Love & Mercy ★★★☆

Biopic schizophrène
Love and mercy (pfffft qui a eu l’idée de ce titre à la con ?) raconte l’histoire de Brian Wilson des Beach boys.

Le héros est interprété par deux acteurs : jeune et génial, c’est Paul Dano qui lui prête ses traits. Vieux et dépressif, c’est John Cusack.

On peine à comprendre ce parti pris d’autant moins pertinent que les deux acteurs ne se ressemblent pas. Todd Hayes s’y était déjà cassé les dents en faisant jouer Bob Dylan par sept acteurs différents dans I’m not there.

Ce choix est particulièrement malheureux car il brise l’unité d’un homme et contredit la morale du film. Brian Wilson et son épouse – qui ont co-produit le film et en ont gommé les épisodes les moins flatteurs pour eux – voudraient nous faire croire qu’ils ont réussi à vaincre la dépression. Mais l’incarnation par deux acteurs différents montre tout au contraire qu’il y a eu un Avant et un Après.

Reste le plaisir d’écouter les tubes incroyablement audacieux des Beach boys et de se ruer dès la sortie du film sur la BO de Pet Sounds.

La bande-annonce

Monsieur & Madame Adelman ★★★☆

De 1971 à 2016, l’histoire de Victor de Richemont et de Sarah Adelman, un couple qui s’aima à la folie.

Les chiens ne font pas des chats. Nicolas Bedos est bien le fils de son père. Il a le même humour, drôle et acide. Longtemps il a essayé de faire oublier cette paternité encombrante. Personne ne se satisfait d’être le « fils de ». Passant pour la première fois derrière la caméra, il assume désormais cet héritage sans rougir. Pour notre plus grand plaisir.

Car « Monsieur & Madame Adelman » n’est ni l’histoire sentimentale d’un couple qui s’aime, ni celle dramatique d’un couple qui se déchire. C’est l’histoire menée tambour battant de deux vies entrelacées.

Nicolas Bedos a l’intelligence de s’effacer devant ses partenaires. Certes, il joue le rôle principal de Victor, l’écrivain maudit qui connaît le succès grâce à la rencontre de Sarah. Mais c’est Dora Tillier qui crève l’écran, éblouissante sylphide des années soixante-dix, impressionnante Folcoche des années 2000. Les entoure une galaxie de seconds rôles tous excellents. Mention spéciale à Pierre Arditi qui prend un plaisir communicatif à jouer un riche bourgeois réactionnaire et à Denis Podalydès en vieux psychiatre (pas si) compréhensif.

Non content de briller par ses dialogues éblouissants, par son tempo débridé, « Monsieur & Madame Adelman » offre la belle surprise d’un dénouement surprenant.

La bande-annonce

Victoria (Sebastian Schipper, 2015) ★★☆☆

« Victoria » a été tourné en un seul plan-séquence de 2h14. Dit autrement : le réalisateur a dit « Ça tourne » (il a dû le dire en allemand) et 2h14 son film était dans la boîte.

C’est une prouesse technique qui est présentée comme la qualité cardinale du film. Je dois avouer le rouge au front que je m’en fiche un peu.

Parce qu’une fois qu’on a salué la dextérité du directeur de la photo qui a sans doute dû se plier en quatre pour suivre ses acteurs, quelle est la valeur ajoutée de l’unique plan séquence ?
Sa valeur ajoutée serait de nous donner à vivre une durée réelle, avec toute son épaisseur, loin des artifices du montage.

Sauf que cet effet de réalité ne fonctionne pas. La réalité, la vraie vie est faite de temps morts et d’accélérations. Alors quand la réalité accélère comme dans la scène de fusillade, l’effet de réalité marche à fond : rarement a-t-on vécu au cinéma avec autant d’intensité un échange de coups de feu, au point de ressentir la peur physique de prendre une balle. Mais, à part cette scène exceptionnelle, le film, trop long, s’étire interminablement. Et paradoxalement, l’effet de réalité devient artificiel : quand Victoria déambule dans les rues de Berlin avec ses compagnons d’un soir, les propos qu’elles échangent sonnent faux, tournent en rond. On a envie d’une narration plus serrée, d’un montage cut, bref d’une mise en scène.

