Le Discours ★★★☆

Adrien (Benjamin Lavernhe), la trentaine, passe la soirée chez ses parents. Il écoute, navré, la conversation qui roule entre son beau-frère qui pérore (Kyan Khojandi), sa sœur qui opine à tout (Julia Piaton), son père qui répète ad nauseam les mêmes histoires (François Morel) et sa mère qui s’apprête à servir son sempiternel gâteau au yaourt (Guilaine Londez que je m’entête à confondre avec Ariane Ascaride).
Mais Adrien a la tête ailleurs. À 17h24 il a envoyé un SMS à Sonia, son amoureuse (Sara Giraudeau) qui, depuis trente-huit jours, a suspendu leur relation. Miné par l’attente impatiente de sa réponse, Adrien prête une oreille distraite à la discussion générale et laisse son esprit vagabonder. Cerise sur le gâteau : son beau-frère et sa sœur lui demandent de faire un discours à leur mariage.

Le célèbre bédéiste Fabcaro, auteur de Zaï, zaï, zaï, zaï, a magistralement réussi son passage au roman en 2018. Le succès du Discours fut immédiat. En tête des ventes de romans, et bientôt en tête de celle des poches, ce court monologue dans l’air du temps trouvait immédiatement son public. Les déboires d’Adrien, la drôlerie avec laquelle ils étaient racontés suscitaient le rire et l’émotion d’un vaste lectorat qui en redemandait et allait accueillir, deux ans plus tard, avec autant de gourmandise, Broadway, le roman suivant de Fabrice Caro.

Laurent Tirard ne courait pas grand risque en prenant les rênes de son adaptation. Le réalisateur du Petit Nicolas (et de sa suite dispensable), abonné aux succès grand public, a sagement choisi de rester fidèle au roman. Il ne s’en éloigne pas d’une ligne. Il adopte dès la première scène, volontiers brechtienne, les codes du one man show. Il a eu le nez creux de confier le rôle principal à Benjamin Lavernhe, sociétaire surdoué de la Comédie-Française, qu’on a déjà souvent vu à l’écran, dans Le Sens de la fête ou Antoinette dans les Cévennes, et qui explose en tête d’affiche. Cette fidélité constitue-t-elle la principale qualité ou le plus gros handicap de ce film ?

Un esprit primaire comme le mien déroule un syllogisme en apparence implacable :
1. Le Discours est un très bon livre
2. Le film est son adaptation fidèle
Donc 3. Le film ne peut qu’être réussi
Mais un esprit beaucoup plus subtil pourrait, non sans motifs, contester ce syllogisme sans même en remettre en cause les deux prémisses. Quel intérêt, soutiendra-t-il, y a-t-il à adapter à la lettre un livre réussi ? Où est la valeur ajoutée ? Aucun effet de surprise pour ceux qui ont lu le livre et qui anticipent chaque scène dont ils connaissent par avance la chute (ainsi, pour la plus drôle à mon sens, de « l’arbre à souhaits »). Quant à ceux qui ne l’ont pas lu, il faudrait plutôt leur conseiller d’aller voir le livre – et d’aider les librairies, commerces ô combien essentiels dont on a trop protesté de la fermeture inique pour les bouder une fois qu’elles sont rouvertes – que d’en voir le duplicata au cinéma.

Mon esprit primaire concède volontiers ce point à cet esprit subtil.
Pour autant, j’ai pris autant de plaisir à la lecture du livre qu’au visionnage du film. J’ai (beaucoup) ri ; j’ai (souvent) souri ; j’ai (toujours) été touché. Et qui hésiterait encore à la dernière seconde du film se laissera définitivement emporter par le tube italien des 80ies Sarà perché ti amo qui accompagne le générique. Si vous ne vous en souvenez pas, you-tubez le subito…. il ensoleillera votre journée !

