Vingt Dieux ★★★☆

Inséparable de ses deux fidèles amis, Jean-Yves et Francis, Anthony, surnommé Totone, fait les quatre cents coups dans son Jura natal. Mais la dure réalité s’impose à lui quand son père meurt brutalement, lui laissant sa ferme, ses dettes et sa petite sœur de sept ans à peine. Pour se renflouer, Totone décide de participer au concours du Comté d’or. Seul problème : il ne connaît rien à la confection du fromage.

J’avais quelques préventions à l’égard de Vingt Dieux : je pensais en connaître par avance les enjeux (la sortie de l’adolescence d’un paysan jurassien obligé de faire face à ses responsabilités après la mort de son père) et les développements (à force de débrouillardise, sa victoire aux comices agricoles et le renflouement de son exploitation). Les prestigieuses récompenses qui l’auréolaient – prix de la jeunesse au dernier festival de Cannes, meilleur film au festival d’Angoulême, prix Jean-Vigo 2024 – n’avaient pas suffi à infléchir mes préjugés.

Sans doute Vingt Dieux contient-il quelques maladresses et quelques passages obligés. Une amie qui connaît mieux la ruralité que moi me pointait quelques incohérences : Marie-Lise ne vivrait pas seule dans une ferme sans un chien par exemple. Il serait bien indulgent d’affirmer que Vingt Dieux révolutionne à lui seul le coming of age movie. Il n’en comporte pas moins trois ou quatre éléments qui en font selon moi le meilleur film sinon du mois du moins de la semaine.

Vingt Dieux participe d’un mouvement cinématographique typiquement français qui utilise le monde rural et les agriculteurs comme un sujet de cinéma à part entière. On ne filmait plus guère la campagne dans les années 80 ou 90 – sinon avec Le Grand Chemin. On la filme de plus en plus dans les années 2010, 2020. Le succès public et critique emporté par Petit Paysan en est la preuve. Mais il n’est pas le seul : La Famille Bélier, Au nom de la terre avec Guillaume Canet, La Terre des hommes, etc. Il louche du côté du documentaire, nous enseignant par le menu (si j’ose dire) les différentes étapes de la fabrication et de l’affinage du Comté. Il évoque aussi le monde étonnant des courses de stock-cars.

Vingt Dieux raconte l’éveil à l’amour de Totone avec Marie-Lise. Ce personnage est étonnant. Il est interprété par une actrice amatrice, agricultrice de profession. Il nous renvoie une image de la féminité différente des canons dans lesquels elle est usuellement enfermée : sans coquetterie, avare de mots, vivant à la dure, Marie-Lise a peut-être des sentiments pour Totone mais les exprime avec une retenue qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma.

Enfin, le scénario de Vingt Dieux nous révèle des surprises. Il ne nous raconte pas l’histoire qu’on avait imaginée et le dénouement qu’on avait pronostiqué. Il en raconte un autre, imprévisible et pour autant parfaitement crédible.

La bande-annonce

Saint-Ex ☆☆☆☆

Contrairement à ce que son titre annonce, Saint-Ex n’est pas un biopic. S’il évoque, brièvement, son enfance dans le château familial, la mort de son frère cadet, François, puis sa disparition en mer en juillet 1944, Saint-Ex se focalise sur un épisode de la vie du célèbre écrivain : en 1929, avec Henri Guillaumet, employé de la Compagnie générale aéropostale, il traverse la cordillère des Andes et ouvre la route aérienne de l’Argentine au Chili.

Il suffit de jeter un oeil à la bande-annonce pour savoir de quoi sera fait ce film. Tout y sonne faux, depuis l’affiche – dont le sommet montagneux encapuchonné de neige ressemble plus au Kilimanjaro qu’à l’Aconcagua – jusqu’au jeu des acteurs et aux décors de carton pâte. Pas un cheveu du beau Louis Garrel ne bouge quand il vole, la tête nue, dans son Potez 25 à quatre mille mètres d’altitude. Quand  son avion s’écrase dans l’océan, il flotte gentiment, le temps de lui laisser le temps de s’en extraire. Quand son moteur s’arrête, faute d’oxygène à trop haute altitude, Saint-Ex rampe sur la carlingue et redémarre à la main l’hélice immobile.

