Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres ★★☆☆

L’oeuvre de Leni Riefenstahl (1902-2003) sent le soufre. La réalisatrice du Triomphe de la volonté (1935) et des Dieux du stade (1938) s’est vu reprocher de s’être fait la propagandiste complaisante du régime nazi. Toute sa vie durant, elle s’est défendue en affirmant qu’elle ne s’intéressait qu’à l’art, pas à la politique. Le documentariste allemand Andres Veiel a eu accès aux 700 cartons de ses archives. Il instruit son procès.

« Peut-on séparer l’oeuvre de l’artiste ? ». La question revient sans cesse, chaque fois qu’un artiste voit planer sur lui la menace d’une condamnation pour un acte commis dans sa vie privée. J’ai tendance moi-même à y répondre par la positive, n’appréciant guère les appels à la censure contre Depardieu, Allen ou Polanski. Le cas Riefensthal pourrait-il me faire reconsidérer ma position trop tranchée ?

Leni Riefenstahl a certes révolutionné l’art du documentaire, en utilisant notamment la plongée et la contre-plongée. Elle a pour ce faire mobilisé des moyens techniques inédits. Mais cette inventivité technique était indubitablement au service d’une idéologie haïssable dont, bien qu’elle s’en défende, Leni Riefenstahl, fut la complice zélée. Certes, la quasi-totalité de la population allemande soutenait Hitler dans les années Trente. Certes encore, on ne pouvait à l’époque imaginer que Hitler allait entraîner son pays dans une guerre totale et que son antisémitisme pathologique allait provoquer la Shoah – même si une lecture attentive de Mein Kampf (1925) aurait pu laisser augurer le pire.

Pour autant, la défense de Leni Riefenstahl ne tient pas, qui toute sa vie durant, avec une énergie pathétique a intenté des procès en diffamation à tous ceux qui lui reprochaient son compagnonnage avec le nazisme. « Je n’ai jamais gazé personne » clame-t-elle. C’est vrai ! Mais n’avoir gazé personne n’innocente pas pour autant Leni Riefenstahl d’avoir soutenu une idéologie qui a gazé six millions de victimes. « Je ne savais rien de ce qui se déroulait dans les camps de concentration » C’est (peut-être) encore vrai. Mais, là encore, c’est un peu court : si elle ne savait rien, c’est aussi parce que ça l’arrangeait bien de ne rien savoir !

Le documentaire de Andres Veiel ne présente pas Leni Riefenstahl sous son meilleur jour. Comme l’indique son affiche française, on y voit une vieille femme narcissique, obsédée, même à 98 ans, de l’image qu’elle donne d’elle-même, exigeant du chef éclairagiste qu’il efface les rides qui pourtant ravinent son vieux visage. Quelques révélations achèvent de la discréditer : le sort qu’elle a réservé à son directeur de la photographie, qu’elle a laissé enfermer dans un asile psychiatrique et stériliser, sa présence en septembre 1939, sur le front polonais, où elle a utilisé des Roms comme figurants dans l’un de ses films et a assisté sans protester à l’exécution de Juifs polonais. Jusqu’à sa fascination dans les années soixante pour les Noubas du sud du Soudan qui témoigne d’un goût suspect pour une race exempte de toute impureté.

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No Other Land ★★☆☆

Basel Adra, un activiste palestinien, est né et a grandi au sud de la Cisjordanie dans un petit village bédouin de la zone C, Masafer Yatta, sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Épaulé par Yuval Abraham, un journaliste israélien arabophone, il a documenté de 2019 à 2023 la destruction de son village par l’armée israélienne, s’appuyant sur un jugement de la Cour suprême israélienne pour en déloger ses habitants et y créer un camp militaire.

Couronné du prix du meilleur documentaire au dernier festival du film de Berlin, No Other Land est un film militant. Il est constitué d’une succession d’images tremblantes, tournées la plupart du temps grâce à un téléphone portable, en plein cœur de l’action. Ces images rendent compte d’une situation qui ne peut que choquer : la lutte de David contre Goliath, de la puissante armée israélienne  et de colons ivres de violence contre des familles de Bédouins, implantés sur ces terres depuis plusieurs générations, dont les habitations sont détruites par des bulldozers. Les habitants, contraints de se terrer dans des grottes insalubres pour survivre, n’ont d’autre ressource que de reconstruire la nuit ce qui est détruit le jour. Mais dans ce combat déséquilibré, c’est Goliath qui l’emporte, rasant les maisons, expulsant les habitants, confisquant leurs voitures, bouchant leurs puits.