La bande-annonce

17 Blocks ★★★☆

En 1999, le jeune documentariste Davy Rothbart rencontre sur un terrain de basket de Washington Smurf Sanford, quinze ans, et son petit frère, Emmanuel, neuf ans à peine. Il fait bientôt la connaissance de Cheryl, leur mère, et de Denice, leur sœur, filme la famille, prête à Emmanuel un caméscope et le laisse filmer à son tour quelques images. Pendant vingt ans, avec de longues ellipses, Davy Rothbart gardera le contact avec les Sanford. Des mille heures de rush qu’il a accumulés, il a tiré 17 Blocks.

17 blocs d’immeubles : c’est la distance qui sépare le Capitole, siège du Congrès américain, de ce terrain de basket où Davy Rothbart rencontre Smurf et Emmanuel. Washington est une ville profondément ségrégée. À l’ouest les immeubles fédéraux : le Capitole, la Maison-Blanche, les bâtiments de l’administration ; à l’est, une ville noire et pauvre où la violence fait rage. La frontière passait jadis en face du Capitole. Gentryfication aidant, elle recule lentement mais n’a pas disparu.

Sur le modèle de Boyhood – mon film préféré en 2014 – ou d’Adolescentes, 17 Blocks tente le pari réussi de la longue durée, filmant sur près de vingt ans l’évolution des membres d’une famille. Sacré pari artistique dans lequel Davy Rothbart s’est lancé sans savoir sur quoi il déboucherait !

Son documentaire au long cours a-t-il pour sujet une famille afro-amérciaine exemplaire ? On l’ignore faute de contextualisation. Toujours est-il que son histoire n’est pas gaie. La mère, Cheryl, élève seule, ses trois enfants. Éduquée dans la classe moyenne, elle n’a jamais réalisé ses rêves de jeune fille (elle espérait devenir actrice ou mannequin) et, cause ou conséquence ? a sombré dans la drogue. Smurf le fils aîné a très tôt abandonné l’école pour dealer. Denice la cadette est mieux socialisée, même si elle doit élever seule Justin et Faith, les deux enfants qu’elle a eus d’un père aux abonnés absents. C’est Emmanuel qui semblait le plus équilibré de la famille. Bon élève, le bac en poche, aspirant à devenir sapeur-pompier, fiancé à Carmen, il est tué en 2009 par deux voyous qui venaient demander des comptes à son frère aîné. Le drame jette une ombre ineffaçable sur la vie des Sanford.

La multiplication des avanies qui s’abattent sur chacun des membres de cette famille est bien lourde. Dans une oeuvre de fiction, on la jugerait volontiers artificielle voire plombante. Mais la vie des Sanford est hélas bien réelle. Dans un mouvement de balancier typiquement américain et marqué par un optimisme indécrottable, la suite de 17 Blocks montrera comment ce drame, loin de détruire cette famille, va au contraire la ressouder, l’obliger à un sursaut salvateur : Cheryl entreprend avec succès une cure de désintoxication, Smurf évite de justesse une lourde peine contre la promesse de se réinsérer, Denice trouve un emploi dans la police. Là encore, une rédemption aussi vertueuse sonnerait faux dans un film. On la jugerait outrée, caricaturale. Mais telle est la vie des Sanford que Davy Rothbart veut nous montrer en exemple.

L’affiche du film annonce prétentieusement : « Un portrait de l’Amérique de Bush à Trump ». La promesse est ambitieuse. Elle n’est pas tenue. 17 Blocks ne fait pas le portrait de l’Amérique. Elle raconte l’histoire d’une famille afro-américaine résiliente. Et c’est déjà beaucoup.

