L’écrivain Daniel Mantovani déprime depuis qu’il a reçu le Prix Nobel de littérature [C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai toujours refusé : la peur de la déprime]. Cloîtré dans sa luxueuse villa, il refuse toutes les sollicitations. Mais, sur un coup de tête, il s’envole pour Buenos Aires pour retourner dans son village natal, Salas, le cadre de chacun de ses romans où il n’est plus revenu depuis quarante ans.
Qui n’a jamais rêvé de retourner pavoiser devant le caïd de la cour de récré dont il/elle était le souffre-douleur et de faire étalage de la réussite de sa vie professionnelle ou familiale ? « Citoyen d’honneur » repose sur une idée très simple dont sont tirées toutes les potentialités.
La première, la moins exploitée, est celle de la nostalgie. Daniel Mantovani revient sur les lieux de son enfance. Il n’en retrouve quasiment aucune trace, si ce n’est un cimetière envahi par les herbes folles, une institutrice clouée sur un fauteuil roulant. D’ailleurs le village de Salas, anonyme, sans charme, ne se prête guère à la nostalgie.
La deuxième est celle de la drôlerie qui naît du décalage entre l’écrivain célèbre et la simplicité de ses hôtes. Mantovani est accueilli par des ploucs sympathiques. Son chauffeur, sous prétexte d’emprunter un raccourci crève au milieu de nulle part et l’oblige à passer la nuit à la belle étoile. Le maire de la ville le fait parader sur le camion des sapeurs pompiers. Chacune de ses déambulations dans le village est interrompu par un automobiliste trop pressant qui veut à tout prix le conduire dans son véhicule.
La troisième, plus dérangeante, est la jalousie et le mépris que la célébrité de cet enfant du village suscite. Car si la bienveillance domine parmi les hôtes de Mantovani, des sentiments moins amicaux affleurent vite. Pour avoir refusé de donner à un concours de peinture le premier prix au peintre autoproclamé de la commune, Mantovani, accusé d’élitisme, s’attire l’hostilité d’une partie du village. Son pèlerinage se transforme bientôt en chemin de croix, voire en chasse à l’homme.
La dernière, la plus intelligente, est une réflexion sur le rôle de l’artiste. On pense à l’albatros de Baudelaire, exilé sur le sol au milieu des huées. Le statut de son œuvre est sans cesse questionné : chaque villageois exige le droit de s’y reconnaître quand l’écrivain revendique celui de s’être affranchi de ses modèles. Un écrivain a-t-il une dette avec son inspiration ? Peut-il s’en libérer ? Compromettre son art est-ce l’abâtardir ? refuser de le compromettre est-ce sombrer dans un narcissisme prétentieux ?
Le séjour de Mantovani à Salas est un crescendo qui se conclue par un twist surprenant. À double détente. Au propre comme au figuré.