On se croirait dans une bande dessinée des années cinquante, à la ligne claire, aux héros purs et parfaits, pas dans un film. Quelques références, allusives et pataudes, sont faites à l’oeuvre littéraire de Saint-Exupéry (qui évoque son séjour en Amérique du sud et son amitié avec Guillaumet dans Vol de nuit et Terre des hommes) : lors d’une improbable escale dans une hacienda paradisiaque, il croise un jeune garçon aux cheveux bouclés roux qui pourrait bien lui inspirer le petit Prince s’il lui demandait de lui dessiner un mouton.

Rien ne marche dans ce film : ni les paysages à couper le souffle filmés dans la Cordillère des Andes et en Patagonie, ni les acteurs coincés dans la caricature de leurs personnages (Vincent Cassel incarne l’héroïsme, Louis Garrel la loyauté, Diane Kruger la dévotion matrimoniale), ni un scénario dont on connaît à l’avance le dénouement si on a, comme ce fut mon cas, été biberonné aux histoires épiques des grands explorateurs et si, à côté d’un poème de Rudyard Kipling, on avait dans sa chambre un poster de Guillaumet marchant seul dans la neige orné des mots célèbres :  « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait »

PS : Aurez-vous reconnu la voix du directeur de l’Aéropostale à la radio ? Je n’y serai pas arrivé sans aller lire le générique. Il s’agissait de….

La bande-annonce

Limonov, la ballade ★★★☆

Edouard Limonov (1943-2020) est l’enfant maudit des lettres russes. Tour à tour poète, romancier, biographe de sa propre vie, couturier, clochard, majordome, exilé aux Etats-Unis, en France, avant de revenir en Russie, d’y fonder un parti ultranationaliste avant d’être enfermé par Poutine au Goulag, il aura placé sa vie sous le signe de l’excès, à vomir la médiocrité du monde et à défendre l’indéfendable, dans une surenchère de provocation gratuite. Emmanuel Carrère lui avait consacré un livre brillant et ambigu en 2011. Kirill Serebrennikov le porte à l’écran.

Le biopic est un genre frelaté, qui joue trop souvent sur la popularité de son héros, plus que sur un réel désir de cinéma. Un tel reproche ne saurait être adressé à Limonov, la ballade qui, au contraire, constitue la rencontre parfaitement logique et attendue entre deux artistes qui se ressemblent : Serebrennikov (LetoLa Fièvre de PetrovLa Femme de Tchaïkovski), un réalisateur russe exilé, qui entretient avec son pays une relation d’amour-haine et dont le cinéma enfiévré déborde d’une énergie toxique, et Limonov, le dandy punk et misanthrope, croisement ultra-contemporain de Drieu la Rochelle et de Mick Jagger.

Cette rencontre explosive fait-elle pschitt ? Je lis des critiques tièdes voire amères. Première lui reproche d’être trop sage, trop aseptisé, Télérama déplore le cynisme de son héros, Le Monde regrette que le film consacre trop de temps à l’épisode américain et passe trop vite sur le retour à en Russie et la dérive indéfendable de Limonov dans l’ultra-nationalisme, le fascisme et l’antisémitisme – comme le faisait le roman de Carrère, plus balancé dans l’appréciation du personnage et la fascination empoisonnée qu’il suscite.

