La Rivière rouge ★☆☆☆

Dans les années 1850, le cowboy Tom Dunson franchit la rivière rouge pour aller au Texas élever du bétail et y faire fortune. Il recueille un orphelin.
Quatorze années ont passé. Dunson a constitué un immense cheptel. Mais la Guerre de Sécession a désorganisé le marché. Pour vendre ses bêtes un bon prix, Dunson doit emmener son cheptel dans le Missouri à près de deux mille kilomètres. Mais son caractère autoritaire suscite l’hostilité croissante de ses hommes.

La Rivière rouge ressort aux Écoles 21 (le nouveau nom du Desperado). C’est un western mythique, le premier tourné par Howard Hawkes – qui réalisa ensuite La Captive aux yeux clairs, Rio Bravo et El Dorado. C’est son premier film tourné avec John Wayne et la première apparition de Montgomery Clift, une jeune révélation promise à un brillant avenir.

Mais, si l’on fait abstraction de la place qu’il occupe dans l’histoire du genre, La Rivière rouge ne mérite guère qu’on s’y arrête. Sans doute pour l’époque, son tournage en décors naturels a-t-il frappé les esprits – même si son noir et blanc en limite la majesté. On voit, dans des scènes quasi-documentaires, le troupeau franchir à gué une rivière tumultueuse ou se débander sous l’effet de la panique.

Autre scène qui a retenu l’attention des scénaristes de The Celluloid Closet (1995), un documentaire exceptionnel qui faisait l’histoire de l’homosexualité vue par le cinéma hollywoodien : celle où deux cow-boys comparent amoureusement la longueur de leur pistolet et la précision de leurs tirs (https://www.youtube.com/watch?v=GQmaLlmutlY)

Hélas, le film s’étire interminablement durant cent vingt-deux trop longues minutes. À l’issue de ce périple interminable, la caravane atteint enfin sa destination. On attend un dénouement épique, un duel au soleil façon Le Train sifflera trois fois. Bernique ! Le combat final se conclut en eau de boudin, trahissant le roman de Borden Chase dont La Rivière rouge est l’adaptation.

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Le Poison ★★★☆

Écrivain raté, paralysé par l’angoisse de la feuille blanche, Don Burnam est alcoolique depuis six ans. Son frère et sa fiancée, d’un dévouement exemplaire, veulent l’emmener en week-end à la campagne. Mais Don parvient à échapper à leur vigilance. Il a tôt fait de dépenser les gages que son frère avait prévus pour la femme de ménage. Pour se procurer à boire, il supplie un barman, emprunte de l’argent à une amie, vole le sac à main d’une cliente d’un restaurant. Il finit même par mettre en gage sa machine à écrire. Abruti d’alcool, il chute dans l’escalier et se retrouve dans un hôpital psychiatrique en proie à une crise de delirium tremens.

The Lost Weekend fut à sa sortie en 1946 un triomphe : quatre Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur masculin), la Palme d’Or et le prix d’interprétation masculine à Cannes. Aucun film depuis lors sinon Marty en 1955 ne réussit plus le doublé Palme d’Or – Oscar.

Rien n’annonçait un tel triomphe. Billy Wilder – qui venait certes de tourner Assurance sur la mort – n’était pas encore l’immense réalisateur de Boulevard du Crépuscule, Certains l’aiment chaud et La Garçonnière. Ray Milland n’avait pas la célébrité d’un Gary Cooper ou d’un James Stewart. Surtout, le thème de l’alcoolisme flirtait avec la censure. Pour satisfaire au code Hays, Billy Wilder dut modifier la fin du roman et lui substituer un happy end convenu – qui n’est pas ce que le film a de meilleur.

Le Poison n’en reste pas moins un chef d’œuvre. Unité de temps (tout se déroule l’espace d’un week-end), de lieu (New York écrasé par la chaleur de l’été), d’action (la quête d’alcool sans cesse recommencée). Il est étonnant que le thème de l’addiction à l’alcool et de la désintoxication, si prégnant en littérature (on pense à Bukowski ou Burroughs), soit resté largement inexploré au cinéma. On pense à L’Homme au bras d’or (1955) de Preminger et, plus près de nous, à Shame (2011) de McQueen – qui ne traitait pas de l’addiction à l’alcool mais au sexe. On pense de ce côté-ci de l’Atlantique au Dernier pour la route (2009) avec François Cluzet et Mélanie Thierry, l’adaptation du roman autobiographique de Hervé Chabalier, qui avait plongé dans l’alcool et avait non sans mal réussi à en revenir.