La bande-annonce

200 mètres ★★☆☆

200 mètres, c’est l’espace qui sépare la maison de Mustafa à Tulkarm en Cisjordanie de l’appartement où vivent sa femme et ses trois enfants, de l’autre côté du mur, en Israël. Chaque jour, Mustafa le franchit pour aller travailler en Israël, supportant sans broncher la longue attente aux checkpoints et les procédures humiliantes de sécurité. Mais chaque nuit, il en est réduit à faire clignoter le lampadaire de sa terrasse pour communiquer avec sa famille.
Cette routine épuisante connaît toutefois un loupé le jour où le fils aîné de Mustafa est gravement accidenté côté israélien. Faute d’avoir fait renouveler à temps ses papiers, Mustafa est bloqué au checkpoint. Pour rejoindre sa famille, il doit se résoudre à solliciter l’aide de passeurs. Avec trois autres passagers, le voici entraîné dans un voyage dangereux dont il aurait volontiers fait l’économie.

La frontière est un lieu éminemment cinématographique. Les VIIèmes rencontres Droit et cinéma de La Rochelle en juin 2014 lui consacraient d’ailleurs un séminaire. On y montrait que leur franchissement et la tension dramatique qu’il provoquait avait de tous temps intéressé les réalisateurs. Pendant la Guerre froide, on filmait le Mur de Berlin. Depuis 1989, on en filme d’autres : le mur, autour de Ceuta, qui défend l’Europe de Schengen et où se pressent des immigrés africains (Loin, Goodbye Morocco, Roads), la frontière américano-mexicaine (Savages, Sicario, Desierto) et enfin le mur érigé depuis 2002 entre Israël et la Palestine. Amos Gitaï l’évoque dans deux de ses films : Promised Land en 2004 et Free Zone en 2005. Eli Suleiman, avec son humour pince sans rire reconnaissable au premier coup d’oeil, en fait le personnage principal de Intervention divine en 2002.

C’est sur ce très riche terreau que repose le premier film du jeune Ameen Nayfeh qui s’est nourri des mille et une anecdotes tragi-comiques que vivent les populations limitrophes du mur pour en construire l’intrigue. Telle est la direction que semble d’ailleurs prendre 200 mètres dans son premier tiers : la chronique douce-amère de la vie au pied du mur vécue par une famille palestinienne qui n’arrive pas à choisir le côté où s’installer. Mais le film connaît ensuite une brusque bifurcation qui en altère le sens. Son tempo s’accélère. La chronique familiale se mue en thriller mettant en scène Mustafa et ses compagnons de voyage (un jeune Palestinien qui veut aller s’employer en Israël, une documentariste allemande qui ne joue peut-être pas franc-jeu, son guide arabe qui souhaite se rendre au mariage d’un cousin) qui tentent, à leurs risques et périls, de franchir le mur en fraude.

Ce mélange des genres est revendiqué par le réalisateur dans son dossier de presse. Il n’en constitue pas moins pour autant, à mes yeux, une faiblesse. J’aurais préféré que 200 mètres reste sur le premier registre, ou alors se déroule entièrement, depuis ses toutes premières minutes, sur le second. On a un peu l’impression que les deux sujets étant intéressants, Ameen Nayfeh n’a pas réussi à choisir lequel sacrifier. Le thriller multiplie les incohérences et, plus grave, se termine en queue de poisson. Qu’a-t-on appris à la fin de 200 mètres qu’on ne savait déjà ? Que le mur dresse un obstacle absurde entre deux peuples. Soit….

La bande-annonce

Playlist ★☆☆☆

Sophie (Sara Forestier) a vingt-huit ans, une amie-pour-la-vie (Laetitia Dosch) et pas mal de soucis. Elle a un solide coup de crayon mais n’a pas fait les Beaux-Arts. Faute de mieux, elle cumule un boulot de serveuse dans un restaurant et d’attachée de presse dans une petite maison d’édition dirigée par un patron tyrannique (Grégoire Colin). Sa vie amoureuse n’est guère plus flamboyante. Elle enchaîne coups de foudre et ruptures.

