Mjólk, La Guerre du lait ★☆☆☆

Inga et son mari sont agriculteurs. L’entretien de leurs vaches occupe tout leur temps.
Quand son mari décède, Inga doit assurer seule toutes les tâches du ménage. Elle découvre dans quelle dépendance la tient la coopérative du village. Elle décide de s’en affranchir.

Après les polars islandais, ce sont les films venus d’Islande qui deviennent à la mode. On en a jamais vu autant que ces dernières années. Bel exploit pour ce petit pays de 230.000 habitants, moins peuplé que la Corse ou le Limousin.

Grímur Hákonarson n’en est pas à son coup d’essai. En 2015, il avait réalisé Béliers, une comédie dramatique qui avait déjà pour cadre l’austère campagne islandaise. Le décor est le même. Et le sujet n’est guère éloigné. Il s’agit encore d’une petite exploitation agricole confrontée à la crise.

Dans Béliers, les héros étaient deux frères aussi proches qu’opposés. Dans Mjólk (dont le redondant sous-titre français nous permet d’enrichir notre vocabulaire d’un mot islandais), l’héroïne est une femme courageuse qui n’est pas sans rappeler celle de Woman at War.

En décrivant la lutte d’une femme contre un système inique, Mjólk marche sur les pas de Ken Loach. Mais il prône un libéralisme économique dans lequel Ken Loach et ses épigones ne se reconnaîtraient pas : c’est le libre marché et la concurrence qui sont présentés comme l’alternative salutaire à un système collectiviste dévoyé.

Ces précédents islandais récents privent Mjólk du parfum de nouveauté duquel ils étaient nimbés. Beau portrait de femme émancipée qui entre en guerre contre un système corrompu, Mjólk est un film sympathique mais pas assez original pour retenir l’attention.

La bande-annonce

Jeanne ☆☆☆☆

Il y a deux façons de recevoir le dernier film de Bruno Dumont. La première est de crier au génie. La seconde à l’imposture.

J’ai vu le film il y a trois jours et, dérogeant aux règles que je m’impose, ne suis pas arrivé à en faire la critique immédiatement. J’hésitais, j’oscillais, j’atermoyais… Je lui a mis successivement quatre étoiles (je criais au génie). Puis zéro (je criais à l’imposture). J’ai même failli renoncer à en parler – ce qui en aurait fait un cas unique depuis le 6 janvier 2016, ayant systématiquement depuis cette date historique chroniqué tous les films, hollywoodiens ou moldo-slovaques que je vois.

Bruno Dumont est un réalisateur intrigant. Je l’ai découvert avec La Vie de Jésus et L’Humanité, ses premiers films, à la fin des années quatre-vingt-dix, tournés dans ce Nord dont il est originaire, filmant une réalité sociale au scalpel. Puis lentement, Dumont m’a perdu. Son cinéma a pris avec Hors Satan et Camille Claudel 1915 un tour de plus en plus élégiaque. Le mysticisme dans lequel baignaient ses œuvres m’impressionnait autant qu’il me rebutait. « Pas mon kiff » comme le disent les jeunes d’aujourd’hui. Le divorce était consommé avec Ma Loute dont les bouffonneries outrées ont achevé de m’en détourner.

Vaguement masochiste, je suis allé voir Jeanne. J’étais curieux de découvrir ce que Dumont ferait de cette figure iconique qui a tant inspiré le cinéma de Georges Méliès à Luc Besson, tour à tour vierge sacrificielle, résistante nationale ou ado punk. J’avais raté Jeannette, sorti deux ans plus tôt, mal distribué et quasi invisible.

Dès les premières minutes, le décor est planté.
C’est bien simple : il n’y en a pas ! Le siège de Paris est filmé… sur une dune du nord de la France. C’est dans le même décor, dans un bunker allemand (sic), qu’on retrouvera deux heures plus tard la Pucelle emprisonnée avant son exécution. Entre les deux, son procès sera filmé, à rebours de toute crédibilité historique, dans la majestueuse cathédrale d’Amiens.

S’agit-il, comme on l’a déjà vu avec Roméo et Juliette ou Richard III d’une transposition à l’époque moderne d’un sujet dont on souligne de la sorte l’actualité ? Pas du tout. Dumont ne se revendique d’aucune modernité. Au contraire. On a l’impression que le décor a été choisi faute de mieux, parce que la production n’avait pas les moyens de reconstituer la place du marché de Rouen.

