Le Crime de Monsieur Lange ★★★☆

Amédée Lange et Valentine se réfugient dans un hôtel à la frontière belge. Monsieur Lange est recherché pour meurtre. Valentine se propose de raconter aux clients de l’hôtel son histoire pour les laisser apprécier sa culpabilité.

Le Crime de Monsieur Lange commence comme un film noir. Mais il continue bientôt sur le mode de la fable politique.

Comme King Vidor, Jean Renoir filme un microcosme. On n’est pas dans une ferme collective comme dans Notre pain quotidien, mais dans un immeuble parisien. Au rez-de-chaussée une blanchisserie dirigée d’une main ferme par Valentine (Odelle Florelle qui avait joué une émouvante Fantine dans Les Misérables de Raymond Bernard et qui mourut en 1974 dans la misère à La Roche-sur-Yon – je me demande ce qui est le pire : mourir dans la misère ou à la Roche-sur-Yon ?). À l’étage une salle de presse où sévit l’infâme Paul Batala (Jules Berry au sommet de son art) qui se joue de la crédulité de ses employés, hommes et femmes, pour les abuser. Batala met enceinte une des employées de Valentine. Il usurpe à Amédée Lange (René Lefevre, jeune premier prometteur… qui ne tint pas ses promesses) ses textes pour les publier. Pourchassé par ses créanciers, Batala déménage à la cloche de bois et disparaît dans un accident de chemin de fer.

Comme King Vidor, Jean Renoir filme, un an avant le Front populaire, une expérience collectiviste : les employés de Batala se constituent en coopérative et transforment, à force d’abnégation et de bonne humeur, une entreprise en redressement en florissant commerce. Mais hélas, comme on pouvait le craindre, Batala n’est pas mort et revient, le soir de Noël, déguisé en abbé, faire chanter Lange et Valentine.

Le Crime de Monsieur Lange réunit deux monstres sacrés du cinéma : Jean Renoir à la réalisation – qui va signer ses deux chefs d’œuvre La grande illusion et La Règle du jeu – et Jacques Prévert au scénario. Leur collaboration fait merveille. Les textes de Prévert sont aussi truculents que poétiques (on entend un « Embrassez moi » qui annonce Le Quai des brumes). La caméra de Renoir virevolte : on étudie dans toutes les écoles de cinéma le panoramique à 180° utilisé pour filmer la scène du crime. Mais c’est peut-être les scènes de groupe qui sont les plus réussies. Les comédiens étaient unis dans une complicité qui n’était pas que de façade. La plupart faisait partie du Groupe Octobre, une association agit-prop et libertaire proche du Parti communiste. Ensemble, ils ne tournaient pas seulement un film ; ils réalisaient un idéal.

La Marque du tueur ★☆☆☆

Le réalisateur Seijun Suzuki vient de mourir. Une rétrospective lui est consacrée. Ce cinéaste japonais méconnu, auteur d’une quarantaine de films jamais sortis en France, a influencé Jim Jarmusch – dont le Ghostdog serait inspiré de La Marque du tueur – et Quentin Tarantino.

Il est vrai qu’on retrouve dans son œuvre tout à la fois la noirceur et l’humour potache d’un Tarantino. La Marque du tueur est sans doute son film le plus marquant, le dernier qu’il ait réalisé pour les studios Nikkatsu avant d’en être renvoyé au motif que son film aurait été « incompréhensible » et « invendable ».

Je ne suis pas loin de partager le point de vue du PDG de la Nikkatsu. J’ai moi aussi trouvé totalement incompréhensible ce film, qui raconte avec un humour distancié et une violence stylisée, l’histoire d’un yakuza en rupture de bans (l’étonnant Jo Shishido, l’acteur fétiche de Suzuki, aux bajoues de hamster sous ibuprofène).

