avant l’invasion russe de 2022, à une heure de route de Kiev, dans un shtetl, un ancien village juif entièrement reconstruit pour l’occasion. Le réalisateur est français. L’équipe est largement ukrainienne. Le film est tourné en yiddish, cette langue germanique parlée par les Juifs ashkénazes que la Shoah a quasiment annihilée.

Ady Walter raconte avoir voulu parler de la Shoah sans la montrer. Sacrée gageure ! Il a eu l’idée de raconter le quotidien de ce petit village juif en faisant planer sur lui, dès la première scène, la menace d’un anéantissement imminent. Le film tout entier repose sur cette tension-là : le spectateur sait que, demain, ces êtres de chair et d’os qui se disputent sur leur avenir seront froidement exécutés par l’envahisseur nazi.

Ady Walter raconte avec une grande fidélité historique les tensions qui traversent un petit village juif d’Europe orientale. Deux voire trois courants s’y opposent. Le premier, bundiste, voit dans l’occupation soviétique et la collaboration une opportunité, une ouverture possible à la modernité. C’est Mendele qui l’incarne dans le film. En réaction, le deuxième, profondément réactionnaire, revendique le repli identitaire, le refus de toute hybridation, la défense de la pureté hassidique. Folie en est dans le film la figure presque caricaturale Un troisième se fait lentement jour – qui s’attire l’hostilité des deux premiers – qui voit dans la constitution en Palestine d’un Foyer national juif la seule issue possible à l’insoluble tension née de la confrontation du bundisme et du hassidisme.

Ces débats historiques et politiques sont aussi passionnants qu’ardus. Ady Walter fait le pari audacieux de ne pas les simplifier dans un manichéisme réducteur – par exemple dans la façon dont il se refuse à caricaturer l’antisémitisme ukrainien mais à montrer au contraire l’interpénétration des populations et des idiomes (le personnage de Damian, l’ami ukrainien de Mendele, est particulièrement intéressant à ce titre).
Il évite le piège du didactisme en optant pour une forme audacieuse et très efficace. Shttl est filmé en plans-séquences virevoltants, la caméra toujours en mouvement, suivant à la trace ses héros qui arpentent le village en tous sens. Ce choix technique confère une énergie folle au film qui donne l’impression d’être tourné en temps réel. Elle culmine dans la scène finale, qui ne nous surprend guère mais qui ne nous sidère pas moins.

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Légua ★★☆☆

Dans un petit village du nord du Portugal, une belle maison est entretenue par Emilia, une vieille domestique acariâtre. Ana, la quarantaine, l’assiste. Le mari d’Ana est un maçon  qui la pousse à émigrer en France pour y trouver plus d’opportunités. Le fils d’Ana a déjà quitté le nid familial et sa fille est sur le point de le faire. Mais quand la santé d’Emilia décline, Ana, avec une fidélité indéfectible, reste à ses côtés pour l’accompagner dans ses derniers jours.

J’ai rarement vu affiche plus mal choisie que celle de ce film. On y voit de dos l’héroïne, Ana, au milieu d’une vallée sauvage, noyée dans la brume. On en escompte un film où la nature jouera un grand rôle alors qu’au contraire l’essentiel de Légua se déroule entre quatre murs.

Le sujet du film est rude. Il traite de la fin de vie. Le mot évoque les débats politiques sur le droit à mourir qui entourent le projet de loi promis par le président Macron. Pourtant à aucun moment, durant la lente agonie d’Emilia, le sujet n’est évoqué. C’est la mort simplement que Légua regarde en face. La mort nue, lente, inexorable. Celle qui attend nos proches – ou qui les a emportés déjà – notre père, notre mère, notre compagne ou notre compagnon…

Abandonnée à elle-même, sans famille ni amis, Emilia n’a qu’Ana pour l’aider. Ana pourrait se dérober. Rien ne la lie à son aînée, avec laquelle la relation n’était pas spécialement chaleureuse, qui ne lui a jamais manifesté beaucoup d’amitié, sinon le métier qu’elles ont exercé ensemble. Ana accepte pourtant sans mot dire, malgré l’incompréhension des siens, cette tâche bien ingrate. Le film est long, éprouvant, qui nous montre les efforts silencieux d’Ana pour égayer Emilia, la nourrir, la baigner, la langer….

