Premier contact ★★★☆

Quand douze mystérieux vaisseaux extra-terrestres pénètrent notre atmosphère et surplombent notre planète, la linguiste Louise Banks est réquisitionnée par l’US Army pour établir un premier contact.

Le « premier contact » avec une forme d’intelligence extra-terrestre aux desseins inconnus est un sujet auquel les plus grands réalisateurs se sont déjà frottés. Et avec quel brio ! Steven Spielberg (« Rencontres du troisièmes type »), James Cameron (« Abyss »), Ridley Scott (« Prometheus »). Et le plus grand : Stanley Kubrick (« 2001, Odyssée de l’espace »).

Il fallait du culot à Denis Villeneuve pour s’y attaquer. Le réalisateur canadien confirme son talent. De film en film, dans les registres les plus divers, il surprend et séduit. Après « Sicario » – et avant « Blade Runner 2049 » dont la sortie est annoncée pour octobre 2017 – il s’affirme comme une valeur prometteuse du cinéma nord-américain.

À partir d’une nouvelle de Ted Chiang, Denis Villeneuve réalise un film de SF minimaliste entrecoupé de flash back et de flash forward dont on comprendra la logique à l’ultime seconde. La distribution est le point faible du film : Amy Adams est moins convaincante que Emily Blunt dans Sicario, Forest Whitaker et Jeremy Renner manquent cruellement d’ambiguïté.

« Premier contact » (« Arrival » en anglais) n’est pas un film de science-fiction avec des soucoupes spatiales et des sabres fluo. Fan de Star Wars 8, attends la semaine prochaine et passe ton chemin ! « Premier contact a plus d’ambition. Trop peut-être. Il y est question de langage et de communication. Le sous-texte est vite explicité : le principal défi posé aux humains n’est pas de comprendre les extra-terrestres mais de se comprendre entre eux.

Plus intéressante est l’autre dimension du film qui, si l’on y prête attention, est annoncée dès sa première phrase. Une réflexion sur le temps. Et une question métaphysique : si nous connaissions notre futur, vivrions-nous néanmoins notre vie de la même façon ?

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Le Teckel ★★☆☆

Un teckel passe de maître en maître : un enfant qui récupère d’une leucémie, une jeune célibataire en week-end chez un couple trisomique, un professeur de cinéma désabusé, une vieille femme au crépuscule de sa vie.

Amérique sous Tranxène. Todd Solondz est un cinéaste américain indépendant qui a réalisé des films à l’humour grinçant. « Fear, anxiety and depression » est le titre emblématique de son premier opus qu’il tourne en 1989 pour son diplôme de fin d’études. Suivront « Bienvenue dans l’âge ingrat » (1995), « Happiness » (1997), « Storytelling » (2001)…

On retrouve sa patte (c’est le cas de le dire) noire et vacharde dans ces quatre historiettes politiquement incorrectes. Dans la première, Julie Delpy joue un mère de famille hystérique ; dans la deuxième Greta Gerwig reprend le rôle qui est le sien de film en film de grande adulescente dégingandée ; le troisième avec Danny DeVito est l’occasion d’une critique au Karcher de l’université américaine et de ses dérives ; le dernier ouvre le film à une réflexion sur la mort et le sens de la vie… avant de le clore par une conclusion hilarante qui a provoqué les sifflets du public à Sundance.

Le problème du Teckel est celui de tous les films à sketches : ses chapitres sont trop courts pour laisser le temps de s’y intéresser ; le lien qui les unit est trop ténu pour justifier leur juxtaposition (si le passage du teckel de son premier à son deuxième propriétaire est raconté, les deux suivants sont paresseusement passés sous silence).

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Ma’Rosa ★★★☆

Rosa et Nestor tiennent un petit commerce dans un bidonville de Manille. Ils y vendent des bonbons, des stylos… et, pour arrondir leurs revenus bien modestes, le crystal que leur vend un dealer. La veille de l’anniversaire de Nestor, la police débarque, les arrête devant leurs enfants éplorés, les traînent au poste. Les charges qui pèsent contre eux sont écrasantes. Pour éviter une lourde peine de prison, ils doivent dénoncer leur dealer. Mais les policiers leur mettent un autre marché en main : leur libération contre un gros pot-de-vin.

Le cinéma philippin constitua longtemps une rareté exotique. Il est désormais plus connu grâce à Brillante Mendoza, un habitué des grands festivals – et des titres laconiques : le dérangeant « Serbis » et le glaçant « Kinatay » furent présentés à Cannes en 2008 et 2009, « Lola » à Venise en 2009 et « Captive » (inspiré de la prise d’otages à Jolo) à Berlin en 2012.

