Jacky Caillou ★☆☆☆

Jacky Caillou vit dans les Alpes auprès de sa grand-mère, une magnétiseuse. Il apprend d’elle les secrets de ses pouvoirs. Une citadine et son père viennent la consulter pour une maladie de peau. Un loup hante les bois avoisinants et tue les brebis.

Jacky Caillou appartient à un courant original du cinéma français : le fantastique rural. Ce n’est pas le premier film du genre : Petit Paysan l’avait tangenté avec le succès que l’on sait (César du meilleur acteur et du meilleur premier film en 2018), puis La Nuée et Teddy avaient creusé ce sillon étonnant. Il s’agit, si l’on en suit le cahier des charges, de distiller une dose de fantastique dans un récit naturaliste qui se déroule dans un milieu retiré sinon hostile.

Il y a plusieurs degrés dans le cinéma fantastique. Le plus vulgaire joue sur nos peurs primales : peur du noir (les fantômes), peur de la mort (les zombies), peur de la sexualité (les loups-garous)…. Plus subtil celui qui ne va pas dans ce registre là et qui se borne à distiller un malaise, à faire douter du monde qui nous entoure, à lui ajouter une dimension qu’il n’a pas. C’est là que se situe Jacky Caillou.

Le problème de ce sous-genre là est son manque de crédibilité. Jacky Caillou voudrait nous faire croire qu’un rebouteux peut guérir une jeune femme lycanthrope. Il faut donc, à rebours de toute raison accepter qu’une jeune femme puisse se transformer en loup et qu’un magnétiseur puisse la guérir ce sort. C’est beaucoup. C’est trop. Le charme incandescent de Lou Lampros (remarquée dans Ma nuit) et le talent de la révélation Thomas Parigi (dont le physique d’un bloc rappelle celui de Anthony Bajon) ne suffisent pas à donner de la chair à cette histoire d’amour.

Tout se résume à l’affiche du film et aux sentiments qu’elle inspire : d’autres que moi lui trouveront peut-être une sauvage beauté, un charme mystérieux. J’avoue que je la trouve au contraire un peu ridicule.

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Couleurs de l’incendie ★★★☆

La mort de son père laisse Madeleine Pericourt (Léa Drucker) à la tête d’une fortune. Mais son manque d’expérience l’oblige à se reposer sur son entourage : son homme de confiance (Benoît Poelvoorde), son oncle (Olivier Gourmet), le précepteur de son fils (Jérémy Lopez), sa dame de compagnie (Alice Isaaz), son chauffeur (Clovis Cornillac)…
Bien vite, les masques tomberont et Madeleine se retrouvera ruinée et à la rue, avec un fils grabataire. Mais Madeleine est bien décidée à se venger.

On avait tous adoré en 2013 Au revoir là-haut, le roman haut en couleurs de Pierre Lemaître, auquel les jurys du Goncourt avaient eu le nez creux de décerner leur prix prestigieux, n’en déplaise aux grincheux qui leur reprochent leur élitisme ou leur compromission avec Galligrasseuil. On avait tous aimé en 2017 la flamboyante adaptation qu’en avait tirée Albert Dupontel, elle aussi couverte de prix (cinq Césars en 2018). Ce double succès critique et public ne pouvait avoir qu’une seule issue : l’écriture d’une suite… et son adaptation au cinéma.

Albert Dupontel ne s’y est pas collé cette fois-ci, laissant la place à Clovis Cornillac, un solide acteur qui a parfois gâché son talent dans des films niaiseux, mais qui est aussi un solide réalisateur. Il s’est entouré de la fine fleur du cinéma français. Il n’a pas lésiné sur les moyens : le budget du film, produit par Gaumont, s’élève à seize millions. La reconstitution des années Trente est impeccable : il ne manque aucune traction avant dans les rues de Paris (on reconnaît la rue Le Goff dans le cinquième, la place saint Georges dans le neuvième, la Cour de cassation dans le premier et bien sûr le Grand Escalier de l’Opéra Garnier) et aucun bouton de manchette aux riches toilettes des personnages.