Est-il nécessaire de comprendre une œuvre d’art pour l’apprécier ? On dirait un sujet de bac de philo. La réponse est nuancée – sinon ça ne ferait pas un bon sujet de bac. On peut être ému par une peinture, une sculpture, une composition musicale, sans la comprendre. S’agissant d’un film ou d’un livre, l’émotion esthétique seule se suffit plus difficilement à elle-même. J’avoue être un peut trop intello – et pas assez esthète – pour goûter aux films sans queue ni tête, sans colonne vertébrale, qui, à force de désinvolture dans leur construction et leur montage, donnent parfois l’impression de se ficher du spectateur. C’est le cas de certains Godard – dont Alphaville qui aurait inspiré Suzuki. C’est aussi le cas de cette Marque du tueur.

La bande-annonce

La petite Véra ★★☆☆

Alors que l’URSS jette ses derniers feux,  la petite Vera étouffe entre un père alcoolique et une mère dépassée, sur les bords sinistres de la mer d’Azov, dans la ville ukrainienne de Jdanov (aujourd’hui rebaptisé Marioupol). Elle y fait les quatre cents coups avec sa meilleure amie, danse, fume, sort avec des garçons. Quand elle tombe amoureuse du beau Sergueï, elle veut qu’il s’installe avec elle chez ses parents. Mais l’exiguïté des lieux et la médiocrité de ses habitants auront vite raison de ses sentiments.

La petite Véra est un film jalon dans l’histoire de l’URSS. Filmé en pleine perestroïka, il rompt avec les codes du cinéma soviétique. Il n’hésite pas à railler sur un mode ironique les failles du système communiste. Il montre pour la première fois à l’écran des scènes de sexe. Il connut un immense succès auprès de millions de Soviétiques enthousiasmés par sa liberté de ton… et par les seins de Natalya Negoda – qui fit l’année suivante la couverture du premier Playboy russe.

La petite Véra n’en a pas moins horriblement vieilli, qui porte toutes les tares du cinéma des années quatre-vingts tendance La Boum ou Flashdance : des tenues et des coiffures hideuses (regardez pour vous en convaincre la photo ci-contre), une musique à vomir, des couleurs criardes, un montage paresseux qui s’allonge inutilement bien au-delà des deux heures. D’ailleurs son succès fut éphémère. Vassili Pitchoul tourna un second film avec la même Natalya Negoda en 1989 : Oh ! qu’elle sont noires mes nuits sur la mer Noire. Et puis… plus rien … jusqu’à sa mort en 2015 d’un cancer du poumon. Quant à Natalya Negoda, elle aurait émigré aux États-Unis dans les années 90 avant de rentrer en Russie en 2007. Wikipedia nous dit qu’elle y aurait signé une pétition en faveur des Pussy Riot.

Programmé à l’occasion du quatrième festival du film russe de Paris au Christine 21, La petite Véra doit être pris pour ce qu’il est : un film qui, malgré ces défauts, témoigne de l’effondrement de l’utopie communiste.

Koyaanisqatsi ★★★☆

Koyaanisqatsi ressort cette semaine à la Filmothèque. C’est une œuvre d’anthologie, qui compte parmi les 1001 Films à voir avant de mourir. Ce documentaire, sans parole, sans voix off, tourné en 1982, à la pire époque de l’histoire du cinéma (E.T., Tron, Conan le Barbare, Tootsie, L’As des as…), n’a pas pris une ride.

De quoi s’agit-il ? Le titre du film a été volontairement choisi pour être opaque au spectateur. L’imprononçable Koyaanisqatsi désigne en langue hopi une vie déséquilibrée. Et c’est en effet des déséquilibres du monde que traite ce documentaire écologique avant l’heure, quatre ans avant Tchernobyl, six ans avant que Time élise la planète « homme de l’année », dix ans avant le Sommet de Rio, vingt-cinq ans avant le Prix Nobel décerné à Al Gore…

Koyaanisqatsi filme la Terre – en fait limitée aux frontières des États-Unis – la beauté primitive de ses immenses espaces naturels (la Monument Valley, le parc de Haleakalā à Hawaï…), l’empreinte indélébile qu’y laisse la présence humaine (le barrage de Grand canyon, des exploitations minières à ciel ouvert, deux essais nucléaires…) et la fourmilière que constituent les grandes mégalopoles brillantes de mille feux à la nuit tombée. L’absence de tout dialogue,, de tout commentaire, de tout sous-titre laisse le spectateur face à ces images qui montrent plus qu’elles démontrent. Il ne s’agit pas d’instruire le procès à charge du progrès technologique mais de montrer « la beauté de la bête » pour reprendre les mots de Godfrey Reggio.

