Marcel le coquillage (avec ses chaussures) ★★★☆

Marcel est un bigorneau de deux centimètres qui vit dans un Airbnb avec sa grand-mère Connie et qui ne se console pas de la disparition des siens, partis avec les précédents locataires. Sa taille minuscule l’a jusqu’à présent protégé des humains sans l’empêcher d’utiliser astucieusement toutes les ressources qu’offre une maison. Mais le nouveau locataire, Dean, un documentariste qui peine à se remettre d’une récente séparation, le remarque, le filme et lui confère une célébrité aussi soudaine qu’inattendue que Marcel va utiliser pour retrouver sa famille.

Marcel le coquillage (avec ses chaussures) est le film le plus improbable qui soit. Je ne serais jamais allé le voir si une amie ne l’avait chaudement recommandé.
Improbable par son titre d’abord. Connaissez-vous des  films dont le titre contienne des parenthèses ? Mais plus improbable encore par son sujet. Quelle idée de mettre en scène un coquillage anthropomorphe et de le chausser de pataugas orange ! Vous me rétorquerez que Bob l’Eponge est bien devenu une star mondiale et vous aurez raison !

Derrière ce film se cache une longue histoire. Et d’abord un projet de couple – dont le divorce ultérieur donne au film un parfum étonnamment mélancolique. Dean Flesicher Camp et Jenny Slate (qui prête sa voix de Betty Boop au mollusque) ont imaginé en 2010 ce personnage hors normes, l’ont filmé avec trois bouts de ficelle – et un budget, dit la légende, de six dollars – et ont posté la video de trois minutes tournées en deux jours sur Youtube… avant d’engranger trente millions de vues.
Un tel succès allait entraîner deux suites en 2011 et 2014 et bientôt le projet d’un long métrage qui mit sept ans à voir le jour et neuf à traverser l’Atlantique.

Le résultat est mimi tout plein, gorgé jusqu’au rebord de good vibes, mélangeant, comme seuls les Américains savent le faire, les bons sentiments et une mélancolie qui nous fait verser une larme (la sublime Isabella Rossellini prête sa voix à Connie dont on devine, dès la première apparition le destin qui la guette).

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Il Boemo ★★☆☆

Josef Mysliveček, un jeune compositeur tchèque bourré de talent, ne réussit pas à percer en Italie à la fin du XVIIIème siècle. Pour vivre, il donne des cours de musique dans la Venise des Doges. Une de ses élèves veut le convaincre de l’épouser pour éviter le mariage que son père veut lui faire contracter avec un vieux barbon borgne et manque de se tuer quand Mysliveček se refuse à elle. Le musicien, surnommé « Il Boemo », du nom de la région de Tchéquie dont il est originaire, quitte Venise pour Naples où il retrouve la diva Caterina Gabrielli. Il compose pour elle et partage le lit de cette grande séductrice. S’il croise le jeune Mozart à Bologne en 1770 – lequel reconnaîtra plus tard sa dette envers lui – Mysliveček meurt dans la misère à Rome en 1781 rongé par la syphilis.

Je ne connaissais pas Josef Mysliveček et la joyeuse bande d’amis mélomanes avec laquelle je suis allé voir ce film dimanche dernier en avant-première non plus, à une rare et admirable exception près. Tous en sont sortis enthousiastes et ont essayé de me convaincre de lui attribuer trois étoiles durant le joyeux dîner que nous avons partagé ensemble.

Mais, têtu comme un âne, je ne lui en concède que deux – et encore, j’ai bien failli me limiter à une seule.

J’ai trouvé bien des défauts à ce long film italo-tchéco-slovaque (couvert de prix aux derniers Český lev, l’équivalent tchèque des César) tourné, certes en italien dans d’improbables palais bohémiens ou moraves, avec des acteurs inconnus doublés par quelques grandes voix du répertoire baroque (l’incontournable Philippe Jaroussky et la soprano slovaque Simona Šaturová).

Le premier est d’avoir voulu mettre la lumière sur ce musicien tombé dans l’oubli. Les plus férus de musique baroque s’insurgeront peut-être devant ce béotisme revendiqué. Je dois avouer ne pas connaître grand chose à la musique de cette époque. Mais autant celle de l’Amadeus de Forman m’avait emporté – sans parler ici de l’interprétation délirante de Tom Hulce – au point que j’en ai écouté pendant de longues années la cassette audio sur le poste crachotant de ma première voiture, autant celle de ce Boemo m’a laissé de marbre.