Dans ce décor incongru, les acteurs jouent. Mais s’agit-il vraiment d’acteurs ? Jouent-ils ? Bruno Dumont utilise des amateurs – et on se demande bien ce que Fabrice Lucchini (né en 1951) vient faire dans le rôle du roi de France Charles VII censé avoir vingt-six ans lors de sa dernière rencontre avec Jeanne d’Arc après son sacre à Reims.
Dans le rôle de la Pucelle, Bruno Dumont a choisi une gamine de dix ans. La jeune Lise Leplat Prudhomme est filmée en longs plans fixes, souvent en contre-plongée – pour la rapetisser ou pour suggérer qu’elle dialogue avec les cieux ? Elle n’affiche qu’une seule expression : le refus irréductible de plier devant ses interrogateurs. À force de répéter « cela ne vous regarde pas », elle nous fait passer l’envie de la regarder.
L’acteur qui interprète Gilles de Rais – entré dans la légende pour les crimes raffinés dont il s’est rendu coupable – n’est guère plus âgé.

La direction d’acteurs laisse perplexe. Elle vise en général à améliorer le jeu des comédiens, à le rendre plus naturel. Celle de Bruno Dumont semble-t-il vise le contraire : les rendre le plus ampoulé, le plus artificiel possible. Dans quel but ?

Et il y a Christophe. Oui. Christophe. Le chanteur septuagénaire dont le dernier tube remonte à 1967. Il interprète le rôle d’un moine encapuchonné dont les chansons illustrent pachydermiquement l’action qui se déroule. Mon amie Caroline Vié dans 20 minutes évoque un « soupir de surprise charmée » au moment de son apparition. Moins bienveillant qu’elle, j’ai surtout entendu dans la salle des ricanements sardoniques.

Je lis dans les Cahiers du cinéma que Bruno Dumont manie une « langue étrangère inouïe à l’intérieur du cinéma français ». Inouïe ou inaudible ?

La bande-annonce

Trois jours et une vie ★★★☆

Antoine a douze ans. Il vit seul avec sa mère (Sandrine Bonnaire) dans un petit village des Ardennes belges. Un jour en forêt, il tue accidentellement Rémi, le fils de ses voisins. Paniqué, il dissimule le corps.
Michel (Charles Berling), le père de Rémi alerte immédiatement la police. Une battue est organisée dont Rémi craint qu’elle permette de retrouver le cadavre de l’enfant et de révéler son crime.
Mais un évènement inattendu survient. Quinze ans passent.

Trois jours et une vie annonce son sujet dans son titre. Ce sont les 22, 23 et 24 décembre 1999 qui vont décider de la vie d’Antoine. Coupable d’homicide involontaire, l’enfant ne se résout pas à en faire l’aveu. Ni à sa mère, ni à ce médecin de famille (Philippe Torreton) qui se doute pourtant de quelque chose. Il portera le poids de cette culpabilité toute sa vie.

Les polars sont normalement construits autour d’un crime à élucider. Ils débutent par un meurtre. Ils se poursuivent par une enquête. Ils se terminent par sa résolution. Ils sont tendus par un fil narratif : qui a tué ?

Aussi efficace soit-elle la bande-annonce de Trois jours et une vie nous laisse augurer un polar construit sur ce schéma banal. Or, sa structure est différente. Sans s’embarrasser de flash-back compliqués, il suit le fil de la chronologie. On commence – un peu besogneusement – par suivre pendant une journée les faits et gestes des habitants d’Olloy, cette petite ville belge, encore traumatisée par les meurtres de Dutroux, qu’on ne quittera pas de tout le film. On y découvre Antoine et sa mère, Rémi, le petit voisin, Émilie, sa sœur aînée dont Antoine est secrètement amoureux, et leurs parents.

Et puis c’est l’accident. Et le sujet du film se dévoile. Il ne s’agit pas de savoir qui a tué Rémi. On le sait déjà. Il s’agit de montrer comment Antoine va survivre avec ce secret. Pour soutenir l’attention – et créer la tension – le scénario imagine que le cadavre de Rémi est sur le point d’être retrouvé, rendant le dilemme d’Antoine d’autant plus cornélien.