Novateur par son thème, Koyaanisqatsi l’est plus encore par la façon de le traiter. Jouant sur les échelles d’espace et de temps, filmant l’infiniment grand et l’infiniment petit, utilisant à la fois le ralenti, l’avance rapide et le time lapse, Koyaanisqatsi est d’une étonnante modernité. Les œuvres qui voudront utiliser les mêmes recettes se contenteront de bégayer : Baraka (1992), Dogora (2004), La Marche de l’empereur (2005), Home (2009), Samsara (2013)…

Et surtout il y a la musique de Philip Glass. On la redécouvre à ses origines, avant qu’elle devienne ultra-célèbre et que, tarte à la crème et pont-aux-ânes, elle vienne illustrer la première scène élégiaque venue du cinéma hollywoodien. On est frappé de sa modernité. On réalise combien, à l’époque de Vangelis et John Williams, elle fut novatrice et iconoclaste. Elle est si envoûtante qu’elle en devient la vedette du film, prenant le pas sur les images pourtant sidérantes de Ron Fricke.

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Notre pain quotidien ★★★☆

Frappé par la Grande Dépression, un jeune couple new-yorkais, John et Mary Sims, s’installe à la campagne pour exploiter une ferme hypothéquée. Inexpérimentés, ils sollicitent l’assistance d’inconnus de passages pour retaper leur bicoque et cultiver leurs champs. Une coopérative se crée qui fonctionne grâce à la complémentarité des talents de chacun. Mais les ennuis s’accumulent : le manque d’argent d’abord, la sécheresse ensuite.

Notre pain quotidien (1934) est un témoignage marquant sur le New Deal. L’Amérique est alors plongée dans la crise. Elle ne sait pas encore qu’elle va s’en relever grâce à la politique volontariste de Franklin D. Roosevelt. Elle est partagée entre deux sentiments complémentaires : l’angoisse de la crise et le désir ardent d’en sortir.

Ce sont ces deux sentiments qui sont au cœur du film de King Vidor. Comme John Ford dans Les Raisins de la colère, il montre que la fraternité humaine est le meilleur antidote à la crise et viendra à bout de tous les défis. S’agit-il pour autant d’un manifeste communiste comme on en fit le reproche au cinéaste ? Pas du tout. C’est moins vers les kolkhozes soviétiques que vers le messianisme des Pères fondateurs que lorgne Vidor.

Pour le laver de tout soupçon de communisme, il suffit de comparer Notre pain quotidien à Octobre, sorti six ans plus tôt. Si le second est un hommage au prolétariat révolutionnaire, le premier est tout entier centré sur les personnages : John, sa femme Mary, Chris le paysan suédois, Louie le repris de justice… La collectivité est une somme d’individualités pas une force anonyme, comme elle l’était chez Eisenstein.

Par son optimisme indéboulonnable, par son individualisme forcené, Notre pain quotidien, loin d’être un brûlot socialiste, est déjà un film profondément américain.

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Remorques ★★☆☆

Le capitaine André Laurent (Jean Gabin) commande Le Cyclone, un remorqueur basé à Brest qui secourt les navires en perdition en haute mer. Sa femme Yvonne (Madeleine Renaud) lui cache la grave maladie qui la ronge. À l’occasion d’une opération de sauvetage, le capitaine Laurent rencontre Catherine (Michèle Morgan) et en tombe éperdument amoureux au point de délaisser et sa femme et son équipage.