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My Fair Lady ★☆☆☆

Eliza Doolittle (Audrey Hepburn), une jeune fleuriste sans le sou affublée d’un terrible accent cockney, est repérée par le professeur Higgins (Rex Harrisson). Le linguiste fait le pari de la transformer en dame du monde.

My Fair Lady fait partie de ces films mythiques, couverts d’éloges. Quelque part entre Autant en emporte le vent, Ben Hur, Mary Poppins et Dansons sous la pluie. Récompensé par huit Oscars en 1965, il est – nous dit son affiche – le chef d’œuvre du grand George Cukor. Il offre à Audrey Hepburn l’un de ses plus grands rôles. Les incroyables costumes de Cecil Beaton – notamment les robes et les chapeaux portées par l’héroïne –  sont entrés dans la légende. Nombreux sont les cinéphiles – quoique d’un certain âge – qui classent My Fair Lady au nombre de leurs films préférés.

J’ai profité d’une rétrospective Cukor à la Filmothèque pour aller le voir. J’étais le plus jeune dans la salle – ce qui est à la fois de plus en plus rare et très mauvais signe. Une salle presque comble – ce qui démontre la popularité inentamée de ce chef d’œuvre.

À mon grand désarroi, j’ai trouvé My Fair Lady bien fade et totalement suranné. Pourtant, je ne suis pas rétif aux comédies musicales de cette époque. J’avoue, le rouge au front, avoir été touché par La Mélodie du Bonheur. Je place West Side Story parmi mes films préférés.

Mais rien ne m’a séduit dans My Fair Lady. Aucune des mélodies de André Prévin ne m’a touché – alors que les duos de West Side Story m’arrachent des sanglots. Même le jeu de Audrey Hepburn m’a semblé stéréotypé, dont on sait par avance que l’horrible petite souillon qu’elle incarne au début du film avec son accent effroyable se transformera en radieuse chrysalide. Je la trouve autrement plus émouvante dans Vacances romaines ou Diamants sur canapé.

Surtout, c’est le scénario de Alan Jay Lerner, fidèle à la pièce de George Bernard Shaw, qui m’a déplu. Sans me poser en féministe intransigeant, j’ai trouvé que My Fair Lady véhiculait les pires clichés sexistes. Sans que cela semble choquer personne et, pire, dans une scène censément comique, le père d’Eliza, un ivrogne invétéré, monnaye comme un vulgaire maquignon l’abandon de sa fille aux bons soins du professeur Higgins. La fin du film – qui s’écarte d’ailleurs sur ce point de la pièce de Shaw – n’est pas moins révoltante pour le spectateur du vingt-et-unième siècle qui voit Eliza, désormais transformée en ravissant papillon, passer les pantoufles aux pieds de son prétentieux Pygmalion.

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La Prisonnière ★★★☆

On connaît de Clouzot les chefs d’œuvre en noir et blanc qu’il a réalisés pendant les années quarante et cinquante : L’Assassin habite au 21, Le Corbeau, Quai des Orfèvres, Le Salaire de la peur, Les Diaboliques
La rétrospective qui lui est consacrée permet de découvrir des œuvres moins connues. Ainsi de cette Prisonnière – sans rapport avec le cinquième tome de la Recherche – sortie en couleurs en 1968, le dernier film de sa carrière.

Ce film n’a pas grand’chose à voir avec les précédentes réalisations du maître. Celles-ci inspirés des films noirs américains, notamment de Fritz Lang, sont le témoignage d’une époque. Celui-là en est le témoignage d’une autre : les années soixante, l’expérimentation artistique, la liberté sexuelle… Loin de s’endormir sur ses lauriers et de tourner ad nauseam le même film en utilisant les mêmes recettes, Clouzot a le courage de s’aventurer dans de nouvelles voies. Cette inlassable remise en question rappelle les années Mao de Godard – telles qu’elles ont été parfaitement décrites dans Le Redoutable – ou la démarche d’un Antonioni dans Blow Up (1966) ou d’un Buñuel avec Belle de jour (1967). Il n’est pas anodin que ces films aient vu le jour à la même époque et aient exploré les mêmes thématiques.