La trame du roman est scrupuleusement respectée. Son histoire est abracadabrantesque, renouant avec les grands romans populaires à feuilleton d’Eugène Sue ou d’Alexandre Dumas. Je reproche souvent aux scénarios leur manque de crédibilité et le manichéisme de leurs personnages. Pourquoi ne le fais-je pas ici ? Parce que ce manque de crédibilité et le manichéisme des personnages font partie en quelque sorte de ce genre et on les y accepte plus aisément.
On se laisse happer par ce récit enthousiasmant et profondément moral où les Gentils finissent toujours par l’emporter sur les Méchants. On n’a qu’un seul regret : que le film, qui dure pourtant deux heures et quart bien sonnées, ne soit pas plus long. Couleurs de l’incendie aurait fait une parfaite série de six fois une heure, dont on aurait dévoré les premiers épisodes en attendant impatiemment les suivants.

Vivement l’adaptation du troisième tome de ce cycle romanesque : Miroir de nos peines !

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Amsterdam ★★☆☆

Dans l’Amérique des années trente, trois vétérans de la Première Guerre mondiale, un médecin en rupture de ban (Christian Bale), un avocat noir (John David Washington) et la sœur d’un milliardaire (Margot Robbie) enquêtent sur un double meurtre.

Amsterdam est un film déroutant.
C’est une superproduction hollywoodienne de plus de deux heures qui ne mégote pas sur son budget. Sa reconstitution des années trente est luxueuse ; ses décors et ses costumes sont une merveille pour l’œil. Sa distribution rassemble le Gotha du cinéma américain dans des seconds rôles : Robert De Niro, Rami Malek, Michael Shannon, Anna Taylor-Joy, Zoe Saldana, Matthias Schoenaerts, etc.

Mais c’est surtout un scénario foutraque qui part dans tous les sens, sans rime ni raison. On dirait une adaptation d’un roman foisonnant de cinq cents pages dont les scénaristes se seraient refusés à sacrifier tel ou tel passage. Mais il n’en est rien : il s’agit bien d’un scénario original du réalisateur David O. Russell, coutumier du genre, qui avait signé Fighter (l’histoire de deux frères boxeurs) (2010), Happiness Therapy (avec le couple mythique Bradley Cooper – Jennifer Lawrence) (2012) ou American Bluff (2013) qui versait déjà dans le grand n’importe quoi.

Dans ce grand-huit sans queue ni tête, les acteurs s’en donnent à cœur joie, à commencer par Christian Bale, excellent comme toujours, grimé en médecin sous acide. Margot Robbie est elle aussi, comme d’habitude, renversante de beauté. S’il existait un prix de l’actrice la plus belle du monde, elle l’emporterait haut la main.

Mais une distribution aussi brillante soit-elle ne suffit pas à faire un bon film. Amsterdam voudrait nous faire croire que des groupuscules nazis ont essayé de prendre le pouvoir aux États-Unis dans les années Trente – ce qui n’est pas absolument faux sans être tout à fait vrai. Sur cet arrière-plan historique, Amsterdam raconte une banale histoire d’amitié qui louche du côté de Jules et Jim.

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Vous n’aurez pas ma haine ★☆☆☆

On se souvient tous que trois jours après l’attentat du Bataclan, Antoine Leiris avait posté sur Facebook un texte poignant. Sa compagne, la mère de son petit garçon, âgé d’un an à peine, venait de décéder. Aux auteurs de l’attentat, il écrivait : « Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils mais vous n’aurez pas ma haine. (…) Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un oeil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu »
Quatre mois plus tard, il publie chez Fayard un court essai dans lequel il raconte les douze premiers jours « d’une vie à trois qu’il faut poursuivre à deux ». Succès de librairie immédiat.

Son adaptation au cinéma est une fausse bonne idée. Bien sûr, elle parie sur la notoriété de son auteur et de son texte, espérant attirer une audience captive de lecteurs curieux. Le pari ne va pas de soi : tous les lecteurs d’Antoine Leiris iront-ils voir ce film ? Leur émotion n’aura-t-elle pas déjà été entamée par les autres films consacrés aux attentats du 13 novembre 2015 dont les hasards de la programmation provoquent la sortie en masse ces dernières semaines : Revoir Paris avec Virginie Efira, Novembre avec Jean Dujardin ?

Fidèle au livre, Vous n’aurez pas ma haine suit pas à pas Antoine depuis le matin de ce funeste vendredi 13 dont on sait par avance que ce sera le dernier qu’il partagera avec sa femme. On le scrute, avec un voyeurisme malaisant, tandis qu’il apprend les fusillades au Stade de France puis au Bataclan, comme nous l’avons tous fait ce soir-là et comme nous en avons tous gardé le souvenir si précis. Mais on sait que l’inquiétude vite levée que nous avons tous plus ou moins vécue aura pour lui des suites autrement dramatiques. On le suit ensuite durant les jours qui suivent les attentats entamer avec résilience un long deuil, entouré de la sollicitude de ses proches, avec son fils désormais orphelin.