Remorques est un grand classique du cinéma français dont l’entrée en guerre de la France en septembre 1939 et la mobilisation de Gabin (qui obtiendra une permission spéciale pour achever ce film) et de Grémillon avaient retardé de deux ans le tournage : réalisation de Jean Grémillon, dialogues de Jacques Prévert (qui avait déjà signé pour Gabin ceux de Quai des Brumes et de Le Jour se lève), scénario de André Cayatte inspiré d’un livre de Roger Vercel (qui avait décroché le Goncourt quelques années plus tôt pour Capitaine Conan). Et Gabin-Morgan le couple le plus photogénique de l’époque qui répète à l’identique la scène mythique de Quai des brumes : « T’as de beaux yeux tu sais / Embrassez moi ». On a tous vu, sans l’identifier toujours, leur photo sur la plage du Vougot à Guissény, les cheveux battus par les vents.

Remorques s’inscrit volontiers dans une veine naturaliste – comme le cinéma de Renoir qui filmait la vie du rail dans La Bête humaine. Ici c’est la vie ô combien héroïque des sauveteurs en mer que Grémillon entend dépeindre, une activité qui perdure jusqu’à nos jours dans le port de Brest avec le remorqueur Abeille Bourbon. Mais les moyens de l’époque – qui reconstituent une tempête aux studios de Billancourt avec des maquettes dérisoires noyées dans un seau d’eau – prêtent aujourd’hui à sourire à supposer qu’elles aient semblé crédibles aux spectateurs de l’époque.

Remorques a donc vieilli. Mais il a bien vieilli. Ses artifices désuets, ses personnages mélodramatiques portent la marque d’une époque révolue. Remorques enchantera les cinéphiles qui aiment les films de cette époque. Pas sûr en revanche qu’il enthousiasme les autres.

Les Amants diaboliques ★☆☆☆

Gino Costa, un vagabond, descend d’un camion et pénètre dans une station service dans la plaine du Pô. Elle est tenue par Bragana, un vieux barbon, marié à Giovanna, une femme trop jeune pour lui. Entre Gino et Giovanna, c’est le coup de foudre. Sous prétexte de donner un coup de main à Bragana, Gino se fait embaucher. Mais dès que le mari a le dos tourné, il rejoint sa femme.
Les deux amants échafaudent des plans d’évasion. Mais Giovanna renonce à suivre Gino qui rêve de prendre la mer et quitter l’Italie. Finalement, un soir où ils reviennent tous les trois plus soûls que de raison, les deux amants optent pour l’option la plus macabre : se débarrasser de Bragana en maquillant un meurtre en accident de la route. Tandis que la police mène son enquête, Gino et Giovanna sont rongés par la culpabilité.

Les Amants diaboliques (aussi connu sous son titre original Ossessione) est un film marquant de l’histoire du cinéma. Selon certains historiens, le tout premier film de Luchino Visconti marque le début du néo-réalisme – même si d’autres le situent quelques années plus tard avec Rome ville ouverte (1945), Le Voleur de bicyclette (1947) ou Riz amer (1949). Les raisons de ces hésitations tiennent au sujet des Amants diaboliques qui est inspiré d’un roman noir américain de James M. Cain Le Facteur sonne toujours deux fois (1934).
Le roman de James M. Cain connut une extraordinaire postérité puisqu’il eut pas moins de quatre adaptations, toutes exceptionnelles. La première en France, avec Michel Simon en 1939 qu’avait vu le jeune Visconti qui y travaillait alors aux côtés de Jean Renoir. La deuxième donc en Italie en 1943, même si le livre n’est pas crédité au générique car la déclaration de guerre entre l’Italie et les États-Unis en décembre 1941 avait empêché la négociation des droits – cette sombre histoire de droits allait interdire la sortie des Amants aux États-Unis jusqu’à la mort de James M. Cain en 1977. La troisième aux États-Unis en 1946 avec Lana Turner. Et la dernière dans un remake de 1981 avec Jack Nicholson et Jessica Lange dont une scène avait fait scandale. On la devine dans la version de Visconti lorsque les deux amants se rencontrent dans la cuisine de Giovanna ; on la montre quarante plus tard dans le film de Bob Rafelson où Nicholson et Lange font furieusement l’amour sur la table au milieu de la farine et des œufs écrasés.

