Funan ★★☆☆

Lorsque les Khmers rouges prennent Phnom Penh en avril 1975, Chou, son mari Kuon et leur fils Sovanh sont, comme la plupart des habitants de la capitale, jetés sur les routes. Dans une bousculade, le petit garçon disparaît laissant ses parents dévastés de chagrin. Emprisonnés dans un camp, condamnés par l’Angkar à travailler jusqu’à épuisement, ils resteront pendant quatre longues années dans l’ignorance du sort de leur fils.

Diplômé de l’école des Gobelins, Denis Do est né en France en 1985. Sa mère a connu l’enfer des camps khmers rouges. Il a voulu en témoigner en s’inspirant de son expérience et de celle de ses proches. Porté par les voix de Bérénice Béjo et de Louis Garrel, Funan a reçu le Cristal du long métrage au dernier festival du film d’animation d’Annecy.

Les massacres de masse commis par les Khmers rouges entre 1975 et 1979 – on évitera le terme « génocide » dès lors que ces crimes visaient indifféremment tous les Khmers sans cibler un groupe ethnique, racial ou religieux – n’ont guère inspiré le cinéma. Ils sont au centre du très hollywoodien La Déchirure tourné dès 1984. Ils ont inspiré l’œuvre du réalisateur cambodgien Rithy Panh et notamment son documentaire S21, la machine de mort khmère rouge sorti en 2003.

Denis Do choisit une animation très douce nimbée de couleurs vert, bleu et orange, alternant des plans très larges d’une nature somptueuse et des gros plans des visages des protagonistes. Ce parti pris met Funan à portée des enfants, même des plus jeunes, sans risquer de les choquer. Mais il a le défaut d’euphémiser une violence aussi stupide que brutale. Le comparer avec Valse avec Bachir serait lui faire trop d’éloges.

La bande-annonce

Les Étendues imaginaires ★☆☆☆

À Singapour, de nos jours, Wang, un ouvrier chinois, a mystérieusement disparu du chantier de construction qui l’employait. L’inspecteur Lok est chargé de l’enquête.

Le cinéma de Singapour ne s’exporte guère. Tout au plus connaît-on Eric Khoo (Hotel Singapura, La Saveur des Ramen) et Boo Junfeng (Apprentice). Il renvoie de la Cité-État une image diffractée : Hotel Singapura était une variation sur le thème de l’amour, La Saveur des ramen racontait la quête d’un père sur fond de chroniques culinaires, Apprentice mettait en scène un bourreau chargé d’exécuter les condamnés à mort dans la prison centrale de Singapour.

Les Étendues imaginaires rajoute une facette au kaléidoscope. C’est la face obscure de Singapour qui y est décrite, loin des gratte-ciel aseptisés du centre ville. Le titre fait référence à la poldérisation qui permet chaque année à la ville, en manque de terres, de gagner quelques arpents sur la mer. Comme dans Diamond Island, qui se déroulait au Cambodge, comme dans Taste of Cement qui se déroulait au Liban, des hordes d’ouvriers pauvres et souvent en situation irrégulière travaillent à ces travaux titanesques.

Les Étendues imaginaires documente la vie de ces ouvriers cosmopolites venus de tout le continent asiatique, qui vivent dans des conditions misérables, leur passeport confisqué par leurs employeurs, et se retrouvent à la nuit tombée pour communier dans de tristes bacchanales.

Mais Les Étendues imaginaires n’a pas que cette seule ambition. C’est aussi, c’est surtout, un film esthétisant qui, à la manière de In the Mood for Love ou de Mulholland Drive – mais avec autrement moins de talent – vise l’envoûtement. Il entrelace, dans un long flashback onirique, les parcours de l’ouvrier Wang et de l’inspecteur Lok. Un cybercafé et son ouvreuse font le lien entre les deux mondes.

On se laisse un temps fasciner. Et puis bientôt, à force de n’y rien comprendre (Ajit est mort ou pas ?), on décroche inexorablement. Culturopoing.com parle d’un « épilogue magnifique proche de la transe ». Trop assommé pour être touché, je n’y ai rien vu de tel.

La bande-annonce

Nos vies formidables ★★☆☆

Margot (Julie Moulier) est toxicomane. Elle a accepté de se faire soigner. Pendant huit semaines, elle va participer à une cure de désintoxication avec une dizaine d’autres malades.

Fabienne Godet creuse un sillon original à mi-chemin du documentaire et de la fiction. Son premier long-métrage Sauf le respect que je vous dois… tourné en 2005 avec Olivier Gourmet, Marion Cotillard, Dominique Blanc et Julie Depardieu (excusez du peu !) avait pour thème le harcèlement professionnel. Son deuxième Ne me libérez pas, je m’en charge… était un documentaire sur Michel Vaujour, un braqueur multirécidiviste, roi de l’échappée belle. Son quatrième film est consacré à l’addiction et aux moyens d’en réchapper.

Pour tourner Nos vies formidables, Fabienne Godet a utilisé une méthode originale. Sur la base d’un scénario très vague, elle a rassemblé en résidence une troupe de comédiens – parmi lesquels on reconnaît Johan Libéreau ou Bruno Lochet. Elle a leur confié une fiche biographique pour chacun de leurs personnages. Et elle les a laissés improviser.

Le résultat porte la marque de la méthode retenue. Les acteurs forment une vraie communauté qu’on sent unis par une complicité réelle. Chaque personnage est incarné. Chaque situation est crédible.

