Le Concours ★★★☆

La documentariste Claire Simon, l’auteur de « Le Bois dont les rêves sont faits », a filmé le concours d’entrée de la Femis. Les épreuves écrites dans un immense amphithéâtre de Nanterre où plus de mille candidats doivent, en trois heures, analyser une séquence du film « Shokuzai » de Kiyoshi Kurosawa. Puis les oraux organisés en plusieurs sections (réalisation, scénario, décor, exploitation…) et en plusieurs phases (une épreuve pratique, un grand oral…)

Je pensais que « Le Concours » serait un documentaire sur la Femis, la plus prestigieuse école de cinéma française. Je me trompais en partie. Sans doute présente-t-il des réalisateurs et des scénaristes en herbe, pleins d’ambition et de maladresse, et nous renseigne-t-il sur la façon dont ils sont sélectionnés.

Mais « Le Concours » est plus largement, comme son titre l’annonce, un documentaire sur ce qu’on croit être à tort être une spécificité française alors qu’il est monnaie courante au Royaume-Uni ou aux États-Unis : le concours, mode de sélection méritocratique de nos élites. Un dossier de présentation et une épreuve écrite pour établir le potentiel créatif du candidat, tester sa culture générale et ainsi distinguer le bon grain de l’ivraie. Des oraux dits « techniques ». Puis un grand oral pour mesurer la motivation du candidat. Le principe vaut à la Femis. Il vaut, à quelques variantes près, pour toutes les grandes écoles : l’ENA, les écoles de commerce, Sciences Po…

Claire Simon nous montre des scènes qui sont traditionnellement couvertes par la confidentialité des délibérations. Dès que se termine la présentation plus ou moins convaincante du candidat, le jury délibère à huis clos sous l’œil de la caméra qui enregistre les commentaires peu amènes qui sont échangés sur sa prestation. On découvre alors de façon éclatante la part de subjectivité qui existe dans ces délibérés. Tel membre défend tel candidat (son « chouchou » selon l’expression d’un juré), avec parfois une mauvaise foi désarmante, parce qu’il l’a touché ou convaincu. Tel autre ne partage pas cette opinion et, avec une mauvaise foi au moins équivalente, retournant parfois les critères pour lesquels il avait pris la défense d’un candidat précédent, il essaie de modérer l’enthousiasme de son collègue.

Se révèle ainsi la schizophrénie de ces jurys d’examen. Ils exigent des candidats qu’ils fassent preuve d’originalité, se déclarent fatigués de prestations trop normées… et n’ont jamais autant de mal à se décider que face à des candidats hétérodoxes, originaux, hors norme dont ils saluent sans doute l’énergie mais qu’ils refusent de recruter de peur qu’ils ne trouvent pas leur place dans l’école. Pire : ils en viennent souvent à instaurer inconsciemment une nouvelle norme hétérodoxe et hors normes – que les candidats, plus malins qu’on ne l’imagine, ont tôt fait de cerner et dans le moule de laquelle ils se fondent. A la fin des fins, les recrutements s’opèrent selon un principe simple : les jurys apprécient les candidats qui leur ressemblent, auxquels ils s’identifient, qu’ils auraient aimé être à l’âge où eux-mêmes passaient déjà ce même concours.

Faut-il pour autant renoncer à la sélection et à ce mode de sélection-là ? Non. Mais à condition d’avoir conscience de ses biais et à condition de constituer les jurys de telle façon qu’ils reflètent les profils des candidats souhaités.

La bande-annonce

La Grande muraille ★☆☆☆

Deux mercenaires à la recherche du secret de la poudre noire arrivent sur la Grande muraille de Chine au moment où celle-ci reçoit l’assaut d’une horde de bêtes monstrueuses.

« La Grande muraille » est un drôle de mélange. Mélange de genres : comme si la bataille du gouffre de Helm du « Seigneur des Anneaux » se déroulait au pied du Mur du Nord de « Game of Thrones ». Mélange des cultures : si le rôle principal est tenu par la star hollywoodienne Matt Damon, si on aperçoit Pedro Pascal (pour séduire le public latino ?) et Willem Dafoe, les autres personnages sont tous chinois et le film reprend quelques uns des codes des wu xia pan, les films de sabre chinois.