La bande-annonce

Le Ministère de la Peur / Espions sur la Tamise ★★☆☆

Alors qu’il vient d’être libéré de l’institution où il a passé deux ans pour avoir pratiqué l’euthanasie sur sa femme, Stephen Neale gagne lors d’une tombola un gâteau. Poursuivi par des espions nazis et suspecté par la police britannique, il doit seul contre tous faire la preuve de son innocence.

« Ministry of Fear » – qui est sorti en France sous le titre « Espions sur la Tamise » avant de retrouver un titre plus proche de l’original – est un jalon intéressant dans l’œuvre de Fritz Lang. Le génial réalisateur allemand a trouvé refuge depuis peu aux États-Unis – après un court séjour en France. Il se cherche.

Les fulgurances expressionnistes du « Docteur Mabuse » ou de « M le maudit » sont derrière lui. Fritz Lang n’est pas encore devenu le maître du film noir, un genre qui trouvera avec « Le démon s’éveille la nuit » et « La Femme au gardénia » ses canons indépassables.

« Ministry of Fear » est un film d’espionnage qui louche vers Hitchcock. De l’intrigue passablement embrouillée (inspirée de Graham Greene qui n’a pas encore signé ses chefs d’œuvre), du duo complice que forment ses deux protagonistes en quête de vérité (qui rappelle celui de « Une femme disparaît »), du héros injustement soupçonné  (joué par Ray Milland qui ne soutient pas la comparaison avec Cary Grant) à la campagne anglaise où se déroule l’action, tout rappelle le maître britannique. Hitchcock… en moins bien.

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Jeux d’été ★★★☆

Marie est danseuse étoile. Elle répète « Le Lac des cygnes ». Elle reçoit au courrier le journal de Henrik, son premier amant, mort une dizaine d’années plus tôt dans des circonstances tragiques. La lecture de ce journal la reconduit sur les lieux du drame et fait affleurer les souvenirs d’un été d’insouciance.

« Jeux d’été » est une réalisation de jeunesse de Ingmar Bergman, âgé de trente-deux ans à peine. Il  contient déjà tous les thèmes de l’œuvre de l’immense cinéaste suédois.

Une ode à la nature. Les souvenirs de Marie la ramènent à un été ensoleillé durant lesquels les deux amants multipliaient les bains de mer, comme dans Monika (1952). On les voit dévorer des baies comme dans Les Fraises sauvages (1957).

Dieu est mort. L’œuvre de Bergman est traversée par la question de la foi. C’est le sujet central de son film le plus célèbre, Le septième sceau (1957). Dans Les communiants (1962), Max von Sydow joue le rôle d’un pasteur ébranlé par le suicide de l’une de ses ouailles.

Mais la vie est la plus forte. On aurait tort de résumer l’œuvre de Bergman à un austère exercice métaphysique et doloriste. Si Dieu est mort, nous dit-il, nous sommes libres d’échapper à son regard et à son courroux, libres de vivre. Et même la mort ne doit pas nous priver du goût de la vie ; car elle ne réussira jamais à nous priver du souvenir de nos bonheurs passés.

Telles sont déjà en filigrane les étapes de l’évolution du personnage de Marie. Le journal de Hendrik lui rappelle le bonheur qu’elle a connu avec lui, sur les bords de la Baltique. Il lui rappelle son désespoir à sa mort, incompréhensible et inique, qui lui fit perdre la foi. Mais elle l’exhorte à vivre pleinement sa vie, aussi futile et dérisoire soit-elle.

Old Joy ★★☆☆

Deux hommes partent camper en forêt. Ils se baignent dans une source d’eau chaude puis rentrent chez eux.

Avant de tourner Certaines femmes qui est sorti le mois dernier sur nos écrans, Kelly Reichardt avait tourné en 2006 Old Joy. Le voir aujourd’hui c’est toucher du doigt l’extrême cohérence de l’œuvre de cette réalisatrice indé, par ailleurs auteure des très réussis Wendy et Lucy, La Dernière piste et Night Moves.

Le scénario de Old Joy tient sur un timbre poste. C’est sa principale qualité ; c’est aussi son principal défaut.

On peut se laisser hypnotiser par la simplicité dépouillée de cette histoire. Rien ne se passe que de très ordinaire dans Old Joy. Un long trajet automobile de la ville vers la forêt. Quelques hésitations sur l’embranchement à trouver. Une nuit autour d’un feu de bois. Une marche. Un bain dans une source. Puis le trajet retour en tous points semblables à l’aller. La vie tout simplement.

