L’Oubli que nous serons ★☆☆☆

Héctor Abad Gómez (1921-1987) fut professeur de médecine à l’Université d’Antioquia à Medellín. Il y fonda l’École nationale de santé publique et y œuvra, sa vie durant, pour l’amélioration de la qualité de vie des plus pauvres et la défense de leur santé. Ses prises de position progressistes lui valurent l’hostilité des autorités et l’obligèrent plusieurs fois à s’exiler. Retraité de la Faculté de médecine, il s’engagea à la fin de sa vie en politique et brigua la mairie de Medellín.
Héctor Abad eut six enfants : cinq filles puis un dernier fils qui, en 2006, raconta son enfance dans une autobiographie. C’est ce best-seller que le célèbre réalisateur colombien Fernando Trueba a porté à l’écran en 2020.

L’Oubli que nous serons – un titre curieux emprunté à un vers de Borges dont le sens s’éclairera à la dernière scène du film – raconte la vie d’une famille colombienne de la bourgeoisie aisée dans les 70ies. La référence qui vient immédiatement à l’esprit est Roma, le film autobiographique multi-primé d’Alfonso Cuarón. Le film en couleurs de Fernando Trueba en serait en quelque sorte le pendant ensoleillé, sans divorce traumatisant, ni grossesse ancillaire.

Mais c’est précisément avec ce trop-plein de bienveillance que le bât blesse. Le film – j’ignore si le livre encourt le même reproche – vire à l’hagiographie. À force de vouloir ériger la statue de « [s]on père, ce héros au sourire si doux », le fils de Héctor Abad – lui même prénommé Hector ce qui laisse augurer le pesant complexe d’Œdipe dont il eut à se défaire – en fait trop. Le film de plus de deux heures aurait pu s’épargner quelques longueurs et quelques scènes embarrassantes, telles que celle où le héros surprend les premières caresses solitaires de son fils et y réagit avec humour et intelligence.

Que Héctor Abad fut un grand homme et un père admirable, nul ne se permettrait de le contester, et moi pas plus que quiconque. Que la nostalgie et l’admiration que son souvenir inspire fassent ipso facto un bon film reste pour autant à démontrer.

La bande-annonce

Indes galantes ★★★☆

En 2017, sur la foi d’une courte vidéo de six minutes interprétée par des danseurs de Krump, le jeune plasticien Clément Cogitore fut choisi par l’Opéra de Paris pour monter les Indes galantes. Il fit un pari audacieux : mêler le hip-hop au baroque. De l’opéra de Rameau, datant de 1735, hymne au « Bon Sauvage », il opta pour une interprétation radicale : mettre en scène une jeunesse cosmopolite, dansant sur un cratère en ébullition, partant à l’assaut de la Bastille. Le spectacle fut ovationné ; l’accueil critique fut plus tiède.
Le making of de Philippe Béziat raconte son montage, du casting des danseurs jusqu’au triomphe de la première.

Les critiques de la pièce avaient, non sans raison, pointé ses défauts : sa longueur (trois heures), la présence souvent embarrassée et immobile des danseurs sur la scène, la surenchère parfois gratuite des décors et des costumes.

Tous ces défauts sont gommés dans ce documentaire qui ne retient que la formidable créativité de ces jeunes artistes et l’énergie débordante qui les anime. On partage l’enthousiasme de ces danseurs qui, souvent pour la première fois de leur vie, pénètrent dans un lieu qu’ils croyaient leur être interdit, domaine hors de prix de l’entre-soi et de la reproduction sociale. On partage leur éblouissement devant l’immensité de la scène, l’énormité du plateau technique, le luxe des costumes dans lesquels ils ont le privilège de se glisser. On s’attache aux différents personnages qui composent cette troupe hétéroclite : le metteur en scène Clément Cogitore, la chorégraphe Bintou Dembélé, le chef d’orchestre Leonardo Garcia Alarcon et son ensemble Cappella Mediterranea.

Le documentaire, comme l’opéra lui même, se termine en apothéose avec la fameuse « Danse du Grand Calumet de la Paix exécutée par les Sauvages ». Cette chaconne nous accompagne longtemps hors de la salle, son rythme saccadé et le talent de sa mise en scène.