Mais la seconde partie du film est encore plus réussie que la première. On y voit Antoine, désormais interprété par Pablo Pauly (découvert dans Patients), revenir à Olloy et y redécouvrir tous les personnages vieillis d’une quinzaine d’années. Un épilogue ? Non. C’est bien plus compliqué. On n’en dira pas plus. On en a déjà trop dit. Mais le dernier quart d’heure, aussi peu crédible soit-il, est une horlogerie machiavélique qui broie Antoine et l’enferme jusqu’à l’ultime scène, dans une famille aussi oppressante que l’aurait été la prison.

La bande-annonce

Un jour de pluie à New York ★★☆☆

Gatsby (Timothée Chalumet) et sa fiancée Ashleigh (Elle Fanning) se sont rencontrés sur le campus d’une faculté. Prenant prétexte de l’interview que Ashleigh a décroché avec le grand réalisateur Roland Pollard (Liev Schreiber), le couple passe le week-end à New York. Pour Ashleigh, originaire de l’Arizona, tout est sujet à émerveillement.
Mais rien ne se passe comme prévu.

Un jour de pluie à New York a bien failli ne pas parvenir jusqu’à nous. Il a été interdit de sortie aux États-Unis par son producteur, Amazon Studios, suite à la polémique dans laquelle est prise Woody Allen, accusé d’abus sexuels sur sa fille. Mais, fort de la popularité dont il jouit encore hors de ses frontières, Mars Films, son distributeur en France, n’a pas reculé. Et c’est tant mieux.

On y retrouve, dès son générique jazzy, tous les ingrédients des films du réalisateur new yorkais. C’est sa principale qualité. C’est aussi sa principale faiblesse.

Comme d’habitude, Woody Allen filme New York et adresse une déclaration d’amour à sa ville. Comme d’habitude, il trousse des dialogues débités à la mitraillette qui font souvent mouche. Comme d’habitude, il a recruté, dans la garde montante du cinéma américain, ses jeunes acteurs les plus talentueux pour leur donner des rôles en or dans lesquels ils se coulent avec un plaisir communicatif. Évidemment, il faut saluer le jeu d’Elle Fanning, en ravissante idiote, dont Woody Allen filme mieux que personne l’ingénuité. Mais Selena Gomez à la voix si craquante mérite une mention spéciale.

Le problème est que cette recette sent le déjà-vu. Woody Allen tourne ad nauseam le même film, dans les mêmes décors, avec les mêmes dialogues et les mêmes situations.

Les acteurs changent. C’est vrai. Mais ils se coulent dans les rôles joués par leurs prédécesseurs. Timothée Chalamet reprend à l’identique les personnages de jeunes premiers jadis interprétés par Jesse Eisenberg (Cafe Society), Jason Biggs (Anything Else) ou Leonardo Di Caprio (Celebrity). Elle Fanning minaude comme Emma Stone dans Magic in the Moonlight ou L’Homme irrationnel. Il n’y a pas jusqu’au rôle de l’escort pleine d’esprit interprétée par Kelly Rohrbach qui ne rappelle celui interprété par Mira Sorvino dans Maudite Aphrodite.

Les films de Woody Allen ressemblent à cette vieille veste en tweed aux coudes renforcés qu’on a tant aimée, à la coupe aujourd’hui démodée et qui sent désormais l’antimite. On ne se résout pas à s’en débarrasser par nostalgie mais on n’ose plus vraiment la porter.

La bande-annonce

Tu mérites un amour ★☆☆☆

Lila (Hafsia Herzi) vit très mal sa rupture avec Rémi. Colère et abattement, désir et répulsion, jalousie et indifférence, ses sentiments sont aussi excessifs que douloureux.
Ses amis l’entourent et lui prodiguent des conseils. Oublier Rémi. Tourner la page. Vivre d’autres histoires d’amour.

On aurait aimé aimer ce film. Pour son titre si romantique – tiré d’un poème de Frida Kahlo. Pour son affiche si sensuelle. Pour son actrice-réalisatrice Hafsia Herzi qu’on avait découverte en 2007 dans La Graine et le Mulet et suivie dans la quasi totalité de ses films : L’Apollonide, La Source des femmes, Fleuve noir, L’Amour des hommes, etc. Et pour son sujet indémodable : le désamour et les remèdes pour en guérir.

Hélas, on n’a rien aimé. Ni l’héroïne, plus vulgaire qu’attachante. Ni la caméra plus artisanale qu’arty avec ses cadrages flous et ses lumières moches. Ni les rencontres répétitives et vite caricaturales de Lila avec un dragueur au cœur tendre (et aux oreilles décollées), un couple échangiste et un photographe sensible.