L’écriture de ce texte soulevait deux questions intéressantes : pourquoi Antoine Leiris l’a-t-il écrit ? quelles conséquences a-t-il eues sur sa vie ?
Hélas le film ne répond ni à l’une ni à l’autre. Ou bien il y répond mal. Ou bien encore les réponses qu’il y donne sont d’une telle banalité qu’elles n’ont aucun intérêt.

On ne saura rien du passé d’Antoine Leiris sinon qu’il était encalminé dans l’écriture d’un roman qui n’avançait pas. On ne saura pas ce qui l’a incité à écrire ce texte sur Facebook. Il dira plus tard l’avoir écrit d’un trait durant la sieste de son fils. On ne saura pas surtout ce qui l’a incité à y faire preuve d’une si grande magnanimité à l’égard des assassins de sa femme. Car c’est bien là le point le plus intéressant de ce texte, sur lequel le film ne nous dit rien : qu’y avait-il, dans la vie d’Antoine, dans ses engagements politiques, dans sa philosophie de vie, qui l’a incité à faire preuve d’une telle lucidité et d’une telle intelligence ?

On ne saura guère plus des conséquences de la publication de ce texte et de la soudaine notoriété qu’elle a conférée à Antoine Leiris. On le voit faire la tournée des plateaux. Il est désormais reconnu dans la rue par des inconnus. Et après ?

Faute de creuser ces sujets-là, Vous n’aurez pas ma haine s’enlise dans un pathos sirupeux, certes efficace (il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas verser sa larme) mais sans grand intérêt.

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Seule la joie ☆☆☆☆

Sascha, la quarantaine bien entamée, a fui la vie convenue d’une petite ville du Brandebourg, son mari et son fils, pour s’installer à Berlin. Elle travaille dans une maison close. Elle y accueille une nouvelle venue, Maria, plus jeune qu’elle d’une quinzaine d’années, le corps couvert de tatouages, les aisselles velues en diable. Entre les deux femmes, l’attraction est immédiate.

Lors du débat qui a suivi la projection du film au Saint-André des Arts vendredi soir, la réalisatrice allemande Henrika Kull a évoqué son long travail d’enquête dans les bordels en Allemagne – où les maisons closes, fermées en France depuis 1946, sont autorisées. Comme Emma Becker, dans son livre La Maison (dont l’adaptation au cinéma sortira le 16 novembre), Henrika Kull est réglementariste. Elle considère que la prostitution n’a pas à être prohibée, qu’elle peut être autorisée, qu’il s’agit d’un métier comme un autre à condition de respecter certaines règles et que la stigmatisation qui l’entoure n’a pas lieu d’être.

Cette position est parfaitement respectable, même si on ne la partage pas. Elle aurait pu fort bien constituer l’axe central d’un documentaire consacré à ces maisons, aux femmes qui y travaillent et aux clients qui les fréquentent.
Mais Henrika Kull a choisi la voie de la fiction. Et c’est là que le bât blesse. Car cette fiction n’a pas pour sujet principal la prostitution légalisée. Elle traite d’une histoire d’amour qui se déroule dans un bordel. Le message est celui-ci : deux travailleuses du sexe, dont le métier doit être considéré comme banal, ont le droit de s’aimer de la même façon que, disons, deux caissières de supermarché ou deux inspectrices des finances.

Le problème est que la fiction part d’un postulat qu’elle ne prend pas la peine de démontrer. Elle postule que travailler dans une maison close est un métier comme un autre, avec son lot de déconvenues (des clients parfois border line) et de gratifications (la chaleureuse sororité entre les « filles »). Je ne dis pas que ce postulat soit faux – même si j’ai mon opinion sur le sujet. Mais je dis qu’il mérite d’être démontré.

Le second problème, et non des moindres, est l’histoire d’amour que Seule la joie raconte. Elle réunit deux femmes que tout oppose, une Allemande et une Italienne, une blonde et une brune, une quadragénaire et une jeune trentenaire. Cette histoire est convenue. Peut-être l’intention de la réalisatrice est-elle de montrer que les histoires d’amour dans les maisons closes sont en tous points identiques à celles qui naissent en dehors. Mais elle parvient si bien à dérouler le cycle ennuyeux du coup de foudre, des querelles amoureuses, de la séparation et des réconciliations que son objectif paradoxal est atteint : vider de tout intérêt l’histoire qui nous est racontée.

