Dernier amour ★☆☆☆

Au crépuscule de sa vie, exilé dans un glacial château en Bohème, le vieux Giacomo Casanova (Vincent Lindon) écrit ses mémoires. C’est l’occasion pour le célèbre séducteur de raconter son histoire d’amour la plus blessante. Elle a eu lieu trente ans plus tôt à Londres où Casanova, qui ne parlait pas un mot d’anglais, venait de s’installer. C’est là qu’il rencontra une demie-mondaine, la Charpillon (Stacey Martin).

À soixante dix ans passés, Benoît Jacquot a une longue carrière cinématographique derrière lui. Sa filmographie alterne drames contemporains et films en costumes avec une prédilection pour le dix-huitieme siècle : Les Adieux à la reine racontait les derniers jours de Marie-Antoinette à Versailles, La Fausse Suivante adaptait Marivaux et Adophe Benjamin Constant. Ici il s’inspire d’un chapitre du journal de Casanova.

Comme dans beaucoup de ses films, comme dans Sade notamment où Daniel Auteuil prêtait ses traits au vieux libertin, Benoît Jacquot s’intéresse à des héros vieillissants, des hommes ou des femmes (Isabelle Huppert a souvent joué de tels rôles sous sa direction) d’âge mûr qui vacillent dans leurs convictions, qu’une rencontre avec une jeune femme ou un jeune homme fait prendre conscience du temps qui passe.

C’est le sujet de ce Dernier amour au titre et à la lumière volontiers cafardeuse. C’était déjà celui de Villa Amalia tiré d’un court roman de Pascal Quignard ou de L’École de la chair inspiré de Mishima. Le cahier des charges est honnêtement respecté depuis l’éclairage qui rappelle Barry Lindon et les toilettes Gainsborough. Le tempo n’est pas celui d’une mazurka endiablée mais d’une valse à quatre temps. Si on s’ennuie, c’est avec élégance.

Le problème vient du choix des acteurs. Si Stacey Martin, comme souvent les jeunes actrices dirigées par Benoît Jacquot (Virginie Ledoyen, Judith Godrèche, Sandrine Kiberlain…), a juste ce qu’il faut d’ambiguïté, Vincent Lindon est un contre-sens absolu. Les yeux lourdement cernés de khôl, le cheveu gras, l’élocution pâteuse, l’acteur n’est ni séduisant ni sensuel. Un comble pour qui prétend interpréter le roi des Dom Juans.

La bande-annonce

M ★☆☆☆

Menahem Lang a grandi dans le quartier ultra-orthodoxe de Bnei Brak près de Tel Aviv. Pendant toute son enfance, il chantait à la synagogue. Mais il y fut aussi régulièrement violé par ses maîtres. Ses parents, membres de la même communauté, n’ont rien fait.
Arrivé à l’âge adulte, Menahem a rompu avec son milieu, a renié sa foi et s’est installé à Tel Aviv pour faire l’acteur chez Amos Gitaï. Il a témoigné à la télévision des sévices subis. Sa confession a fait scandale.

M lève le voile sur la pédophilie dans la communauté juive haredim. Son titre peut revêtir plusieurs significations : référence à Fritz Lang dont le héros partage le pseudonyme ? allusion à la stigmatisation dont il fait désormais l’objet de la part de ses proches qui lui reprochent la publicité qui a entouré sa confession ?

Largement filmé en caméra cachée, M suit Menahem Lang dans son retour à Bnei Brak. Il y tente, sans succès, d’entrer en contact avec ses anciens agresseurs. Il recueille le témoignage d’anciens camarades de yeshiva qui ont subi les mêmes sévices que lui et peinent à s’en remettre. Chez certains, la confession de ces traumatismes a provoqué la réprobation de leur famille, les transformant paradoxalement de victimes en coupables. Chez d’autres, leur refoulement a perturbé leur vie sexuelle et les a empêchés de se construire.

Le sujet est, hélas, d’une brûlante actualité. On ne compte plus les films qui s’en sont emparés, produisant souvent des œuvres bouleversantes. Je garde un souvenir déchirant de The War Zone avec Tim Roth, sorti en 2000, injustement méconnu. On peut également citer Festen de Thomas Vinterberg, Mysterious Skin de Gregg Araki ou La Mauvaise Éducation de Pedro Almodovar. Plus près de nous, deux films récents ont marqué l’actualité cinématographique française :  Les Chatouilles de Andréa Bescond et Grâce à Dieu de François Ozon.