Le second est l’ombre portée de l’autre immense chef d’oeuvre dont Il Boemo revendique la filiation : Barry Lyndon. Son héros a les mêmes traits que Ryan O’Neal. Ses costumes sont les mêmes, qui sont ceux de la seconde moitié du XVIIIème siècle que l’on retrouve aussi dans le Casanova de Fellini. Mais c’est peu dire que Petr Vaclav, l’obscur réalisateur de Il Boemo, n’a pas le génie de Stanley Kubrick et que son film n’a pas le charme vénéneux de celui de son illustre prédécesseur.

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Asteroid City ★☆☆☆

En 1955, à Asteroid City, au bord d’un cratère creusé par une météorite, cinq enfants surdoués, leurs familles et les organisateurs de cette réunion d’astronautes amateurs voient une soucoupe volante et son passager extra-terrestre approcher de la Terre. Ils sont immédiatement placés sous quarantaine par l’armée américaine.

Le plus français des réalisateurs américains, Wes Anderson, est sans doute l’un des plus originaux et des plus appréciés de sa génération : La Famille Tenenbaum, À bord du Darjeeling Limited, Grand Budapest Hotel, The French Dispatch sont souvent cités parmi les meilleurs films de ces deux dernières décennies.  Son cinéma est reconnaissable à la première image, qui lorgne du côté de la BD : plans au cordeau d’une parfaite symétrie, couleurs vives, chapitrage du scénario, absence d’expressivité des personnages et refus de toute psychologisation…

Wes Anderson a aussi ce don rare de réunir autour de lui une palette exceptionnelle de stars qui lui sont fidèles de film en film. On regrette  dans Asteroid City l’absence de Bill Murray, d’Anjelica Huston ou de Owen Wilson qui étaient quasiment de tous ses précédents films ; mais on aime retrouver Adrien Brody, Edward Norton, Tilda Swinton et Willem Dafoe ; et on salue l’arrivée de quelques nouveaux venus, et non des moindres : Tom Hanks, Scarlett Johansson, Margot Robbie, etc.

Pour autant, comme je l’écrivais hélas déjà fin 2021 devant The French Dispatch, le cinéma de Wes Anderson ne me touche pas. J’en admire certes l’originalité formelle. Mais je n’en comprends pas le sens. Non pas qu’il s’agisse d’un cinéma incompréhensible qui dépasse mon entendement comme c’est malheureusement souvent le cas aujourd’hui. Wes Anderson a, tout au contraire, une forme de modestie, de simplicité qui rend son cinéma éminemment sympathique. Mais je ne comprends pas à quoi il rime, où il veut en venir.

Tel était le cas devant ses films précédents – The Grand Budapest Hotel y inclus, même si j’entends les louanges unanimes qui l’ont accueilli. Tel est encore le cas devant Asteroid City que j’ai vu en avant-première dans une salle comble de jeunes spectateurs avec qui je n’ai plus l’habitude d’aller au cinéma (mes voisins de salle sont la plupart du temps des chômeurs en fin de droit et des retraités catarrheux).
J’ai bien sûr été emballé par son générique et par sa première demi-heure qui nous fait découvrir Asteroid City – qui ressemble à un décor de théâtre dont on ne sortira d’ailleurs jamais – et par sa galerie de personnages tellement nombreux qu’il faut bien ce temps-là pour qu’on se familiarise avec tous. Mais, ensuite, j’ai trouvé l’histoire languissante et m’en suis lentement mais sûrement désintéressé.

En lisant hier soir la critique brillantissime, évidemment brillantissime, de Mathieu Macheret dans Le Monde, je comprends qu’Asteroid City convoque « le théâtre psychologique de l’après-guerre » et, par une savante mise en abyme « pirandellienne » – Asteroid City raconte une pièce de théâtre en train de s’écrire – prend à bras-le-corps « la question de l’acteur et de l’incarnation ». Je comprends qu’il fallait y voir « une possible évocation du confinement » et « une « humanité engluée dans une horizontalité générique » confrontée à « la pagaille des sentiments, l’angoisse de la mort, le désordre d’un monde qui flotte dans son absence d’explication ». Je me sens moins bête après avoir lu cette brillante exégèse et très bête de ma cécité bas-du-front que j’ai confessée plus haut.