Sur ce sujet tabou, sans remonter à Buñuel (Belle de jour), Godard (Deux ou trois choses que je sais d’elle, Vivre sa vie) ou Bonello (L’Appolonide), on préfèrera dans les sorties récentes Party Girl, Filles de joie et surtout Une femme du monde.

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Harka ★☆☆☆

Ali est un jeune Tunisien qui ne se voit pas d’avenir, sinon celui de traverser la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure. En rupture de ban, il a abandonné le foyer familial pour squatter une maison en construction. Il gagne sa vie chichement en vendant de l’essence de contrebande. La mort de son père et la défection de son frère aîné l’obligent à revenir vivre avec ses deux sœurs cadettes et à renoncer à ses projets d’émigration. Pour leur éviter la saisie de leur maison et réunir la somme nécessaire au remboursement des dettes de son père, Ali doit franchir les limites de la légalité.

Dans le dossier de presse, le réalisateur Lotfy Nathan explique le double sens du titre. « Harka » dit-il désigne d’une part l’immolation par le feu, comme celle de Mohamed Bouazizi en décembre 2010, à Sidi Bouzid où Harka a été tourné. Ce suicide, on s’en souvient, fut l’étincelle qui provoqua le Printemps arabe en Tunisie, la fuite de Ben Ali et l’instauration d’une fragile démocratie qui vient de connaître à l’été 2021 un virage autoritaire à l’instigation du Président de la République Kaïs Saïed. « Harka » désigne d’autre part un migrant qui traverse illégalement la Méditerranée.

Ces deux destins aussi désespérés l’un que l’autre semblent être les seuls offerts au jeune Ali, que le réalisateur a chargé de symboliser à lui seul l’impasse la jeunesse tunisienne. Dans le rôle, la révélation Adam Bessa, de tous les plans, porte le film avec une incandescence fiévreuse.

Un moment, on pressent que la chronique sociale va verser dans le polar lorsqu’Adam prend le chemin de la frontière libyenne pour en ramener de l’essence de contrebande. Mais dans son dernier tiers, le film retrouve son lit. Il se hâte lentement vers un dénouement qui nous surprend d’autant moins qu’on l’avait fatalement pressenti.

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Le Serment de Pamfir ★★☆☆

Pamfir est un colosse qui a quitté son village en Ukraine, dans les Carpates, à la frontière de la Roumanie, pour aller s’employer en Pologne. La région vit de la contrebande ; mais, après un événement dramatique qui l’a brouillé avec son père, Pamfir a fait le serment de tourner le dos à cette vie-là.
Pamfir fait la surprise à sa femme, Olena, et à son fils, Nazar, de revenir au village au moment du carnaval qui s’y déroule chaque année. Mais par la faute de Nazar, qui cherchant par tous les moyens à retenir ce père absent, met le feu à l’église de la paroisse, Pamfir se voit obligé de prolonger son séjour et, pour racheter la dette qu’il a contractée auprès de M. Oreste, le parrain du village, de renouer avec un commerce qu’il réprouve.

Deux semaines après R.M.N. sort en salles un film qui semble avoir été tourné sur l’autre versant de la même montagne qui sépare la Roumanie de l’Ukraine. De part et d’autre de ces monts froids et embrumés vivent les mêmes communautés attachées à leurs traditions, dures à la tâche, impitoyables avec qui veut dévier de l’ordre établi. Il en a déjà cuit aux Roumains modernistes et libéraux, héros de R.M.N. qui ont essayé d’accueillir des travailleurs immigrés sri lankais. Le même sort attend Pamfir, dans un récit qui convoque la tragédie grecque et les contes folkloriques de la Bucovine.

Comme avec R.M.N., on est happé par un récit haletant, mené sabre au clair, dont on pressent par avance l’issue tragique. On est fasciné par l’extraordinaire virtuosité de chaque plan, au point parfois de friser l’overdose et de souhaiter secrètement que le réalisateur et son cadreur s’abstiennent de vouloir à tout prix nous démontrer leur talent.