On sort de la salle le moral dans les chaussettes en se demandant si on aura ce courage, cette humanité et en se demandant aussi qui les aura pour nous…

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The Survival of Kindness ★☆☆☆

Une femme noire en haillons est prisonnière d’une cage au milieu du désert. Elle réussit à s’en échapper. Le monde autour d’elle a été dévasté par une terrible maladie contagieuse. Les rares survivants se protègent avec des masques à gaz. Les populations blanches poursuivent inlassablement les gens de couleur et les exécutent sans sommation.

Le réalisateur Rolf De Heer – qui a réalisé en 1993 Bad Boy Bubby qui restera à jamais gravé dans ma mémoire – raconte que le confinement l’a empêché de réaliser le film à gros budget qu’il était sur le point de tourner. Son équipe et lui ont été contraints de travailler à un projet plus modeste, impliquant moins d’acteurs et moins de moyens.

Le résultat est pourtant loin d’être minimaliste. The Survival… nous fait traverser des paysages spectaculaires, depuis le désert de l’Australie méridionale jusqu’aux montagnes de Tasmanie. Comme les grands films post-apocalyptiques (Mad Max, Terminator, La Route, The Walking Dead…), il crée une « atmosphère », décalée et inquiétante.

Une fois campé le décor, le film post-apocalyptique a deux ressources, éventuellement cumulables. La première, la plus banale, est de raconter une histoire, comme n’importe quel film d’action. C’est ce que font les grands classiques du genre que je viens de citer. La seconde, plus difficile à manier, est de revenir sur les causes de l’apocalypse. C’est ce que fait magistralement La Planète des singes dans son ultime plan saisissant – peut-être le meilleur « dernier plan » de l’histoire du cinéma (avec celui de Psychose ?) – ou L’Armée des douze singes.

Le défaut de The Survival… est de ne faire ni l’un ni l’autre. L’histoire qu’il raconte peine à débuter et, quand elle débute enfin, s’avère bien ténue. Quant à éclairer les circonstances qui ont conduit le monde dans l’état qu’il est, il renonce paresseusement à nous éclairer. Sa fin m’a laissé pantois. Je n’y ai rien compris. Vos lumières, en commentaires ou en DM, me seront précieuses.

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Menus-Plaisirs – Les Troisgros ★★☆☆

Le « pape du documentaire » a posé sa caméra dans la maison Troisgros à Roanne, le plus vieux restaurant trois étoiles Michelin de France. Quatre générations de chefs s’y sont succédées. Ce temple de la gastronomie française a été fondé en 1930 par Jean-Baptiste et Marie Troisgros en face de la gare de Roanne. Leurs deux fils, Jean et Pierre en ont pris la tête dans les 50ies et y ont conquis leurs étoiles. C’est leur petit-fils, Michel qui le dirige aujourd’hui après en avoir déménagé le fonds en 2017 pour s’installer à Ouches, à quelques kilomètres de Roanne, dans un splendide domaine ouvert sur les champs du Forez. Son fils aîné, César, le seconde ; son fils cadet, Léo, tient les rênes du domaine du Colombier, un autre établissement de la maison Troisgros, dans le Brionnais.

Toujours vert, à quatre-vingt-dix ans passés, Frederick Wiseman ne change rien à la méthode qu’il utilise depuis plus de cinquante ans. Il choisit une institution : un asile psychiatrique dans le Massachussetts (Titicut Follies, 1967), un centre d’aide sociale à Manhattan (Welfare, 1975), le ballet de l’Opéra de Paris (La Danse, 2009), la bibliothèque publique de New York (Ex Libris, 2017), la mairie de Boston (City Hall, 2020)… Avec une équipe très légère, il y accumule des dizaines d’heures de tournage dont il conserve une infime partie au montage qui dure de longs mois. Aucune interview, aucune voix off, aucun sous-titre ni carton explicatif, aucune musique n’est ajouté.

