Menus-Plaisirs – Les Troisgros ★★☆☆

Le « pape du documentaire » a posé sa caméra dans la maison Troisgros à Roanne, le plus vieux restaurant trois étoiles Michelin de France. Quatre générations de chefs s’y sont succédées. Ce temple de la gastronomie française a été fondé en 1930 par Jean-Baptiste et Marie Troisgros en face de la gare de Roanne. Leurs deux fils, Jean et Pierre en ont pris la tête dans les 50ies et y ont conquis leurs étoiles. C’est leur petit-fils, Michel qui le dirige aujourd’hui après en avoir déménagé le fonds en 2017 pour s’installer à Ouches, à quelques kilomètres de Roanne, dans un splendide domaine ouvert sur les champs du Forez. Son fils aîné, César, le seconde ; son fils cadet, Léo, tient les rênes du domaine du Colombier, un autre établissement de la maison Troisgros, dans le Brionnais.

Toujours vert, à quatre-vingt-dix ans passés, Frederick Wiseman ne change rien à la méthode qu’il utilise depuis plus de cinquante ans. Il choisit une institution : un asile psychiatrique dans le Massachussetts (Titicut Follies, 1967), un centre d’aide sociale à Manhattan (Welfare, 1975), le ballet de l’Opéra de Paris (La Danse, 2009), la bibliothèque publique de New York (Ex Libris, 2017), la mairie de Boston (City Hall, 2020)… Avec une équipe très légère, il y accumule des dizaines d’heures de tournage dont il conserve une infime partie au montage qui dure de longs mois. Aucune interview, aucune voix off, aucun sous-titre ni carton explicatif, aucune musique n’est ajouté.

La méthode a un atout : elle est profondément immersive. Elle nous fait pénétrer au cœur des institutions, réalisant le vœu qu’on a souvent fait en sachant sa réalisation impossible : « j’aurais aimé être une mouche pour…. ». Comme une mouche invisible, le spectateur accompagne les Troisgros au marché pour y acheter leurs produits, chez leurs fournisseurs, des éleveurs, des affineurs, des viticulteurs et même un apiculteur, dans leur cuisine pour l’amoureuse préparation de leurs menus à la tête de leur brigade affairée, dans la salle à la rencontre de leurs clients (que j’ai trouvé bien débraillés, me faisant de la clientèle d’un trois étoiles une image plus élégante, ce qui est sans le doute le signe de mon snobisme et/ou de mon complexe de classe).

Un conseil : ne pas aller voir ces Menus-Plaisirs, un titre délicieusement ambivalent, le ventre vide au risque de transformer les quatre heures qu’il dure en longue torture affamante. Car, c’est une marque de fabrique de Wiseman, ce documentaire est obèse. Cette durée se justifie-t-elle ? Wiseman en aurait-il moins dit, aurait-il été moins efficace, si son documentaire avait été réduit de moitié ?

C’est bien sûr le principal reproche que l’on peut adresser à cette expérience exigeante. Ce n’est pas le seul. L’autre, plus essentiel encore, vise la méthode même de Wiseman. Son refus obstiné de toute explication laisse en suspens de trop nombreuses questions. Quelle est l’histoire de la maison Troisgros (pour la présenter au début de cette critique, j’ai dû aller fureter sur Internet) ? Comment les étoiles Michelin ont-elles été acquises et surtout conservées ?  Quelle place la famille Troisgros occupe-t-elle dans la gastronomie française, par rapport notamment au « Pape » Bocuse, à Lyon si proche, ou aux grands noms de la Nouvelle Cuisine ? Que leur inspirent les trajectoires des Robuchon, des Ducasse, des Alléno qui s’internationalisent et accumulent les étoiles à la pelle dans toutes leurs succursales ? Que pensent-ils de la vogue récente de la gastronomie et de l’engouement médiatique suscité par Top Chef et par ses multiples succédanés ? Comment ont-ils traversé la crise du Covid ? Autant de questions qui, par la faute d’une méthode trop austère, restent sans réponses.