Manque peut-être à ce Serment, si on continue de le comparer à R.M.N., une scène maîtresse comme celle qui réunissait tous les habitants du village de R.M.N. pour décider du sort de ces émigrés. Dans Le Serment, il s’agira peut-être de celle où Pamfir combat à mains nues la douzaine de sicaires aux ordres de M. Oreste dans un combat perdu d’avance ou bien de celle où, avec trois acolytes, il traverse les bois en petites foulées pour tromper la surveillance des gardes-frontières.

Mais les deux films ont le même défaut. Leur scénario se termine sans qu’on en comprenne clairement l’issue, comme si quelques plans avaient été coupés qui en auraient rendu le dénouement plus intelligible. Dommage…

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Close ★★★☆

Léo et Rémi sont amis depuis l’enfance. Ils partagent tout : les mêmes jeux, les mêmes rires, les mêmes repas, une fois chez l’un, une fois chez l’autre, jusqu’aux nuits qu’ils passent ensemble dans le même lit… Mais avec l’entrée au collège et l’adolescence, le regard qui pèse sur eux corrompt leur relation.

Pendant plusieurs semaines, la bande-annonce de Close a précédé, jusqu’à l’indigestion, chaque film distribué dans le circuit UGC ou MK2. Elle révèle sans en rien cacher tous les pans de la première partie du film et fait naître une interrogation : quelle histoire nous racontera Close ? celle de deux adolescents homosexuels en butte à l’hostilité de leurs camarades de classe et qui auront le courage de s’aimer malgré tous les obstacles ? ou au contraire, dans une version moins heureuse, celle de l’implacable corrosion d’une amitié amoureuse qui ne résistera pas à la pression du groupe ?

Ni l’une ni l’autre. Close s’engage de façon surprenante dans une tout autre direction. On n’en dira pas plus pour ménager le choc que cette bifurcation sidérante provoque.

Close est le deuxième film de Lukas Dhont, un jeune réalisateur belge âgé de trente ans à peine et beau comme un Dieu. Son premier film, Girl, avait obtenu la Caméra d’or à Cannes en 2018. Il aura laissé à tous ceux qui l’ont vu une marque profonde. Il est probable que ce soit le cas aussi de Close, Grand Prix du jury qui, dit-on, a manqué de peu la Palme d’Or – attribuée cette année à Sans filtre.

On peut certes lui reprocher un certain maniérisme. Sa caméra est collée aux acteurs et refuse tout plan large, accroissant le sentiment d’étouffement. Elle filme avec complaisance ces deux charmants bambins qui courent dans les champs sous une douce lumière crépusculaire ou pédalent sur leurs vélos. Voulant filmer des émotions tues, Lukas Dhont se condamne à accumuler les métaphores sursignifiantes : un hockeyeur qui chute jusqu’à l’épuisement, un poignet brisé qui cicatrise…

Pour autant, Close est poignant. Cette réussite est due à ses deux jeunes héros qui, comme celui de Girl, impressionnent la pellicule de leur ambiguïté pré-adolescente. Mais il la doit au moins autant aux deux actrices qui interprètent les rôles des deux mères. Sans maquillage, assumant leur quarantaine bien frappée, elles sont l’une et l’autre impressionnantes de maîtrise. Depuis Rosetta, Emilie Dequenne m’émeut dans chacun de ses films (même si ses choix n’ont pas toujours été avisés) : La Fille du RER, À perdre la raison, Les Hommes du feu, Chez nous, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait…. Je lui trouve une sincérité poignante – et la voix de Virginie Efira ce qui ne gâche rien. Son rôle n’est pourtant pas simple ; mais elle réussit à en interpréter les douloureuses contradictions avec une pudeur bouleversante.

La bande-annonce

Un couple ★☆☆☆

Le documentariste Frederick Wiseman nous surprend encore à quatre-vingt-dix ans passés. On avait l’habitude de le retrouver à échéances régulières avec des documentaires hors normes où, dans un style bien à lui, sans voix off, ni carton explicatif, il disséquait l’organisation d’une institution : la mairie de Boston (City Hall, 2020), la bibliothèque publique de New York (Ex Libris, 2017), la National Gallery de Londres (National Gallery, 2014), l’Université de Berkeley (At Berkeley, 2013), le Crazy Horse (Crazy Horse, 2011), etc.

Son dernier film n’est pas un documentaire. Il ne dure pas trois ou quatre heures mais une heure à peine. On n’y voit qu’une seule actrice, Nathalie Boutefeu, coiffée d’une élégante natte, enveloppée dans un châle aux motifs bariolés. Elle joue Sophia Tolstoï, l’épouse du célèbre romancier russe, et récite quelques passages de sa correspondance à son mari.