Hafsia Herzi aurait dû nous ravir avec son charme et son naturel. Elle nous horripile.

La bande-annonce

Viendra le feu ★☆☆☆

Un pyromane sort de prison. Après avoir purgé deux ans de peine, Amador Coro, la quarantaine, revient dans les montagnes de Galice à la ferme familiale. Sa vie s’y déroule paisiblement, auprès de sa mère, au rythme des saisons.
Jusqu’au jour où un feu meurtrier éclate.

Viendra le feu est un film déroutant. Sa scène d’ouverture montre d’immenses engins de chantier déraciner les arbres d’une forêt en pleine nuit. Une scène mystérieuse que rien ne reliera au reste du film.

Il ne s’y passe pas grand chose. Le héros mutique s’emploie aux travaux des champs et prodigue des soins aux vaches. Ses voisins réhabilitent une ferme pour en faire un gîte de vacances dans le but comprend-on d’attirer les touristes dans cette région désolée et pauvre.
Comme l’écrit avec humour Nicolas Schaller dans L’Obs, « c’est beau et vain, c’est bovin ».

Et soudain, sans qu’on en comprenne l’origine, un feu éclate. Symbolise-t-il l’explosion de pulsions tues comme dans Ça brûle de Claire Simon (2006) ? Amador, dont on nous a dit qu’il s’était déjà rendu coupable de faits similaires, l’a-t-il allumé ? La question pourrait nourrir une tension. Mais le réalisateur, tout à son éloge panthéiste d’une nature aussi apaisante que menaçante, s’en désintéresse.

Nous aussi.

La bande-annonce

Fête de famille ★★★☆

Dans la belle demeure familiale, Andréa (Catherine Deneuve) accueille ses enfants pour son anniversaire. L’aîné Vincent (Cédric Kahn) est venu avec son épouse et ses deux garçons. Le cadet Romain (Vincent Macaigne), qui peine à trouver sa voie, est accompagné de sa nouvelle fiancée, une jeune Argentine prénommée Rosita. S’invite sans crier gare le troisième enfant de Andréa, Claire (Emmanuelle Bercot) qui avait quitté depuis trois ans la France pour les États-Unis, laissant derrière elle aux soins d’Andréa l’éducation de sa fille Emma.
La réunion de famille est l’occasion de solder de vieux comptes.

Le repas de famille est un genre cinématographique à lui tout seul. C’est un genre très français : À nos amours de Pialat, Un air de famille de Klapisch. Mais c’est un genre qui n’a pas de frontière : Festen du Danois Vinterberg, Sieranevada du Roumain Puiu.

J’ai une sympathie particulière pour les films de Cédric Kahn que j’avais découvert à la fin des années quatre-vingt-dix dans l’adaptation de L’Ennui de Moravia. Je considère que ces dernières réalisations comptent parmi les meilleurs films de ces dernières années. J’ai mis quatre étoiles à La Prière qu’il a réalisé et à L’Économie du Couple où il interprétait aux côté de Bérénice Bejo le rôle principal.
Pour autant, j’ai été sévèrement rebuté par la bande-annonce de cette Fête de famille, diffusée ad nauseam ces dernières semaines. Elle me donnait l’impression d’avoir déjà tout vu du film et d’en avoir épuisé les pauvres ressorts. Si besoin en était, mon manque d’attirance était encore refroidi par les critiques calamiteuses que le film recueillait.

Bien m’a pris de ne pas m’arrêter à ces a priori. Car Fête de famille, s’il n’est pas un chef d’œuvre inoubliable, est une honnête réussite. Certes, comme l’écrit ironiquement Première « Deneuve deneuve, Macaigne macaigne et Bercot bercotte ». Le cinéma français a un rythme de production tel que ses figures les plus bankables réapparaissent sur les écrans à des intervalles trop rapprochés pour ne pas finir par nous lasser. C’est le cas depuis très longtemps de Catherine Deneuve. C’est en train de le devenir pour Vincent Macaigne, qui devrait gagner en sobriété s’il ne veut pas devenir horripilant. C’est un reproche excessif pour Emmanuelle Bercot qui, dans le rôle de la fille prodigue et frappadingue, tire le mieux son épingle du jeu.