L’affiche de Playlist est prometteuse. Elle nous annonce « la comédie pour retourner au cinéma, danser dans les bars, retomber amoureux, dîner entre amis, revoir sa famille, donner des coups de boule ».
Sa bande-annonce ne l’est pas moins qui nous introduit à Sophie, ses amis, ses amours, ses emmerdes (Aznavour ! sors de ce corps !).
On escompte une sympathique comédie sentimentale, pas le film de l’année, mais un bon moment avec deux des actrices les plus touchantes de leur génération.

Hélas ! On est vite déçu. Nine Antico, elle-même bédéiste, a mis beaucoup d’elle-même dans le personnage de Suzanne ; mais cela ne suffit pas à donner de l’épaisseur aux cartons successifs, filmés à la va comme je te pousse, qui racontent sa vie parisienne. Les actrices y sont excellentes – Sara Forestier, au premier chef, qui est de chaque plan, mais aussi Laetitia Dosch dont le talent avait explosé en 2016 dans Jeune femme et dont on espère qu’elle transformera très vite l’essai – mais elles ont peut-être passé l’âge d’interpréter des rôles d’adulescentes [je tremble d’être taxé d’âgisme ou de sexisme pour ce bémol]. La BOF est omniprésente, au risque parfois de prendre le pas sur l’image. Quant au noir et blanc satiné, qui louche éhontément du côté de la Nouvelle Vague, on peine à voir la valeur ajoutée qu’il apporte.

On ne rit jamais – sinon à une réplique qu’on avait déjà entendue dix fois dans la bande-annonce – on ne sourit guère ; on n’est pas vraiment touché ; on s’ennuie ferme.

La bande-annonce

Nomadland ★★★☆

Après la mort de son mari, après la fermeture de l’usine où elle travaillait avec lui qui provoqua la désertion de leur petite ville du nord du Nevada, Fern (Frances McDormand), la soixantaine, n’a d’autre solution que de quitter sa maison et de s’installer rudimentairement dans sa camionnette. Le temps des fêtes de fin d’année, elle trouve un emploi chez Amazon avant de prendre la route. Au Dakota du Sud, elle travaille dans un parc national puis va faire la récolte des betteraves au Nebraska. Sur sa route, Ferne croise d’autres vagabonds qui, comme elle, par choix de vie ou par nécessité, refusent de se sédentariser.

Nomadland arrive – enfin – sur nos écrans, précédé d’une réputation écrasante. Lion d’Or à Venise, quatre BAFTA, deux Golden Globes et surtout trois Oscars dont celui de la meilleure réalisation pour Chloé Zhao et celui de la meilleure actrice pour Frances McDormand (son troisième, excusez du peu, après Fargo et Three Billboards). N’en jetez plus ! la coupe est pleine !

Tant de louanges laissent augurer un chef d’oeuvre… et risquent immanquablement de frustrer les espérances des spectateurs. Car, pour le dire d’une phrase, si Nomadland est certainement un bon film, ce n’est pas un grand film qui mériterait sa place au Panthéon du cinéma à côté de Parasite, Moonlight, Twelve years a Slave ou La la Land (ah… zut …. La la land s’est vu souffler l’Oscar du meilleur film par Moonlight justement).

Nomadland a plusieurs défauts.
Le premier, diront les anti-Modernes, est d’être un peu trop à la mode. Son sujet fleure bon l’anti-trumpisme qui, à tort ou à raison, a fait florès pendant quatre ans à Hollywood. Rien de tel que de filmer l’Amérique pauvre, celle des working poor, des white trash, des minorités discriminées pour ravir les suffrages aux Oscars.
Les anti-féministes en rajouteront une couche : si Chloé Zhao a emporté la statuette, c’est en raison de son genre, pour que l’Académie qui n’avait jusqu’alors couronné qu’une seule femme dans cette catégorie (Kathryn Bigelow pour l’oubliable Démineurs) se rachète une respectabilité.
Les autres – et j’en fais partie – diront qu’ils se sont ennuyés, que ce film de cent-huit minutes, qui enfile à la queue leu leu les épisodes interchangeables et souvent répétitifs de l’odyssée de Fern, aurait pu sans préjudice en durer vingt de plus ou de moins.
Enfin d’aucuns renâcleront aux récompenses qui pleuvent sur la tête de Frances McDormand que la caméra ne quitte pas d’une semelle et qui ne fait pas grand-chose sinon regarder le soleil se coucher sur les plaines désolées du Grand Ouest américain. Sa prestation, diront-ils, est honnête, mais ne mérite pas de la placer au-dessus de Meryl Streep, d’Ingrid Bergman ou de Bette Davis qui n’ont jamais réussi à décrocher leur troisième statuette aux Oscars

