Duelles ★☆☆☆

Alice (Veerle Baetens) et Céline (Anne Coesens) sont voisines. Elles sont les meilleures amies du monde. Leurs familles, en tous points similaires, habitent un pavillon cossu de banlieue : Alice comme Céline ont un mari, qui travaille dans une compagnie aérienne, et un fils unique de dix ans. Les deux familles sont vite devenues inséparables.
Mais un événement tragique va les monter l’une contre l’autre.

J’avais beaucoup aimé Illégal (2010) le premier film de Olivier Masset-Depasse. Anne Coesens, déjà elle, y jouait le rôle d’une immigrée russe en situation illégale menacée d’être reconduite à la frontière et séparée de son fils. Avec Duelles, le réalisateur belge change radicalement de registre. Il abandonne le naturalisme brut de son premier film pour un drame intimiste dont l’action se déroule dans les années soixante filmé à la façon d’Alfred Hitchcock ou de Douglas Sirk. Son esthétisation louche du côté de François Ozon.

Hélas, une fois les enjeux du film posés, le scénario peine à soutenir l’intérêt, tournant trop souvent à l’exercice scolaire. Alice et Cécile sont tour à tour coupables et victimes. La paranoïa de l’une nourrit celle de l’autre dans un crescendo de violence qui culmine dans un final paradoxal. Cette conclusion – dont je suis curieux de savoir si elle est fidèle à celle du livre de Barbara Abel dont Duelles est tiré – sauve in extremis le film du naufrage.

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Lourdes ★★★☆

Chaque année, Lourdes, où la Vierge Marie apparut en 1858 à Bernadette Soubirous, accueille quelque six millions de pèlerins dont environ 60.000 malades ou invalides.
Les documentaristes Thierry Demaizière et Alban Teurlai en ont filmé quelques uns.

Les apparitions mariales de 1858 et la ferveur qu’elles ont suscitée ont très tôt inspiré la littérature et le cinéma. Deux courants s’opposent : le premier est critique, le second au contraire est volontiers hagiographique. Au premier appartient le roman rationaliste de Emile Zola, écrit dès 1891 dans la série des Trois Villes (Paris, Rome, Lourdes) ou la satire grinçante de Jean-Pierre Mocky, Le Miraculé (1987) racontant le pèlerinage d’un faux handicapé (Jean Poiret), poursuivi par un assureur (Michel Serrault) qui entend révéler la supercherie de l’usurpateur. Au second appartiennent les nombreux biopics consacrés à sainte Bernadette : celui de Jean Delannoy est sans doute le plus kitsch – je l’avais vu à sa sortie dans une salle toulonnaise fermée depuis  longtemps.

Il y a une dizaine d’années, la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner avait consacré une fiction injustement méconnue au pèlerinage avec Sylvie Testud, Léa Seydoux et Bruno Todeschini dans les rôles principaux. Un prêtre y racontait une blague qui me fait toujours rire. C’est l’histoire de la Sainte famille qui discute de ses prochaines vacances : « Si on allait à Jérusalem ? » dit le Père « Ah non répond le fils, je n’y ai pas que de bons souvenirs ». « Lourdes ? propose-t-il. « Oh oui répond la mère ! Je n’y suis jamais allée ».

Mais venons en au documentaire de Demaizière et Teurlai qui avaient consacré, dans un registre radicalement différent, leurs précédentes réalisations à Benjamin Millepied et à Rocco Siffredi.

Il y a avait bien des façons de documenter Lourdes.
Par l’histoire : en racontant la vie de Bernadette.
Par la sociologie : en étudiant les pèlerins qui s’y pressent.
Par l’économie : en dénonçant le mercantilisme régnant autour du pèlerinage.