« La Grande muraille » est particulièrement intéressant du point de vue géopolitique à l’heure où on s’interroge sur la capacité de la Chine, super-puissance en devenir, à se doter des atouts du « soft power ». Ce film constitue une tentative du cinéma chinois de partir à la conquête du box-office mondial. Pékin n’a pas lésiné sur les moyens en réalisant la superproduction la plus coûteuse jamais tournée sur le sol chinois.

Son arrière-plan idéologique est double. Premièrement la mythification de la Grande muraille, une attraction touristique dont la renommée repose sur un double mensonge : elle n’a jamais protégée la Chine des invasions barbares … et elle n’est pas visible de l’espace. Mais le mythe de la Grande Muraille permet d’exalter l’esprit de sacrifice des guerriers chinois prêts à donner leur vie pour défendre la mère patrie – tandis que les mercenaires occidentaux vendraient leur mère pour un sac d’or. Deuxièmement, une main tendue vers les Etats-Unis, conforme à l’idéologie de l’émergence pacifique (Zhonghuo heping jueqi) prônée par Hu Jintao et par son successeur. L’histoire de « La Grande muraille » est celle de la rencontre d’un mercenaire anglais (sic !) et d’une guerrière chinoise que tout semble a priori opposer mais qui, face à un ennemi commun, uniront leur force – à défaut de faire sauvagement l’amour car le film est évidemment classé G.

Et le cinéma dans tout ça ? « La Grande muraille » est un blockbuster insipide, anormalement court (1h44 seulement), sans l’humour irrévérencieux, qui émaille désormais les productions américaines mais auquel le public chinois semble encore trop allergique, et avec une tonne de lézards baveux grossièrement dessinés à la palette graphique. Si Matt Damon a l’air de s’ennuyer ferme, la révélation Jing Tian en revanche crève l’écran.

La bande-annonce

La Femme qui est partie ★★☆☆

Horacia vient de passer trente ans en prison pour un crime qu’elle n’a pas commis. Pendant sa captivité, son mari est décédé, son fils a disparu, sa fille s’est éloignée d’elle. Horacia décide de se venger de l’homme à l’origine de son incarcération.

Dostoïevski aux Philippines. « La Femme qui est partie » emprunte moins au Monte Cristo de Dumas qu’au Raskolnikov de Dostoïevski. Contrairement au résumé que je viens d’en faire, il y est moins question de vengeance que de rédemption. Car le lumineux personnage de Horacia ne va pas assouvir une froide vengeance. Elle se laisse distraire de son dessein par ses rencontres : un marchand bossu, un travesti épileptique et une mendiante timbrée. Jusqu’à un dénouement final aussi logique que surprenant.

Ce dénouement, il faut l’attendre trois heures quarante cinq. Pour l’auteur de « Death of the land of encantos », une œuvre de neuf heures, « La Femme… » a des allures de moyen métrage. Mais pour le spectateur normalement constitué, il constitue une véritable épreuve. On veut bien accepter que cette dilatation du temps, cette succession de longs plans fixes impeccablement organisés et subliment éclairés dans un noir et blanc poétique visent à mieux nous immerger dans l’histoire de Horacia. Mais on ne peut s’empêcher de penser que la même histoire aurait pu être racontée en deux heures de moins sans que sa force en soit diminuée.

La bande-annonce

Jackie ★☆☆☆

On a tous en mémoire quelques images de Jackie Kennedy en novembre 1963 : tentant de s’extraire de la Lincoln Continental décapotable où son mari vient d’être abattu à Dallas, hagarde derrière Lyndon Johnson au moment où il prête serment dans l’avion qui les ramène à Washington, entourée de ses enfants lors des funérailles du président assassiné.
Ce sont ces scènes que Pablo Larrain reconstitue – y intercalant quelques documents d’archives – dans un biopic qui n’en est pas un. « Jackie » n’évoque ni la jeunesse de Jacqueline Bouvier (1929-1994) ni son remariage avec le riche armateur grec Aristote Onassis mais se concentre sur les quelques jours qui suivent l’assassinat de JFK.

Condensé dans le temps, son propos n’en est pas moins ambitieux. Il veut montrer comment la First Lady fut la première à mettre en scène la Maison-Blanche. Du vivant de son mari : en y autorisant les journalistes. Après sa mort : en organisant ses funérailles comme un show médiatique.