La bande-annonce

Il n’y aura plus de nuit ★☆☆☆

Philosophe de formation, la documentariste Éléonore Weber a glané sur YouTube des images de guerre déclassifiées filmées sur des théâtres d’opérations exterieures (Afghanistan, Irak, Sahel…) depuis des hélicoptères américains ou français. La voix off de Nathalie Richard les commente.

En 2014, l’excellent Andrew Niccol réalisait Good Kill, une fiction dans laquelle Ethan Hawke interprétait le rôle d’un pilote de drone américain, passant des heures derrière son joystick, sur une base américaine du Nevada, effaçant quelques cibles, avant d’aller benoîtement chercher ses enfants à l’école à la fin de ses heures de service. Cette fiction soulignait, mieux que n’importe quel documentaire, la transformation de la guerre moderne en jeu video, la déréalisation du théâtre d’opérations, le déséquilibre des forces en présence et les questions éthiques qu’ils soulèvent.

Le documentaire de Éléonore Weber traite le même sujet. Il a le mérite de le faire avec des images « vraies », celles muettes, gris blanc, captées par les caméras thermiques embarquées à bord. Pendant quelques minutes, le temps de la bande annonce voire celui du premier quart du film, elles produisent un effet fascinant, accru par la voix off hypnotisante de Nathalie Richard. On essaie de se repérer, d’évaluer les distances, de distinguer les cibles, en évitant, comme les tireurs, les « bavures » : cette silhouette est-elle celle d’un paysan qui porte un râteau ou d’un moudjahidine brandissant une kalashnikov ? Mais bien vite l’ennui s’installe.

Car Il n’y aura plus de nuit souffre d’un défaut rédhibitoire : son absence de scénario. Il n’y a aucune progression dans ce film. Un seul point de vue nous est montré et répété ad libitum. La succession des séquences ne dessine aucune structure, n’articule aucun récit. Éléonore Weber aurait pu en montrer le double ou la moitié sans que l’équilibre de son documentaire en soit modifié. Reconnaissons lui le mérite de s’être borné à soixante-quinze minutes seulement.

La bande-annonce

La Nuée ★★☆☆

Jeune veuve, Virginie (Suliane Brahim) s’occupe seule de sa fille et de son fils. Dans une ferme du Lot-et-Garonne, cette jeune agricultrice écoresponsable élève non sans mal des sauterelles dont elle tire une farine hyper-protéinée destinée à l’alimentation animale. Mais sa production n’est pas suffisante pour couvrir ses coûts. Tout change lorsque Virginie découvre par hasard que ses bêtes, trop peu charnues, enregistrent une croissance monstrueuse si on les nourrit avec du sang. Prête à tout pour sauver son exploitation, Virginie se lance dans une surenchère productiviste.

Pour son premier long-métrage, le jeune réalisateur Just Philippot réussit un pari audacieux : mélanger drame rural et film fantastique. Le drame rural, c’est celui que vit Virginie (formidable Suliane Brahim, pensionnaire de la Comédie-Française, dont la ressemblance avec Charlotte Gainsbourg est troublante), façon Petit Paysan. Comme le héros du film multi-primé de Hubert Charuel, Virginie ne réussit plus à joindre les deux bouts au point d’en perdre son équilibre mental et de mettre en danger ses enfants que pourtant elle adore. Elle ignore la main tendue par son voisin, Karim (Sofian Khammes), un vigneron débrouillard secrètement amoureux d’elle et préfère se lancer seule dans un engrenage dangereux.

Le film fantastique, c’est celui qu’annoncent le titre et l’affiche. Il aura fait fuir tous les entomophobes (le mot du jour !), chez qui araignées et cafards provoquent une peur panique. La Nuée serait pour eux une rude épreuve – il est d’ailleurs interdit aux moins de douze ans – qui filme en gros plans ces insectes normalement phytophages, mais qui peuvent parfois devenir prédateurs. Moins réussis, sans doute faute de moyens, les plans larges de nuées de sauterelles que, dans une veine hollywoodienne un peu racoleuse, nous laissait augurer le titre.

Le premier film de Just Philippot fait mouche (humour Télérama). Il nous rappelle Grave, dont il partage la profondeur psychologique et la dérangeante obsession de la chair. Mais il souffre d’un scénario trop lâche qui échoue à installer et à maintenir la tension. On y comprend trop vite qui est le pire monstre du film et on assiste, sans réellement s’y passionner, à son inexorable dérive jusqu’à une conclusion trop convenue qui achève de nous décevoir.