Demaizière & Teurlai adoptent un parti pris beaucoup plus subjectif. Ils choisissent un échantillon de pèlerins particulièrement significatif venus chercher à Lourdes sinon un miracle du moins une réponse. Il s’agit d’une part de grands malades : un homme lourdement paralysé depuis plus de vingt ans que sa mère continue à entourer de ses soins attentifs, un autre progressivement emmuré par la maladie de Charcot, un officier supérieur du SID dont le plus jeune fils, âgé de deux ans seulement, est condamné à terme par une maladie orpheline. Il s’agit d’autre part d’individus marginaux : un vieux travesti qui se prostitue au Bois de Boulogne, une bande de Gitans…

Tous ces pèlerins sont filmés au cours des différentes étapes qui ponctuent leur séjour à Lourdes : le pèlerinage à la grotte de Massabielle, la messe dans la basilique enterrée Saint-Pie-X, le bain dans la piscine miraculeuse…  On nous montre aussi la foule de bénévoles de toutes obédiences qui se déploient pour faciliter leur accueil. Mais c’est moins décrire cette organisation qui intéresse les réalisateurs que nous faire pénétrer dans l’intimité de ces pèlerins. Il ne s’agit pas de faire leur psychologie, de déterminer leurs motivations, encore moins d’en faire la critique, mais simplement de les donner à voir.

Bien sûr, on pourrait leur reprocher un excès de pathos, un manque de distance. Bien sûr, celui qui croyait au Ciel et celui qui n’y croyait pas ne ressentiront pas ce témoignage baigné de religiosité de la même façon. Et celui même qui y croyait pourrait avoir des réserves sur la débauche de superstitions qui entoure le pèlerinage de Lourdes. Mais tous communieront dans l’émotion poignante que fait naître ce concentré déchirant d’humanité.

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Retour de flamme ★★★☆

Marcos et Ana ont la petite cinquantaine. Il enseigne la littérature à l’université ; elle est cadre dans une société de marketing. Le départ de leur fils unique pour ses études en Espagne les oblige à une lucide introspection. Même s’ils sont unis par une solide complicité, construite sur l’accumulation des souvenirs partagés, l’amour a déserté leur couple.
Ils décident logiquement de se séparer. Mais, la liberté que leur séparation procure aux deux nouveaux célibataires trouve vite ses limites.

Dans les années trente, Hollywood a inventé la comédie du remariage. Cary Grant et Katherine Hepburn en devinrent les figures emblématiques sous la direction de Howard Hawks (L’Impossible Monsieur Bébé) ou de George Cukor (Indiscrétions). Le principe en était simple : un couple marié divorce puis se retrouve. À la vérité, il s’agissait moins pour les studios hollywodiens de parler de remariage que d’adultère, dont l’évocation était censurée par le code Hays.

Retour de flamme n’est pas une comédie du remariage. D’une part, ce n’est pas une comédie – même si les distributeurs français, cherchant à appâter des spectateurs plus enclins à aller au cinéma pour y rire qu’y réfléchir, ont barré l’affiche d’un inepte bandeau « Le retour de Ricardo Darin à la comédie ». D’autre part, le remariage n’est pas vraiment son sujet – même si les mêmes distributeurs ont traduit le subtil « El Amor Menos Pensado » (littéralement « L’Amour le plus improbable ») par le spoilant « Retour de flamme ».

Retour de flamme est plus intelligemment un film sur la crise de la cinquantaine, qui frappe, après le départ de leurs enfants, les couples les plus unis, encore trop jeunes pour considérer que leur vie est finie et qu’elle n’a pas besoin d’un projet pour lui donner du sens. Retour de flamme est un film subtil sur ce désir de liberté qui nous anime tous, quel que soit notre genre, notre âge et notre statut matrimonial, et auquel nous avons tant de mal à renoncer. Qui n’aime pas séduire et être séduit ? Qui n’a pas envie de s’enflammer, de désirer ? Qui a la sérénité d’accepter le fatal engourdissement d’une union qui a inexorablement perdu la fougue de ses commencements et la perspective d’un futur sans surprise scandé par la répétition des habitudes ? Qui a la lucidité de comprendre que les alternatives sont des leurres ?

Le sujet est merveilleusement servi par ses deux interprètes. Ricardo Darin et Mercedes Moran sont l’un comme l’autre d’une classe folle. Je défie les spectateurs.trices de ne pas rêver de ressembler à l’un et d’épouser l’autre.