Ces critiques me semblent néanmoins bien sévères. Limonov, la ballade déborde d’une énergie punk et destructrice. Le travail de l’image est étonnant, qui donne à voir le héros dans des Super-8 tremblotants et jaunâtres qu’on dirait d’époque. Mené tambour battant, il dure plus de deux heures alors qu’on ne voit pas le temps passer. Les transitions d’une époque à l’autre sont filmées par des plans séquences semblables à ceux que Serebrennikov avait déjà tournés dans ses précédents films, d’une maîtrise bluffante. Atout de poids, l’interprétation inspirée de Ben Whishaw (Le ParfumBright Star, Cloud Atlas…) qui, avec un aplomb déconcertant, promène sa silhouette dégingandée d’une maigreur maladive, ses cheveux en pétard et ses lunettes intello.

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Diamant brut ★★☆☆

Liane est à peine sortie de l’enfance. Mal aimée par sa mère qui l’élève seule, elle se rêve influenceuse. Avec ses maigres économies, elle a pratiqué une augmentation mammaire aux effets impressionnants et hésite à se faire refaire les fesses dans la foulée. Sur des talons interminables, faux cils, faux ongles, extensions capillaires, elle surveille anxieusement l’augmentation du nombre de ses followers sur Instagram. Elle a une ambition : participer à la neuvième saison de l’émission de téléréalité Miracle Island.

Agathe Riedinger signe son premier film. Il a eu les honneurs d’une sélection en compétition officielle à Cannes. Il repose tout entier sur les épaules d’une actrice débutante, Malou Khebizi, croisement improbable de la Nabila des Anges de la téléréalité et de la Rosetta des frères Dardenne. Elle est aussi horripilante que la première, aussi attendrissante que la seconde. Dure et fragile à la fois, on la sent sur la corde raide.

Sur le papier, Diamant brut avait tout pour séduire. Son problème vient de son scénario. Une fois le cadre dressé, les personnages installés, il fait du surplace, bloqué sur l’attente fébrile des résultats du casting auquel Liane a participé. On pressent la façon dont il se conclura, quand on mesure son anxiété croissante qui menace de la faire verser dans la folie, quand on la voit adopter des comportements de plus en plus dangereux avec les hommes dont elle attise le désir. On est doublement surpris. Et c’est tant mieux. mais cela ne suffit pas à sauver le film.

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Daddio ★☆☆☆

Une jeune femme (Dakota Johnson), de retour d’Oklahoma, monte à l’aéroport JFK de New York dans un taxi. Destination : le centre de Manhattan. La discussion s’engage entre la passagère et le conducteur du taxi (Sean Penn).

Un film nocturne tout entier tourné à l’intérieur d’un véhicule ? Vous avez l’impression que mon blog bégaie et que je vous en ai déjà parlé ? En effet ! Il y a quelques jours à peine, je chroniquais Le Choix avec Vincent Lindon, un film français qui suivait sa tête d’affiche, l’oreille collée à son portable pour essayer de faire de l’ordre dans sa vie, pendant un trajet automobile nocturne vers une destination inconnue.

Il n’y avait dans Le Choix qu’un seul protagoniste. Il y en a deux dans Daddio, qui ne s’étaient jamais rencontrés avant que leurs chemins se croisent. La question qui se pose – et que je me suis posée pendant tout le film – est la crédibilité de leur rencontre ou, plutôt, celle de leur dialogue. Car qu’un conducteur de taxi rencontre une passagère, il n’y a à cela rien d’extraordinaire. Que la conversation s’engage, sur le temps qu’il fait, l’état du trafic ou les dernières actualités, pourquoi pas ? Mais avez-vous déjà raconté votre vie au conducteur de votre taxi ? vos amours, vos emmerdes, vos secrets les plus intimes ? et vous a-t-il en retour dispensé de sentencieux conseils ?

Car c’est de cela dont il s’agit dans Daddio – un titre que je n’ai pas compris (renvoie-t-il au surnom, scandaleusement incestueux ou délicieusement complice, dont l’héroïne a affublé son amant ?). Une passagère raconte sa vie amoureuse au chauffeur de son taxi. Pour épicer un peu l’intrigue, elle échange simultanément des sextos à l’amant susmentionné qui se languit d’elle. Comment la banquette arrière d’un Yellow Cab se transforme-t-elle en canapé freudien ? C’est le tour de passe-passe auquel le film voudrait nous faire croire.