La bande-annonce

5ème set ★★★☆

Thomas Edison (Alex Lutz) a été un jeune prodige du tennis plein d’avenir comme ce sport en connut tant. Mais après avoir échoué d’un cheveu à se qualifier en finale de Roland-Garros en 2001, il a plongé dans les profondeurs du classement ATP. Aujourd’hui, à près de trente-huit ans, marié à Ève (Ana Girardot), une ex-championne de tennis elle aussi, père d’un petit garçon, il vivote grâce à quelques maigres cachets et quelques cours particuliers.
Malgré son âge, il n’a pas renoncé à la compétition. Le tournoi de Roland Garros 2019 lui donnera peut-être l’occasion d’un ultime baroud d’honneur. Mais, il lui faut d’abord franchir les trois tours des qualifications avant d’affronter une jeune gloire montante du tennis français, Damien Thosso.

Le tennis est un sport extrêmement télégénique. Qui n’a pas passé des heures cloué devant son poste à regarder une finale de Grand Chelem ? Pourtant, les films sur le tennis sont rares : Borg/McEnroe raconte la rivalité qui opposa les deux stars au jeu si dissemblable et qui culmina lors de la finale de Wimbledon de 1980, Battle of the Sexes évoque, autour de la figure de Billie Jean King (interprétée par Emma Stone), le tennis féminin des 70ies et sa quête laborieuse de légitimité. On peut rajouter à cette liste bien courte deux documentaires récents : L’Empire de la perfection en 2018 et Guillermo Vilas : Un classement contesté en 2020.

Ce que réussit à merveille 5ème set est précisément de recréer l’ambiance électrique qui entoure une balle de match, le silence autour du court, la fébrilité anxieuse qui précède le point décisif. On tremble devant ce film, comme on tremble devant un match, les paumes moites de l’adrénaline qu’il déclenche. Le jeune réalisateur Quentin Reynaud sait y faire : il fut lui-même un bon joueur de club avant d’abandonner sa carrière sur blessure. Il place sa caméra sur le cours, juste derrière l’épaule des joueurs, nous donnant des angles de vue que les retransmissions classiques n’offrent pas. Le jeu y devient plus rapide, plus physique, plus âpre : les balles fusent, la terre battue gicle, les joueurs ahanent…

Le film est porté à bout de bras par Alex Lutz. On connaissait son immense talent depuis sa composition dans Guy qui lui valut en 2018 le César du meilleur acteur. Il n’avait jamais touché une raquette de tennis avant ce film et nous donne l’impression étonnante de posséder un niveau professionnel (trucage ? angle de caméra ?). Face à sa femme, face à sa mère, il incarne l’obstination têtue du sportif en fin de carrière qui n’accepte pas de raccrocher.

Le film se termine sur un plan surprenant. Comment l’interprétez-vous ?

La bande-annonce

Sans un bruit 2 ★★☆☆

Qu’est-il arrivé de la famille Abbot après l’accouchement de Evelyn et la mort de Lee ?

J’avais mis quatre étoiles à Sans un bruit. Je l’avais même élu meilleur film de l’année 2018 – une année, il est vrai, marquée par l’absence de chefs d’œuvres inoubliables (comment pouvait-on imaginer arriver à la cheville de La La Land sorti l’année précédente ?!). J’en avais fait une critique dithyrambique. J’y résumais ainsi son intrigue : dans un monde apocalyptique dévasté par des monstres hyperaccousiques, une famille parvient à survivre en étouffant tous ses bruits. J’y expliquais ce qui m’avait tant plu : l’intelligence d’un scénario sans temps mort.

Sans un bruit avait eu un tel succès qu’une suite était inévitable. Jadis, les suites étaient paresseusement numérotées 1, 2, 3…. puis la mode a changé et les producteurs imaginent de multiples déclinaisons (les Mission impossible 4, 5 et 6 ont pour titre Protocole Nation, Rogue Nation et Fallout). Ceux de ce Sans un bruit 2 semblent avoir renoué avec les vieilles habitudes.

Cette suite fut immédiatement mise en chantier. Le tournage en fut bouclé dès l’été 2019 et la sortie mondiale aurait dû avoir lieu en mars 2020. Mais la pandémie la repoussa. Vous en souvenez-vous ? Pendant trois mois, les bus parisiens ont circulé, aux trois quarts vides, les flancs estampillés de son affiche. C’est seulement quinze mois plus tard que ce film tant attendu trouve enfin le chemin des salles.