Les Amants diaboliques est un vrai plaisir de cinéphile. Tourné en plein fascisme, ce film qui parle d’érotisme, de meurtre et de misère sociale, étonne par sa liberté de ton. Visconti lui même aurait été étonné de n’avoir pas subi les foudres de la censure. Il aurait dit-on bénéficié de la protection de la propre fille du Duce. La tension érotique entre Clara Calamaï, l’actrice la plus célèbre des années de guerre, et Massimo Girotti est palpable. Les scènes d’extérieur, qui feront la marque du cinéma néo-réaliste, sont exceptionnelles.

Alors pourquoi une étoile seulement ? Parce que le film s’étire durant deux heures vingt. Une durée interminable pour un sujet qui aurait pu être ramassé en une heure de moins. Je me souviens déjà avoir trouvé les deux films américains bien longs (Le Facteur de 1946 dure cent-treize minutes, celui de 1981 cent-vingt). Si la rencontre des deux amants est électrique, le temps qu’ils prennent à décider de tuer le mari cocu, puis à regretter leur acte, est bien long.

La Rivière rouge ★☆☆☆

Dans les années 1850, le cowboy Tom Dunson franchit la rivière rouge pour aller au Texas élever du bétail et y faire fortune. Il recueille un orphelin.
Quatorze années ont passé. Dunson a constitué un immense cheptel. Mais la Guerre de Sécession a désorganisé le marché. Pour vendre ses bêtes un bon prix, Dunson doit emmener son cheptel dans le Missouri à près de deux mille kilomètres. Mais son caractère autoritaire suscite l’hostilité croissante de ses hommes.

La Rivière rouge ressort aux Écoles 21 (le nouveau nom du Desperado). C’est un western mythique, le premier tourné par Howard Hawkes – qui réalisa ensuite La Captive aux yeux clairs, Rio Bravo et El Dorado. C’est son premier film tourné avec John Wayne et la première apparition de Montgomery Clift, une jeune révélation promise à un brillant avenir.

Mais, si l’on fait abstraction de la place qu’il occupe dans l’histoire du genre, La Rivière rouge ne mérite guère qu’on s’y arrête. Sans doute pour l’époque, son tournage en décors naturels a-t-il frappé les esprits – même si son noir et blanc en limite la majesté. On voit, dans des scènes quasi-documentaires, le troupeau franchir à gué une rivière tumultueuse ou se débander sous l’effet de la panique.

Autre scène qui a retenu l’attention des scénaristes de The Celluloid Closet (1995), un documentaire exceptionnel qui faisait l’histoire de l’homosexualité vue par le cinéma hollywoodien : celle où deux cow-boys comparent amoureusement la longueur de leur pistolet et la précision de leurs tirs (https://www.youtube.com/watch?v=GQmaLlmutlY)

Hélas, le film s’étire interminablement durant cent vingt-deux trop longues minutes. À l’issue de ce périple interminable, la caravane atteint enfin sa destination. On attend un dénouement épique, un duel au soleil façon Le Train sifflera trois fois. Bernique ! Le combat final se conclut en eau de boudin, trahissant le roman de Borden Chase dont La Rivière rouge est l’adaptation.

La bande-annonce

Le Poison ★★★☆

Écrivain raté, paralysé par l’angoisse de la feuille blanche, Don Burnam est alcoolique depuis six ans. Son frère et sa fiancée, d’un dévouement exemplaire, veulent l’emmener en week-end à la campagne. Mais Don parvient à échapper à leur vigilance. Il a tôt fait de dépenser les gages que son frère avait prévus pour la femme de ménage. Pour se procurer à boire, il supplie un barman, emprunte de l’argent à une amie, vole le sac à main d’une cliente d’un restaurant. Il finit même par mettre en gage sa machine à écrire. Abruti d’alcool, il chute dans l’escalier et se retrouve dans un hôpital psychiatrique en proie à une crise de delirium tremens.

The Lost Weekend fut à sa sortie en 1946 un triomphe : quatre Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur masculin), la Palme d’Or et le prix d’interprétation masculine à Cannes. Aucun film depuis lors sinon Marty en 1955 ne réussit plus le doublé Palme d’Or – Oscar.