J’ai beau savoir que les interactions aux Etats-Unis sont plus fluides qu’en France, je suis resté bloqué tout le long du film sur ce point-là : je n’ai pas cru une seconde à la possibilité d’un dialogue entre ces deux personnages. Dès lors, tout dans Daddio m’a semblé sonner faux.

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Le Royaume ★★☆☆

Lesia est une adolescente corse élevée par sa tante. Sa mère est morte ; son père est un chef de bande en cavale qui, entouré des siens, joue au chat et à la souris avec la police et avec les clans qui lui sont hostiles. Éperdument attachés l’un à l’autre, Lesia et son père réussissent à voler à la vendetta quelques instants d’intimité ensemble.

La Corse est décidément à l’honneur cette année : Borgo en avril, À son image en septembre et Le Royaume le mois dernier. À chaque fois, que le film soit réalisé par un pinzutu comme Stéphane Demoustier ou par un autochtone comme Thierry de Peretti (qui portait à l’écran un roman de Jérôme Ferrari) ou Julien Colonna, la réussite est au rendez-vous

Le Royaume est un film largement autobiographique. Julien Colonna est en effet le fils de Jean-Jé Colonna, un des grands parrains corses décédé en 2006. Il a eu une idée de génie en faisant de son héros une héroïne et en trouvant grâce à un casting sauvage à la fois Ghjuvanna Benedetti, élève en école d’infirmerie, pour interpréter sa fille et Saveriu Santucci, guide sur le GR20, pour interpréter son père. Celui-ci a une trogne incroyable : visage immense, crâne chauve, oreilles en chou-fleur.

L’histoire du Royaume est racontée par les yeux de la jeune fille. Elle est confuse. Et cette confusion est captivante. Pendant la première demi-heure, on ne comprend pas les liens de parenté qui unissent Lesia à sa tante, à son père. Pas plus qu’on ne comprend les raisons que le patriarche a de se cacher, ni les motifs qui l’ont conduit à cette interminable cavale et à cette sanglante vendetta. Tout s’éclaire lors d’un long monologue très émouvant quoiqu’un brin trop sentencieux.

Le Royaume aurait pu se terminer cinq minutes plus tôt. Il se clôt par une postface dont l’utilité interroge : le leste-t-elle d’une conclusion inutile ? ou lui confère-t-elle au contraire une dimension plus épique encore ?

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L’Affaire Nevenka ★☆☆☆

À la fin des années 90, la jeune Nevenka Fernandez se laisse convaincre de rejoindre la liste électorale menée par Ismael Alvarez, le maire sortant de la ville de Ponferrada, dans la province du Leon, dans le nord-ouest de l’Espagne. Sitôt réélu, le maire tout-puissant lui confie la délégation des finances. L’édile, de plus en plus pressant, la courtise et la jeune femme cède à ses avances. Mais quand elle décide enfin de rompre leur liaison, sa vie devient un enfer.

L’Affaire Nevenka ressemble à ces films que Les Dossiers de l’écran, l’émission hebdomadaire d’Antenne 2 des années 70 et 80, diffusait en première partie de soirée, avant qu’un cénacle d’experts ne discute du sujet du film. L’Affaire Nevenka parle d’un sujet et d’un seul : le harcèlement sexuel, évoquant sur son affiche « le premier cas #MeToo en Espagne », alors que le mouvement, on le sait, n’a été lancé qu’en 2017.

Il le fait impeccablement. Et implacablement. C’est sa principale qualité. C’est aussi son principal défaut. Car, bien vite, L’Affaire Nevenka se réduit à son sujet. Il est le face-à-face entre une ravissante jeune femme, douée et intelligente, frêle et fragile, et un ogre au physique de taureau, deux fois plus âgé que sa proie, manipulateur, ivre de son pouvoir. Ce face-à-face, aussi impressionnant soit-il, ne réserve aucune surprise. Il est prévisible de la première à la dernière minute : l’excitation de la jeune femme face à ses nouvelles responsabilités professionnelles, sa gêne face à la cour dont elle est l’objet, sa garde qui se baisse après un dîner trop arrosé, qu’elle regrette bien vite, son désarroi face à l’entêtement de son amant éconduit, jusqu’à son sursaut final et à l’injonction adressée à toutes les femmes dans une situation similaire à ne pas baisser la tête et à témoigner.