Ce refus radical de faire « joli », de dramatiser constitue-t-il un retour à l’authenticité vraie du cinéma, loin de tout artifice ? Sans doute. Mais le cinéma offre la possibilité de compresser le temps et l’espace, de raconter des histoires, bref de sublimer la réalité. Réduire le cinéma à n’être qu’un miroir posé sur le bord de chemin, c’est comme demander à un peintre de photographier la réalité.

Et puis surtout… c’est très chiant.

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Fences ★☆☆☆

L’action commence en 1957 à Pittsburgh. Elle se déroule pour l’essentiel au foyer de Troy Maxson un Afro-américain d’une cinquantaine d’années marié à Rose. Dans sa jeunesse, Troy fut un surdoué du baseball auquel les lois raciales interdirent de faire carrière dans le sport. Éboueur pour la ville de Pittsburgh, il remâche sa rancœur. D’un premier lit, il a eu un fils, Lyons, qui peine à  vivre de sa musique et ne cesse d’emprunter de l’argent à son père. Avec Rose, il a eu un second fils, Cory, qui espère, contre les conseils de son père, passer professionnel en football américain.

« Fences » repose sur un double malentendu. Le premier aurait pu être surmonté ; le second, hélas, est fatal.

Réalisé par Denzel Washington, « Fences » donne au sympathique acteur le rôle principal d’un … salopard. Car c’est bien à cela que se réduit le personnage de Troy Maxson. Sans doute son caractère s’explique-t-il par son enfance misérable, ses rêves contrariés de carrière, son passage en prison. Mais, tous comptes faits, Troy est un salaud qui trompe sa femme aimante et tyrannise ses enfants.
L’ambiguïté est d’avoir confié ce rôle au plus sympathique des acteurs. Pendant presque tout le film, on s’attend à ce que l’acteur et son double se retrouvent : Troy Maxson va-t-il faire tomber la carapace du salaud pour révéler la bonté prisonnière au fond de lui ?

Plus grave est le malentendu provoqué par la mise en scène. « Fences » est au départ une pièce de théâtre. Ecrite en 1983 par l’immense dramaturge afro-américain August Wilson, elle s’est vu décerner le prix Pulitzer en 1987. Le rôle de Troy Maxson a été créé par James Earl Jones et repris à la scène par Denzel Washington lui-même.
Le film « Fences » porte la trace de cette trop lourde généalogie. C’est du théâtre filmé dans ce qu’il a de pire : des décors statiques auquel une caméra virevoltante essaie sans succès de donner du mouvement, des dialogues interminables et trop écrits dont une interprétation, au demeurant excellente, ne parvient pas à restaurer la spontanéité.

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Les fleurs bleues ★★☆☆

Tandis que la chape de plomb du communisme s’abat sur la Pologne de l’après-guerre, le peintre Władysław Strzemiński qui refuse se faire obédience aux nouvelles règles artistiques imposées par le pouvoir, est lentement marginalisé.

Filmé dans la blancheur glaciale de l’hiver, « Les Fleurs bleues » n’ont rien de printanier. C’est moins un hymne à la peinture qu’une description presque masochiste de la déchéance d’un homme, brisé par un système auquel il refuse de céder.

« Les Fleurs bleues » est le dernier film de Andrzej Wajda (1926-2013). A plus de quatre-vingt dix ans, le grand réalisateur polonais signe une œuvre qui résume toute son œuvre. Par sa forme très classique. Mais surtout par les thèmes qu’il traite, empruntés à l’histoire nationale polonaise : critique du communisme, refus de la compromission, exaltation de l’abnégation.

Toute sa vie durant, Wajda a défié les autorités de son pays. À l’époque communiste, la palme d’or attribuée en 1981 à « L’Homme de fer » lui a conféré une célébrité internationale le préservant du risque de persécution. Couvert d’honneurs dans la Pologne post-communiste, il n’hésite pas à ferrailler contre les dérives de la classe politique. « Les Fleurs bleues » peut se lire comme une dénonciation du PiS, le parti de droite national-conservateur qui a remporté les dernières élections de 2015 et dirige le pays dans une inquiétante impasse.