Comme Blow up, comme Belle de jour, La Prisonnière est un film qui interroge les frontières du désir. Grand collectionneur, Clouzot imagine une fiction censée se dérouler dans le monde de l’art. Son héros Stanislas est un riche dilettante qui dirige une galerie d’art contemporain (Laurent Terzieff). Dans son appartement, il photographie des modèles qu’il dénude et qu’il soumet. Il expose dans sa galerie les réalisations de Gilbert (Bernard Fresson). La compagne de celui-ci Josée (Elisabeth Wiener) est attirée par Stanislas. Elle accepte de poser pour lui au risque de se perdre.

La Prisonnière parle de sexe. Des pulsions sexuelles qui passent d’abord par le regard.  Stanislas expose dans sa galerie des œuvres qui jouent avec notre vision : des mobiles, des trompe-l’œil, des œuvres cinétiques de Vasarely ou Soto, des peintures géométriques de Geneviève Claisse. À l’étage, le regard fou, les yeux verts magnétiques, il photographie des modèles dans son cabinet secret, encombré de peintures et de sculptures qui créent une atmosphère lourde. Il ne touche pas ses modèles. Impuissant, il jouit à travers l’œil. Il jouit aussi de la domination qu’il exerce sur elles. Au rez-de-chaussée et à l’étage, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, c’est au fond le même homme : voyeur et dominateur.

Comme dans Cinquante nuances de Grey, une petite oie découvre le SM au contact d’un homme plus âgé et plus riche qu’elle. Les fantasmes misogynes du vieux Clouzot (il filme La Prisonnière à soixante ans passés) peuvent faire sourire ou embarrasser. Comme devant un mauvais film d’Alain Robbe Grillet, on peut ricaner de cet érotisme de romans photos. Un érotisme sulfureux que la seconde partie du film désamorce voire annule, soulignant mièvrement qu’il n’y a pas de sexe sans amour – là où la morale d’Emmanuelle, six ans plus tard, sera nettement moins conventionnelle.

Pour autant, les scènes érotiques de La Prisonnière suscitent un frisson que des réalisations plus récentes ne créent pas. De Neuf semaines et demie à Cinquante nuances… le cinéma soi-disant érotique évolue pour le pire. Il y a dans La Prisonnière une recherche esthétique et une sincérité érotique que ces superproductions, formatées pour émoustiller les couples à la Saint-Valentin, ont perdues.

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Le Mystère Picasso ★☆☆☆

Picasso peint. Clouzot le filme.

« On donnerait cher pour savoir ce qui s’est passé dans la tête de Rimbaud quand il écrivit Le Bateau ivre, dans celle de Mozart quand il composa la Symphonie Jupiter« . Ces mots, prononcés en voix off par Clouzot, nous introduisent à un documentaire singulier. On y voit Picasso en train de peindre, le processus créatif en train de se réaliser.

En 1955, Picasso et Clouzot sont chacun au sommet de leur art. À soixante-dix ans passés, le peintre espagnol n’a jamais été aussi productif, aussi célèbre, aussi polémique. De vingt ans son cadet, Clouzot vient de réaliser Le Salaire de la peur et Les Diaboliques. La passion partagée de la corrida les rapproche. Clouzot s’essaie à la peinture. Il est fasciné par le génie et la créativité de Picasso.

Clouzot utilise un procédé cinématographique particulièrement astucieux pour le mettre en scène. Il place la toile entre la caméra et le peintre. Picasso, invisible, utilise des pinceaux et des encres qui la traversent. La caméra filme le verso de la peinture en train de se faire, comme par magie. On voit ainsi Picasso réaliser une vingtaine d’œuvres. La réalisation des premières, à l’encre, est filmée en temps réel. Celle des secondes, à l’huile, plus longue, est filmée en plans fixes assemblés au montage. Entre les deux, un entracte nous révèle le dispositif : Picasso, torse nu, l’œil vif, qui peint et Clouzot qui le filme avec son chef opérateur Claude Renoir (le petit-fils d’Auguste et le neveu de Jean).