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Carmen ☆☆☆☆

Carmen (Melissa Barrera) est une jeune Mexicaine qui décide, à la mort de sa mère, de gagner les Etats-Unis. Elle franchit illégalement la frontière et doit la vie sauve à Aidan (Paul Mescal), un Marine américain traumatisé par son expérience en Afghanistan, qui tue pour la défendre un garde-frontière américain.
Carmen et Aidan, poursuivis par la police, gagnent ensemble Los Angeles où ils sont accueillis par Masilda (Rossy de Palma) dans son cabaret.

Benjamin Millepied, danseur étoile du New York City Ballet, directeur de la danse de l’Opéra de Paris – et époux de Natalie Portman à la ville – à la réalisation, Nicholas Britell (Moonlight) à la musique, Jörg Widmer (Une vie cachée) à la photo, Alexander Dinelaris Jr. (Birdman) au scénario, la révélation Paul Mescal (Aftersun) en tête d’affiche dans un film produit par Dimitri Rassam (Les Trois Mousquetaires) et tourné dans l’outback australien.

On attendait énormément du premier film du chorégraphe français dont le moins qu’on puisse dire est qu’il sait s’entourer.
La déception est à la hauteur de cette attente peut-être excessive.
Très vite Carmen – dont le lien avec le prestigieux opéra de Bizet se révèle des plus ténus – dévoile son projet : non pas une brûlante histoire d’amour et de sang, mais un interminable clip publicitaire. Millepied est peut-être un grand danseur mais c’est un bien piètre réalisateur qui imagine qu’il suffit de tournoyer autour des artistes pour filmer la danse et en faire ressentir la majesté.

Très vite on se désintéresse de tout : du scénario, sans surprise, de la musique dont aucune page ne rivalise avec celle qu’elle est censée immortaliser, de la chorégraphie qui s’insère artificiellement au récit. Seule l’apparition de l’étonnante Rossy de Palma – qui approche pourtant les soixante ans – vient nous réveiller de la torpeur dans laquelle ce gloubi-boulga sans corps ni âme nous a plongé.

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Le Processus de paix ★☆☆☆

Marie (Camille Chamoux) anime une émission de radio féministe. Simon (Damien Bonnard) enseigne l’histoire (ou les sciences politiques ?) à l’Université. Ils sont amoureux, en couple depuis une dizaine d’années, parents d’une fille et d’un garçon en bas âge aussi charmants que turbulents… et ne se supportent plus ! Les travers de l’autre, ses petits défauts véniels sur lesquels ils fermaient les yeux jusqu’à présent au nom des inévitables concessions que la vie en couple exige leur sont devenus intolérables. Est-ce le signe de la fin inéluctable de leur relation ? ou trouveront-ils les moyens de dépasser cette crise en rédigeant ensemble puis en mettant en oeuvre une « charte du couple » ?

J’avais eu la dent dure avec le précédent film d’Ilan Klipper, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, qui mettait en scène un écrivain sans succès interné d’office en hôpital psychiatrique. Je l’aurai presqu’autant avec celui-ci malgré l’insistance des amis qui l’ont aimé et qui ont essayé sans succès d’infléchir ma sévérité. J’avais reproché au Ciel étoilé… d’être « un de ces petits films français comme on en filme treize à la douzaine » et pourrais au mot près adresser la même critique à ce Processus de paix qu’on aura oublié avant la fin du mois – et je doute que la Fête du cinéma le sauve d’un naufrage au box-office. Pas sûr que son public-cible, les trentenaires, accepte de prendre une baby-sitter et de lui consacrer leur seule sortie cinéma du mois, même si la concurrence en ce juin tristounet n’est pas féroce…

Le Processus de paix traite d’un sujet mille fois rebattu : le couple et ses apories. Le résumé qui en barre l’affiche, à la syntaxe pachydermique, voudrait moderniser un défi vieux comme Adam et Eve : « Qu’est-ce qu’on fait quand on s’aime et qu’on peut plus se blairer ? ». U2 l’avait dit avec moins de mots et plus de style : « With or without you ».