Retour de flamme a pour autant deux défauts. Le premier, structurel, est son cœur de cible, particulièrement étroit, auquel j’appartiens trop parfaitement pour ne pas mettre en cause mon enthousiasme suspect : CSP+, 45-55 ans, marié depuis vingt ans…
Le second est sa durée et sa théâtralité : trop bavard, trop long, il aurait pu être amputé d’une bonne demie heure sans nuire à son efficacité.

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Versus ☆☆☆☆

Achille (Jérémie Duvall) est victime d’une sauvage agression dans un bus parisien. Sévèrement blessé, il met plusieurs mois à se remettre. À la fin de sa convalescence, une fois ses blessures cicatrisées, il va passer quelques jours au bord de la mer chez une tante.
Achille y croise Léa (Lola Le Lann), une jeune fille qui l’attire. Mais Léa le repousse qui éprouve une attirance ambigüe pour Brian (Jules Pélissier), un jeune homme hyperviolent défiguré par une cicatrice héritée de sa petite enfance.

Versus commence fort par une scène filmée par des caméras de surveillance. Dans un bus, une altercation tourne mal et se conclut en explosion de violence incontrôlée. Un jeune voyageur est tabassé par un groupe de cinq jeunes déchaînés. On retrouve la victime quelques temps plus tard. Si son visage ne porte plus les marques des coups qu’il a reçus, on comprend vite que les cicatrices sont profondes et que les plaies ne sont pas refermées.
Le cheminement de Brian est symétrique. Le jeune homme, qui refuse d’effacer la cicatrice qui lui barre le visage, va progressivement être ramené à la douceur au contact de la belle Léa.

Versus serait convaincant s’il n’était pas plombé par sa dernière demie heure. Il tourne au slasher. C’était bien la peine que les scénaristes se mettent à quatre pour accoucher d’une histoire aussi dénuée de crédibilité. L’interprétation de Jérémie Duvall n’arrange rien, aussi peu inspirée que celle de Jules Pélissier est incandescente. Si on avait failli, un temps, se laisser séduire par ce ballet d’adolescents mal dans leur peau, on décroche irrémédiablement.

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Crazy Rich Asians ☆☆☆☆

Rachel et Nick sont chinois. Elle est née aux États-Unis, lui à Singapour.
Rachel et Nick sont jeunes, beaux, intelligents et amoureux. Mais Nick a un défaut. Il est riche. Immensément riche. Et sa famille qui possède une bonne part de l’immobilier de l’État-cité, voit d’un mauvais œil leur union.

Le XXIème sera asiatique ou ne sera pas. Les spécialistes qui, vers 2090, feront retour sur le siècle finissant, marqué par le basculement des centres de pouvoir vers l’Asie et la fin de la suprématie occidentale sur le monde, évoqueront peut-être le best-seller de Kevin Kawan et son adaptation cinématographique comme le signe avant-coureur de ce basculement de puissance. Pour la première fois en effet, un blockbuster hollywoodien se déroule à Singapour avec une distribution composée exclusivement d’acteurs asiatiques.

Crazy Rich Asians met en effet en scène des personnages dont nous ne sommes guère coutumiers : des « Chinois pétés de thune » (ce titre aurait été certes moins élégant que l’original en anglais). Le film est l’occasion de montrer le luxe ostentatoire dans lequel cette folle jeunesse s’ébroue : une réception fastueuse dans l’hacienda familiale, un enterrement de vie de garçon dans un supertanker customisé, un mariage à quarante millions de dollars dans une église transformée en rizière… Bref, un La Vérité si je mens made in Singapour.

Mais, hélas, une fois satisfaite la curiosité qu’inspire ce sujet inédit, il ne reste… pas grand-chose. Crazy Rich Asians est une bluette simplette, pour ne pas dire idiote. La charmante Rachel doit affronter l’hostilité de sa belle famille (étrangement réduite aux seules figures féminines d’une mère et d’une grand-mère, le père et le grand-père n’apparaissant jamais sans trop qu’on sache pourquoi). Il y a des méchants et des gentils. Et pour sortir des moments difficiles, avoir des amis c’est très utile. Un peu d’astuces, d’espièglerie. C’est la vie de Candy

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Dressé pour tuer ★★☆☆

Julie (Christy McNichol) percute un berger allemand sur une route de Los Angeles. Elle le soigne, le recueille et s’y attache. Mais elle comprend bientôt que l’animal est dangereux, qui a été dressé pour attaquer les hommes noirs.
Avec l’aide de Keys (Paul Winfield), un dresseur afro-américain, Julie va entreprendre la rééducation de son chien.