M soulève une autre difficulté. Il ne remet jamais en cause le témoignage de son héros. Il n’est pas question ici de nier son traumatisme ni le fait d’en avoir été durablement marqué. Mais on ne peut qu’être gênés à le voir harceler un ancien agresseur à son domicile sans la médiation de la justice ou de la police (les faits sont prescrits). Le doute se dissipe dans la seconde partie du film où se dessine l’objet profond et paradoxal de sa démarche : non la vengeance mais la réintégration à la communauté qui l’a exclu.

La bande-annonce

Cómprame un Revólver ★☆☆☆

Dans un Mexique dystopique où la violence des cartels fait rage, une petite fille vit avec son père dans la crainte des enlèvements. Junkie, il a déjà perdu sa femme et sa fille aînée et impose à sa cadette le port d’un masque pour cacher son sexe et tromper d’éventuels kidnappeurs. Il a la charge de l’entretien d’un terrain de baseball que fréquentent quelques voyous.
Un jour, le caïd l’invite à son anniversaire.

Julio Hernández Cordón a déjà réalisé sept longs métrages. Projeté à la dernière Quinzaine des réalisateurs, Cómprame un Revólver est le second seulement à sortir en France. Il s’inscrit dans une longue généalogie de films mexicains décrivant la violence insensée qui gangrène ce pays et dont les plus faibles – les femmes, les enfants… – sont souvent les victimes : Les Élues, Miss Bala, Después de Lucia, La Zona

Dans un décor à la Mad Max, Cómprame un Revólver raconte l’innocence fracturée de l’enfance. On comprend vite que l’amour d’un père cabossé ne protègera guère la petite Huck d’une société régie par la loi du plus fort. Elle trouvera plus de secours dans la bande de petits orphelins qui rôdent autour du terrain.

Cómprame un Revólver est un film éprouvant. La tension permanente laisse augurer une explosion de violence dont ses héros, à chaque instant, risquent d’être victimes. Mais, bien vite, cette tension tourne à vide. À force de ne rien expliquer (qu’est-il arrivé aux femmes disparues ?), à force de refuser toute psychologisation de ses personnages, à force de se complaire dans des plans esthétisants, Julio Hernández Cordón se perd et nous perd.

La bande-annonce

Us ★★☆☆

Adelaide (Lupita Nyong’o révélée par son rôle dans Twelve Years A Slave qui lui valut en 2014 l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle avant d’intégrer l’univers Star Wars et Marvel Comedy) et Gabe (Winston Duke, M’Baku de MCU) amènent leurs deux enfants en vacances dans une belle maison au bord de la mer, non loin de la frontière mexicaine. C’est là que Adelaide a connu en 1986 un traumatisme qu’elle a longtemps eu du mal à dominer.

C’est peu dire qu’on attendait avec impatience le nouveau film de Jordan Peele. Le jeune réalisateur, venu de la stand-up comedy où ses imitations du président Obama l’avait rendu célèbre, avait révolutionné le cinéma de genre avec Get Out (Oscar 2018 du meilleur scénario original), mariant intelligemment horreur et politique.

Sans doute Us n’est-il pas tout à fait à la hauteur des espérances que son matraquage publicitaire avait fait naître. On escomptait, comme dans Get Out, que le message politique serait aussi fort que la terreur que le film ferait naître. On imaginait au titre une polysémie qu’il n’a pas : Us, ç’aurait pu être nous, mais aussi les États-Unis.

Or, si la bande-annonce de Us est terrifiante, Us ne fait pas vraiment peur. Certes, sa première demie-heure, où l’intrigue se met lentement en place, est angoissante durant laquelle il ne se passe rien mais où le spectateur redoute le surgissement violent d’une horreur glaçante. Mais ensuite, Us ne se distingue guère d’un slasher movie ordinaire où une sympathique famille américaine – à laquelle ne manque guère qu’un animal de compagnie – doit se défendre de méchants zombies. D’ailleurs le scénario ne réussit pas à respecter l’unité de lieu (un chalet au bord de mer) et l’unité de temps (une nuit de pleine lune).

Pire : Us n’a pas la force politique de Get Out. Quand se révèle l’origine des zombies en rouge et l’objet de leur soudaine intrusion dans le monde des vivants, on en est pour son argent.

On n’aurait mis qu’une seule étoile à Us si sa conclusion renversante à la M. Night Shyamalan ne l’avait au dernier moment distingué du tout-venant.