On retrouve avec « Ma’Rosa » la marque de fabrique de ce réalisateur désormais familier : caméra à l’épaule, il tourne au plus près de ces acteurs semi-amateurs de longs plans séquence. Cette technique a sans doute le mérite de nous immerger dans l’action. Elle a l’inconvénient de sacrifier la forme, à force d’images tremblotantes, mal cadrées et mal éclairées.

On retrouve aussi ses thèmes de prédilection : la vie des petites gens, leur aliénation débilitante à l’argent et la dénonciation d’un système corrompu. « Ma’Rosa » donne des Philippines une image terrible. A se demander comment Mendoza a obtenu l’autorisation de filmer sans encourir les foudres de la censure. Les flics sont pourris, violents et cyniques. Face à eux, Rosa, son époux et leur quatre enfants font front tant bien que mal.

La première partie du film raconte leur arrestation. Grâce au format choisi, quasi-documentaire, on ressent physiquement le basculement d’une vie simple et bien réglée (une journée qui s’achève, les enfants qui rentrent de l’école, la préparation de l’anniversaire du lendemain) dans la catastrophe (les policiers qui font irruption, fouillent la maisonnée pour y trouver la drogue, menottent les parents, les emmènent dans un commissariat sale et bruyant).

Le récit est plus éclaté dans la seconde partie. Chaque membre de la famille fait l’impossible pour rassembler la somme pourtant modique (50.000 pesos = 1.000 euros environ) réclamée par la police. Mère courage, Rosa est la plus résiliente. Le prix d’interprétation féminine décernée à Cannes à Jaclyn Jose est un bel hommage rendu à ce personnage touchant.

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Ma vie de courgette ★★★☆

Coup de cœur pour ce dessin animé français qu’un excellent bouche à oreille m’a convaincu d’aller voir et que j’aurais ignoré sinon, couturé d’a priori sur les dessins animés que je continue à cantonner à un public enfantin.

Quel que soit l’âge, on sera ému par l’histoire de Courgette, un petit garçon de neuf ans placé en foyer. Il doit s’y faire une place entre Simon le caïd, Jujube le glouton et Camille la garçonne.

Céline Sciamma signe le scenario de cette adapation d’un roman de Gilles Paris publié en 2002. On y retrouve la subtilité et l’empathie pour ses personnages de la réalisatrice de  « Tomboy » et « Bande de filles ».

Le sujet de ce dessin animé n’est pas gai. Il traite de l’abandon, de la maltraitance enfantine. C’est un peu « La tête haute » (l’excellent film de Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve en juge aux affaires familiales, Benoît Magimel en éducateur et Rod Paradot en ado têtu) en stop motion. Car Claude Barras utilise la même technique que « Wallace et Gromit » ou « Coraline » : une animation image par image de petites figurines stylisées en pâte à modeler.

Courgette va se reconstruire – ainsi qu’il est d’usage de le dire aujourd’hui – avec l’aide de ses camarades et de quelques adultes bienveillants (le policier bourru auquel Michel Vuillermoz prête sa voix est particulièrement réussi). Un seul personnage négatif dans cette belle assemblée : la tante de Camille qui fait avancer un scenario qui, sans elle, aurait peut-être tourné en rond. Dommage qu’elle le fasse avec un manichéisme caricatural.

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Mr. Wolff ★★★☆

Mon Dieu cette affiche ! La photo qui tue : Ben Affleck le regard noir brandissant un fusil à lunettes. Et le slogan qui claque et fait penser à un film X « Bourgeoise le jour, p… la nuit ».

Il ne faut pas s’arrêter à cette première impression et aller voir « Mr. Wolff », un mélange stimulant entre « Rain Man » et « Batman ». « Rain Man » parce que son héros est autiste et que Ben Affleck est génial dans ce rôle – mille lieues au-dessus de l’insupportable cabotinage de Dustin Hoffman dans le film de Barry Levinson.

« Batman » parce que, comme le Bruce Wayne de Gotham City, Mr. Wolff est un orphelin doté de super pouvoirs : un don pour les chiffres qui l’aide à débrouiller les comptabilités les plus opaques et une pratique des arts martiaux pour se sortir des plus mauvais pas.

Le scénario n’est pas linéaire et multiplie les flash back et les side stories (un flic tenace, un autre génie du crime) jusqu’à un dénouement qui les éclairera tous. Mais le plus intéressant est le jeu de Ben Affleck qui réussit à faire de ses défauts (son jeu monocorde et inexpressif, sa stature massive) des atouts pour ce rôle.