La virtuosité de Picasso éclate. Quelques traits suffisent à esquisser une femme nue, un cheval, un torero. On essaie d’anticiper. On y réussit parfois ; on échoue souvent. Dans un cas comme dans l’autre, on est impressionnés.

Alors d’où vient mon manque d’enthousiasme ? D’une part de la durée de film. Prévu au départ pour être un court-métrage d’une dizaine de minutes, il aurait gagné à conserver ce format. Malgré les tentatives de Clouzot d’en dramatiser l’action, les peintures se succèdent avec monotonie. D’autre part et surtout de mon manque de goût pur la peinture de Picasso. J’en reconnais volontiers la vitalité, l’énergie, la puissance. Mais je n’y ai jamais trouvé la sensualité, la délicatesse, la beauté susceptibles de me toucher.

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Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia ★★☆☆

Un parrain mexicain, El Jeffe, met à prix la tête d’Alfredo Garcia qui a mis sa fille enceinte. Le million de dollars promis attise les vocations. Bunny, un pianiste de bar, apprend de Elita que Garcia vient de se tuer dans un accident de voiture. Il décide de traverser le Mexique pour aller exhumer son cadavre et en ramener la tête à El Jeffe.

Sam Peckinpah est un réalisateur emblématique des années 70. Les États-Unis se cherchent après le Vietnam et Woodstock. Hollywood est le reflet fidèle de ces temps d’incertitudes.
Peckinpah fait son entrée fracassante dans l’arène des grands avec un western crépusculaire : La Horde sauvage (1969). Obsédé par la violence, rongé par ses démons intérieurs (il est alcoolique et cocaïnomane), il enchaîne les chefs d’œuvre : Les Chiens de paille (1971), Le Guet-apens (1972), Pat Garrett et Billy the kid (1972).

Apportez-moi la tête… est son chant du cygne. Warren Oates, qui avait déjà interprété le rôle principal de La Horde sauvage, double autobiographique du réalisateur, promène son cynisme et son grand cœur sur les routes du Mexique – où Peckinpah s’était installé pour fuir Hollywood. En chemin, accompagné d’une prostituée au cœur tendre, il rencontre des motards sadiques (on reconnaît Kris Kristofersson dans l’un de ses tout premiers rôles), d’autres chasseurs de prime, des villageois inhospitaliers…

La scène finale n’est pas aussi connue que celle de La Horde sauvage. Mais elle en a la même sauvagerie absurde, la même énergie désespérée.

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Le Narcisse noir ★★★☆

Sœur Clodagh (Deborrah Kerr) est envoyée par son ordre religieux construire un école et un dispensaire dans un harem désaffecté, niché en haut d’un vertigineux à-pic, sur les contreforts de l’Himalaya.
En dépit de l’aide d’un baroudeur anglais (David Farrar), la tâche s’avère ardue, notamment du fait d’une des moniales, sœur Ruth (Jean Simmons), qui entre en conflit avec sa supérieure.

Le Narcisse noir est un film à nul autre pareil. Fidèlement inspiré du roman éponyme de Rumer Godden, son action est censée se dérouler dans l’Inde himalayenne. Il s’agit d’un Orient de pacotille – dont les études post-coloniales prendront un malin plaisir à dévoiler les ressorts – le même que celui dix ans plus tôt des Horizons perdus de Frank Capra ou dix ans plus tard du Roi et moi de Walter Lang. Dans ce lieu exotique, on place des personnages qui ne le sont pas moins : des nonnes qui cachent mal leurs blessures intérieures (sœur Clodagh a pris le voile pour soigner un chagrin d’amour, sœur Ruth est gravement déséquilibrée).