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Les Colons ★☆☆☆

En 1901, au sud de la Patagonie, un riche propriétaire foncier, José Menéndez, missionne trois hommes, un ancien lieutenant de l’armée anglaise, un ranchero mexicain et un métis chilien, pour aller prendre possession de nouvelles pâtures pour ses bêtes. Ils rencontrent un détachement militaire argentin venu borner la frontière entre l’Argentine et le Chili et des Indiens autochtones.

Les Colons a le mérite de raconter une page méconnue de l’histoire contemporaine : le génocide des Indiens Selknam ou Onas suite à la privatisation de leurs terres, l’extinction de leurs ressources de chasse, la répression de leur révolte et finalement leur lente extinction par l’effet de la tuberculose.

Il est filmé dans des paysages grandioses. Une musique (d)étonnante l’accompagne.

Les Colons est composé de deux parties radicalement séparées. La seconde se déroule sept ans après la première. Elle a pour héros un politicien venu de Santiago chargé d’enquêter sur les faits commis quelques années plus tôt, d’en retrouver les témoins et d’indemniser les victimes.

Les Colons est une œuvre édifiante qui mérite d’être vue. C’est un western dépaysant tourné à mille lieux de Monument Valley. C’est un film épique et radical qui m’a rappelé les austères paysages islandais de Godland. Comme dans Godland, on resent le froid, la faim, la crasse qui accompagnent les héros pouilleux dans ces contrées ingrates et glacées. Pour éprouvantes que soient certaines scènes – le film aurait pu être accompagné d’un avertissement pour prévenir le plus jeune public auquel il n’est clairement pas destiné – Les Colons n’en reste pas moins hélas un spectacle désincarné où les acteurs, assez médiocres, à l’exception peut-être d’Alfredo Castro, acteur de prédilection de Pablo Larrain, dans le rôle de José Menéndez, peinent à donner chair à leurs personnages et à faire naître pour eux de l’empathie.

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Winter Break ★★☆☆

Les vacances de Noël approchent à Barton, un lycée pour garçons huppé de la Nouvelle-Angleterre au début des 70ies. M. Hunham (Paul Giamatti), professeur d’histoire ancienne, s’y voit confier la tâche rebutante de surveiller les rares pensionnaires contraints d’y passer les fêtes. Parmi eux, Angus (Dominic Sessa), un élève doué mais turbulent, apprend à la dernière minute l’annulation des vacances paradisiaques que sa mère lui avait fait miroiter dans une île tropicale. Marry (Da’vine Joy Randolph), la cheffe de la cantine, récemment endeuillée par la disparition de son fils unique au Vietnam, préfère elle aussi rester à Barton, loin de l’effervescence des fêtes.

Alexander Payne (Sideways, The Descendants, Nebraska, Downsizing) est un cinéaste de la nostalgie. Son Winter Break est un hommage revendiqué au cinéma des 70ies, qui s’ouvre par un long générique reproduisant à l’identique ceux de l’époque (je me demande à quel moment de l’histoire du cinéma les génériques qui longtemps précédèrent les films basculèrent à leur toute fin, épargnant au spectateur la purge de leur long défilé mais lui ôtant du même coup cette lente introduction qui l’emmenait du monde extérieur jusqu’à l’intérieur du film). Il en possède la même colorimétrie désaturée, le même son grésillant, la même graphie jusqu’à l’indication du copyright qui indique MCMLXXI.

Winter Break voudrait nous donner l’impression d’avoir été tourné à l’époque qu’il filme et y réussit fort bien. Pour autant, son sujet est intemporel. Il pourrait, après une longue mise en place qui retarde le moment où nos trois héros sont enfin réunis, sembler banal voire téléphoné : trois recalés de la vie vont en se serrant les coudes y reprendre goût. C’est la banalité de ce scénario planplan et sans surprises qui m’interdit de lui donner une meilleure note.