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L’Autre côté de l’espoir ★☆☆☆

Khaled a fui la Syrie. Il débarque par hasard en Finlande. Il dépose une demande d’asile qui est bientôt rejetée. Sur le point d’être reconduit vers la Turquie, il s’échappe du centre de rétention.
Wikstrôm change de vie. Il quitte sa femme et son emploi et rachète un restaurant dont il entend moderniser la gestion.
Le destin de ces deux solitaires va se croiser.

Voilà plus de trente ans qu’on connaît les films de Aki Kaurismâki. Cette curiosité et cette fidélité ont probablement deux motifs. Le premier est le snobisme de pouvoir citer et prononcer le nom d’un réalisateur finlandais – je serais bien en peine d’en citer un autre. Le second est l’intérêt que suscite la profonde originalité de son œuvre.

Car les films du géant finlandais, qu’il écrit, produit et réalise, sont reconnaissables au premier coup d’œil. Des plans fixes sans aucun mouvement de caméra. Des personnages taciturnes qui ne sourient jamais filmés en plan américain. Un éclairage très puissant accentuant les couleurs et les contrastes. Un décor intemporel évoquant l’esthétique industrielle de l’URSS (ou de la Finlande ?) des années 50. Une quasi-absence de dialogue et de musique extradiégétique ; mais l’omniprésence de musiciens qu’on écoute jouer longuement Un humour cynique cachant un profond humanisme.

La marque de fabrique des films de Kaurismäki est désormais solidement établie. Au point de remporter un succès grandissant dans les festivals. « L’Autre côté de l’espoir » lui a valu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur au dernier festival de Berlin. « Le Havre » avait emporté le prix Louis-Delluc en 2011. « L’Homme sans passé » avait reçu le Grand Prix au festival de Cannes en 2002.

Cette avalanche de récompense est suspecte. Elle consacre un cinéma qui creuse un sillon dans lequel Kaurismäki se sent à l’aise et ne se met plus en danger. « L’Autre côté de l’espoir » ressemble trop à son précédent film, « Le Havre », où un jeune immigré gabonais était recueilli par un cireur de chaussures au grand cœur. Quant aux thèmes qu’il aborde (la dénonciation de la xénophobie, l’indispensable solidarité humaine), ils sont si évidemment admirables que leur candide ressassement finit par lasser.

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Paula ★☆☆☆

En 1900, Paula Becker a vingt-quatre ans. C’est une jeune femme émancipée qui veut consacrer sa vie à sa passion, la peinture, et veut briser le carcan dans lequel les femmes sont encore enfermées. Dans la colonne d’artistes de Worpswede, près de Brême, elle rencontre un jeune veuf, peintre comme elle. Elle l’épouse. Mais elle rêve de partir à Paris y élargir sa palette.

Je ne connaissais pas l’œuvre de Paula Modersohn-Becker jusqu’à l’exposition que lui a consacrée l’an dernier le Musée d’art moderne de la ville de Paris. J’ai patiemment fait la queue pour y accéder et ai découvert des nus, des autoportraits, des paysages caractérisés par un refus aussi radical de l’esthétisme que du vérisme. Cette exposition m’a donné envie de lire le livre qu’a consacrée à la peintre Marie Darrieussecq (qui prend encore la poussière sur ma P.A.L.), de voir le documentaire qui en a été tiré et enfin ce film sorti en Allemagne l’an passé.

Le biopic de Christian Schwochow n’échappe pas hélas à l’académisme contre lequel Paula s’est rebellée sa vie durant. Il suit paresseusement l’histoire de sa vie de son arrivée à Worpswede en 1900 jusqu’à sa mort sept ans plus tard.

Le film hésite entre deux partis. Faute de moyens, ce n’est pas une immense fresque historique qui brosse la Belle époque, entre Worpswede et Paris – dont on réalise quelle attraction elle exerçait sur les milieux artistiques allemands. Ce n’est pas non plus un drame intimiste construit autour des tourments de Paula, mariée à un homme incapable de lui faire l’amour et cherchant à Paris un père pour l’enfant qu’elle rêve d’avoir.
L’actrice Carla Juri ne m’a pas convaincu. C’est elle pourtant qui a été retenue pour jouer dans « Blade Runner 2049 » aux côtés de Harrisson Ford et de Ryan Gosling.

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