La méthode a un atout : elle est profondément immersive. Elle nous fait pénétrer au cœur des institutions, réalisant le vœu qu’on a souvent fait en sachant sa réalisation impossible : « j’aurais aimé être une mouche pour…. ». Comme une mouche invisible, le spectateur accompagne les Troisgros au marché pour y acheter leurs produits, chez leurs fournisseurs, des éleveurs, des affineurs, des viticulteurs et même un apiculteur, dans leur cuisine pour l’amoureuse préparation de leurs menus à la tête de leur brigade affairée, dans la salle à la rencontre de leurs clients (que j’ai trouvé bien débraillés, me faisant de la clientèle d’un trois étoiles une image plus élégante, ce qui est sans le doute le signe de mon snobisme et/ou de mon complexe de classe).

Un conseil : ne pas aller voir ces Menus-Plaisirs, un titre délicieusement ambivalent, le ventre vide au risque de transformer les quatre heures qu’il dure en longue torture affamante. Car, c’est une marque de fabrique de Wiseman, ce documentaire est obèse. Cette durée se justifie-t-elle ? Wiseman en aurait-il moins dit, aurait-il été moins efficace, si son documentaire avait été réduit de moitié ?

C’est bien sûr le principal reproche que l’on peut adresser à cette expérience exigeante. Ce n’est pas le seul. L’autre, plus essentiel encore, vise la méthode même de Wiseman. Son refus obstiné de toute explication laisse en suspens de trop nombreuses questions. Quelle est l’histoire de la maison Troisgros (pour la présenter au début de cette critique, j’ai dû aller fureter sur Internet) ? Comment les étoiles Michelin ont-elles été acquises et surtout conservées ?  Quelle place la famille Troisgros occupe-t-elle dans la gastronomie française, par rapport notamment au « Pape » Bocuse, à Lyon si proche, ou aux grands noms de la Nouvelle Cuisine ? Que leur inspirent les trajectoires des Robuchon, des Ducasse, des Alléno qui s’internationalisent et accumulent les étoiles à la pelle dans toutes leurs succursales ? Que pensent-ils de la vogue récente de la gastronomie et de l’engouement médiatique suscité par Top Chef et par ses multiples succédanés ? Comment ont-ils traversé la crise du Covid ? Autant de questions qui, par la faute d’une méthode trop austère, restent sans réponses.

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Les Colons ★☆☆☆

En 1901, au sud de la Patagonie, un riche propriétaire foncier, José Menéndez, missionne trois hommes, un ancien lieutenant de l’armée anglaise, un ranchero mexicain et un métis chilien, pour aller prendre possession de nouvelles pâtures pour ses bêtes. Ils rencontrent un détachement militaire argentin venu borner la frontière entre l’Argentine et le Chili et des Indiens autochtones.

Les Colons a le mérite de raconter une page méconnue de l’histoire contemporaine : le génocide des Indiens Selknam ou Onas suite à la privatisation de leurs terres, l’extinction de leurs ressources de chasse, la répression de leur révolte et finalement leur lente extinction par l’effet de la tuberculose.

Il est filmé dans des paysages grandioses. Une musique (d)étonnante l’accompagne.

Les Colons est composé de deux parties radicalement séparées. La seconde se déroule sept ans après la première. Elle a pour héros un politicien venu de Santiago chargé d’enquêter sur les faits commis quelques années plus tôt, d’en retrouver les témoins et d’indemniser les victimes.