La bande-annonce

Les Témoins de Lendsdorf ★★☆☆

Yoel (Ori Pfeffer) est un Juif orthodoxe qui travaille à l’Institut d’histoire de Jérusalem. Il est spécialiste de la Shoah. Il est chargé d’enquêter sur le charnier de Lendsdorf en Autriche où deux cents Juifs auraient été tués en 1945 durant les « marches de la mort » après l’évacuation des camps d’extermination. Sur place, la commune souhaite lotir un terrain où les recherches archéologiques n’ont pas permis de localiser le lieu de l’exécution.

Le pitch des Témoins de Lendsdorf pointe dans une direction. On escompte une enquête sur un crime, commis à la fin de la Seconde guerre mondiale, où peut-être des intérêts se ligueront pour conduire à une exécution massive : l’antisémitisme des Autrichiens, la complicité passive de l’Armée rouge voire la participation de quelques Juifs, prêts à trahir leurs coreligionnaires pour sauver leur peau. Comme récemment dans Le Labyrinthe du silence ou dans Fritz Bauer, un héros allemand, on attend aussi peut-être un procès à charge contre l’Autriche contemporaine emmurée dans la loi du silence et le déni de ses responsabilités. Mais rien de tout cela ne se concrétise.

L’enquête obsessionnelle menée en Autriche par l’austère Yoel, sa course contre la montre contre le projet immobilier qui risque d’enterrer sous le ciment les dernières traces des disparus, n’est qu’une des deux facettes du film. L’autre, sans doute la plus intéressante, est la révolution intérieure que cette enquête provoque dans la vie du héros. À l’occasion de ses investigations, il va découvrir sur sa mère des faits dont il ignorait tout. Le travail du critique est compliqué par l’interdiction qui pèse sur lui de révéler ces faits sinon de dire qu’ils interrogent l’identité du héros et sa foi.

À la fois thriller mémoriel et drame personnel, mêlant enquête historique et quête identitaire, Les Témoins de Lendsdorf fait coup double.

La bande-annonce

Ma vie avec John F. Donovan ★★☆☆

John F. Donovan (Kit Harington) est mort à vingt-six ans. C’était un acteur de séries adulé dans le monde entier. Mais, John F. Donovan ne supportait plus de cacher son homosexualité que son succès lui interdisait de révéler.
Dix ans après sa mort, à Prague, Rupert Turner (Ben Schnetzer) donne une interview à une journaliste du Times (Thandie Newton). Avant d’être un acteur à succès, Rupert fut un enfant précoce qui entretint pendant cinq ans une relation épistolaire avec John F. Donovan.

C’est peu dire que le dernier film de Xavier Dolan était attendu, trois ans après Juste la fin du monde (César du meilleur réalisateur et Grand prix du Festival de Cannes), cinq ans après Mommy (César du meilleur film étranger et prix du Jury à Cannes). C’est peu dire que son premier film anglophone, avec une brochette de stars a fait couler beaucoup d’encre et que les difficultés réelles ou présumées de son tournage ont excité la curiosité. La première mouture, dit-on, faisait plus de quatre heures et Xavier Dolan a dû l’écourter, au risque de renoncer à le montrer à Cannes le printemps dernier et à celui de sacrifier au montage le rôle tenu par Jessica Chastain.

Le résultat est-il à la hauteur des espérances ? Tout dépend de l’opinion que l’on a de Xavier Dolan, l’enfant terrible du cinéma canadien, et de l’intérêt qu’on a porté à ses précédentes réalisations. On retrouve ici ses thèmes de prédilection : les relations mère-fille hystérisées, les enfants précoces, les coming out douloureux… On retrouve aussi ses tics notamment celui de saturer la bande son de tubes plus ou moins remixés qui donnent parfois à ses films la fausse allure de soirées dédicaces sur NRJ ou Skyrock. Et, le plus rédhibitoire pour ceux que la personnalité de Xavier Dolan horripile, on retrouve son ego exacerbé dans ce récit doublement autobiographique puisque Xavier Dolan s’identifie à la fois au jeune Rupert, à la recherche d’un modèle (Dolan aurait dit-on écrit au même âge que son héros une lettre à Leonardo Caprio restée sans réponse) et à John F. Donovan dont l’homosexualité excite les ragots dans un Hollywood faussement libéral.

Mais La Vie de John F. Donovan est passé à la moulinette des studios hollywoodiens. Il n’a plus la fraîcheur, la spontanéité des premières œuvres de Xavier Dolan – qui avait vingt ans à peine lorsqu’il réalisait J’ai tué ma mère. Du coup, non sans une certaine malhonnêteté, on pourrait lui adresser deux critiques alternatives : la première serait de lui reprocher de nous resservir les mêmes plats fût-ce dans un service plus luxueux, la seconde d’avoir perdu son âme en quittant le Canada. Voilà pour les arguments CONTRE.

