Dodin (Benoît Magimel) est un gastronome. Ce riche châtelain a une passion dévorante : la cuisine qu’il a érigée en art. Pour l’épauler, il peut compter sur Eugénie (Juliette Binoche), sa fidèle cuisinière qui est devenue, les années passant, sa compagne mais a toujours refusé de légaliser leur union. Tandis que la santé d’Eugénie montre des signes inquiétants de déclin, Dodin travaille au repas qu’il doit donner en l’honneur d’un prince ottoman.
La première scène de ce film est un éblouissement. On y voit, dans une lumière dorée, Dodin préparer un repas, sitôt son petit déjeuner avalé. Sa cuisine, de plain-pied, est spacieuse ; sa porte ouverte donne sur la cour d’une belle demeure. On apprendra plus tard que l’action se déroule en 1885, dans la France de la IIIème République ; mais le temps y est comme suspendu.
Quasiment aucune parole n’est échangée entre les quatre protagonistes, Dodin, Eugénie, Violette (Galatea Bellugi) leur commis ainsi que Pauline, la nièce de Violette qui s’avèrera étonnamment douée pour la cuisine. Tout est fluide dans cette scène que le réalisateur prend un plaisir communicatif à étirer, laissant le temps au carré de veau de mijoter et à l’omelette norvégienne de s’enflammer.
Cette cuisine hors du temps est aussi l’alcôve d’un amour étonnant, loin des conventions bourgeoises, l’amour qui unit Dodin et Eugénie – interprétés par deux acteurs dont on sait qu’ils formèrent jadis un couple et dont on se demande comment vingt-cinq ans plus tard, ils ont vécu ensemble ce tournage-là. Dodin et Eugénie s’aiment d’un amour total, aimantés par la passion qu’ils partagent. Cet amour-là, dont on imagine, sans qu’il soit besoin d’en rien dire, qu’il s’est progressivement noué entre le châtelain et son employée, n’a pas besoin d’un contrat. Au contraire, Eugénie est jalouse de la liberté que son statut lui autorise et repousse les demandes en mariage réitérées de Dodin.
Ce repas amoureusement préparé, avant le fameux pot-au-peu pour le prince ottoman, est destiné à quatre amis fidèles de Dodin. Ces quatre hommes, la quarantaine, dont on ne saura pas grand-chose, sinon que l’un d’entre eux (Emmanuel Salinger) est médecin, partagent avec Dodin le goût de la bonne chère. Leur seul plaisir semble être de savourer un délicieux repas en échangeant de longs silences approbateurs. Aucune discussion oiseuse, aucune référence à l’actualité politique ou sociale ne vient polluer leur tacite félicité.
La Passion de Dodin Bouffant a été sélectionné pour représenter la France aux Oscars. Il a été préféré à la surprise générale à Anatomie d’une chute, pourtant grand favori. Sans doute le jury a-t-il parié sur le parfum si cocardier de ce film déjà récompensé à Cannes par le Prix de la mise en scène.
C’est un pari audacieux sinon téméraire. Certes La Passion de Dodin Bouffant sublime la gastronomie française, l’amour des produits nobles (son tout premier plan est tourné dans le potager de Dodin où Eugénie ramasse des salades et des carottes) et le soin porté aux préparations minutieuses. Avec les mêmes ingrédients, Le Festin de Babette avait emporté en 1988 un succès inattendu. Pour autant, il n’en reste pas moins un film confit dans un classicisme hors d’âge, sans suspense ni enjeu.
Mon épouse et moi, nous avons bien aimé ce film très français. Et l’enjeu est l’amour, me semble-t-il. La scène avec la pêche m’a beaucoup impressionnée.