Marie et Simon s’aiment – ça ne saute pas aux yeux – mais s’engueulent beaucoup – ça s’entend beaucoup. Que faire aurait dit Lénine ? La solution traverse l’esprit de Simon tandis qu’il enseigne à ses étudiants, entre deux piquets de grève, les conflits israélo-palestiniens : signer un protocole de paix. La métaphore est lourdingue : le couple est comme la vie une guerre permanente que pourront peut-être interrompre les belligérants s’ils acceptent de s’asseoir autour d’une table et de négocier de bonne foi. C’est ce que raconte, sans rougir, Illan Kepler en interview qui confie avoir commencé une thèse sur le processus de paix israélo-palestinien et avoir rencontré Ehud Barak qui lui a raconté les relations interpersonnelles qui se tissaient entre les plénipotentiaires.

Me frappe un paradoxe, sinon une contradiction qui renvoie plus au film lui-même qu’à l’époque dans laquelle nous vivons et avec laquelle, l’âge aidant, je me sens de plus en plus en décalage. D’un côté, notre époque semble obsédée par le couple, la façon de rencontrer l’Elu.e, de nouer une relation, de la faire vivre malgré les obstacles qui s’accumulent. De l’autre le nombrilisme, le narcissisme prévaut ; chacun s’auto-analyse et instruit contre l’autre un procès en égoïsme qui n’est que le miroir de ses propres travers.
Il y a dans l’hystérie – je pèse mes mots – de Marie et de Simon trop de bruit et de fureur, trop d’énervements à des petits riens qui ont tôt fait de nous gâcher la vie si on leur donne trop d’importance (est-il si grave que son conjoint ne referme pas le tube de dentifrice ?), trop d’attachement au couple lui-même qui ne saurait constituer le seul moyen de s’épanouir, à l’exception des amis, des sorties, des loisirs, du travail qui peuvent, autant que lui, donner du sens et du sel à la vie – et dont Le Processus de paix ne dit rien -, pas assez de respect pour l’autre, pour son irréductible différence qui donne du prix à sa singularité (faut-il partager les mêmes opinions pour s’aimer ?), pour la part de mystère dont il sait encore s’entourer et qui ajoute à son charme ?

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Règle 34 ★★☆☆

Simone est une jeune Brésilienne. Avant d’assumer des fonctions de procureur, elle étudie le droit pénal et tout particulièrement les dispositifs législatifs permettant de combattre les violences domestiques. À ses heures perdues, chez elle, elle explore ses limites physiques et sexuelles sur le Net devant sa webcam.

La règle 34 stipule que, sur Internet, tout peut être détourné à des fins pornographiques, jusqu’aux objets et aux situations les plus prosaïques (la règle aurait été forgée, m’apprend Wikipédia, en réaction à une version X de Calvin and Hobbes).
J’avoue n’avoir pas compris clairement le sens de ce titre. Faut-il entendre que la Simone nocturne qui s’exhibe devant sa webcam est la version porno de la Simone diurne qui suit sagement des cours de droit ?

J’avoue aussi ne pas avoir compris grand chose à ce film sans doute trop intellectuel pour moi. La lecture du dossier de presse m’a éclairé et a donné à Règle 34 une profondeur que sa seule vision n’aurait pas suffi à révéler – ce qui pose au passage un problème artistique fascinant : comment apprécier la valeur et la qualité d’une œuvre qui serait incompréhensible au spectateur si elle ne lui était pas expliquée mais qui le devient une fois cette explication donnée ?

J’y ai appris beaucoup sur la loi Maria Da Penha (du nom de la pharmacienne brésilienne qui faillit périr sous les coups de son mari et demanda réparation en justice pendant plus de vingt ans) adoptée en 2006 pour combattre les violences domestiques. Son nom est prononcé plusieurs fois dans la VO ; mais les sous-titres la traduisent par une périphrase.