Laissons toutefois au POUR le mot de la fin. Et reconnaissons de bonne grâce le souffle qui habite La Vie de John F. Donovan, l’intelligence de son scénario zébré de flash-back qui maintiennent le rythme du récit sans jamais égarer le spectateur et la qualité du jeu des acteurs, à commencer par celui des actrices (Susan Sarandon et Natalie Portman dans le rôle des mères respectives de John et de Rupert).

La bande-annonce

Rosie Davis ★★★☆

Rosie Davis, son mari et leurs quatre enfants sont à la rue. Cette famille modeste était locataire d’un pavillon, dans la banlieue de Dublin. Leur propriétaire a décidé de le vendre. Mais Rosie et son mari n’avaient pas les moyens de l’acheter. En attendant de trouver un nouveau toit, ils en sont réduits à vivre dans leur voiture.

L’affiche du film, sa bande annonce donnent une impression de déjà-vu. Des histoires de femmes célibataires qui se battent courageusement pour sauver ce qui leur reste de dignité et offrir un meilleur avenir à leurs enfants, on en a déjà vu treize à la douzaine. La plupart ont été réalisées par Ken Loach dont Moi, Daniel Blake, Palme d’Or en 2016, racontait à s’y méprendre la même histoire. Mais le cinéma français y a pris aussi sa part : Y aura-t-il de la neige à Noël ? en 1996 et, plus récemment, le bouleversant Louise Wimmer qui révéla Corinne Masiero.

Pour autant, en dépit de cet effet de répétition, Rosie Davis émeut profondément. Comme dans un film des frères Dardenne – qui avait filmé dans Rosetta une héroïne aussi résiliente – le tempo ne se relâche jamais. Pendant vingt-quatre heures, on suit pas à pas Rosie dont la détermination à protéger ses enfants et à leur trouver un toit se fracasse à mille et uns obstacles dérisoires : un doudou perdu, un pyjama souillé, la benjamine malade, l’aînée qui disparaît….

Contrairement à ce que l’affiche pourrait laisser croire, Rosie n’est pas célibataire – à la différence des héroïnes des films précités. Elle a un partenaire qui travaille et qui l’épaule. Cette situation matrimoniale rend peut-être sa situation plus encore touchante : elle fait partie de la classe moyenne inférieure, de ces working poors qui, sans tares particulières, peuvent sombrer dans la pauvreté sur un coup du sort.

Rosie Davis est d’une étonnante brièveté. Sans qu’on s’y attende, il s’interrompt là où on escomptait qu’il se prolonge une bonne demie-heure supplémentaire. Sa conclusion est aussi abrupte que poignante. Elle laisse une trace qui ne s’efface pas.

Bien que sa bande annonce ait été largement diffusée, bien que son affiche soit placardée dans le métro parisien, Rosie Davis est très mal distribué. Pour sa première semaine, il n’était à l’affiche que de deux cinémas dans Paris intra muros et d’une quarantaine dans toute la France. Raison de plus pour courir le voir.

La bande-annonce

Rebelles ★☆☆☆

Sandra (Cécile Defrance), ex Miss Nord Pas de Calais, revient habiter chez sa mère près de Boulogne-sur-mer. Sans argent, sans travail, elle trouve à s’employer à la pêcherie locale. Elle y retrouve Marilyn (Audrey Lamy), une ancienne camarade d’école qui élève seule son fils, et fait la connaissance de Nadine (Yolande Moreau), une collègue plus âgée qui subvient seule aux besoins de sa famille depuis que son époux a été licencié.
Sandra a tôt fait d’attirer l’attention du contremaître qui, un soir, après la fermeture des bureaux, tente de la violer. Sandra se défend tant et si bien qu’elle le tue sous les yeux de Marilyn et de Nadine. Que faire du cadavre et des affaires du défunt dont le sac contient des liasses de billets à l’origine douteuse ?

Rebelles n’est pas la suite de Belles. C’est une comédie française formatée pour le grand écran où ses stars attireront la ménagère de vingt à soixante-dix ans. Sa BOF passe sans transition de Saint-Saëns à Niagara. Son scénario ne nous épargne ni les clichés ni les rebondissements peu crédibles. Dans un instant d’indulgence, le public masculin rira aux circonstances douloureuses de la mort du contremaître et le public féminin à la façon dont son corps est sorti de la pêcherie.