« C’était un chien gris… » C’est par ces mots que commence Chien blanc, le livre de Romain Gary publié en 1970. Ce roman autobiographique raconte la vie du prix Goncourt aux États-Unis, son récent mariage avec Jean Seberg, ses rencontres dans le L.A. huppé où il croise Marlon Brando et les leaders du NAACP.

L’adaptation qu’en fait Samuel Fuller n’y a pas grand chose à voir, qui a pour héros un berger allemand – cinq furent en fait utilisés pendant le tournage – blanc comme neige. À se demander même si le vieux réalisateur, gloire déchue du Hollywood des années cinquante, a lu le livre de Gary. Il n’en retient qu’une facette : l’histoire de ce chien dressé depuis son plus jeune âge à attaquer les humains à peau noire.

Le film est construit en deux parties. La première, particulièrement niaise, met en scène la jeune Julie et son chien. Aussi mignonne soit-elle, Christy McNichol, qui d’ailleurs ne fit pas carrière, est calamiteuse qui passe son temps à faire des mamours à son chien, lequel retrousse les babines voire saute sauvagement à la gorge de tous les Noirs qu’il croise. Une fois que la donzelle, la larme à l’œil, a compris quel monstre elle a recueilli sous son toit commence la seconde partie : celle de la rééducation. C’est l’occasion des meilleures scènes du film.

Samuel Fuller ne s’embarrasse pas de longs discours. Il donne à voir sans donner à penser. Derrière la rééducation de ce chien assassin, conditionné à attaquer les hommes de couleur, c’est le procès de l’Amérique raciste, sinon celui de la condition humaine, que Gary intentait posant des questions autrement existentielles : le racisme est-il inné ou acquis ? peut-on l’inoculer ? peut-on en guérir ? Pareil questionnement n’est pas dans les habitudes du cinéma coup-de-poing de Samuel Fuller.

On imagine sans surprise un épilogue convenu qui verrait le gros toutou enfin guéri lécher copieusement les joues de Julie tombée entretemps amoureuse de son beau et noir dresseur. Mais à rebours du happy end attendu, Samuel Fuller a la bonne idée de respecter celui de Romain Gary.

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Sunset ☆☆☆☆

En 1913 à Budapest, Irisz Leiter est à la recherche de ses origines. Ses parents sont morts dans l’incendie de leur chapellerie qui, depuis lors, est dirigée par un capitaine d’industrie cynique et sans scrupule, Oszkár Brill.
La jeune Irisz réclame sinon sa part d’héritage, du moins un emploi que M. Brill lui refuse. La raison de son refus se révèle à Irisz progressivement : un vif désaccord a opposé le frère d’Irisz, Kálmán, au repreneur de l’affaire de ses parents. Kálmán a disparu, prenant la tête d’une bande de jeunes révolutionnaires. Irisz part à sa recherche.

On se souvient du précédent film de László Nemes et du choc qu’il avait causé à Cannes en 2015. Le Fils de Saul qui filmait de l’intérieur, à travers les yeux d’un membre d’un Sonderkommando, l’horreur d’Auschwitz. Le Fils de Saul reposait sur un mode opératoire très particulier : des longs plans séquences au plus près de son personnage, une caméra myope, sans focale, incapable de distinguer une image nette à plus d’un mètre, une bande son saturée de bruit et de cris.

Sunset reproduit exactement le même procédé. Comme dans Le Fils de Saul, la caméra ne quitte pas Irisz. Comme dans Le Fils de Saul, les plans-séquences d’une incroyable virtuosité se succèdent, certains dépassant la dizaine de minutes. Comme dans Le Fils de Saul, on voit le monde à travers les yeux myopes d’Irisz : un grand flou et beaucoup de bruit.