Dans son école de formation, Simone est initiée aux dispositifs légaux censés prévenir et sanctionner les violences sexuelles. Mais le soir venu, seule dans sa chambre, ou en compagnie de deux amis avec lesquels elle forme un trio bisexuel et non-binaire, Simone s’affranchit des limites que la société et la morale ont fixées. Avec les internautes qui se connectent à son salon, elle accepte de s’exhiber voire de s’auto-asphyxier au risque de mettre sa vie en danger.

Le vif débat qui l’oppose à une autre étudiante qui condamne la prostitution sans exception alors que Simone revendique la liberté aux femmes qui le choisissent de disposer librement de leur corps et, notamment, de se prostituer, semble résumer, si je l’ai bien compris le film : celui d’une tension, d’une opposition, entre la norme sociale, que la Simone diurne est censée défendre en prenant la cause des femmes battues, et l’irréductible liberté individuelle que la Simone nocturne, nue, exhibée et fière de l’être, incarne.

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Stars at Noon ★☆☆☆

Trish Johnson (Margaret Qualley) est une journaliste américaine coincée au Nicaragua, en pleine crise du Covid. Les autorités lui ont confisqué son passeport après qu’elle a écrit un reportage sur les exactions commises dans le nord du pays et refusent de le lui rendre. Trish n’a en tout état de cause plus assez d’argent pour se payer son billet de retour. Elle croit trouver une planche de salut en la personne de Daniel DeHaven (Joe Alwyn), un homme d’affaires anglais qu’elle rencontre au bar de l’hôtel Intercontinental. Elle couche avec lui par intérêt mais en tombe bientôt amoureuse au point de ne plus pouvoir le quitter. Daniel est hélas suspecté par la CIA qui le file d’être de mèche avec les autorités nicaraguayennes.

Stars at Noon est l’adaptation du livre éponyme, écrit en 1986 par Daniel Johnson qui racontait son séjour chaotique dans le Nicaragua sandiniste en pleine guerre civile deux années plus tôt. Curieusement, Claire Denis n’opte pas pour une reconstitution historique dans les 80ies mais situe l’action de nos jours, avec des téléphones portables, des liaisons Internet et des masques pour se protéger du Covid. Le résultat en est paradoxal, sinon bancal qui ancre définitivement cette petite république centraméricaine, qui a vaillamment pansé ses cicatrices, dans son passé et dans une guerre civile qui ne passe pas.

Mais là n’est pas le principal défaut du film qui en compte un autre, beaucoup plus rédhibitoire.
Stars at Noon a en effet tous les atours d’un film d’espionnage, une sorte de Journaliste à Panama façon John Le Carré ou de Notre agente à La Havane façon Graham Greene avec son héroïne sexy en diable et son héros plus mystérieux que nature. Mais Stars at Noon nous frustre du plaisir qu’il nous promet en oubliant en cours de route son intrigue qui s’enlise dans la jungle costaricaine.

Claire Denis semble prendre tant de plaisir à filmer les corps sensuels de ses deux héros qu’elle en oublie son scénario en chemin. On la comprend volontiers. Margaret Qualley – révélée dans la série The Leftovers, à mon sens la meilleure série de la dernière décennie, qui accomplissait une prestation bluffante dans la pub pour Kenzo World et dont les pieds dans Once Upon a Time… in Hollywood ont enflammé mes paraphilies podophiles (avec un o) – y est éblouissante. Je prends le pari qu’elle rejoindra bientôt les rangs des plus grandes stars de Hollywood, quelque part entre Nicole Kidman et Tilda Swinton.
En revanche, Joe Alwyn est nettement moins convaincant. D’ailleurs le rôle a été proposé à Robert Pattinson, qui y aurait été parfait (et que Claire Denis avait fait jouer dans High Life) puis à Taron Egerton. Alors que les deux héros partagent la tête de l’affiche et le même lit, dans des scènes qui se voudraient d’un érotisme torride, aucune alchimie ne naît entre eux pour enflammer la pellicule.

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Dernière Nuit à Milan ★★★☆

Après trente-cinq années de bons et loyaux services dans la police milanaise, l’inspecteur Franco Amore (Pierfrancesco Favino) s’apprête à raccrocher les gants. Mais un dernier service qu’il rend à son cousin Cosino pour la mafia chinoise avec son collègue Dino risque de lui être fatal.