Bien sûr, le harcèlement sexuel, tel qu’il est décrit dans le film  est haïssable. Et les témoignages, comme celui-ci, qui permettent d’en alerter l’opinion publique et d’en prévenir la répétition, sont louables. Mais les bons sentiments ne font pas toujours du bon cinéma. L’Affaire Nevenka est l’exemple presque caricatural d’un film qui défend mal une juste cause.

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Il était une fois Michel Legrand ★★☆☆

Le documentaire de David Hertzog Dessites rend au compositeur Michel Legrand (1932-2019) un vibrant hommage. En un peu moins de deux heures, il rappelle les grandes étapes de sa vie et donne à entendre ses compositions les plus célèbres : Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort, L’Affaire Thomas Crown, Yentl… Fort de la complicité qu’il avait tissée avec Michel Legrand dans les dernières années de sa vie, il nous livre les images de ses derniers concerts, notamment celui donné à la Philharmonie de Paris le 1er décembre 2018. Il interviewe les hommes et les femmes qui l’ont côtoyé : Jacques Perrin, Elie Chouraqui, Claude Lelouch, Jean-Paul Rappeneau, Natalie Dessay, Sting… et fait revivre ceux qui sont décédés : Jacques Demy, Claude Nougaro, Agnès Varda, Quincy Jones….

Il était une fois Michel Legrand est une hagiographie revendiquée. Son réalisateur confesse volontiers l’adoration qu’il voue au compositeur. Quand il évoque ses colères homériques, son caractère de chien, ce n’est pas pour l’en blâmer mais pour l’en dédouaner. Aucune zone d’ombre de sa vie ne sera stigmatisée. Ce qui ressort de ce panégyrique, c’est le talent fou de ce surdoué de la musique, formé au Conservatoire sous la férule de Nadia Boulanger, avant de se libérer de son carcan, c’est son énergie créatrice épisodiquement obscurcie par quelques épisodes dépressifs.

Pour qui aime comme moi passionnément les arrangements sublimes de Michel Legrand, ce documentaire, aussi univoque soit-il, est un délice – même si à mon sens il sous-évalue Les Parapluies de Cherbourg que je tiens comme son chef d’œuvre indépassable. Pour les autres, la soupe sera plus indigeste.

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Conclave ★★★☆

Le pape meurt brutalement. Doyen du collège, le cardinal Lawrence (Ralph Fiennes) est chargé de l’organisation du conclave qui élira son successeur. Les cardinaux sont logés dans la résidence Sainte-Marthe, dans l’enceinte de la cité vaticane. Quelques favoris se dessinent – l’ultraconservateur Tedesco (Sergio Castellitto), le libéral Bellini (Stanley Tucci), le Nigérian Ayedemi qui pourrait être le premier Pape de couleur – et un participant de dernière minute, l’évêque de Kaboul, nommé in pectore par le défunt pontife, s’invite.

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action : la réunion du collège des cardinaux pour élire en conclave le nouveau pape est un événement profondément cinématographique, avec ses rites, sa dramaturgie, son suspense. Nanni Moretti (Habemus Papam), Fernando Mereilles (Les Deux Papes), Paolo Sorrentino (The New Pope) y ont puisé leur inspiration. C’est à l’allemand Edward Berger (Jack, À l’Ouest rien de nouveau) qu’a été confié le soin de porter à l’écran le thriller de Robert Harris publié en 2016. Il le fait avec une brochette de stars : outre Ralph Fiennes, Sergio Castellitto et Stanley Tucci déjà cités, John Lithgow, en cardinal canadien duplice, et Isabella Rossellini, en sœur silencieuse mais vigilante.