Le propos est étonnamment moderne : Sophia se plaint de son mari qui se décharge sur elle de l’éducation de leurs nombreux enfants et du train du ménage. Elle nourrit une immense admiration pour son mari dont elle recopie patiemment les brouillons (mais dont on ne saura rien des conseils qu’elle lui donne) mais lui reproche sa cyclothymie, sa froideur, ses silences. On regrette que ne soient jamais évoqués les livres qu’écrit Léon Tolstoï : lui consacrer tout un documentaire sans parler de Guerre et Paix ou d’Anna Karénine est bien frustrant.

Frederick Wiseman a opté pour un procédé théâtral intimidant : une seule actrice récite un texte dans les paysages splendides de Belle-Île aux falaises battues par le ressac, aux landes venteuses et aux étangs immobiles. Pourquoi l’avoir filmée dans ce splendide écrin ? Pour donner peut-être un peu de vie à un procédé dont l’austérité devient vite ennuyeuse. Pour autant, même si le film est court, on trouve vite le temps bien long…

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Mascarade ★★★★

« La Côte d’Azur est une région très triste. Les très riches s’y ennuient ; les riches font semblant d’être très riches ; et tous les autres crèvent de jalousie »
Adrien (Pierre Niney) est un ancien danseur professionnel devenu gigolo après un accident de moto. Il vit dans une luxueuse villa près de Nice aux crochets de Martha (Isabelle Adjani), une immense actrice de cinéma et de théâtre sur le retour.
Margot (Marine Vacth) est une entraîneuse qui cherche désespérément à sortir de son état grâce aux hommes qu’elle séduit et qu’elle arnaque. Dans son collimateur : Simon (François Cluzet), un riche promoteur immobilier.

Le cinéma de Nicolas Bedos est décidément toujours aussi réjouissant. Après Monsieur et Madame Adelman, après La Belle Époque et sans parler du troisième OSS117, un impersonnel film de commande, le voici au sommet de son talent avec un film d’un romantisme échevelé, d’une drôlerie acide, d’un machiavélisme diabolique et d’une folle énergie.

Il est servi par un quatuor d’acteurs magistral. Pierre Niney est un elfe toujours aussi séduisant ; François Cluzet n’a jamais été aussi solide ; mais ce sont les deux héroïnes qui surprennent et enthousiasment. Isabelle Adjani a le culot de s’auto-parodier en diva hystérique et cougar, rongée par la peur de vieillir. On tremble à l’idée que le rôle aurait pu être confié à Isabelle Huppert, qu’on voit beaucoup trop, et on se réjouit qu’Isabelle Adjani qu’on voit trop peu, l’ait accepté.
Mais celle qui emporte les suffrages, c’est Marine Vacth, dans un rôle qui rappelle ceux que Dora Tillier interpréta dans les précédents films de son ex-compagnon. La jeune actrice, révélée depuis plus de dix ans par Cédric Klapisch et François Ozon (son interprétation dans Jeune et Jolie lui valut le César du meilleur espoir féminin en 2014), mais encalminée dans des seconds rôles, trouve ici peut-être le rôle qui fera rebondir sa carrière. Elle y est tour à tour sublime, indomptable, fragile et bouleversante.

Le génie de Nicolas Bedos tient à une construction très savante mais parfaitement lisible d’un film qui s’organise autour du procès de Simon pour un crime dont on découvrira progressivement les circonstances dans une série de flashbacks.
Il tient aussi à la complexité de l’intrigue – qui s’enrichit pour notre plus grand délice d’un ultime rebondissement – et à l’épaisseur des personnages, jusqu’aux plus secondaires (ainsi de Laura Morante dans le rôle d’une ancienne maîtresse d’Adrien, séduite quand elle était la propriétaire établie d’un palace puis quittée une fois ruinée ou d’Emmanuelle Devos dans celui de l’épouse vieillissante et trompée de Simon). Comme dans La Règle du jeu de Jean Renoir – si on m’autorise cette comparaison flatteuse – tout le monde a ses raisons dans Mascarade. Aucun personnage n’est tout blanc ni tout noir. Longtemps après la séance, leurs attitudes continuent à nous interroger et suscitent le débat. C’est la marque des meilleurs films.

La bande-annonce