Le sujet ne serait pas dépourvu d’intérêt s’il ne reposait pas sur une contradiction qui en sape la crédibilité. Pablo Larrain entend en effet faire de Jackie Kennedy à la fois une veuve dévorée par le chagrin et une femme politique d’une machiavélique duplicité. Le problème est que Natalie Portman, toujours excellente, est restée au plus près de son modèle et que Jacqueline Bouvier n’était rien d’autre qu’une fille de bonne famille, écrasée par ses responsabilités et dévastée par le soudain déclassement que la disparition de son mari allait inévitablement entraîner.
Lorsqu’elle fait visiter aux journalistes de CBS la Maison-Blanche, le sourire crispé, les bras ridiculement ballants, tentant de revêtir le costume trop grand pour elle de parfaite maitresse de maison, récitant des anecdotes prémâchées sur les lieux, elle ressemble plus à Lady Di qu’à Clare Underwood.

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Sourires d’une nuit d’été ★★★☆

L’intrigue de ce vaudeville, inspiré de Shakespeare, de Beaumarchais et de Marivaux, est passablement complexe. Il se déroule dans les années 1900 en Suède. Frederik, un avocat veuf, d’âge mûr, est remarié avec Anne, une très jeune femme. Henrik, le fils qu’il a eu de sa première épouse, en est amoureux. Lui-même a une maîtresse, Désirée (la bien-nommée), une actrice de théâtre, laquelle est entretenue par un aristocrate, le comte Malcom, que l’épouse essaie vainement de reconquérir. L’ensemble de ces personnages se retrouvent la nuit de la Saint-Jean dans le château de la mère de Désirée.

Sélectionné au Festival de Cannes de 1956, Sourires d’une nuit d’été est le film qui a révélé Ingmar Bergman à la presse et au public international. Mais ce n’est pas un film représentatif de l’œuvre de l’austère réalisateur suédois qui, sans aller jusqu’à le renier, en a toujours minoré l’importance.

Sourires d’une nuit d’été n’est pas sans rappeler La règle du jeu de Renoir – Bergman admirait le cinéma français de Carmé, Duvivier, Renoir. Il en a la finesse, la légèreté, l’humour. Les personnages masculins sont interprétés avec un formalisme empesé par la fine fleur de l’Académie royale de Suède. Les rôles féminins sont jouées par des actrices hors pair, Eva Dahlbeck « le porte-étendard de la féminité triomphante » selon l’expression de Bergman.

Après ce succès, Bergman tournait Le Septième sceau puis Les Fraises sauvages. Son cinéma prenait un tour radical. Pour le meilleur et pour le pire.

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Un jour dans la vie de Billy Lynn ★☆☆☆

Billy Lynn et son unité d’infanterie connaissent une soudaine gloire médiatique pour avoir survécu à une embuscade en Irak. Au Texas, en 2004, ils sont invités à parader lors de la finale du Super Bowl.

Le film d’Ang Lee repose sur un malentendu. Son intérêt revendiqué provient essentiellement de la technologie ultra-moderne qu’il utilise : une prise de vue à cent-vingt images par seconde qui lui donne, dit-on, un effet de réalité saisissant. Le problème est que les cinémas qui sont équipés d’une telle technologie se comptent sur les doigts de la main et que le film est diffusé au format classique de vingt-quatre images par seconde. En le voyant dans ce format, on sent confusément, dans certains plans, le parti que le réalisateur a entendu tirer de cette technologie ; mais faute de bénéficier de toutes ses potentialités, on ne peut guère y être sensible.

Privé de sa forme novatrice, « Un jour dans la vie de Billy Lynn » se réduit à ce qu’il est : un film sur les Etats-Unis et ses vétérans. Le sujet n’est pas nouveau. Depuis « Voyage au bout de l’enfer » ou « Rambo » jusqu’à « Démineurs » ou « American sniper », le vétéran de retour du champ de bataille est une figure omniprésente du cinéma américain – alors bizarrement que je serais bien en peine de citer un seul film français dont il soit le héros.