Le pitch ultra-balisé de ce polar aurait pu me faire fuir. Mais les critiques enthousiastes de plusieurs amis m’ont convaincu d’aller voir L’Ultima Notte Di Amore dont le titre original, qui joue sur le patronyme de son héros, a plus de saveur que sa pâle traduction française.

Dès le premier plan, long travelling aérien au-dessus de la nuit milanaise, j’ai été happé par un récit dont la tension ne s’est pas relâchée jusqu’au dernier plan, deux heures plus tard. Dernière Nuit à Milan coche toutes les cases du polar qui assume sans vergogne son classicisme. Il ne va pas chercher à tout prix, comme parfois les jeunes cinéastes ont la tentation de le faire pour se démarquer de leurs aînés, à moderniser un genre hyper-référencé. Au contraire, il en revisite avec talent tous les éléments. Sa musique, ses lumières, ses personnages m’ont rappelé Le Samouraï de Melville.

L’interprétation de Pierfrancesco Favino mérite tous les éloges. À défaut d’avoir mémorisé son nom, on se souvient de sa gueule cabossée pour l’avoir vu en mafieux repenti dans Le Traître ou plus récemment, en Napolitain de retour au pays, dans Nostalgia (dont je suis probablement le seul à n’avoir pas dit le plus grand bien). Il a ce mélange de virilité latino et de faiblesse fatiguée qui le rend irrésistible (il m’a fait penser à Fabio Montale, le héros des polars marseillais du regretté Jean-Claude Izzo).

Dernière Nuit à Milan contient une scène d’anthologie qui se déroule dans un tunnel autoroutier. Le suspense qu’elle maintient, ses angles de vue, le rythme de son montage, tout y est exceptionnel, de fluidité et d’intelligence. Si on savait déjà que Pierfrancesco Favino est un grand acteur, on découvre après une telle scène que Andrea Di Stefano, un acteur passé sur le tard derrière la caméra, est peut-être un grand réalisateur.

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Le Vrai du faux ★★☆☆

Le jeune réalisateur Armel Hostiou a découvert un beau jour qu’un autre compte Facebook à son nom avait été créé à Kinshasa par un homme qui se faisait passer pour lui et invitait des Kinoises crédules à s’inscrire à un casting pour son prochain film. Moitié embarrassé par cette histoire, moitié séduit par son potentiel romanesque, Armel Hostiou s’est rendu à Kinshasa à la recherche du brouteur qui avait usurpé son identité.
Pour mener son enquête, il s’est installé dans une résidence d’artistes et s’est fait aider par deux de ses pensionnaires, Peter, le gérant du lieu qui s’est vite pris au jeu, et Sarah, une artiste plasticienne.

Un documenteur est une oeuvre de fiction qui emprunte la forme d’un documentaire et donne l’illusion de la réalité. Le mot est savoureux. J’hésite à lui préférer fauxcumentaire, qui pêche peut-être par ses deux premières syllabes. Vous en avez déjà vu sans le savoir : Le Projet Blair Witch, les films de Sacha Baron Cohen (Borat I et II, Brüno…), l’excellent Guy de Axel Lutz, Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi…

Le Vrai du faux est donc un documenteur où l’on peine à distinguer… le vrai du faux. Armel Hostiou a-t-il imaginé cette histoire de la première à la dernière ligne ? Ou a-t-il été réellement victime d’une usurpation d’identité ? Dans la seconde hypothèse, a-t-il filmé la vraie enquête qu’il a menée à Kinshasa ? Ou l’a-t-il scénarisée de toutes pièces ?

Ce serait parer de plus de vertus qu’il n’en a ce sympathique documentaire en y voyant la troublante interrogation sur l’identité à laquelle son réalisateur veut nous inviter : en refusant, nous dit-il, de supprimer ce second compte, auquel Facebook trouvait plus de réalité qu’au sien, « la situation laissait entendre que si l’autre [lui] n’était pas le faux, et bien le faux c’était {lui] ».

Le Vrai du faux n’est pas une envoûtante quête existentielle. Ce n’est pas non plus et ça ne prétend pas être un thriller haletant à la recherche du faux Armel avec courses poursuites en voiture et twists renversants. Mais ce n’en est pas moins un documentaire dépaysant et plein d’auto-dérision.

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