Filmer. Basel Adra n’avait que cette arme à opposer aux militaires venus détruire les maisons de son village. Il postait ses images sur YouTube pour sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale. C’est par ce biais que Yuval et Basel se sont rencontrés et qu’un collectif israélo-palestinien s’est constitué. Exemple admirable et dérisoire à la fois de la capacité des ressortissants de ces deux peuples à faire cause commune autour de certaines valeurs.

No Other Land manque cruellement de contrepoint. La situation nous est décrite uniquement du point de vue palestinien. Pour déchirante qu’elle soit, elle est pourtant la conséquence d’une décision de justice rendue par une Cour suprême d’un État démocratique. Le film se clôt en octobre 2023. Les représailles annoncées par Netanyahou contre Gaza désinhibent la violence des colons israéliens qui n’hésitent pas à faire usage de la force contre les Bédouins de Masafer Yatta et assassinent le frère de Basel sous ses yeux. Cette violence est inacceptable. Mais on regrette que pas un mot ne soit dit de celle, tout aussi inadmissible, déployée par le Hamas dans ses attaques du 7 octobre.

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Leurs enfants après eux ★☆☆☆

Anthony (Paul Kircher) a quatorze ans. L’été s’étire interminablement à Haillange (sic), une petite ville de Moselle frappée par la désindustrialisation. Pour échapper à un père alcoolique (Gilles Lellouche) et à une mère  désabusée (Ludivine Sagnier), Anthony traîne avec son cousin, tombe amoureux de Stéphanie (Angelina Woreth), pique la vieille moto de son père pour la suivre en soirée, se frite avec Hacine (Sayyid El Alami), un voyou d’une cité HLM.
Les années passent. Anthony grandit….

Leurs Enfants après eux avait eu, à sa sortie en 2018 un succès mérité. Ce gros bouquin de plus de quatre-cents pages, écrit par un jeune auteur quasi-inconnu, avait décroché le prix Goncourt.

Son adaptation par les frères Boukherma (Teddy, L’Année du requin), qu’on n’attendait guère dans ce registre-là, lui est très fidèle. Trop peut-être. Le livre est en effet feuilletonnesque, qui se divise en quatre parties qui se déroulent chacune à deux ans d’écart durant les étés 1992, 1994, 1996 et 1998. Il se serait peut-être mieux prêté à une mini-série en quatre épisodes qu’à un film, quand bien même la durée de celui-ci dépasse largement les deux heures.

Ce premier reproche n’est pas le seul que j’adresse à ce film qui m’a beaucoup moins plu que le livre dont il est tiré.

Je dois d’abord confesser un sentiment très subjectif. Je déteste Paul Kircher – dont je n’arrive pas à m’ôter de la tête qu’il doit sa carrière à sa parenté (il est le fils de Jérôme Kircher et d’Irène Jacob) plus qu’à son talent. Je n’aime pas son air ahuri. Je le trouve très mal choisi pour ce rôle où il est censé camper un prolétaire déclassé alors que tout exsude chez lui la bonne éducation germanopratine.

Autre reproche lui aussi très subjectif : Leurs enfants après eux souffre de la comparaison avec L’Amour ouf sorti sept semaines plus tôt (même époque, même structure du récit, même thématique de l’amour de jeunesse face à l’épreuve du temps qui passe) qui le surpasse selon moi sur tous les plans.

Troisième reproche : Leurs enfants après eux manque désespérément de rythme. On dirait qu’il est resté prisonnier du roman dont il suit scrupuleusement le récit. Mais ce qui marchait à l’écrit marche moins bien à l’écran. Le film dure, s’étire, interminablement.

Quatrième et dernier reproche : le livre tirait tout particulièrement sa valeur du tableau sociologique qu’il dressait d’une certaine France périphérique (le livre de Christophe Guilluy avait été écrit trois ans plus tôt et l’expression faisait florès), engluée dans la désindustrialisation, le chômage, l’alcool et l’ennui. Ses éléments-là ont été largement gommés du film qui se concentre sur le trio de personnages principaux : Anthony, Hacine et Stéphanie. Les frères Boukherma cèdent à leur penchant et signent un film noir voire un western là où le parti de l’hyperréalisme aurait été sans doute plus approprié.