Aussi grand que fut le plaisir pris au premier tome et qu’est celui de retrouver des personnages et des situations qu’on a particulièrement aimés, cette suite déçoit. On la regarde sans parvenir à s’ôter de l’idée qu’elle n’était pas indispensable et qu’elle n’aurait pas été tournée sans les 340 millions de recettes engrangées par Sans un bruit. Le film, qui se terminait par la mort de son personnage principal n’appelait d’ailleurs pas de suite. John Krasisinki, qui l’interprétait, et qui signe aussi la réalisation, s’est donc effacé au profit de Cillian Murphy – le héros au regard magnétique de Peaky Blinders – dont un long flashback, qui recycle quelques plans du premier film, doit expliquer le statut. Il s’impose en père de substitution à Regan (Millicent Simmonds), la fille malentendante du couple dont l’implant cochléaire et les ultrasons qu’il émet mettent en déroute les créatures.

Il serait injuste de trouver à redire à ce film dont quelques scènes épiques nous clouent à notre fauteuil. Pour autant, l’effet de surprise est dissipé et le plaisir pris à la découverte de Sans un bruit a disparu.

La bande-annonce

Seize printemps ★★★☆

Suzanne a seize ans et Suzanne s’ennuie. Elle vit à Paris avec ses parents et sa sœur cadette dans un appartement cossu d’un immeuble bourgeois sur la butte Montmartre. De ses camarades, elle ne partage ni les joies ni les peines.
Son cœur s’emballe en croisant, sur le chemin du lycée, devant le théâtre de l’Athénée, un acteur. Arnaud a le double de son âge. Entre la jeune fille et le bel acteur, le coup de foudre est immédiat et réciproque.

Il y a deux façons de critiquer le premier film de Suzanne Lindon. Une très méchante et l’autre très gentille.

La très méchante se moquera du sujet archi-rebattu de ce film. Les émois d’une jeune fille en fleurs ont en effet déjà été filmés sous toutes les coutures : Bonjour tristesse (Suzanne partage avec Cécile, l’héroïne du roman de Sagan adapté par Preminger, une maturité curieuse), La Boum (elle est comme Vic une adolescente rieuse élevée dans un milieu aimant), Diabolo menthe (Suzanne consomme avec un charme désuet des diabolos grenadine), À nos amours (Dominique Besnehard, qui joue un second rôle dans Seize printemps, y faisait ses débuts d’acteur et Suzanne en conserve dans sa chambre un poster), L’Effrontée (avec Charlotte Gainsbourg, une autre enfant de stars)… la liste est longue et cette généalogie pesante à qui prétendrait y ajouter sa trace.

Le critique malveillant évoquera une autre généalogie : celle de la réalisatrice, fille de Vincent Lindon et de Sandrine Kimberlain, dont elle a hérité de la silhouette interminable et de la démarche girafique. Son film aurait-il pu être financé, tourné, sélectionné à Cannes en 2020, distribué en salles, si quelques bonnes fées ne s’étaient pas penchées sur son berceau, s’interrogera-t-il fielleusement. Et le critique malveillant de pointer, au surplus, le contrat qui unit la jeune actrice-réalisatrice à Chanel dont elle porte avec une élégante décontraction les dernières créations streetwear.

Le critique bienveillant avait bien sûr cette généalogie en tête en entrant dans la salle. Mais il ne l’a pas laissé hypothéquer l’opinion qu’il était en train de se faire du film qu’il regardait. Bien sûr, s’il avait été raté, il en aurait fait un argument à charge supplémentaire pour l’assassiner. Mais, que diable ! On a le droit d’être fils ou fille de stars ET d’avoir du talent !

Tel est le cas de Suzanne Lindon dont le film m’a touché.
Certes, son sujet n’est guère innovant sinon passablement casse-gueule. mais la façon dont elle le traite est juste et sensible.
Il n’y a rien de gras dans ce film de soixante-quatorze minutes à peine. Aucun rebond dramatique, aucune tension familiale. On est loin de Pialat et de ses hystéries à huis clos. Car Suzanne est une fille équilibrée. Elle entretient avec ses parents une relation confiante et complice. Elle sort de l’enfance et vit ses premiers émois amoureux avec un mélange terriblement contemporain d’ingénuité et de maturité.
Suzanne Lindon se concentre sur son sujet et le traite sans s’en écarter, au risque assumé de l’insignifiance. Elle le fait en usant d’un artifice charmant : celui de la comédie musicale avec l’insertion de trois chorégraphies très réussies. Seule ou en duo, Suzanne Lindon y danse sur la musique de Christophe ou de celle, bouleversante, du Stabat Mater de Vivaldi. C’est encore elle qu’on entend chanter le générique de fin sur une musique originale de Vincent Delerm.