L’espace d’une journée, on regarde cette famille bourgeoise s’aimer et se déchirer, se disputer et se réconcilier, entre tendresse et cruauté, avec des confessions et des non-dits. On est ému ; on sourit. La direction d’acteurs est impeccable. Les scènes de groupe sont parfaitement chorégraphiées et d’un naturel étonnant. Le scénario maintient la tension jusqu’au bout. Que demander de plus ?

La bande-annonce

Liberté ☆☆☆☆

1774. Quelques nobles débauchés ont quitté la cour de Louis XVI. Ils ont trouvé refuge dans un duché allemand. 
À la nuit tombée, dans un bois éclairé par la lune, ils se réunissent pour se livrer à leurs vices.

Albert Serra est un réalisateur hors normes. Le Chant des oiseaux mettait en scène les Rois mages. Histoire de ma mort imaginait la rencontre de Dracula et de Casanova. La Mort de Louis XIV montrait un Jean-Pierre Léaud hiératique, cloué dans son lit, interpréter l’agonie du Roi-soleil face à une cour médusée. Ce dernier film avait suscité de ma part un coup de gueule. Sa lenteur surlignée, sa préciosité m’avaient horripilé.

Ce sont les mêmes défauts qu’on retrouve dans Liberté.
Son titre, pas vraiment subtil, a valeur de manifeste : ces débauchés qui forniquent plus ou moins joyeusement dans les sous-bois ne recherchent pas seulement l’assouvissement de leurs sens mais l’expérience d’une liberté vraie, débarrassée des carcans du temps.

On aimerait le croire ; mais c’est un autre spectacle qui nous est montré. Pendant plus de deux heures interminables, on voit, sans souci de continuité, une succession de scènes de sexe. Urolagnie, coprolalie, candaulisme, anulingus, l’avantage de Liberté est d’élargir notre vocabulaire (et je vous imagine, fidèle lecteur, en train de compulser avec gourmandise votre dictionnaire).

L’accumulation de ces scènes ne vise pas à exciter nos sens : Serra ne réinvente pas le porno. Elle ne vise pas un effet esthétique : les corps ne sont pas érotisés. Pénis détumescents, fesses flasques, la chair est montrée telle qu’elle est. Et elle n’est pas joyeuse. On cherche en vain une lecture genrée : Liberté peint-il l’humiliation de la femme ou au contraire son triomphe paradoxal (le soumis du couple SM n’étant, on le sait, pas toujours celui/celle qu’on croît) ?

L’accumulation de ces scènes ne sert à rien. Sinon peut-être à épuiser le spectateur. Le film aurait-il duré une heure de plus, il y serait mieux parvenu encore. Mais deux heures et douze minutes auront suffi à faire fuir la moitié des spectateurs.

La bande-annonce

Le Mariage de Verida ★☆☆☆

Verida va se marier. Ses parents en ont décidé. Son mariage aura lieu dans trois mois. Mais d’ici là, il lui faut prendre du poids : vingt kilos au moins pour atteindre les canons de beauté exigés par la société. Sa mère surveille son « gavage » et prépare à toute heure de la journée les viandes et les laitages que Verida doit ingurgiter.

La réalisatrice Michela Occhipinti vient du documentaire. C’est d’ailleurs un documentaire qu’elle projetait de réaliser à l’origine sur le gavage en Mauritanie. Le Mariage de Verida en porte la trace, qui a été tourné avec des acteurs amateurs et qui documente avec un souci quasi ethnographique la réaction des femmes à cette pratique d’un autre temps.

Le gavage des fiancées mauritaniennes est paradoxal dans un monde qui valorise plutôt la minceur des femmes que leur obésité. C’est le même paradoxe qui est à l’œuvre dans plusieurs régions du monde, et notamment en Mauritanie où les femmes noires sont minorisées par rapport à la majorité maure, où certaines cherchent à s’éclaircir la peau, alors que les femmes occidentales sont obsédées par leur bronzage.
Dans tous les cas, il s’agit d’une alinéation du corps des femmes, obligées à se soumettre à un diktat qu’elles n’ont pas choisi. L’aliénation dont est victime Verida ne concerne d’ailleurs pas son seul corps – qu’elle est contrainte de couvrir même la nuit « afin que les anges ne la voient pas » lui dit sa mère. Lui est dénié le droit de choisir son mari, quand bien même elle n’est pas insensible au charme du jeune homme qui, chaque matin, lui amène le pèse-personnes censé enregistrer ses progrès.
Michela Occhipinti ne situe pas son histoire dans une bourgade provinciale aux mœurs arriérés mais au cœur d’une grande ville, dans la classe moyenne (Verida travaille dans le cabinet d’esthéticienne de sa grand-mère et fréquente sans contrainte des amies libérées). Histoire de montrer que le gavage ne relève pas d’un folklore tribal mais bien d’une pratique usuelle.