Quelques bémols – ou plutôt quelques dièses – à cette longue liste de reproches. La BOF, pas bof du tout, qui mélange audacieusement des adaptations de Cabrel, de Johnny, de Goldman avec les Pixies et Metallica. Et Gilles Lellouche – derrière la caméra pour L’Amour ouf, devant elle dans Leurs enfants après eux – dans le rôle paroxystique du père alcoolique d’Anthony.

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Les Reines du drame ☆☆☆☆

En 2055, Steevyshady (Bilal Hassani, le représentant drag de la France au concours Eurovision 2019) raconte la longue et toxique histoire d’amour qui, pendant un demi-siècle a réuni, Mimi Madamour (Luiza Aura), une jeune starlette révélée par un concours de chant télévisé, et Billie Kohler (Gia Ventura) une icône punk.

Les Reines du drame – un clin d’œil à l’expression Drama Queen – est un film qui sort de l’ordinaire. Il explore une veine queer et kitsch qui résonne avec notre époque gender fluid. Comédie musicale remplie de tubes disco sucrés comme des bonbons ou de singles punk acides, Les Reines du drame convoque Mylène Farmer, Britney Spears, Mariah Carey et Buffy contre les vampires. J’étais de loin le plus vieux spectateur dans la salle du Marais qui le projetait hier – et sans doute le plus hétérosexuel.

Les Reines du drame est à la fois un éloge de la liberté sexuelle et du droit d’assumer sa différence, et une critique ironique du star system et de ses dérives.

Ce cinéma-là, dont on ne sait s’il faut le prendre au premier ou au énième degré, est sans doute rafraichissant. Le problème est qu’il est très mauvais. Car il échoue à raconter une histoire, se contentant de nous présenter deux héroïnes et une relation amoureuse dont les tenants et les aboutissants nous sont par avance connus. Car il échoue à mettre en scène un récit, filmant chaque scène comme la précédente, sans temps mort ni changement de rythme, donnant très vite à cette accumulation de chansons (la palme allant à « Je t’ai fistée jusqu’au cœur », répété ad nauseam), de costumes kitsch une tournure répétitive et ennuyeuse alors qu’on en attendait tout le contraire.

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Le Choix ★☆☆☆

Joseph Cross (Vincent Lindon) dirige un chantier de BTP en cours d’achèvement. Mais après avoir reçu un coup de téléphone, il le quitte à la hâte pour rouler jusqu’à Paris. Dans sa voiture, muni de son seul téléphone sans fil, il expliquera à ses collègues et à ses proches la raison de son choix.

J’avais décidé avant de le voir que j’adorerais ce film. Parce qu’il se déroule du début jusqu’à la fin dans la voiture de Cross, sans jamais la quitter. parce qu’on n’y verra qu’un seul acteur – même si on s’amusera à deviner l’identité des autres dont on entendra seulement la voix (j’ai confondu Micha Lescot et Eric Caravaca). Et parce que j’adore ce genre de « dispositifs », ce genre de défis que des scénaristes audacieux se lancent à eux-mêmes : faire tenir un film tout entier dans un canot de sauvetage (Lifeboat), dans une cabine téléphonique (Phone Game) ou dans un cercueil (Buried).

Certes le pari cinématographique est tenu. Le film, d’une remarquable brièveté (une heure et seize minutes à peine), se déroule tout entier dans une voiture. Il faut tirer un coup de chapeau au directeur de la photographie et au monteur pour avoir réussi à filmer des plans qui ne sont jamais monotones ou répétitifs.

Le problème vient plutôt du scénario. Pour fonctionner efficacement, il aurait dû reposer sur une énigme qui se dévoile lentement et multiplier les rebondissements. L’énigme ? Elle est dévoilée au bout de quelques minutes à peine où l’on comprend les motifs de cette longue équipée automobile. Les rebondissements ? Il n’y en a aucun, le film se contentant de mettre en scène Cross face à sa femme, ses enfants, son second, dépassé par la tâche qui lui a été laissée, son patron, furieux de son abdication.