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Une vie ★★★☆

Au début du dix-neuvième siècle, Jeanne vient  d’achever sa scolarité chez les sœurs. Elle est la fille unique du baron et de la baronne Le Perthuis des Vauds. Elle épouse un jeune vicomte. Mais la vie lui apportera bientôt son lot de désillusions. Son mari la trompe. Sa meilleure amie la trahit. Son fils unique est une canaille qui lui ment et la vole.

On avait laissé Stéphane Brizé avec les succès, critiques et publics, de « La Loi du marché », César mérité du meilleur film 2015, « Quelques heures de printemps » et « Mademoiselle Chambon ». On le retrouve, à contre-emploi et sans Vincent Lindon son acteur fétiche, dans cette adaptation en costumes du célèbre roman de Guy de Maupassant.

La mise en scène peut surprendre. Pire : elle peut irriter. Stéphane Brizé tourne un film très classique de façon très moderne. Par l’image d’abord : un format carré, des très gros plans, la caméra à l’épaule. Par le montage ensuite : flashback et flashforward, montage très cut, alternance de scènes très courtes et plus étirées, dilatations du temps. Par le scénario enfin : Stéphane Brizé évite volontairement les « grandes » scènes filmant l’avant et l’après. Un exemple : on ne verra pas Jeanne surprendre son époux avec sa maîtresse, mais on l’accompagnera jusqu’à la porte de sa chambre au moment de l’ouvrir, puis on la verra ensuite éperdue de chagrin courir à moitié folle dans le parc.

Ces partis pris radicaux ont déconcerté une critique qui a massivement désavoué ce film. Ils ont aussi découragé des spectateurs qui l’ont boudé – les chiffres de la première semaine sont mauvais. À condition d’en être prévenu, à condition aussi de les accepter, on pourra néanmoins y adhérer et être ému jusqu’au tréfonds par la vie tragique de Jeanne Le Perthuis des Vauds.

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Rocco ☆☆☆☆

« Rocco » c’est d’abord une grosse b…lessure d’amour propre pour le spectateur masculin. Le nu frontal de la première scène aura eu raison de son orgueil. Rocco est sans conteste un acteur hors catégorie. Et si les documentaristes Thierry Demaizière et Alban Teurlai (auxquels on doit le récent Relève tout à la gloire de Benjamin Millepied) réussissent à ne pas filmer de scènes qui les exposeraient à une interdiction au moins de dix-huit ans, un classement -16 ans les autorise à ne rien cacher du glorieux appendice de l’étalon transalpin.

Mais « Rocco » c’est surtout un double malaise.

D’une part le malaise d’être allé le voir dans une salle obscure au milieu d’un auditoire à 95 % masculin et solitaire. Et le malaise d’en parler ici, tiraillé entre l’honnêteté intellectuelle d’en rendre compte comme je rends compte des autres films que je vais voir au cinéma et la gêne de confesser des choix cinématographiques qui révèlent le cochon qui sommeille en moi (et en chacun d’entre nous ?)

D’autre part le malaise exactement symétrique du bourgeois horrifié et un peu bégueule. Car « Rocco » est un film profondément dérangeant. De quoi s’agit-il ? D’un pauvre Italien un peu perturbé du (gros) zizi, qui voue à sa défunte mère un respect morbide, qui a rencontré sa femme sur un tournage et qui demande devant la caméra à ses garçons, manifestement mal à l’aise avec le sujet, si la renommée de leur père les dérange. De son cousin qui lui sert tout à la fois de caméraman, de garde du corps et de souffre-douleur.

Et de femmes. De toutes ces femmes. La force de caractère de certaines force l’admiration : telle la star du porno Kelly Stafford qui explique, selon une logique toute hégélienne, que l’esclave soumise qu’elle se plaît à jouer est en fait le maître de son maître. Mais la vulnérabilité des autres émeut ou écœure : elle cette malheureuse débutante tchèque, aux seins pas encore siliconés, à la dentition imparfaite, à l’anglais rudimentaire, qui, pour décrocher un rôle, affirme crânement accepter toutes les pratiques mais qu’on sent terrifiée avant sa première DP.

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Maman a tort ★★☆☆

Anouk a quatorze ans. Ses parents sont divorcés. L’heure du stage en troisième a sonné qu’elle effectue dans la compagnie d’assurances qui emploie sa mère. C’est l’occasion pour la jeune fille de découvrir le monde du travail, ses lâchetés, ses compromissions.