C’est son seul défaut, même s’il est de taille. Car, pour le reste, Winter Break est une réussite totale. Ses trois acteurs principaux sont, chacun dans leur registre, parfaits. Paul Giamatti, qu’on a si souvent vu dans une floppée de rôles secondaires, laisse exploser son talent. L’imposante Da’vine Joy Randolph réussit avec un jeu minimaliste à donner à son personnage une rare profondeur. Quant à Dominic Messa, je sens chez lui le potentiel d’un Malcom McDowell et prends le pari qu’on le reverra bientôt tout en haut de l’affiche.

L’histoire que Winter Break raconte, pour prévisible qu’elle soit, n’en reste pas moins profondément attachante. Derrière la façade austère qu’affiche le professeur Hunham, qui prend un plaisir sadique à rendre à ses élèves leurs copies en sifflotant la Chevauchée des Walkyrie, on sait déjà que se cache un homme au grand cœur. On pressent qu’il a un lourd secret à cacher et on attend gentiment qu’il le révèle. Angus, son élève, est trop blessé par l’abandon de sa mère et l’absence de son père pour ne pas chercher dans ce professeur old school une figure paternelle de substitution. Là encore, on sait par avance qu’il la trouvera et qu’à la fin du film, il sortira grandi de cette rencontre.

Winter Break est un film triste qui fait du bien.

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Rue des dames ★☆☆☆

Mia (Garance Marillier, découverte dans Grave) enchaîne les galères. Elle apprend qu’elle est enceinte ; son copain, Nabil, est en liberté conditionnelle ; expulsée de son appartement, elle trouve refuge dans un hôtel miteux ; sa relation avec sa patronne, dans le salon de manucure qui l’emploie, se détériore ; et la combine qui lui permet d’arrondir ses fins de mois – faire rentrer des clientes de son salon dans des soirées VIP – risque de lui valoir des poursuites pour proxénétisme.

Les deux rappeurs Hamé & Ekoué signent leur deuxième film. Le premier, en 2017, avait donné le ton : Les Parisiens racontait le destin contrarié de deux frères algériens dans un Pigalle intemporel. Rue des dames se passe quelques pâtés de maisons plus loin, dans le dix-septième arrondissement, derrière la place de Clichy. Loin des clichés, c’est un Paris paupérisé qui est décrit, un Paris de la débrouille.

Contrairement à ce que son affiche laisse escompter, Rue des dames est un film choral qui met en scène plusieurs personnages : outre Mia, on y croise Issa, un chauffeur Uber débrouillard, Yohann (Sandor Funtek, la révélation de Suprêmes), un flic borderline, Diane, qui se demande ce qu’elle va faire du polichinelle qu’un footballeur célèbre lui a mis dans le tiroir, César, un entremetteur louche…. Tous les personnages se débrouillent, se démerdent pour survivre, quitte à se perdre dans les mensonges qu’ils accumulent et à trahir la confiance des rares soutiens sur lesquels ils pouvaient encore compter.

Cette absence de manichéisme fait tout l’intérêt de cette panoplie de caractères. Mais Rue des dames souffre d’un défaut rédhibitoire de construction. Hamé & Ekoué ont voulu faire tenir dans un film standard trop de personnages, trop d’intrigues secondaires. Le spectateur s’y perd, qui ne sait plus où donner de la tête.

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Levante ★★☆☆

Sofia a dix-sept ans. Joueuse talentueuse d’une équipe de volley ball, elle a été repérée par une recruteuse qui lui propose de partir au Chili en vue d’une prochaine professionnalisation. Mais cette offre inespérée qui lui ouvre le futur dont elle a toujours rêvé est brutalement remise en cause par la nouvelle qu’un test de grossesse lui révèle : Sofia est enceinte. Or, au Brésil, l’avortement est illégal.

Il y a deux ans, l’adaptation du roman d’Annie Ernaux L’Evénément montrait le parcours du combattant d’une jeune étudiante au début des 60ies en France pour procéder à un avortement clandestin. Si la liberté pour les femmes de disposer de leur corps est aujourd’hui, sous nos latitudes un droit acquis, Levante vient douloureusement nous rappeler que ce n’est pas le cas partout et que ce qu’a vécu dans les 60ies la jeune Annie Ernaux, d’autres jeunes femmes ailleurs dans le monde le vivent encore aujourd’hui.