Ces arguments sont recevables. Mais ils ne sont pas fondés.
Nomadland est un film modeste, qui refuse le sensationnel. Chloé Zhao refuse la facilité qui aurait consisté à ajouter à la vie de Fern des rebondissements dramatiques (une agression une nuit dans son van ? les retrouvailles lacrymales avec un fils ou une fille perdue de vue ?). Elle utilise une base documentaire – l’enquête de Jessica Bruder sur les Van Dwellers, ces Américains, souvent âgés qui ont quitté leur maison pour prendre la route – pour en faire une fiction élégiaque où souffle la poésie qui traversait déjà ses précédents films : The Rider (2017) et Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015).

Nomadland est un film qui m’a surpris et qui m’a interrogé.
Les résumés que j’en avais lu me laissaient présager un livre sociologique, une illustration sinon une démonstration des ravages que la crise des subprimes puis les inégalités creusées par Trump avaient causées. Or, tel n’est pas le cas. Ou, pour être tout à fait exact, tel n’est peut-être pas le cas. Certes, Fern s’installe dans son van, nécessité faisant loi, faute d’autre alternative. Mais elle y trouve bientôt des habitudes et une liberté qu’elle chérit (« houseless but not homeless » résume-t-elle dans une formule parlante). Sur la route, en Arizona, elle croise toute une communauté de vagabonds qui ont fait le même choix qu’elle et embrassé le même mode de vie alternative. Fern pourrait y renoncer : en s’installant chez sa sœur qui lui ouvre les bras, ou chez Dave (épatant David Strathairn que l’interprétation de Frances McDormand a injustement éclipsé) qui lui ouvre son cœur. Elle n’en fait rien.

Pour moi, Nomadland est moins un film sociologique qu’un film psychologique sinon métaphysique. Il interroge moins notre société que nos choix de vie individuels. C’est cette ambiguïté, cette richesse qui au bout du compte m’a plu dans ce film, contrebalançant l’ennui que sa langueur revendiquée avait fait naître.

La bande-annonce

Billie Holiday, une affaire d’État ★☆☆☆

La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer et dans l’Amérique, encore ségrégée, Billie Holiday (Andra Day) est au sommet de sa carrière. Son interprétation de Strange Fruit, une métaphore déchirante du lynchage, lui vaut l’hostilité du FBI qui utilise ses deux points faibles pour la discréditer : son instabilité sentimentale et sa consommation inquiétante de drogue. Jimmy Fletcher (Trevante Rhodes), un inspecteur sous couverture qui se fait passer pour un soldat, réussit à se faire admettre parmi son premier cercle pour récolter la preuve des trafics qui y sévissent et faire emprisonner la chanteuse. Mais, tombant sous son charme, l’inspecteur repenti va vite se rapprocher de la chanteuse et tenter vainement de la guérir de ses addictions.

La vie et l’oeuvre de Billie Holiday (1915-1959), la célèbre chanteuse de jazz, vient de faire l’objet d’un documentaire, Billie, réalisé par le Britannique James Erskine, sorti en France en septembre 2020. Ce film en diffère puisqu’il s’agit d’une fiction. Mais la proximité des deux sorties est si grande que les deux oeuvres se répètent immanquablement. Elles racontent, avec une grande fidélité aux faits, la même histoire : le combat d’une femme contre ses démons intérieurs et contre la dureté d’une époque encore profondément raciste.