Rempli de préjugés en rentrant dans la salle, j’en suis ressorti charmé et transporté par la grâce de ce film touchant qui a ressuscité le vert paradis de mes amours enfantines.

La bande-annonce

Médecin de nuit ★★★☆

Mikaël (Vincent Macaigne) est médecin de nuit à Paris. Chaque nuit, à bord de sa Volvo hors d’âge, sa lourde sacoche vissée au bras, il sillonne les rues de Paris pour soigner les malades et apaiser les crises d’angoisse.
Mais Mikaël est un homme divisé, moins lisse qu’il n’y paraît. S’il chérit ses deux fillettes et reste attaché à Sacha, leur mère (Sarah Le Picard), il entretient une liaison fusionnelle avec Sofia (Sara Giraudeau), une jeune doctorante en pharmacie dont son bouillonnant cousin Dimitri (Pio Marmaï), avec qui Mikaël a grandi, va pourtant demander la main.
Plus grave : à la demande de Dimitri, Mikaël a accepté de participer à un trafic de fausses ordonnances qui risque de mal tourner.
Une nuit vient où Mikaël, sentant la catastrophe approcher, décide de remettre de l’ordre dans sa vie.

Elie Wajeman est un jeune réalisateur français que j’ai eu la chance d’écouter brillamment présenter son film. Médecin de nuit est sa troisième réalisation après Alyah en 2012 (où Pio Marmaï – déjà – interprétait un personnage qui, comme Vincent Macaigne devait, l’espace d’une nuit, trancher un choix cornélien) et Les Anarchistes en 2015. L’intelligence avec laquelle il en parle, les détails qu’il fournit sur son inspiration et sur les questions qu’il s’est posées durant le tournage et la façon dont il y a répondu, m’ont conduit à reconsidérer mon opinion sur un film auquel je n’aurais peut-être pas spontanément accordé trois étoiles.

Elie Wajeman reconnaît volontiers les dettes nombreuses que son cinéma a contractées. Des dettes à l’égard du cinéma noir américain du Nouvel Hollywood : Mean Streets de Martin Scorsese, La nuit nous appartient de James Gray. Mais des dettes aussi à un cinéma français plus ancien : celui qui, dans les années cinquante, filmait Pigalle et sa pègre (Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, Bob le flambeur de Jean-Pierre Melville). À ce cinéma, il a emprunté ses galeries de personnages archétypaux, ses ambiances nocturnes, son unité de temps et son sens du tragique.

Le cinéma de Elie Wajeman n’en demeure pas moins profondément contemporain. C’est, avec un amour palpable, le Paris du dix-neuvième arrondissement qu’il filme, ses longues avenues sans âmes qui scintillent sous la pluie froide d’un hiver rigoureux, sa faune interlope.

Le film est porté à bout de bras par Vincent Macaigne. Elie Wajeman raconte qu’il avait été écrit pour un autre acteur – dont il ne dévoile pas le nom. On peine à le croire tant son interprète s’est glissé à la perfection dans le rôle.
On le connaissait pour ses interprétations, un brin répétitives, de quarantenaires barbus et gentiment paumés, dans des comédies françaises d’avant-garde, plus ou moins réussies.
Son potentiel dramatique éclate avec ce film noir, minéral, sans humour. Il joue, avec une subtilité qu’on ne lui imaginait pas, un personnage sur la brèche, hésitant face à plusieurs choix, professionnels et familiaux. Le scénario laisse ouvert plusieurs perspectives. Sa conclusion est un modèle du genre, offrant l’occasion de débats enflammés à la sortie de la salle. On a demandé à Elie Wajeman le sens de ce dernier plan. Il nous a répondu. Sa réponse en mp…..