Pour donner de la chair à son sujet, la jeune cinéaste brésilienne Lillah Hallah a imaginé une équipe de volley-ball inclusive où Sofia trouve auprès de sa coach une mère de substitution et auprès de ses coéquipières autant d’amies qui l’entourent de leur affection. Il règne dans cette équipe soudée une sororité badass (le mot du jour…. pour les plus de cinquante ans !) qui force la sympathie. Unie pour la victoire aux championnats régionaux, l’équipe est unie pour défendre Sofia dont la grossesse et la volonté affichée d’avorter au mépris de la loi attisent la haine d’une infirmière pro-life et des réseaux évangélistes qu’elle mobilise.

Sélectionné en compétition à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2023, ce premier film nous réserve une fin maligne, à laquelle on ne s’attendait pas, qui sort Sofia du dilemme dans lequel elle s’était enfermée (qu’elle garde ou qu’elle se débarrasse de son foetus, elle aurait dû renoncer à sa carrière sportive). Levante accumule décidément les qualités : c’est un film sociétal sur un enjeu politique contemporain ; c’est un film joyeusement queer sur un groupe de filles délurées et solidaires ; c’est une histoire bien écrite qui nous tient en haleine jusqu’à sa dernière image.

[Spoiler : Elles se marièrent et n’eurent aucun enfant.]

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Un hiver à Yanji ★☆☆☆

Yanji est une ville de Mandchourie à la frontière de la Corée du nord célèbre, l’hiver venu, pour ses sculptures sur glace. Trois personnes s’y croisent : Haofeng, un jeune trader dépressif venu de Shanghai y assister au mariage d’un ami, Nana, une guide touristique, et Xiao, un jeune sans éducation employé dans le restaurant de sa tante.

Un hiver à Yanji est vendu comme un Jules et Jim chinois. Il y a tromperie sur la marchandise. Un hiver à Yanji n’a pas la légèreté ni la sensualité de son prestigieux modèle truffaldien. S’il campe un triangle amoureux, ses différents côtés sont inégaux. Nana et Xiao sont amis de longue date au début du film ; peut-être une relation se serait-elle nouée entre eux avec le temps ; mais l’arrivée de Haofeng et la passion qui naît entre Nana et lui lève cette hypothèque. Autre côté négligé du triangle : il n’y a aucune alchimie, ni amicale, ni homo-érotique, entre Haofeng et Xiao. Point de triangle donc, mais en fait deux segments de droite avec Nana à leur intersection.

Moins que le trio formé par ces trois personnages, le véritable héros du film est la ville de Yanji. Le film commence d’ailleurs par un long plan quasi-documentaire, où l’on voit des travailleurs, lourdement harnachés pour éviter de tomber dans l’eau, débiter des blocs de glace sur la rivière. Yanji abrite une nombreuse communauté coréenne. Le chinois et le coréen y sont indifféremment utilisés. Un parc d’attraction sur la Corée y a même été ouvert, qui accueille les touristes chinois en mal d’exotisme.

Un hiver à Yanji aurait pu creuser cette veine documentaire et dresser le portrait de cette ville frontière, à cheval sur deux pays et sur deux cultures. Il opte pour une veine plus fictionnelle et se focalise sur les trois personnages principaux qu’il accompagne dans une longue errance dans les montagnes qui surplombent la ville et où se perche un lac céleste.

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La Chimère ★☆☆☆

Un Anglais prénommé Arthur (Josh O’Connor, le jeune prince Charles de The Crown) sort de prison et revient en Toscane sur les traces de Beniamina son amour défunte. Arthur possède un don hors du commun qui permet à la bande de voyous avec qui il s’est acoquiné de localiser des tombes étrusques enfouies et d’écouler en contrebande les œuvres d’art qui y étaient ensevelies.

Alice Rohrwacher est, comme son nom ne l’indique pas (son père, violoniste allemand, épousa une enseignante italienne et devint apiculteur en Ombrie), une réalisatrice italienne. Ses trois précédents films – Corpo celeste (2011), Les Merveilles (2014), Heureux comme Lazzaro (2018) – lui valent le titre écrasant d’étoile montante du cinéma transalpin.