Les Colons est une œuvre édifiante qui mérite d’être vue. C’est un western dépaysant tourné à mille lieux de Monument Valley. C’est un film épique et radical qui m’a rappelé les austères paysages islandais de Godland. Comme dans Godland, on resent le froid, la faim, la crasse qui accompagnent les héros pouilleux dans ces contrées ingrates et glacées. Pour éprouvantes que soient certaines scènes – le film aurait pu être accompagné d’un avertissement pour prévenir le plus jeune public auquel il n’est clairement pas destiné – Les Colons n’en reste pas moins hélas un spectacle désincarné où les acteurs, assez médiocres, à l’exception peut-être d’Alfredo Castro, acteur de prédilection de Pablo Larrain, dans le rôle de José Menéndez, peinent à donner chair à leurs personnages et à faire naître pour eux de l’empathie.

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Winter Break ★★☆☆

Les vacances de Noël approchent à Barton, un lycée pour garçons huppé de la Nouvelle-Angleterre au début des 70ies. M. Hunham (Paul Giamatti), professeur d’histoire ancienne, s’y voit confier la tâche rebutante de surveiller les rares pensionnaires contraints d’y passer les fêtes. Parmi eux, Angus (Dominic Sessa), un élève doué mais turbulent, apprend à la dernière minute l’annulation des vacances paradisiaques que sa mère lui avait fait miroiter dans une île tropicale. Marry (Da’vine Joy Randolph), la cheffe de la cantine, récemment endeuillée par la disparition de son fils unique au Vietnam, préfère elle aussi rester à Barton, loin de l’effervescence des fêtes.

Alexander Payne (Sideways, The Descendants, Nebraska, Downsizing) est un cinéaste de la nostalgie. Son Winter Break est un hommage revendiqué au cinéma des 70ies, qui s’ouvre par un long générique reproduisant à l’identique ceux de l’époque (je me demande à quel moment de l’histoire du cinéma les génériques qui longtemps précédèrent les films basculèrent à leur toute fin, épargnant au spectateur la purge de leur long défilé mais lui ôtant du même coup cette lente introduction qui l’emmenait du monde extérieur jusqu’à l’intérieur du film). Il en possède la même colorimétrie désaturée, le même son grésillant, la même graphie jusqu’à l’indication du copyright qui indique MCMLXXI.

Winter Break voudrait nous donner l’impression d’avoir été tourné à l’époque qu’il filme et y réussit fort bien. Pour autant, son sujet est intemporel. Il pourrait, après une longue mise en place qui retarde le moment où nos trois héros sont enfin réunis, sembler banal voire téléphoné : trois recalés de la vie vont en se serrant les coudes y reprendre goût. C’est la banalité de ce scénario planplan et sans surprises qui m’interdit de lui donner une meilleure note.

C’est son seul défaut, même s’il est de taille. Car, pour le reste, Winter Break est une réussite totale. Ses trois acteurs principaux sont, chacun dans leur registre, parfaits. Paul Giamatti, qu’on a si souvent vu dans une floppée de rôles secondaires, laisse exploser son talent. L’imposante Da’vine Joy Randolph réussit avec un jeu minimaliste à donner à son personnage une rare profondeur. Quant à Dominic Messa, je sens chez lui le potentiel d’un Malcom McDowell et prends le pari qu’on le reverra bientôt tout en haut de l’affiche.

L’histoire que Winter Break raconte, pour prévisible qu’elle soit, n’en reste pas moins profondément attachante. Derrière la façade austère qu’affiche le professeur Hunham, qui prend un plaisir sadique à rendre à ses élèves leurs copies en sifflotant la Chevauchée des Walkyrie, on sait déjà que se cache un homme au grand cœur. On pressent qu’il a un lourd secret à cacher et on attend gentiment qu’il le révèle. Angus, son élève, est trop blessé par l’abandon de sa mère et l’absence de son père pour ne pas chercher dans ce professeur old school une figure paternelle de substitution. Là encore, on sait par avance qu’il la trouvera et qu’à la fin du film, il sortira grandi de cette rencontre.

Winter Break est un film triste qui fait du bien.

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Rue des dames ★☆☆☆

Mia (Garance Marillier, découverte dans Grave) enchaîne les galères. Elle apprend qu’elle est enceinte ; son copain, Nabil, est en liberté conditionnelle ; expulsée de son appartement, elle trouve refuge dans un hôtel miteux ; sa relation avec sa patronne, dans le salon de manucure qui l’emploie, se détériore ; et la combine qui lui permet d’arrondir ses fins de mois – faire rentrer des clientes de son salon dans des soirées VIP – risque de lui valoir des poursuites pour proxénétisme.