Jusqu’au titre du film lui-même qui me laisse dubitatif. Où est le choix qu’il nous promet sinon dans celui que Cross a fait dès la première minute du film et dont il ne déviera pas ?

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Grand Tour ★☆☆☆

Un jeune employé de la Couronne britannique,  Edward Abbott, en poste en Birmanie en 1918, est pris de panique à l’annonce de l’arrivée à Rangoun de sa fiancée qu’il n’a pas vue depuis sept ans. Il fuit à Singapour, avant de gagner Bangkok, Saïgon, le Japon, les Philippines, puis Shanghai et Chongqing en amont du Yang Tse Kiang. Molly, sa fiancée, le suit à la trace et espère le rattraper.

Depuis la mort du vétéran Manoel de Oliveira (1908-2015), le cinéma portugais a trouvé dans les festivals internationaux un nouveau porte-drapeau en la personne de Miguel Gomes. Diplômé de l’École supérieure de théâtre et cinéma de Lisbonne, il signe en 2012 un film qui le fait connaître du grand public, Tabou, lointainement inspiré du chef d’oeuvre de Murnau, sur la colonisation portugaise et ses lointaines répliques. Son film suivant, Les Mille et une Nuits dure plus de six heures. Il est présenté en trois parties à Cannes en 2015. Je n’en ai vu que la première à sa sortie. Comme Le Journal de Tûoa en 2021, Grand Tour a également eu les honneurs de la Croisette où il a décroché en mai dernier le prix de la mise en scène.

Grand Tour est inspiré d’un roman de Somerset Maugham – qui, pourtant n’est pas crédité au générique. On y retrouve toute l’élégance de cet écrivain tombé dans l’oubli qui a su, comme EM Forster ou Graham Greene, décrire l’ambiance émolliente des colonies britanniques en Asie. L’action se déroule en 1918. Mais la mise en scène a pris un parti audacieux : alterner des images tournées en intérieur avec des acteurs en costumes d’époque et des images en couleurs tournées de nos jours en extérieur. Le cocktail pourrait être détonnant qui mélange ombrelles et téléphones portables. Mais on s’y fait très vite.

La caractéristique du cinéma de Miguel Gomes, on le savait depuis Tabou, est sa langueur. Pour certains critiques, au premier rang desquels ceux du Monde ou de Télérama, qui crient au génie, c’est un gage de qualité. Pour moi, hélas, qui suis bien moins intelligent qu’eux et surtout beaucoup plus narcoleptique,  l’âge aidant, c’est fréquemment une cause de somnolence.

Ca n’a pas manqué avec Grand Tour que j’ai eu le tort d’aller voir hier à l’heure de la sieste, dans une salle douillettement chauffée où j’étais pourtant l’un des plus jeunes spectateurs. Au bout d’une heure, bercé par la douce mélopée des voix off qui accompagnent, en birman, en chinois, en thaï ou en vietnamien, la longue errance d’Edward Abbott, je me suis profondément endormi. Cette longue ellipse me prive peut-être du droit de parler d’un film dont j’ai raté un bon tiers.

Quand je me suis réveillé, le scénario avait changé d’axe. Après avoir suivi Edward dans sa première moitié, il refait le même chemin cette fois-ci avec Molly qui manque de peu de rattraper à chaque étape son fugitif époux. Je ne dirai pas comment cette course-poursuite fort peu hollywoodienne se termine. Cet épilogue, dont je ne suis pas certain d’avoir compris le sens, n’aura pas été de nature à éclairer le souvenir nébuleux que je garderai de Grand Tour.

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Nome ★☆☆☆

Nome est une jeune garçon bissao-guinéen élevé par sa mère après le décès de son père. Amoureux de sa cousine, il lui fait un enfant, mais s’enfuit de son village par peur de la réprobation dont il risque de faire l’objet. Il rejoint la guérilla indépendantiste qui combat le colonisateur portugais.