Si Le Narcisse noir est entré dans la légende, c’est en raison des décors de Alfred Junge. Powell et Pressburger ont en effet pris le parti de filmer en studio à Londres – au grand désarroi de l’équipe du film qui escomptait plusieurs semaines de tournages dépaysants en Inde. Le résultat est saisissant. Même si les arrières-plans sont des toiles peintes dont on perçoit sans peine l’artifice, l’illusion fonctionne et on se croit volontiers sur un piton himalayen battu par les vents.
Le directeur de la photographie, Jack Cardiff, saisit tout le parti qu’on peut tirer du tout nouveau technicolor. Les deux co-réalisateurs le savent, qui signeront l’année suivante leur chef d’œuvre Les Chaussons rouges, où la couleur joue un rôle central.

Un défaut. Un seul. Le titre qui évoque plus un polar hollywoodien à la Ellroy qu’un drame indien.

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Woody et les robots ★★★☆

Miles Monroe (Woody Allen himself) a été cryogénisé en 1973. Il est ranimé deux cents ans plus tard par un groupe de médecins. Ils espèrent que Miles les aidera à renverser la dictature qui les oppresse. Poursuivi par la police, Miles trouve refuge dans la maison de Luna Schlosser (Diane Keaton herself).

En 1973, Woody Allen n’est encore qu’un gagman hilarant qui après avoir acquis la célébrité dans la stand up comedy est depuis peu passé derrière la caméra. Il n’a pas encore pris le tournant qui le conduira, sur un mode moins loufoque, à réaliser ses chefs d’œuvre de la fin de la décennie : Annie Hall et Manhattan.

Woody et les robots reprend les mêmes recettes que ses films précédents. Braqueur de banque (Prends l’oseille et tire-toi), guérillero sandiniste (Bananas) ou New-yorkais projeté malgré lui dans un futur inquiétant (Woody et les robots), Woody Allen y joue le seul rôle qu’il ait jamais loué : un shmuck à lunettes, un clown triste et peureux  d’une pathologique maladresse et d’un pessimisme indécrottable.

Comme toutes les comédies de Woody Allen, celle-ci est ponctuée de répliques désopilantes, d’aphorismes hilarants, parfois un peu trop écrits pour être naturels. Un échantillon :
« My brain? It’s my second favorite organ! »
« It’s hard to believe that you haven’t had sex for 200 years. / 204, if you count my marriage. »
« Science is an intellectual dead end, you know? It’s a lot of little guys in tweed suits cutting up frogs on foundation grants.  »
« I’m always joking, you should know that about me; it’s a defense mechanism. »
« You don’t believe in science, and you also don’t believe that political systems work, and you don’t believe in God, huh? / Right. / So then, what do you believe in? / Sex and death – two things that come once in a lifetime… but at least after death, you’re not nauseous. »

Woody et les robots a horriblement vieilli. D’ailleurs devait-il déjà être démodé au moment de sa sortie. Mais il a tellement vieilli que ses défauts ont disparu : l’indigence du scénario, la lourdeur des gags, la pauvreté des effets spéciaux…
Restent uniquement la drôlerie des dialogues et le plaisir de voir Diane Keaton. À vingt-sept ans, elle rayonne de beauté et révèle un étonnant potentiel comique que son visage de madone ne laissait pas augurer. Chaque plan d’elle est une déclaration d’amour que lui adresse Woody Allen. Elle y répond avec une désarmante ingénuité. Et surtout avec un fou-rire qu’on sent poindre à chaque fin de scène et dont on s’imagine sans peine avec quelle spontanéité il a éclaté juste après le Cut.

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Ariane ★★★★

Ariane Chavasse (Audrey Hepburn plus juvénile que jamais) étudie le violoncelle au Conservatoire et partage un petit appartement sous les toits de Paris avec son père veuf. Claude Chavasse (Maurice Chevalier et son accent so frenchie) exerce la profession de détective privé. Il traque au Ritz Franck Flannagan un richissime américain (Gary Cooper et ses cheveux blancs si séduisants) qui y collectionne les conquêtes. Un mari trompé, renseigné par Chavasse, veut se venger de Flannagan ; mais Ariane décide de s’interposer.

Il est des chefs d’œuvre qui ont bien mal vieilli. J’avoue, toute révérence due, m’être copieusement rasé devant certains films de Douglas Sirk, de Raoul Walsh ou même de Howard Hawks. Il en est d’autres qui n’ont pas pris une ride. Ariane est de ceux là.