Billie Holiday, une affaire d’État est adapté d’un essai d’un journaliste britannique publié en français sous le titre explicite de La Brimade des Stups. Cet essai traite de la guerre menée aux Etats-Unis depuis un siècle contre les trafics de drogue, des moyens démesurés mis en oeuvre et de la pauvreté des résultats. Il évoque notamment la figure de Harry Anslinger, un des personnages secondaires du film, qui dirigea pendant plus de trente ans le Bureau fédéral des narcotiques (FBN), affichait un racisme décomplexé, considérait le jazz comme une musique dégénérée et poursuivit Billie Holiday jusque sur son lit de mort. En revanche, la figure de Jimmy Fletcher est fictive.

Billie Holiday, une affaire d’État vaut incontestablement pour l’interprétation de Andra Day dans le rôle titre qui lui a valu le Golden Globe de la meilleure actrice et qui a bien failli lui valoir l’Oscar si Frances McNormand ne lui avait pas été préférée. Il est vrai qu’elle est stupéfiante dans le rôle : d’une beauté saisissante quand elle monte sur scène, les lèvres purpurines, une fleur de magnolia plantée dans les cheveux, elle est méconnaissable, les traits effroyablement creusés, quand elle se shoote.

Mais ni sa prestation ni celle, honnête, des seconds rôles qui l’entourent (Trevante Rhodes avait été révélé dans Moonlight), ne réussissent à hisser ce biopic trop conventionnel au-dessus du tout-venant auquel Hollywood nous a habitués.

La bande-annonce

Les Séminaristes ★☆☆☆

Dans la Tchécoslovaquie des années 80, l’Église catholique est divisée. Une partie d’entre elle a dû accepter de se placer sous la férule du régime communiste pour continuer à former ses prêtres, à les ordonner et à leur confier une paroisse avec l’autorisation d’y dire la messe ; une autre a au contraire refusé cette compromission et est entrée dans la clandestinité. C’est dans ce contexte troublé que Juraj et Michal entrent au séminaire de Bratislava. Très vite, comme leurs aînés, ils devront effectuer des choix cornéliens qui mettront en péril leur foi, leur amitié sinon leur vie.

Les Séminaristes est une production slovaque distribuée en France par l’ARP pour des motifs qui défient le bon sens. On voyait mal a priori, alors que, dit-on, des dizaines sinon des centaines de films attendent en vain une date de sortie, comment les spectateurs seraient attirés en foule par ce film en noir et blanc au sujet plombant. On le voit encore plus mal quatre-vingt minutes plus tard, une fois sorti d’une salle quasi-déserte (cinq spectateurs au total).

Certes, au-delà de la question purement historique de la subordination du clergé catholique au régime communiste tchécoslovaque, Les Séminaristes tangente un sujet universel : la disposition chez l’homme à accepter de compromettre ses valeurs. Mais il le traite avec des effets de style trop encombrants : un son saturé, des cadrages millimétrés, des noirs et blancs très travaillés, un scénario qui multiplie les ellipses et les flashbacks au risque de ne plus rien comprendre (merci à mon intelligente voisine d’avoir éclairé ma lanterne). Même bien disposé à l’égard du cinéma slovaque, même curieux de l’histoire du communisme, le spectateur ne pourra qu’être déboussolé par le manque de contextualisation et écrasé par ce trop-plein de formalisme.

La bande-annonce

Villa Caprice ☆☆☆☆

Le milliardaire Gilles Fontaine (Patrick Bruel) est visé par la justice qui lui reproche les conditions opaques de l’acquisition de la luxueuse Villa Caprice dans la presqu’île de Saint-Tropez. Pour le défendre, il choisit le meilleur avocat parisien, Luc Germon (Niels Arestrup). Les deux hommes au tempérament bien trempé ne se font pas spontanément confiance mais sont condamnés à faire cause commune pour résister à la vindicte du juge d’instruction (Laurent Stocker) qui s’est juré d’avoir la tête de l’homme d’affaires.