Du coup, le film d’Ang Lee souffre de la comparaison avec ses illustres prédécesseurs. Les thèmes qu’il évoque – le décalage entre le champ de bataille et le foyer retrouvé, le sentiment d’absurdité que la vie civile, si frivole, inspire – ont été trop rabâchés pour susciter l’intérêt. Et le charme des jeunes acteurs (Joe Alwyn dont c’est le premier rôle, Kristen Stewart, moins catatonique que dans le dernier Assayas) ne suffit pas à sortir ce film du lot.

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Moonlight ★☆☆☆

Chiron a une dizaine d’années. Il vit à Miami dans le ghetto noir. Il est la tête de turc de ses camarades qui l’ont surnommé « Little ». Sa mère, qui se drogue et se prostitue, ne s’occupe guère de lui. Chiron s’est trouvé un père de substitution en Juan, un chef de gang.
Cinq ans ont passé. Chiron est désormais adolescent. Son identité sexuelle se précise. Chiron est attiré par Kevin, un camarade de classe.
Cinq ans ont passé à nouveau. Chiron, qui a repris le surnom que lui avait donné Kevin, vit désormais à Atlanta. « Black » est désormais un dealer, comme l’était Juan. Il reçoit un jour un appel de Kevin qui l’invite à Miami.

« Moonlight » c’est Brokeback Mountain + Boyhood + The Wire. En d’autres termes, une histoire d’amour homosexuel, racontée sur une dizaine d’années, dans le milieu hyperviril des trafiquants du ghetto noir.

Le film de Barry Jenkins arrive sur nos écrans précédé d’une rumeur élogieuse. Couronné aux Golden Globes, il est en lice aux Oscars. Le Monde, Libération, Les Inrocks l’encensent.

J’avoue ne pas partager cet enthousiasme. J’ai trouvé inutilement chichiteuses les cadrages flous et les éclairages inspirés de Terence Malick. Plus grave : je n’ai jamais été ému par le personnage de Chiron et par ses difficultés à se trouver.
Troisième et dernier scrupule : j’ai été gêné par la double assignation dans laquelle le héros est enfermé. Enfermé dans sa communauté : on ne voit pas un seul Blanc autour de Chiron comme si sa vie ne pouvait connaître aucun autre horizon. Enfermé dans sa sexualité : Chiron se sent dès son plus jeune âge « différent » – et stigmatisé à cause de sa différence – comme si son homosexualité était inscrite dans ses gènes.

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Un sac de billes ★★☆☆

Publiée en 1973, l’autobiographie de Joseph Joffo met en scène deux enfants juifs jetés sur les routes de France entre 1942 et 1944. Jacques Doillon, qui n’était alors qu’un tout jeune réalisateur, en a tourné une première adaptation dès 1975. Que Christian Duguay en tourne une seconde n’est pas surprenant.

Ses producteurs ont l’espoir légitime d’attirer les lecteurs de ce roman qui a rencontré dès sa sortie un immense succès malgré sa médiocrité littéraire et que toute une génération, dont je fais partie, a lu en versant des larmes sur les bancs de l’école ou sous la pression de ses parents.

Deuxième ressort : la Seconde guerre mondiale et la traque des Juifs. Un événement toujours marquant de notre histoire auquel le cinéma continue soixante dix ans après les faits à se mesurer. Il y aurait beaucoup à  dire sur la façon dont les années 2010 l’ont filmé de « La Rafle » à la série « Un village français » en passant par « Suite française » la – dispensable – adaptation du roman posthume d’Irène Nemirowsky ou « Elle s’appelait Sarah ».

La Seconde guerre mondiale est filmée à travers les yeux d’un enfant. Son innocence brisée dans le chaos de la guerre renforce l’effet pathétique. Mais la candeur de son regard est la porte ouverte à toutes les simplifications et à tous les manichéismes.

Mais ce qui est le plus dérangeant est que cet arrière plan historique se réduit à un décor de carton pâte. La traque des Juifs est un ressort dramatique efficace pour donner du nerf à des histoires d’enfant dans une France éternelle. « Un sac de billes », « Belle et Sébastien », « Les Choristes » : tous ces films se ressemblent, tous ces films racontent au fond la même histoire.

Alors pourquoi deux étoiles malgré cette critique assassine ? Parce que « Un sac de billes » reste néanmoins une réalisation bien filmée et bien jouée qui se regarde volontiers le dimanche soir sur TF1 en versant sa larme.

La bande-annonce