Mais Nos vies formidables souffre de la comparaison avec les films, décidément nombreux depuis quelques années, consacrés au même sujet. On pense aux récents My Beautiful Boy et Ben is Back. Mais on pense plus encore aux films français tous trois extraordinairement réussis : La Prière (2018), La fête est finie (2017) et Le Dernier pour la route (2009).

La bande-annonce

Stan & Ollie ★★☆☆

Dans les années trente, Laurel & Hardy atteignirent l’apogée de leur gloire, éclipsant Charlie Chaplin et Harold Lloyd. Mais, après la guerre, le duo vieillissant n’est plus que l’ombre de lui-même. En 1953, il entreprend une tournée en Grande-Bretagne en attendant de trouver le financement pour un dernier film.

Un nouveau biopic ? Hélas oui dira-t-on. Le filon semble inépuisable. Et il n’est pas une seule célébrité du vingtième siècle qui tôt ou tard ne se verra consacrer son biopic hollywoodien de Winston Churcill à Freddy Mercury, de la reine d’Angleterre à Steve Jobs, de Colette à Pablo Escobar.

Stan & Ollie ne déroge pas à la règle, mais choisit un angle d’attaque inhabituel. Il aurait pu se concentrer sur la rencontre des deux humoristes, leur succès grandissant, la gloire et l’inexorable déclin. Il choisit de se focaliser sur la fin de leurs vies. C’est l’heure des bilans et des regrets : le succès n’est plus là, les rancœurs se sont accumulées, la santé est déclinante.

Stan & Ollie accumule tous les défauts du biopic hollywoodien : mise en scène sans relief, décors et costumes fleurant la naphtaline, acteurs exagérément grimés pour forcer la ressemblance avec les personnages qu’ils sont censés interpréter. Si bien qu’au bout d’une demie-heure, plusieurs spectateurs exaspérés quittent bruyamment la salle.

Pour autant, Stan & Ollie ne mérite pas tant d’opprobre. Il creuse une veine originale : celle de la bromance cafardeuse. Stan & Ollie n’est pas un film comique même s’il est l’occasion de revoir quelques uns des sketches à la drôlerie poétique presque surréaliste des deux humoristes. C’est plutôt un film triste sur l’amitié indéfectible de deux hommes au crépuscule de leur vie.

La bande-annonce

Marie Stuart, reine d’Écosse ★★★☆

Reine d’Écosse six jours après sa naissance à la mort de son père, Marie Stuart grandit en France où elle épouse à seize ans le futur roi François II. Veuve à dix-huit ans, elle rentre en Écosse en 1561 déterminée à revendiquer la couronne d’Angleterre. Elle conteste à Élisabeth Ière – fille d’Anne Boleyn et de Henri VIII après le divorce non reconnu par le pape du roi protestant – montée sur le trône quatre ans plus tôt, ses droits sur la Couronne.
Mais la rivalité entre les deux reines va tourner à l’avantage de la seconde.
Mal préparée aux intrigues de la Cour d’Écosse, Marie s’aliéna la faction protestante dirigée par son demi-frère James Stuart en épousant en 1865 lord Darnley, un catholique anglais. De cette union malheureuse naquit un fils unique Jacques en faveur duquel Marie est contrainte d’abdiquer en 1567. Défaite militairement, elle est emprisonnée pendant dix-huit ans en Angleterre et finalement condamnée à mort et décapitée en 1587.

Mary Stuart est sans doute la plus célèbre reine d’Écosse dont le destin tragique inspira écrivains et artistes. Donizetti lui consacra un opéra célèbre et Stefan Zweig une biographie. Le cinéma s’empara de cette figure héroïque. Un film Edison de 1894 reconstituant son exécution aurait donné lieu, dit-on, au tout premier effet spécial de l’histoire du cinéma. En 1936, John Ford confia à Katharine Hepburn le rôle de Marie. En 2007, dans le film de Shekhar Kapur, face à la majestueuse Kate Blanchett qui interprète Élisabeth, Marie est jouée par Samantha Morton.

Le film de Josie Rourke a un double mérite. Il ne renonce en rien à raconter dans toute leur complexité les six années passées par Marie en Écosse, marquées par une série de renversements d’alliance qui manquent égarer le spectateur. Il donne simultanément à cette histoire une dimension actuelle en dressant le portrait de deux femmes condamnées à régner sur un monde dominé par les hommes.

La principale qualité de Marie Stuart est de ne pas sombrer dans le manichéisme. L’affiche du film, sa bande-annonce laissent augurer un combat à mort entre les deux héroïnes : la « gentille » Marie et la « méchante » Élisabeth. Le film évite ce face-à-face simpliste. Si la sympathie du spectateur va naturellement vers Marie, à laquelle l’ardente Saoirse Ronan prête ses cheveux roux et ses yeux bleus, il comprend vite la succession d’erreurs qu’elle commet et qui précipite sa chute. Quant à Élisabeth, un rôle ingrat pour lequel Margot Robbie, peut-être l’une des plus belles actrices au monde, a accepté de s’enlaidir, si elle parvient à rester sur le trône pendant quarante-cinq ans, c’est en renonçant à se marier (un époux aurait probablement revendiqué le titre de roi) et donc à avoir une descendance.

Sans doute Marie Stuart ne révolutionne-t-il pas l’histoire du cinéma. Sans doute souffre-t-il de la comparaison avec La Favorite, sorti trois semaines plus tôt, autrement novateur. Pour autant, pour qui aime les films en costumes et les grandes figures dramatiques, il n’en reste pas moins une grande et belle fresque historique.

La bande-annonce