Rebelles repose sur le jeu outré des acteurs qui s’en donnent à cœur joie. Cécile Defrance est comme d’habitude excellente, mâchonnant son chewing gum avec autant de talent qu’elle faisait tourner son ombrelle dans son précédent film Mademoiselle de Jonquières. Sans surprise, Audrey Lamy joue la meilleure copine à la voix haut perchée et Yolande Moreau la dondon pas futée qu’il ne faut pas titiller. Une mention spéciale pour Simon Abkarian, abonné aux seconds rôles, qui interprète le mafieux local, et à Béatrice Agenin dans le rôle de la mère de Sandra.

La bande-annonce

McQueen ★★☆☆

Enfant terrible de la mode, Alexander McQueen a gravi à toute allure tous les échelons.
D’origine modeste, il a commencé en apprentissage dans les ateliers de Saville Row, se forme à Milan – sans parler un mot d’italien – puis à l’école Saint Martins de Londres. Il est remarqué par la journaliste et fashionista Isabella Blow qui avait déjà lancé Philip Tracy et qui restera son amie jusqu’à son suicide en 2007.
En 1995 sa collection « Le Viol de l’Écosse », où ses mannequins défilent dans des vêtements lacérés et déchirés, fait sensation. Bernard Arnault l’embauche pour succéder à John Galliano à la tête de Givenchy. Lee McQueen – qui s’était entre temps rebaptisé Alexander – et la troupe d’artistes bohèmes qui l’entourent y font sensation. La greffe ne prend pas et McQueen retraverse la Manche cinq ans plus tard.
Bourreau de travail, s’imposant à lui-même et imposant aux autres une tension hystérique, il multiplie les collections. Chacun de ses défilés, de plus en plus macabres et provocateurs, fait sensation.
Mais Alexander McQueen s’enfonce dans la drogue et dans la dépression. Sa carrière ressemble à celle de Amy Winehouse ou de Whitney Houston auxquelles des documentaires viennent d’ailleurs d’être consacrés. Très proche de sa mère, il ne supporte pas sa mort des suites d’une longue maladie. La veille de ses obsèques, il se pend.

Deux Britanniques, Ian Bonhôte et Peter Ettedgui, lui consacrent un documentaire. Sa facture est très classique. Les images d’archive alternent avec les interviews des proches de McQueen. La musique de Michael Nyman, aussi riche soit-elle, est un peu trop envahissante. Les créations de McQueen sont éblouissantes, notamment l’incroyable robe du Cygne en 1999 peinte par deux bras articulés entourant le modèle tournant sur une plateforme. Un happening délirant dont la vision suffit à elle seule à retenir l’intérêt d’un documentaire qu’on peut volontiers regarder en coupant le son.

La bande-annonce

A Thousand Girls Like Me ★★☆☆

Depuis l’âge de dix ans, Khatera a été violée par son père. De cet inceste, pas moins de six enfants ont été conçus. Le premier est abandonné par son père dans le désert. Khatera avorte des quatre suivants. Le dernier naît à terme.
En 2014, âgée de vingt-trois ans, Khatera témoigne à la télévision afghane des violences qu’elle subit. Son père est arrêté. La réalisatrice Sahra Mani la filme pendant trois ans avec sa mère et sa fille. Khatera est encore enceinte. Elle va accoucher.

A Thousand Girls Like Me ne documente pas le sort des enfants victimes d’inceste en Afghanistan. Mais il suit pendant trois années une victime qui a eu le courage de briser la loi du silence. Si les violences qu’elle a subies sont terribles, leur révélation publique n’améliore guère son sort. Elle se heurte à un appareil judiciaire inerte, corrompu et patriarcal qui met en doute sa parole et la traite plus en coupable qu’en victime. Les tests ADN sont rares et chers en Afghanistan et tardent à démontrer la paternité de son enfant. Les oncles de Khatera défendent leur frère et harcèlent Khatera. Fille mère, sans travail, sans emploi, elle peine à trouver un logement, est contrainte à d’incessants déménagements dès que ses voisins découvrent son identité et est condamnée à passer ses journées dans des pièces minuscules avec la seule compagnie de sa mère et de ses enfants turbulents.

Il est des sujets qui bâillonnent la critique. A Thousand Girls Like Me est de ceux-là. Le sort de Khatera est si effroyable qu’on aurait mauvaise conscience de dire du mal du documentaire qui en est tiré, dont on imagine sans peine les difficultés qu’il a rencontrées pour être tourné et monté. Que sa réalisation ne brille pas par sa virtuosité n’a guère d’importance. Le drame qu’il relate est si déchirant, le courage déployé par la souriante Khatera sur le long chemin de la reconnaissance de ses droits si admirable que A Thousand Girls Like Me mérite en tout état de cause d’être vu.

La bande-annonce