Alice Rohrwacher a un style bien à elle, quelque part entre le néo-réalisme italien, l’onirisme fellinien et le réalisme magique latino-américain. La Chimère en est l’exemple le plus abouti. Film intemporel, censé se dérouler dans les 80ies, mais qui aurait aussi bien pu se dérouler quarante ans plus tard ou plus tôt (Heureux comme Lazzaro jouait déjà sur cette indétermination), il suit un scénario très lâche, sans grand enjeu, qui constitue tout au plus un prétexte pour raconter les pérégrinations de son héros.

Josh O’Connor, sexy en diable, y interprète un Anglais perché, doté d’un don dont il ne sait que faire, débarqué en Italie on ne sait comment. Son chemin croise celui d’une vieille aristocrate  qui refuse d’accepter le décès de sa fille et sur laquelle ses autres filles veillent dans un brouhaha joyeux. Dans un palais décati, cette douairière, majestueusement interprétée par Isabella Rossellini, donne des cours de chant à une jeune femme prénommée Italia (Carol Duarte). Comme dans tous les films d’Alice Rohrwacher, sa sœur aînée, Alba, fait une apparition, dans le rôle d’une trafiquante d’oeuvres d’art.

La Chimère est un peu trop foutraque à mon goût. Et beaucoup trop long. Il aurait pu, sans préjudice, être écourté d’une bonne demi-heure. Ses deux heures et dix minutes sont inutilement diluées, même si sa dernière scène, référence transparente à la catabase (!) d’Orphée et d’Euridyce, est sublimement poétique.

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Past Lives ★★☆☆

Na Young et Hae Sung ont douze ans. Aussi intelligents et travailleurs l’un que l’autre, ils se disputent la première place de leur classe. Une grande complicité les soude, qui sera rompue par le départ des parents de Na Young au Canada.
Na Young, qui se fait désormais appeler Nora, et Hae Sung ont vingt-quatre ans. Ils se sont perdus de vue. Grâce à Facebook, ils renouent le contact. Entre New York où Nora s’est installée, et Séoul où Hae Sung suit des études d’ingénieur, ils passent de longues heures à discuter sur Skype.
Nora et Hae Sung ont trente-six ans. Ils ont mûri et ont pris des chemins différents. Nora s’est mariée avec un écrivain juif new-yorkais rencontré durant une résidence d’artistes. Hae Sung, qui est resté célibataire, vient lui rendre visite à New York et discute avec elle, l’espace d’une journée des choix qu’ils ont faits et de ceux que la vie a faits pour eux.

François Ozon avait intitulé un de ses films 5*2 qui brossait en cinq épisodes, antéchronologiques, l’anatomie d’un couple. Ce film-ci pourrait s’appeler 3*2 (trois épisodes pour raconter un couple qui n’en sera jamais un) ou encore 12*3 (la vie d’un homme et d’une femme racontée en trois tableaux à 12, 24 et 36 ans).

Le pitch de ce film, son affiche, les quelques mots prononcés par sa distributrice, l’immense Michèle Halberstadt, au début de son avant-première organisée par le club Allociné, m’avaient follement mis l’eau à la bouche. Il faut confesser mon goût coupable pour ces sujets-là : rien ne me transforme plus en petites flaques d’eau que la nostalgie des amours disparues. En témoigne, si besoin en était, la vénération dans laquelle je tiens Docteur Jivago, Love Story ou La La Land.

Hélas, Past Lives s’est révélé en-deça de mes attentes. Pourtant, j’en ai adoré l’actrice principale, Greta Lee – même si j’ai eu un peu de mal à la trouver crédible, née en 1983, dans le rôle d’une fille de 24 ans. Son visage frise la perfection. Je fais une fixation sur sa glabelle (c’était le mot du jour). Pour faire bonne mesure, force m’est de reconnaître que l’acteur masculin est beau comme un Dieu.

