Le capitaine Yohan Vivès (Bastien Bouillon) vient à peine d’être promu à la tête d’une équipe de la PJ de Grenoble qu’on lui confie le dossier d’un féminicide commis à Saint-Jean de Maurienne : Clara a été brûlée vive au retour d’une soirée entre amis. Avec Marceau (Bouli Lanners), un collègue expérimenté mais aigri, il mène l’enquête. Clara avait eu beaucoup d’amants qui sont passés au crible, se révèlent pour la plupart lâches et vils, mais qui possèdent tous un alibi.
Dominik Moll a passé l’âge d’être un espoir du cinéma français. À soixante ans passés, sa carrière est derrière lui. En 2000, il faisait sensation avec Harry, un ami qui vous veut du bien. Mais il ne réussissait jamais à transformer l’essai. On le retrouvait presque vingt ans plus tard avec Seules les bêtes, un film qui m’a enthousiasmé et que seule ma pusillanimité m’a retenu de lui donner quatre étoiles. La vérité oblige à dire qu’il devait énormément au roman dont il était tiré de Colin Niel.
Comme Seules les bêtes, La Nuit du 12 est tiré d’un livre. Il s’agit d’un essai autobiographique d’une jeune autrice, Pauline Guéna, qui a passé une année en immersion à la PJ de Versailles. De ce livre et d’une solide documentation du métier de policier, Dominik Moll a tiré un récit très charpenté qui pointe l’épuisement d’un service public, rongé jusqu’à l’os par la compression des budgets. Dans un court chapitre, Pauline Guéna évoque brièvement une affaire, le meurtre d’une jeune femme brûlée vive, et l’obsession qu’elle a suscitée chez un des inspecteurs.
C’est cette obsession qui a inspiré Dominik Moll et son co-scénariste Gilles Marchand. C’est autour d’elle qu’est construit le film remarquablement interprété par Bastien Bouillon qui creuse lentement sa place dans le cinéma français (on l’avait déjà vu dans Seules les bêtes, Le Mystère Henri Pick, La Promesse de l’aube, etc.).
Mais ce polar prend une envergure inattendue en élargissant son spectre. Comme l’excellent Laëtitia, le livre magistral que le meurtre sordide de la jeune Laetitia près de Nantes avait inspiré à Ivan Jablonka puis la remarquable mini-série qui en avait été tirée, La Nuit du 12 part d’un fait divers pour faire le procès du masculinisme. Clara devient le symbole de ces femmes tuées par un machisme toxique, par une veulerie mâle structurée autour de l’exercice de la domination masculine.
Le propos est puissamment dans l’air du temps. Il frappe fort. Il touche juste.
Les premières images du film nous l’apprennent : chaque année, la police judiciaire est saisie de plus de 800 homicides, 20% d’entre eux ne sont jamais résolus. Si l’on compte, parmi ces crimes non élucidés, un bon nombre de règlements de comptes commis en bande organisée, d’autres ont pour victimes des jeune filles sans histoire, pour mobile le dépit amoureux ou la pulsion sexuelle, pour arme un pistolet, un couteau ou un bidon d’essence et un simple briquet.
« La Nuit du 12 » n’a pas pour but de décrire une enquête dont on sait – dès le début – qu’elle n’aboutira pas. Point de recherche d’ADN, pas de réquisitions téléphoniques pour établir ou exclure la présence d’un suspect sur les lieux du crime durant la nuit du 12 au 13 octobre. La saisine même de la PJ de Grenoble – alors que le crime est commis à Saint-Jean-de-Maurienne donc en zone gendarmerie (ou alors sur le ressort de la PJ de Chambéry, si l’on tenait particulièrement à saisir la police) – est incongrue. Mais, là n’est pas l’intérêt du film, qui, comme l’indique Yves, se construit autour de l’obsession des enquêteurs pour ce type de dossiers et soulève la question de la domination masculine dans la société (« En majorité, ce sont des hommes qui tuent et des hommes qui enquêtent sur eux », dit un des personnages).
J’ajouterais également en filigrane, le traitement judiciaire des « cold cases ». En dépit des efforts d’une juge d’instruction tenace (jouée par une excellente Anouk Grinberg) pour relancer l’affaire, combien d’homicides non résolus dégringolent lentement de la pile des dossiers en cours et finissent tout en bas, dans l’oubli, au fond d’une armoire d’un cabinet d’instruction. La création par la loi du 22 décembre 2021 du Pôle national des crimes sériels et non élucidés, installé au tribunal judiciaire de Nanterre et composé de magistrats spécialisés chargés des dossiers d’homicides les plus complexes dans lesquels les premières investigations menées localement n’ont pas permis d’identifier les auteurs, constitue en cela un progrès indéniable susceptible de redonner espoir aux enquêteurs hantés par ces affaires, et surtout aux familles détruites par ces drames.
Merci cher Nicolas de ce commentaire argumenté… écrit par un spécialiste de la question !