Les deux rappeurs Hamé & Ekoué signent leur deuxième film. Le premier, en 2017, avait donné le ton : Les Parisiens racontait le destin contrarié de deux frères algériens dans un Pigalle intemporel. Rue des dames se passe quelques pâtés de maisons plus loin, dans le dix-septième arrondissement, derrière la place de Clichy. Loin des clichés, c’est un Paris paupérisé qui est décrit, un Paris de la débrouille.

Contrairement à ce que son affiche laisse escompter, Rue des dames est un film choral qui met en scène plusieurs personnages : outre Mia, on y croise Issa, un chauffeur Uber débrouillard, Yohann (Sandor Funtek, la révélation de Suprêmes), un flic borderline, Diane, qui se demande ce qu’elle va faire du polichinelle qu’un footballeur célèbre lui a mis dans le tiroir, César, un entremetteur louche…. Tous les personnages se débrouillent, se démerdent pour survivre, quitte à se perdre dans les mensonges qu’ils accumulent et à trahir la confiance des rares soutiens sur lesquels ils pouvaient encore compter.

Cette absence de manichéisme fait tout l’intérêt de cette panoplie de caractères. Mais Rue des dames souffre d’un défaut rédhibitoire de construction. Hamé & Ekoué ont voulu faire tenir dans un film standard trop de personnages, trop d’intrigues secondaires. Le spectateur s’y perd, qui ne sait plus où donner de la tête.

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Levante ★★☆☆

Sofia a dix-sept ans. Joueuse talentueuse d’une équipe de volley ball, elle a été repérée par une recruteuse qui lui propose de partir au Chili en vue d’une prochaine professionnalisation. Mais cette offre inespérée qui lui ouvre le futur dont elle a toujours rêvé est brutalement remise en cause par la nouvelle qu’un test de grossesse lui révèle : Sofia est enceinte. Or, au Brésil, l’avortement est illégal.

Il y a deux ans, l’adaptation du roman d’Annie Ernaux L’Evénément montrait le parcours du combattant d’une jeune étudiante au début des 60ies en France pour procéder à un avortement clandestin. Si la liberté pour les femmes de disposer de leur corps est aujourd’hui, sous nos latitudes un droit acquis, Levante vient douloureusement nous rappeler que ce n’est pas le cas partout et que ce qu’a vécu dans les 60ies la jeune Annie Ernaux, d’autres jeunes femmes ailleurs dans le monde le vivent encore aujourd’hui.

Pour donner de la chair à son sujet, la jeune cinéaste brésilienne Lillah Hallah a imaginé une équipe de volley-ball inclusive où Sofia trouve auprès de sa coach une mère de substitution et auprès de ses coéquipières autant d’amies qui l’entourent de leur affection. Il règne dans cette équipe soudée une sororité badass (le mot du jour…. pour les plus de cinquante ans !) qui force la sympathie. Unie pour la victoire aux championnats régionaux, l’équipe est unie pour défendre Sofia dont la grossesse et la volonté affichée d’avorter au mépris de la loi attisent la haine d’une infirmière pro-life et des réseaux évangélistes qu’elle mobilise.

Sélectionné en compétition à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2023, ce premier film nous réserve une fin maligne, à laquelle on ne s’attendait pas, qui sort Sofia du dilemme dans lequel elle s’était enfermée (qu’elle garde ou qu’elle se débarrasse de son foetus, elle aurait dû renoncer à sa carrière sportive). Levante accumule décidément les qualités : c’est un film sociétal sur un enjeu politique contemporain ; c’est un film joyeusement queer sur un groupe de filles délurées et solidaires ; c’est une histoire bien écrite qui nous tient en haleine jusqu’à sa dernière image.

[Spoiler : Elles se marièrent et n’eurent aucun enfant.]

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