Le défaut de Past Lives est son scénario trop ténu. Il repose tout entier sur une ambiguïté qui n’en est pas une. On sait par avance l’avenir de la relation de Nora et de Hae Sung. Toute autre conclusion que celle à laquelle parvient inéluctablement le film n’aurait eu aucun sens. Dès lors, privé d’enjeu, Past Lives se réduit à un double ressassement : pourquoi sommes-nous devenus ce que nous sommes ? à quel moment aurions-nous pu évoluer différemment ?

Reste pour autant une dimension du film très stimulante : son héroïne est une Coréenne qui, comme la réalisatrice Celine Song, a quitté enfant son pays avant d’embrasser une autre culture. La relation de Nora avec Hae Sung n’est pas seulement celle d’une femme devenue adulte avec son amour d’enfance ; c’est aussi celle d’une personne qui a changé de pays, de continent, de culture et qui continue d’entretenir avec son pays d’origine et sa langue maternelle, une relation contrariée.

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Fremont ★★☆☆

Interprète pour l’armée d’occupation américaine, Donya a vingt ans. Elle a fui son pays lorsque les talibans y ont pris le pouvoir. Elle s’est réfugiée en Californie, à Fremont, où s’est implantée une importante communauté afghane. Elle a trouvé un emploi à San Francisco dans une entreprise familiale qui produit des fortune cookies, ces confiseries chinoises en forme de croissant de lune dans lesquelles sont insérés un papier et un aphorisme. Donya a du mal à se faire à sa nouvelle vie. Insomniaque, elle souffre de l’éloignement et de la solitude.

Fremont est un film minuscule. Son noir et blanc, son minimalisme, son humour pince-sans-rire rappellent les premiers films de Jarmusch ou de Kaurismäki. Deux amies, au goût très sûr, m’ont dit avoir adoré ce film. Hélas, à mon plus grand regret, sans l’avoir détesté, je ne partage pas leur enthousiasme.

La figure de Donya est certes profondément attachante. Elle est d’abord profondément crédible : elle n’a pas vécu d’histoire extraordinaire ni traversé des épisodes traumatisants. C’est simplement une personne née dans un pays martyr, qui a travaillé avec l’occupant américain, sans que personne l’y contraigne, et qui doit aujourd’hui en tirer les conséquences. Son sort est d’ailleurs plutôt enviable : elle est arrivée saine et sauve aux États-Unis, y a un emploi, une couverture sociale. Elle bénéficie même de séances gratuites chez un psychothérapeute.
Donya n’est pas une victime. C’est au fond une adulte ordinaire qui souffre de solitude et qui cherche les moyens de la rompre. Elle a certes au travail une collègue affable. Mais Donya n’a que faire de cette envahissante amitié ; elle cherche l’amour. Aucun romantisme mièvre ne viendra pourtant ternir l’âpre simplicité de Fremont. Le chemin sinueux que prendra l’amour est la piquante surprise du dernier tiers du film.

Pour autant, aussi attachante que soit la personnalité de Donya, son monolithisme m’a tenu à distance. Eût-il été interprété par une actrice plus convaincante, le personnage aurait eu une tout autre épaisseur. Victime de ses qualités, la lenteur et la douceur, Fremont ne m’a pas emporté.

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Les Trois Mousquetaires : Milady ★☆☆☆

Le jeune d’Artagnan (François Civil) est fraîchement intégré au corps des Mousquetaires où il s’est fait un trio d’amis, Athos (Vincent Cassel), Porthos (Pio Marmaï) et Aramis (Romain Duris). Dès son arrivée à Paris, le fougueux Gascon est tombé follement amoureux de Constance Bonacieux (Lyda Khoudri), la lingère de la reine Anne d’Autriche (Vicky Krieps). Mais la jeune femme a été enlevée après qu’elle eut découvert l’identité d’un complot fomenté contre le roi Louis XIII (Louis Garrel). N’écoutant que son courage et son amour, D’Artagnan mettra tout en oeuvre pour retrouver sa dulcinée. Mais il trouvera sur sa route Milady (Eva Green), l’espionne du cardinal de Richelieu (Eric Ruf), qui cache un lourd secret.