Villa Caprice a tout pour appâter le chaland : deux stars en affiche, une bande-annonce qui montre des décors paradisiaques et laisse augurer une histoire vénéneuse, un cocktail de coups tordus, de manipulation et de chantage sexuel.

Hélas, tout se dégonfle très vite face à ce film vieillot tourné par un réalisateur de 78 ans. Bernard Stora en a co-écrit le scénario avec Pascale Robert-Diard, la célèbre chroniqueuse judiciaire du Monde. Mais cette signature prestigieuse, si elle réhausse le cachet du film, ne le rend pas plus juste pour autant. Tout y est en effet outré, paroxystique, caricatural. On y voit Patrick Bruel passer des coups de téléphone depuis son Falcon (on me rétorquera que c’est désormais possible…. mais je n’ai pas assez souvent voyagé en Falcon pour le savoir avec certitude), Niels Arestrup recevoir ses clients dans des bureaux qui ressemblent plus à un palais de satrape babylonien qu’à un cabinet d’avocats.

Le film aurait pu être tourné à peu près à l’identique vingt ans plus tôt. Il y aurait peut-être gagné : ses acteurs en auraient été moins décrépits. Certes, Niels Arestrup y est, comme d’habitude, magistral ; mais on le sent si proche de l’apoplexie qu’on a envie de lui signer un arrêt maladie. Quant à Patrick Bruel, à soixante ans passés, et avec les accusations de harcèlement sexuel qui lui collent à la peau, il est moins séduisant que vaguement malaisant.

On escomptait un scénario alambiqué à double fond. Et on en est pour son argent. Car le double fond s’avère vite coquille vide. Les démêlés de Gilles Fontaine avec la justice se dénouent miraculeusement ; quant au face-à-face final entre les deux hommes, dont je ne dirai mot à la fois parce que je ne veux pas divulgâcher et que je ne suis pas sûr d’en avoir compris tous les ressorts, il se solde par une conclusion ridicule.

Restent les décors. Le cap Taillat est superbe sous le soleil méditerranéen. Mais, aussi joliment filmé soit-il, il ne suffit pas à lui seul à donner une seule étoile à ce Villa Caprice trop poussiéreux.

La bande-annonce

Des hommes ★★☆☆

Bernard alias Feu-de-bois (Gérard Depardieu) est un vieil homme rongé par la solitude, la haine de soi et des autres. L’esclandre qu’il provoque à l’anniversaire de sa sœur Solange (Catherine Frot), devant son cousin Rabut (Jean-Pierre Darroussin), conduit les trois personnages à plonger dans leurs souvenirs enfouis de la guerre d’Algérie où Bernard et Rabut avaient été enrôlés.

Des hommes est d’abord un roman poignant de Laurent Mauvignier publié en 2009 aux Editions de Minuit, distingué par le Prix des libraires 2010. C’est un texte magnifique dont Lucas Belvaux, à tort ou à raison, a du mal à s’éloigner et dont il fait lire de longs extraits par les voix immédiatement reconnaissables de ses trois acteurs.

Cette fidélité excessive au texte n’est pas le seul défaut d’un film qui en compte beaucoup. Le principal est peut-être la présence encombrante de trois monstres sacrés du cinéma français. Gérard Depardieu n’a jamais été aussi obèse, aussi lent, aussi apoplectique, en un mot aussi depardien. Son tarin est si gros (ce qui n’est pas la moindre ironie pour l’interprète de Cyrano) qu’il finirait presque par le cacher si l’acteur n’était pas si massif. Quand il apparaît à l’écran, on a du mal à prendre au sérieux le personnage qu’il est censé jouer. C’est un peu le même problème pour Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot qu’on a décidément trop vus dans des rôles très proches : le bon bougre le cœur sur la main et la sœur de province un peu coincée.