Le titre original du film est plus évocateur encore : Il corpo della sposa (« Le Corps de l’épouse ») en italien et Flesh out (littéralement « toutes chairs dehors ») dans sa version destinée à l’export. Spectateurs nauséeux s’abstenir ! Les platées de nourriture que doit avaler la malheureuse Verida ont de quoi soulever le cœur.

Le sujet du film fera donc l’unanimité et émouvra les femmes et les hommes, les féministes et les autres. Mais son traitement laisse à désirer. La mise en scène voit alterner métronomiquement les scènes où Verida mange et celles où elle discute avec ses amies. Le suspense est tendu par une question binaire : se rebellera-t-elle ou pas ? Quand la réponse arrive, après une heure et trente-quatre minutes, on s’en est désintéressé. Désolé…

La bande-annonce

Les Hirondelles de Kaboul ★★★☆

Kaboul. 1998. Les talibans tiennent la ville et imposent leur loi d’airain.
Mohsen et Zunaira se sont rencontrés à l’université avant que Kaboul tombe aux mains des talibans. Il se destinait à enseigner l’histoire, elle le dessin. Mais l’ordre nouveau caparaçonne Zunaira derrière son tchadri opaque et étouffant et interdit à Mohsen d’enseigner l’histoire sans l’accommoder aux préceptes de l’islam.
Atiq et Mussarat forment un autre couple, plus âgé. Atiq est un ancien moudjahid qui a combattu l’URSS et qui est devenu gardien de prison. Sa femme se meurt d’un cancer.

Kaboul est donc la capitale de l’Afghanistan. Les talibans en ont été délogés en octobre 2001 pour avoir prêté main forte aux attentats du 11-septembre.  Bizarrement, le cinéma a tardé à s’emparer de leur histoire, souvent en adaptant des romans écrits quelques ans plus tôt : Les Cerfs-volants de Kaboul (sorti en 2007 et adapté du best-seller de Khaled Hosseini), Syngue Sabour (sorti en 2012 et tiré du Goncourt 2008 de Atiq Rahimi), Parvana (sorti en 2018 et inspiré du roman pour la jeunesse de Deborah Ellis). Ce dernier, un dessin animé lui aussi, qui met en scène une jeune fille obligée de se travestir pour faire survivre sa famille dans les rues de Kaboul, n’est d’ailleurs pas sans ressemblance avec le film d’animation co-signé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec.

Les Hirondelles de Kaboul est l’adaptation d’un roman de Yasmina Khadra sorti en 2002. Je l’avais lu en son temps et n’en avais pas gardé un souvenir impérissable. Les romans de Yasmina Khadra, bien qu’ils jouissent d’une grande popularité, ne m’ont jamais enthousiasmé : je les trouve excessifs, boursouflés de bons sentiments, frisant la démagogie à force de tire-larmisme.

Il a fallu plus de quinze ans pour le porter à l’écran. Zabou Breitman avait, au départ, l’idée d’en faire un film. Elle y a renoncé devant l’ampleur du projet (on imagine aisément que filmer une exécution capitale dans un stade de football ne doit pas être simple). Bien lui en prit ; car les aquarelles de Eléa Gobbé-Mévellec, qui avait déjà signé celles de Ernest et Célestine, font justice au texte. Mais elle a filmé les acteurs en costumes pour en tirer des cartons. On retrouve non seulement la voix de Swann Arlaud (Mohsen), de Zita Hanrot (Zunaira) de Simon Abkarian (Atiq) et de Hiam Abbass (Mussarat ) mais aussi leurs traits étonnamment fidèles.

L’histoire des Hirondelles, réduite à son squelette, a l’épaisseur d’une longue nouvelle. Le film, qui dure 1h20 à peine, en a aussi la durée. Il en a aussi la puissance, même si on en devine un peu trop vite le ressort. Si on craint dans la première moitié du film l’ennui, l’émotion nous prend dans la seconde jusqu’à un épilogue, mélodramatique et inéluctable, que le dernier plan nimbe d’une lueur d’espoir.

La bande-annonce