Autant ce procédé était pertinent pour Auschwitz, autant il ne l’est guère pour filmer la fin d’une époque, ce flamboyant crépuscule de l’empire austro-hongrois qui allait s’écrouler un an plus tard dans les tranchées de la Première guerre mondiale.

Car, une fois qu’on aura compris que « tout est chaos » (ainsi que l’avait chanté une Mylène Farmer désenchantée), les cent-soixante deux minutes du film sont bien longues. Elles le sont d’autant plus que László Nemes ne nous facilite pas la tâche en nous entraînant dans une histoire rocambolesque et touffue dont on a tôt fait de décrocher. On est vite perdus, comme on l’est par exemple à la lecture des romans de Thomas Pynchon ou de Don DeLillo. Pour certains c’est le signe d’un génie ; pour d’autres d’une fumisterie.

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Fukushima, le couvercle du soleil ★☆☆☆

Le 11 mars 2011, le Japon connaît le plus important séisme de son histoire : un tremblement de terre de magnitude 9 dont l’épicentre se situe à 130 km des côtes nord-est de Honshu, l’île principale de l’archipel nippon. Le séisme et le tsunami qu’il provoque mettent hors service le système de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima, située sur la côte.
L’évacuation des populations est immédiatement décidée.
Sans système de refroidissement, les cœurs des réacteurs nucléaires vont entrer en fusion.

À mi-chemin entre le documentaire et la fiction, le film de Futoshi Sato raconte la réaction des autorités à cette catastrophe. Il est inspiré du livre du directeur adjoint du cabinet du Premier ministre La Crise nucléaire – Un témoignage depuis la Résidence du Premier Ministre. S’il n’utilise quasiment aucune image d’archives, il fait endosser par des acteurs professionnels le rôle des principaux protagonistes : le Premier ministre Naoto Kan, son directeur de cabinet – qui eut la lourde tâche d’informer la presse -, le directeur de l’Agence de sûreté nucléaire, le PDG de la compagnie d’électricité TEPCO…

La gestion de crise est un formidable matériel dramaturgique. Unité de lieu, unité de temps, unité d’action. Tout est combiné pour entretenir la tension. Les séries l’ont bien compris, de West Wing à House of cards en passant par Borgen ou Occupied. Aussi on s’étonne que le cinéma ne se soit pas plus souvent essayé à décortiquer la décision publique en temps de crise. J’ai beau réfléchir, je ne vois guère que Treize jours (2000) avec Kevin Costner sur la crise des missiles à Cuba en 1962. Pourquoi n’y a -t-il pas de films qui racontent en temps réel le 11 septembre  à la Maison-Blanche ou le 7 janvier (la tuerie de Charlie Hebdo) à l’Élysée ?

Aussi est-ce avec beaucoup de gourmandise que je suis allé voir cette œuvre japonaise confidentielle sortie en mars dans une seule salle parisienne et bien vite disparue des écrans. La raison en devient vite évidente : Fukushima, le couvercle du soleil n’a pas les moyens de ses ambitions. Le scénario choral s’égare entre des personnages trop nombreux alors qu’il aurait dû se concentrer sur l’entourage du Premier ministre. Les scènes d’extérieur sont trop artificielles pour être crédibles. Tout se réduit vite à des réunions où des conseillers exclusivement masculins – les féministes de Politiqu’Elles pourraient à bon droit s’insurger de la sous-représentation des femmes dans les cercles décisionnels japonais – s’égosillent pour prévenir une catastrophe qu’ils sont impuissants à éviter.

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Exfiltrés ★☆☆☆

Assistante sociale en Seine Saint-Denis, Faustine (Jisca Kalvanda) s’est radicalisée à l’insu de son mari au contact de quelques jeunes dont elle a eu la charge, partis combattre avec Daech en Syrie. Prétextant à son époux un séjour balnéaire en Turquie, elle décide de les rejoindre en compagnie de son fils de cinq ans. Mais dès son arrivée à Rakka, la jeune Française déchante vite.
Resté en France, Sylvain (Swann Arlaud), son époux, va faire flèche de tout bois pour la sauver. Grâce à Patrice (Charles Berling), le chirurgien auprès de qui il travaille, il contacte Gabriel (Finnigan Oldfield) qui travaille dans une ONG à la frontière turco-syrienne. Celui-ci va actionner les contacts d’Adnan au sein de l’Armée syrienne libre pour faire libérer Faustine.