Sana Na N’Hada est un réalisateur bissao-guinéen né en 1950. Enrôlé dès treize ans dans la guérilla indépendantiste du PAIGC, il est missionné en 1967 à Cuba pour y apprendre le métier de cinéaste. Revenu en Guinée-Bissao, il filme les combats qui se concluent en 1974 par l’indépendance de l’ancienne colonie portugaise. La majorité de ces enregistrements ont été perdus. Mais ceux qui ont pu être sauvés sont utilisés dans Nome, qui voit alterner des images de fiction contemporaines en couleurs et des images documentaires d’époque en noir et blanc.

Pour autant, Nome n’est pas un documentaire historique qui raconte la guerre d’indépendance. C’est plutôt un conte centré sur son héros, dont le patronyme – « Nome » signifie en créole « homonyme » – sonne comme un programme. Nome est d’abord un enfant privé de son père, dont le fantôme l’accompagnera sa vie durant. C’est aussi un villageois habité par les croyances animistes qui lui ont été léguées. Il devient guerrier par hasard, sans verser dans la geste héroïque que les Pères de l’indépendance ont entendu écrire pour glorifier leur combat et en faire le ferment du nouvel État. Mais une fois cette indépendance durement acquise, il est le témoin du désenchantement révolutionnaire, quand les intérêts privés et l’appât du gain l’emportent sur l’intérêt général.

Soutenu par l’ACID, qui l’avait retenu dans sa sélection à Cannes, Nome est sorti en France en mars dernier. J’ai eu la chance de le voir en présence du réalisateur. J’ai été impressionné par sa haute stature et sa lente élocution.
Pour autant l’exotisme de ce cinéma et l’intérêt historique de Nome ne suffisent pas à gommer ses maladresses, notamment dans la direction d’acteurs.

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En fanfare ★★★☆

Parce qu’il est brutalement frappé par une leucémie dont seule une greffe de moelle osseuse pourrait le sauver, un jeune et brillant chef d’orchestre (Benjamin Lavernhe) découvre qu’il a été adopté à sa naissance. Élevé dans une famille  bourgeoise des Hauts-de-Seine, Thibaut apprend simultanément qu’il a un frère, Jimmy (Pierre Lottin) qui, lui, a été élevé dans les corons. Si tout en apparence sépare les deux frères biologiques, le même don pour la musique les rapproche.

Il y a deux façons de réagir aux feel good movies. La première – qui est souvent la mienne – est, comme Goebbels, de sortir mon revolver, d’en railler les facilités, de se méfier de la larme qu’ils veulent à tout prix faire couler. La seconde est de s’y laisser prendre.

Je l’avoue : je n’ai pas sorti mon revolver, j’ai versé ma larme et me suis laissé prendre à ce feel-good movie, lacrymal à souhait, débordant de bons sentiments. Il se déroule dans le bassin minier du Nord. On n’est pas à Bergues ; mais l’esprit de Bienvenue chez les Ch’tis n’est pas loin dans ce film qui joue sur la corde – si j’ose dire – du régionalisme.

Son scénario est particulièrement improbable. Mais le rythme enjoué avec lequel il est débité excuse ses outrances. La première moitié du film est particulièrement enthousiasmante ; la seconde l’est moins dont on a l’impression qu’Emmanuel Courcol et sa co-scénariste n’ont pas su y mettre un terme et y rajoutent une couche de pathos inutile et indigeste.

Le succès du film doit beaucoup à son interprétation. En tête, Benjamin Lavernhe, le gendre idéal du cinéma français – dont on peut espérer que l’interprétation de l’abbé Pierre ne soit pas mise à son passif depuis que les révélations s’accumulent sur le passé sulfureux du saint homme. Mais celui qui crève l’écran, c’est Pierre Lottin, dans le rôle taiseux du frère que le destin n’a pas favorisé, condamné à servir des nouilles à la cantine du collège alors que son don pour la musique le prédisposait à une carrière aussi brillante que celle de son frère. Un coup de chapeau aussi pour Sarah Suco qui, depuis bientôt quinze ans accumule les seconds rôles (DiscountLa Belle SaisonOrphelineAurore, Guy, Place publiqueLes Invisibles…) et mérite largement son nom en haut de l’affiche.

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La Plus Précieuse des marchandises ★☆☆☆

Dans un lieu et à une époque inconnus, une pauvre bûcheronne recueille, contre l’avis de son mari, un nouveau né abandonné sur les rails d’une voie de chemin de fer.