Le premier volet de ces Trois Mousquetaires a rencontré un éclatant succès, critique et public. Il a attiré plus de trois millions de spectateurs en salles. Ses distributeurs ont fait le choix culotté de décaler la sortie de son second (deuxième ?) volet de plus de huit mois – alors que les deux volets ont été tournés en même temps et dans le désordre. On peut d’ores et déjà prendre le pari qu’il sera le blockbuster de ce mois de décembre. On pourrait aussi prendre celui qu’on le comparera souvent à Napoléon pour mieux critiquer la congénitale incapacité des réalisateurs anglo-saxons à raconter l’Histoire de France.

Pourtant, en sortant de l’avant-première, massivement organisée, partout en France, dimanche dernier à 18h (pourquoi organiser des avant-premières ? pourquoi les concentrer sur ce seul créneau ?), c’est la déception qui l’emporte.

La première raison en est les infidélités faites au roman. On en avait déjà relevé quelques-unes dans le premier volet. Elles sont industrielles dans le second qui ne conserve quasiment rien de l’oeuvre du Dumas. J’ai passé toute la séance à me tourner vers mon voisin, plus fin lettré que moi, et à lui demandéerd’un ton ahuri « C’était dans le livre ?! » m’attirant systématiquement la même réponse outragée : « Mais non !! ». Certes, l’histoire passe par La Rochelle – reconstituée sous les murailles de Saint-Malo – et son siège célèbre. Mais c’est à peu près le seul point d’adhérence avec le livre. Tout le reste est né de la fertile imagination des scénaristes, notamment le rôle joué par Gaston d’Orléans, frère du roi, le personnage d’Hannibal (clin d’oeil au général Dumas ? hommage au roman à succès Prince Ebène ? ou tribut acquitté au wokisme ?) ou enfin la supplication de deux chefs de guerre protestants tout droit inspirée de Silence de Scorsese.

Mais pointer les trahisons au roman me semble un exercice bien mesquin – auquel le critique se livre souvent moins pour blâmer le film qu’il recense que pour faire l’étalage cuistre de sa culture. On me dira certes que ces Trois Mousquetaires s’annonce comme l’adaptation d’un roman dont on est en droit d’exiger qu’elle lui soit fidèle. Pour autant, la fidélité n’est pas une fin en soi – ni à un livre ni même, oserais-je ajouter, à une vie historique comme celle de Napoléon au sujet duquel la polémique a fait rage. Ce qui importe me semble-t-il, c’est la cohérence du film. Quelques pas de côté ne me choquent pas, s’ils servent le film.
Or, rien ne marche dans ce second volet. Les scènes d’action, filmées au ras du sabot des chevaux ou avec un drone en plan aérien, s’y succèdent à un rythme effréné. Tout au plus sont-elles interrompues par quelques séquences où l’on voit François Civil, le regard dans le vide, essayer de comprendre où il en est, le spectateur avec lui, et savoir qui trahit qui. Ces scènes d’action sont filmées, comme un jeu vidéo, avec une caméra épileptique qui s’agite dans tous les sens. Le procédé, immersif, plonge certes le spectateur au cœur de l’action ; mais il a surtout comme résultat de lui donner la nausée et un violent mal de tête.

On fait grand cas de l’interprétation d’Eva Green. C’est une excellente actrice. Peut-être la plus grande James Bond girl qui ait jamais été. Mais hélas, la mise en scène ne lui rend pas justice. Au lieu de jouer sur son charme diabolique, elle la transforme en ninja rebondissant qui livre avec D’Artagnan dans une écurie enflammée un duel guère crédible.

Un dernier mot sur les suites de ce film. Ceux qui ont lu le roman de Dumas et s’en souviennent savent comment se termine Les Trois Mousquetaires. Par respect pour les autres, je ne peux le révéler. La fin de ce second volet s’en écarte, laissant en augurer un troisième. Pour autant, les producteurs ont dit qu’il n’aurait pas de suite, sinon une éventuelle adaptation de Vingt Ans après et du Vicomte de Bragelonne. C’est à n’y plus rien comprendre….

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