Il y a deux façons de filmer la radicalisation. La première, « à l’américaine » prend le parti assumé de l’action, reconstituant (dans les sables marocains) les tentatives d’infiltration de courageux Occidentaux pour démanteler des filières jihadistes. On pense aux films de Paul Greengrass. La seconde, « à la française » est plus psychologique : elle s’intéresse moins aux jihadistes syriens qu’aux effets que leur message produit en France – où leur action se déroule quasi exclusivement. C’est Made in France de Nicolas Boukhrief (dont on se souvient que l’attentat du Bataclan avait conduit à sa déprogrammation), Les Cowboys de Thomas Bidegain (2015), Le ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar (2016), Mon cher enfant de Mohamed Ben Attia (2018).
Si l’on était pédant, on dirait que cette dichotomie reproduit le débat qui oppose Gilles Kepel et Olivier Roy sur les racines de la radicalisation. Le premier – dont on retrouve les prémisses dans le cinéma « américain » – considère que l’enjeu est politique voire civilisationnel. Le second au contraire considère que la radicalisation est avant tout un processus individuel, une forme de « nihilisme générationnel ».

Le problème de Exfiltrés est de vouloir jouer sur les deux tableaux. Comme un film américain, il raconte une évasion, en direct, à Rakka, avec ses rebondissements et son happy end prévisible. Mais comme d’autres films français avant lui, il s’essaie à une tentative de psychologisation, non pas d’un (Faustine dont on peine à comprendre comment elle a versé dans l’extrémisme) mais de deux (Gabriel dont on ne sait quel fond de culpabilité pousse à aller faire le bien des gens malgré eux) voire de trois personnages (Adnan qui a survécu aux tortures de la police de Assad puis des barbus de Daech avant de réussir à gagner la France).

C’est beaucoup. Et c’est trop si on ne s’en donne pas les moyens. Or Exfiltrés, s’il est filmé non sans maîtrise, n’a pas les moyens de son ambition. Sa mise en scène est trop sage, son tempo trop lent, ses rebondissements trop mous pour éviter que ce film, mal distribué, ne disparaisse des écrans trois semaines à peine après sa sortie.

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Les Moissonneurs ★★☆☆

C’est une famille unie dans une ferme isolée de l’Afrique du sud blanche et dévote. Un père, une mère, un fils, trois filles. Un jour, un nouvel enfant fait son arrivée. Il s’appelle Pieter, il a le même âge que Janno, le fils jusqu’alors unique. Abandonné par ses parents, il a vécu une enfance douloureuse et solitaire.
La cohabitation entre les deux adolescents s’annonce difficile.

Les Moissonneurs nous fait voyager dans un monde exotique : la province sud-africaine du Free State, ses hauts plateaux, ses immenses champs de blé. C’est le bastion des boers, ces colons blancs installés dans ce bout du monde depuis plusieurs siècles. La fin de l’apartheid les a privés de leur pouvoir mais n’a guère modifié leur mode de vie et leur isolement. Le Free State serait dit-on la région du monde comptant le plus grand nombre de pratiquants fervents.

Le premier film de Etienne Kallos restitue l’atmosphère hors du temps de cette communauté. Sans le téléphone portable qu’utilise une seule fois Jan, le père de famille, on se serait cru cinquante ans plus tôt, dans un monde sans ordinateur, sans télévision.

L’arrivée de Pieter met à mal le clan familial. L’adolescent, narco-dépendant, est particulièrement violent. Son irruption provoque le dévoilement de secrets jusque là étouffés. Il révèle au spectateur le pacte sur lequel est construit sa famille d’accueil. Sa relation avec Janno, qui combat des pulsions homosexuelles inavouables, est un mélange complexe de rivalité et d’attirance mutuelle.

Si Les Moissonneurs nous plonge dans une ambiance déroutante, son scénario trop pauvre ne réussit pas à maintenir l’intérêt sur la durée. Dommage…

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