Inspiré d’un bref conte de Jean-Claude Grumberg, le film d’animation de Michel Hazanavicius brode une métaphore transparente : nous sommes au cœur de la Seconde Guerre mondiale, en Pologne, à une encablure du camp d’Auschwitz, sur le chemin des locomotives qui y conduisent par centaines de milliers les Juifs qui s’y feront gazer.

Un tel sujet ne peut que susciter une admiration révérencieuse. Le film a d’ailleurs été accueilli par une critique louangeuse et un bouche-à-oreille admiratif. Dans quelle mesure la renommée de Michel Hazanavicius, qui a signé quelques-uns des films les plus stimulants du cinéma français contemporain (les deux premiers OSS 117, The Artist, Coupez !) ? On peut se le demander. Aussi est-ce avec beaucoup d’humilité que je ferai entendre deux notes dissidentes.

La première ne concerne évidemment pas la représentation de la Shoah, au sujet de laquelle on ne rouvrira pas le débat lanzmannien, mais le scénario. Je lui ferais deux reproches. Le premier est de reposer sur un ressort bien mince : l’accueil dans ce foyer sans enfant d’un nouveau-né auquel la bûcheronne voue immédiatement un amour inconditionnel et auquel on sait par avance que le bûcheron, sous ses dehors de grand ours mal léché, finira par s’attacher. Le second n’est pas sans lien avec le premier : ce motif-là étant trop mince, le film, après être resté dans l’intimité de ce couple et de cet enfant pendant toute sa première moitié, se voit obligé de quitter ce huis-clos pour entamer une odyssée qui le déséquilibre.

La seconde concerne l’animation. Pourquoi avoir eu recours à cette technique ? Pourquoi ne pas avoir tourné une fiction avec des acteurs de chair et de sang ? Son utilisation répond-elle à un impératif esthétique ? scénaristique ? Suscite-t-elle plus l’émotion ou la réflexion qu’un film « ordinaire » ? Cette technique ne va-t-elle pas rebuter le public adulte auquel le film est destiné – même si on sait, bien entendu, que l’animation pour adultes est un genre qui connaît une popularité grandissante ? Ne risque-t-elle pas d’attirer des parents et leurs très jeunes enfants, comme ceux qui se sont enfuis au milieu de la séance à laquelle j’étais hier lorsque le récit a pris un tour horrifique ?

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La Belle Affaire ★☆☆☆

Nous sommes en 1990 à la veille de la réunification allemande. Un quatuor d’Allemands de l’Est en rupture de ban mettent la main sur une montagne d’Ostmark voués à la destruction. Ils ont trois jours pour les échanger.

Sandra Hüller (Toni Erdmann, Sibyl, Anatomie d’une chute, La Zone d’intérêt), Max Riemelt (La Vague, Matrix 4) et Ronald Zehrfeld (Barbara, Phoenix, Fritz Bauer, un héros allemand) sont des acteurs allemands quadragénaires qui ont acquis, dans leur pays et à l’étranger, une certaine renommée. On a un peu l’impression que la réalisatrice leur a proposé de se retrouver quelques jours ensemble pour un tournage sympathique.

Ils s’en donnent à cœur joie dans une comédie qui s’inspire de faits réels, rappelés par les images d’archives qui accompagnent le générique de fin. Profitant du délai laissé aux Allemands expatriés pour changer leurs DDM au taux de deux pour un – ce qui éclaire le titre original Zwei für Eins – des Allemands de l’Est qui avaient réussi à mettre la main sur des sacs de vieux billets froissés ont décroché le jackpot.

L’arnaque est tellement compliquée, elle suppose la participation d’un si grand nombre de personnes, qu’on peine à croire qu’elle ait pu réussir, en tous cas pas avec le même épilogue que dans le film. Il s’agit, si je l’ai bien compris, d’acheter à vil prix en Ostmark des produits électroménagers à l’Est et d’aller les revendre à l’Ouest au taux fort.

Moins que cette arnaque compliquée, le vrai sujet du film est l’Ostalgie, la nostalgie paradoxale que nourrissent les Allemands de l’Est pour la période honnie et pourtant regrettée du communisme. Le film qui en a lancé la mode, avec le succès que l’on sait fut Good Bye Lenin! (2003). Etalon indépassable que La Belle Affaire hélas est bien loin de dépasser.

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