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Les 2 Alfred ★★★☆

Alexandre (Denis Podalydès) est un has been. La cinquantaine bien entamée, les comptes dans le rouge, il élève seul ses deux enfants en bas âge depuis que sa femme, sous-marinière, l’a quitté. Ouvrier typographe, il n’a pas les compétences qu’un marché du travail de plus en plus compétitif, recherche. Sur un malentendu, The Box, une start-up, l’embauche. Mais il est à craindre que le malheureux Alexandre ne résiste pas longtemps aux méthodes managériales ultra-modernes de Aymeric (Yann Frisch), son patron, et de Séverine (Sandrine Kiberlain), sa supérieure hiérarchique. D’autant que la start-up interdit à ses salariés – en flagrante violation du Code du travail – d’avoir des enfants. C’est sans compter sur la rencontre providentielle que fait Alexandre, à la crèche de son cadet, de Arcimboldo (Bruno Podalydès), roi de la débrouille.

J’ai eu la dent dure, la semaine passée avec quelques films auxquels j’ai reproché d’être « vieillots », tournés par des réalisateurs essorés avec des acteurs qu’on a trop vus. Spontanément, sans en rien connaître, c’est typiquement le genre de reproche qu’on pourrait adresser au neuvième film écrit et réalisé par Bruno Podalydès, soixante ans tout rond, qui, comme dans tous les autres, offre à son frère cadet la tête d’affiche et à Michel Vuillermoz et Isabelle Candelier, ses amis de toujours, des rôles secondaires

Un film écrit et réalisé par Denis Podalydès, avec Bruno et Denis Podalydès et Sandrine Kiberlain ?! Quel ennui ! D’ailleurs la foule qui s’est pressée à son avant-première dimanche est grisonnante – pour ceux des spectateurs qui ont encore des cheveux.
Eh bien non !! (en fait si : les spectateurs étaient vraiment aussi vieux que je le dis)

Les 2 Alfred réussit à nous surprendre par une légèreté qu’on n’escomptait pas. Pourtant, le cinéma des frères Podalydès se caractérise précisément par une fantaisie, une légèreté qu’ils parviennent à renouveler de film en film. J’avoue que je l’ai souvent trouvé un peu futile :  Bécassine ! ou Comme un avion m’avaient laissé un goût d’inachevé.
Mais Les 2 Alfred m’a transporté au point que j’ai hésité à lui attribuer le graal des quatre étoiles.

J’y ai vu d’abord une critique assez efficace des tics de notre société, de son jeunisme, de ses modes de management faussement cools.
J’y ai souri, souvent, à des situations ironiques qui sans déclencher le fou rire de certaines comédies françaises (je pense au Discours par exemple) fonctionnent par leur intelligence et leur drôlerie.
Et enfin, j’ai été submergé par la bienveillance et la gentillesse de ce cinéma. Le feel-good-movie est un genre qui, souvent, à force de sucreries mielleuses et de situations tire-larmistes, suscite le malaise. On en est loin avec ces 2 Alfred qui, sans l’ombre de la moindre démagogie, réussit tout simplement à nous faire sentir bien. Merci 🙂

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The Last Hillbilly ☆☆☆☆

Le couple de documentaristes français Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou est allé filmer au cœur des Appalaches, le dernier des « hillbillies ». L’idiotisme signifie « plouc », bouseux ». Pour les Américains, et pour le reste du monde depuis Delivrance de Boorman, les habitants de ces montagnes reculées sont des rednecks, des péquenauds arriérés, des dégénérés consanguins et analphabètes, racistes et trumpistes. L’injure a été reprise à son compte par Brian Ritchie, le héros de ce documentaire, qui retourne les stéréotypes dont sa communauté est affublée. Il explique son histoire. Il décrit sa géographie.

Ainsi présenté, The Last Hillbilly a l’air passionnant.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis allé le voir, la semaine de sa sortie, malgré un agenda très embouteillé.
Mais quels ne furent ma déception et mon ennui devant le résultat : une longue élégie nébuleuse, qui refuse le 16:9 que les paysages grandioses des Appalaches auraient pourtant mérité (les auteurs s’en justifient en expliquant qu’ils ont voulu « casser les codes »), qui colle aux pas de son héros frappadingue qui déclame des strophes hallucinées en regardant le soleil se coucher ou qui, dans une scène malaisante, tente de transmettre ses valeurs à ses enfants sous emprise.
The Last Hillbilly ne dure qu’une heure et vingt minutes ; et j’ai pourtant trouvé le temps bien long.

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