Des hommes n’en a pas moins une grande qualité : parler de ces « événements » d’Algérie sur lesquels le pouvoir politique et le cinéma français ont longtemps voulu jeter un voile pudique. L’affirmation un brin simpliste selon laquelle, à la différence d’Hollywood et la guerre du Vietnam, le cinéma français aurait ignoré la guerre d’Algérie, est toutefois à tempérer. Il n’en reste pas moins que les films sur le sujet sont rares et plutôt mineurs. Des hommes a le mérite de traiter le sujet de front – même si paradoxalement, le livre ne cessait de répéter que « il n’y [avait] pas de mots pour dire cela ». Prenant le point de vue d’hommes du rang embarqués dans un conflit qui les dépasse, il filme avec beaucoup de justesse l’ennui des cantonnements, la vulgarité des comportements auxquels cet ennui émollient conduit et le déchaînement inattendu et sidérant d’une violence inhumaine.

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Suzanna Andler ☆☆☆☆

Suzanna Andler (Charlotte Gainsbourg), la quarantaine, est mariée et mère de famille. Son mari, Jean, la trompe éhontément. Suzanna a pris un amant, Michel (Niels Schneider). Venue sur la Côte d’Azur à la morte saison pour y louer une maison, elle s’interroge sur ses sentiments pour Jean et pour Michel.

Quelle mouche a piqué Benoît Jacquot, qu’on connaissait plus inspiré, ses acteurs et ses producteurs, pour aller ressusciter cette pièce démodée de la dramaturge la plus démodée des Trente Glorieuses ? Marguerite Duras était déjà exaspérante de son vivant. On la soupçonne d’ailleurs d’en avoir fait profession. Elle l’est encore plus vingt ans après sa mort. Son théâtre sans rythme, sans vie, qui s’étire en d’interminables face-à-face, qui triture le vide de nos existences avec un plaisir masochiste, était vain. Le temps qui passe ne lui a pas conféré la valeur qu’il n’a jamais eue.

J’avais eu la main lourde en mettant un zéro pointé à India Song – qui passe, aux yeux d’un grand nombre, pour un chef d’oeuvre. Benoît Jacquot y fut le premier assistant de l’auteure du Barrage contre le Pacifique et de Moderato Cantabile qui s’était piquée, alors qu’elle n’y entendait rien, de faire du cinéma ; et c’est sans doute à ce lointain héritage qu’on doit aujourd’hui de sa part ce retour au source. Ma main ne tremble guère au moment d’évaluer ce Suzanna Andler tant ce film m’a semblé dépourvu du moindre intérêt. Les spectateurs qui ont lentement déserté la salle pendant la séance, écrasés comme moi par un trop-plein de vacuité, me confortent dans ma sévérité.

Habillée par Yves Saint Laurent dans un improbable manteau ocellé, Charlotte Gainsbourg a l’air de s’y ennuyer autant que nous. Elle embrasse sans sensualité un Niels Schneider aussi mollasson qu’elle. Deux personnages secondaires viennent compléter le casting : un agent immobilier et une ancienne maîtresse de Jean. Tel est l’avantage de l’adaptation des pièces de théâtre : les acteurs ne sont guère nombreux et le budget n’est pas gaspillé dans la rémunération des figurants (Benoît Jacquot a fait une économie supplémentaire en jouant lui-même Jean qu’on ne voit pas à l’écran mais qui s’entretient longuement avec sa femme au téléphone)

Le film d’ailleurs, qui ne quitte guère les quatre murs d’une villa au charme vieillot (l’action est censée se dérouler dans les années soixante – comme elle aurait pu aussi bien se dérouler en 2090), surplombant la baie de Cassis (l’action est censée se dérouler à Saint-Tropez …. mais bon….), n’aura pas coûté grand-chose. Heureusement pour lui : sa billetterie rapportera encore moins !

La bande-annonce