J’ai lu de bien méchantes critiques de Conclave. Le Monde lui reproche ses numéros d’acteurs, son manichéisme (entre l’aile conservatrice derrière Tedesco et l’aile libérale derrière Bellini) et ses coups de théâtre peu crédibles. Je le trouve bien sévère. J’ai pris un réel plaisir à ce film qui m’a tenu en haleine deux heures de rang. J’ai aimé qu’il nous enferme dans les murailles du Vatican sans jamais nous en faire sortir. J’ai goûté l’interprétation de Fiennes et sa voix doucereuse, même si elle reste prisonnière du même registre. Et j’ai apprécié les coups de théâtre qui émaillent le scénario, aussi invraisemblables soient-ils, en particulier le tout dernier qui fut accueilli dans la salle par quelques rires incrédules, dont le mien.

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Rabia ★☆☆☆

Deux amies, à peine sorties de l’adolescence, Jessica (Megan Northam découverte dans Pendant ce temps sur terre et Fario) et Laïla (Natacha Krief), décident de quitter  la France et un quotidien qui les étouffe pour rejoindre en Syrie l’Etat islamique. Elles se retrouvent bientôt à Raqqa, dans une madafa, gouvernée d’une main de fer par Madame (Lubna Abazal).

Rabia raconte une situation qui appartient désormais à l’Histoire et qui a déjà été abondamment filmée : le califat proclamé en 2014 par Daech au nord de la Syrie. Le cinéma a déjà souvent décrit ces jeunes gens, endoctrinés via Internet, qui décident de rejoindre Daech au grand dam de leurs parents : Les Cowboys, Le ciel attendra, Mon cher enfant, ExfiltrésL’Adieu à la nuit, Les Filles d’Olfa… Le plus souvent, ces films se déroulent en France et adoptent le point de vue des parents qui cherchent à comprendre les motifs du départ de leurs enfants ; mais parfois ils les suivent en Syrie comme le belge Rebel ou la mini-série Kalifat diffusée sur Netflix pendant le Covid.

Rabia documente un aspect précis de cette page d’histoire. Il nous plonge à l’intérieur d’une madafa, une maison où les femmes sont enfermées dans l’attente de leur mariage avec un djihadiste. La réalisatrice, allemande, a raconté que ces lieux, dont elle avait appris l’existence grâce au témoignage de survivantes rentrées de Syrie, lui rappelait les Lebensborn nazis, ces pouponnières où grandissaient de fiers rejetons de la race aryenne. Sans avoir besoin de cette funeste référence, le lieu donne froid dans le dos, où s’exerce une violence déshumanisante contre des jeunes femmes, venues du monde entier, dont le passeport et le téléphone portable  ont été confisqués et dont le seul avenir sera d’accepter le mari qui leur sera donné et de lui faire des enfants, avant qu’il ne tombe au combat en martyr.

Aussi intéressant que soit le sujet, Rabia ne convainc pas tout à fait. La faute à une mise en scène qui ne parvient pas à faire oublier son artificialité de carton pâte. L’intérieur de la madafa a été reconstitué dans les locaux désaffectés de France Tabac en Dordogne et cela se sent. Lubna Azabal est certes impeccable et implacable dans son rôle de garde-chiourme sadique. Mais son personnage, comme le reste de l’histoire est trop caricatural, trop artificiel.
Le scénario oublie une dimension passionnante : l’avenir de ces femmes, ballotées entre la Syrie qu’elles cherchent à fuir et leur pays d’origine qui leur reproche leur participation à l’entreprise criminelle dont elles furent les complices avant d’en devenir les victimes. Il oublie aussi d’évoquer leurs enfants, parfois nés de viols sordides ou de vraies histoires d’amour et auxquels, en tout état de cause, on ne saurait reprocher les crimes de leurs pères.

La bande-annonce