Ariane est un conte comme Lubitsch aimait les filmer – tandis que Wilder en signait avant-guerre les scénarios. Tout y est léger, drôle, pétillant comme des bulles de champagne. Mais la futilité n’y est qu’apparente, forme suprême d’une élégance qui ne veut pas alourdir sa démonstration.

Ariane parle d’amour – et d’amour entre deux êtres dont la différence d’âge fit scandale en 1957. D’ailleurs Clark Gable refusa le rôle car il estimait que cette différence rendait peu crédible la romance entre les deux personnages.

Où parler d’amour sinon à Paris ? « In Paris people eat better, and in Paris people make love, well, perhaps not better, but certainly more  » Quelques tableaux suffisent à en poser le cadre dans une introduction qui surpasse toutes les campagnes de publicité jamais conçues par l’Office de tourisme de la capitale. Tourné dans les décors de Alexandre Trauner, Ariane est une ode à la vie parisienne, à la beauté de ses femmes, à la liberté de ses mœurs. Autant de caricatures désuètes et d’ailleurs passées de mode – sinon dans quelques films de Woody Allen – mais qui suscitent chez le spectateur parisien des ronronnements de plaisir.

Deux conceptions de l’amour s’opposent. Gary Cooper incarne un playboy sans âge qui accumule les conquêtes sans jamais s’engager. Audrey Hepburn sublimement habillée par Givenchy joue le rôle d’une ingénue touchée pour la première fois par la grâce de l’amour. Pour s’attacher Flannagan, Ariane va exciter sa jalousie en s’attribuant mille et une conquêtes, celles mêmes que son détective de père a rencontrées dans ses enquêtes : un banquier belge, un duc, un toreador…

Ariane se termine par une scène mythique qui arracherait des sanglots à un roc. Après l’avoir vue, on ne prendra plus jamais le train gare de Lyon sans un sourire.

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Les Bourreaux meurent aussi ★★★☆

En mai 1942, un commando tchèque assassine Heydrich, le Reichsprotektor de Bohême-Moravie, dans les rues de Prague. La police allemande arrête des otages et menacent de les fusiller si les assassins ne se rendent pas.
Le film de Fritz Lang s’éloigne vite de la réalité historique pour raconter l’histoire d’un d’eux : le docteur Svoboda qui est hébergé chez les Novotny, dont le père de famille est bientôt raflé et que la fille tente de secourir avec l’aide de son fiancé.

Fritz Lang est, on le sait, un réalisateur allemand antifasciste qui s’est exilé aux États-Unis dès 1934. Pendant la Seconde guerre mondiale, il a tourné quatre films de propagande. Les Bourreaux meurent aussi est le deuxième.

Fritz Lang et ses producteurs hollywoodiens ne s’embarrassent pas d’authenticité historique. Leur but est de galvaniser les spectateurs américains en leur montrant d’une part la sauvagerie des nazis et, d’autre part, l’esprit inentamé de résistance des peuples qu’ils ont conquis.
Les événements qui ont suivi l’attentat contre Heydrich du 27 mai 1942 diffèrent de la narration qu’en fait Lang et son co-scénariste Bertolt Brecht, le célèbre dramaturge allemand lui aussi réfugié outre-Atlantique. Dans la réalité, les auteurs de l’assassinat avaient été dénoncés, poursuivis et encerclés dans une église de Prague où ils s’étaient donnés la mort. Cette issue fatale n’avait pas empêché des représailles sanglantes sur la population civile au cours de l’été 1942 faisant plus d’un millier de victimes et jetant un doute sur la pertinence de toute l’opération.

Ce n’est pas cette version des faits – qu’on retrouve fidèlement dans HhHH – que Lang raconte. Il élabore un scénario complexe et très hollywoodien, proche du polar, où la résistance réussit à berner la Gestapo en faisant porter la responsabilité de l’attentat à un Tchèque collaborationniste. La morale de l’histoire est évidemment très positive : les véritables auteurs de l’attentat ne sont pas retrouvés tandis que l’infâme collaborateur est puni de sa duplicité.

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