Rien n’annonçait un tel triomphe. Billy Wilder – qui venait certes de tourner Assurance sur la mort – n’était pas encore l’immense réalisateur de Boulevard du Crépuscule, Certains l’aiment chaud et La Garçonnière. Ray Milland n’avait pas la célébrité d’un Gary Cooper ou d’un James Stewart. Surtout, le thème de l’alcoolisme flirtait avec la censure. Pour satisfaire au code Hays, Billy Wilder dut modifier la fin du roman et lui substituer un happy end convenu – qui n’est pas ce que le film a de meilleur.

Le Poison n’en reste pas moins un chef d’œuvre. Unité de temps (tout se déroule l’espace d’un week-end), de lieu (New York écrasé par la chaleur de l’été), d’action (la quête d’alcool sans cesse recommencée). Il est étonnant que le thème de l’addiction à l’alcool et de la désintoxication, si prégnant en littérature (on pense à Bukowski ou Burroughs), soit resté largement inexploré au cinéma. On pense à L’Homme au bras d’or (1955) de Preminger et, plus près de nous, à Shame (2011) de McQueen – qui ne traitait pas de l’addiction à l’alcool mais au sexe. On pense de ce côté-ci de l’Atlantique au Dernier pour la route (2009) avec François Cluzet et Mélanie Thierry, l’adaptation du roman autobiographique de Hervé Chabalier, qui avait plongé dans l’alcool et avait non sans mal réussi à en revenir.

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My Fair Lady ★☆☆☆

Eliza Doolittle (Audrey Hepburn), une jeune fleuriste sans le sou affublée d’un terrible accent cockney, est repérée par le professeur Higgins (Rex Harrisson). Le linguiste fait le pari de la transformer en dame du monde.

My Fair Lady fait partie de ces films mythiques, couverts d’éloges. Quelque part entre Autant en emporte le vent, Ben Hur, Mary Poppins et Dansons sous la pluie. Récompensé par huit Oscars en 1965, il est – nous dit son affiche – le chef d’œuvre du grand George Cukor. Il offre à Audrey Hepburn l’un de ses plus grands rôles. Les incroyables costumes de Cecil Beaton – notamment les robes et les chapeaux portées par l’héroïne –  sont entrés dans la légende. Nombreux sont les cinéphiles – quoique d’un certain âge – qui classent My Fair Lady au nombre de leurs films préférés.

J’ai profité d’une rétrospective Cukor à la Filmothèque pour aller le voir. J’étais le plus jeune dans la salle – ce qui est à la fois de plus en plus rare et très mauvais signe. Une salle presque comble – ce qui démontre la popularité inentamée de ce chef d’œuvre.

À mon grand désarroi, j’ai trouvé My Fair Lady bien fade et totalement suranné. Pourtant, je ne suis pas rétif aux comédies musicales de cette époque. J’avoue, le rouge au front, avoir été touché par La Mélodie du Bonheur. Je place West Side Story parmi mes films préférés.

Mais rien ne m’a séduit dans My Fair Lady. Aucune des mélodies de André Prévin ne m’a touché – alors que les duos de West Side Story m’arrachent des sanglots. Même le jeu de Audrey Hepburn m’a semblé stéréotypé, dont on sait par avance que l’horrible petite souillon qu’elle incarne au début du film avec son accent effroyable se transformera en radieuse chrysalide. Je la trouve autrement plus émouvante dans Vacances romaines ou Diamants sur canapé.

Surtout, c’est le scénario de Alan Jay Lerner, fidèle à la pièce de George Bernard Shaw, qui m’a déplu. Sans me poser en féministe intransigeant, j’ai trouvé que My Fair Lady véhiculait les pires clichés sexistes. Sans que cela semble choquer personne et, pire, dans une scène censément comique, le père d’Eliza, un ivrogne invétéré, monnaye comme un vulgaire maquignon l’abandon de sa fille aux bons soins du professeur Higgins. La fin du film – qui s’écarte d’ailleurs sur ce point de la pièce de Shaw – n’est pas moins révoltante pour le spectateur du vingt-et-unième siècle qui voit Eliza, désormais transformée en ravissant papillon, passer les pantoufles aux pieds de son prétentieux Pygmalion.

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