Je ne serais pas allé voir « Maman a tort » si je n’en avais pas lu d’excellentes critiques : Les Inrocks, Télérama, Le Figaro et même Paris Match ! Unanimement, elles lui trouvent une fraîcheur et une justesse de ton que je lui reconnais volontiers. « Maman a tort » réussit, sans sombrer dans le manichéisme, à décrire le monde des adultes à travers les yeux d’une ado.

La jeune Jeanne Jestin évite les écueils du rôle et n’en fait jamais trop : elle a tout à la fois la fragilité de l’enfance, le charme bourru de l’adolescence et l’idéalisme de la jeunesse. Émilie Dequenne est elle aussi parfaite dans un rôle qui n’est pas sans rappeler celui que tenait récemment Virginie Effira dans « Victoria » : celui d’une jeune divorcée qui peine à être sur tous les fronts. Enfin, ce film est servi par une panoplie de seconds rôles attachants : Nelly Antignac et Camille Chamoux sont impayables en employées prétentieuses et idiotes.

« Maman a tort » louche d’un peu trop près vers les canons télévisuels et s’égare parfois dans le teen movie (insupportable romance avortée avec un autre stagiaire et inévitable meilleure copine déjantée). Mais il est sauvé par son dernier tiers qui, évitant le happy end, donne à l’intrigue un dénouement aussi plausible que cruel.

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Polina, danser sa vie ★★☆☆

Formée à la dure école du ballet russe, Polina pratique la danse classique depuis l’âge de quatre ans. Recrutée au Bolchoï, elle décide néanmoins de quitter son pays pour s’essayer à la danse contemporaine en France.

Angelin Preljocaj est un des plus grands chorégraphes français. Depuis bientôt vingt ans il dirige sa propre compagnie, installée au Pavillon noir d’Aix-en-provence – où une partie du film a été tourné. Il a réalisé des chorégraphies qui sont désormais célèbres : Le Parc, Roméo et Juliette, Blanche Neige… Avec sa compagne, la réalisatrice Valérie Müller, il porte à l’écran la bande dessinée à succès de Bastien Vivès.

Le parcours de Polina est ternaire. Dans un premier temps, en Russie, elle se forme par l’imitation. Puis, au moment de voir ses efforts couronnés de succès, elle décide de rompre avec les conventions et d’abandonner la danse classique. Elle le fera non sans difficultés, entre Aix-en-Provence – où l’accueille une chorégraphe interprétée par Juliette Binoche – et Anvers, la capitale européenne de la danse contemporaine – où elle enchaîne les petits boulots pour survivre. C’est seulement dans un troisième temps, et dans un duo sublime, qu’elle trouvera sa voie.

« Polina : Danser sa vie » est, comme son titre l’annonce, divisée entre deux registres. Le premier serait de raconter l’histoire d’une danseuse. Le second serait de la regarder danser. Sans doute Angelin Prejlocaj et Valérie Müller sont-ils plus à laise dans le second : « Polina » contient quelques séquences de danse, classique ou contemporaine, d’une grâce infinie. Mais ils sont plus maladroits dans le premier, la faute peut-être à l’héroïne qui, tel l’albatros de Baudelaire, cesse de nous toucher quand elle cesse de danser.

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Le Voyage au Groenland ★★☆☆

La trentaine bohème, Thomas rend visite à son père installé depuis une vingtaine d’années dans un petit village du Groenland. Il est accompagné d’un ami qui, comme lui, se prénomme Thomas et, comme lui, vit à Paris de petits rôles.

Sébastien Betbeder filme la suite de Inupiluk, un court métrage sur la visite de deux Inuits à Paris. Thomas Blanchard et Thomas Scimeca y tenaient déjà leur propre rôle. Cette fois-ci, c’est à eux de faire le chemin inverse et de bénéficier de l’hospitalité de leurs hôtes groenlandais.

Autant dire que ce Voyage au Groenland est exotique en diable. Sans chercher l’insolite ou le grandiose, la caméra les trouve rien qu’en filmant le calme village de Kullorsuaq, posé au bord de l’océan pris dans les glaces. La vie y suit calmement son cours, sans drame ni coup de théâtre.

Ce parti pris naturaliste est la plus grande qualité de ce fil aux allures de documentaire, de ce documentaire scénarisé comme un film. Il crée une ambiance douce, bienveillante, tendre, à la fois dépaysante et familière. Mais, faute d’enjeu narratif – si ce n’est une amourette avec une jolie autochtone et la maladie de cœur du père -, ce Voyage au Groenland se condamne au surplace.

Il aurait fait, sur le même format que Inupiluk, un excellent court métrage de trente-quatre minutes. Il en fait soixante-quatre de plus. Soixante-quatre de trop.

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