Le Voyeur (1960) ★★☆☆

Mark Lewis (KarlHeinz Böhm, le François-Joseph de Sissi) est un jeune homme discret et solitaire, opérateur pour une société de production. L’éducation qu’il a reçue de son père, un grand clinicien qui a fait de lui le cobaye de ses expérimentations sadiques, a détraqué son psychisme. Il habite dans un quartier cossu de Londres un étage de la maison héritée de ses parents. Il y a aménagé un immense studio de cinéma. C’est là qu’il développe et projette les films qu’il tourne avec la petite caméra qui ne le quitte jamais des meurtres qu’il commet sur des femmes dont il veut saisir à l’instant de leur mort l’image ultime de la peur panique.

Le Voyeur constitue une mise en abyme particulièrement troublante et intelligente de l’art de filmer.
Il met en scène un névrosé qui cherche à se libérer de sa maladie avec l’aide de sa voisine. Le sujet, très freudien, était dans l’air du temps dans les 50ies, la référence la plus juste étant moins Psychose, souvent cité, car sorti quasiment en même temps que Le Voyeur que La Maison du Docteur Edwardes où Ingrid Bergman aide Gregory Peck à vaincre son amnésie, ou La Femme au gardénia de Fritz Lang.
Mais cette névrose s’exprime d’une façon particulièrement originale d’un point de vue cinématographique : l’œil. L’œil qui regarde en cachette ce qui ne devrait pas être vu (c’est la définition la plus simple du voyeurisme). L’œil qui veut capter et éterniser un instant (c’est une des définitions de la photographie). L’œil qui blesse voire qui tue en révélant ce qui n’avait pas vocation à l’être. L’œil enfin de celui qu’on filme, qui se voit en train d’être filmé et ici, grâce au procédé particulièrement sadique imaginé par Mark Lewis, qui se voit en train de mourir.

Comme les plus mauvais Hitchcock, Le Voyeur n’a pas très bien vieilli. Ses héros restent encombrés d’une timidité passée d’âge : Karlheinz Böhm est trop timide pour susciter l’effroi, Anna Massey trop nunuche pour susciter le désir. La grande ballerine Moira Shearer s’en sort mieux dans le rôle d’une pythonisse aveugle et alcoolique (Michael Powell avait lancé sa carrière en 1948 dans Les Chaussons rouges). Son histoire ne glacera plus grand-monde.
Pour autant, grâce à la réflexion à laquelle il nous invite sur l’acte de filmer, Le Voyeur fait partie des grands films de l’histoire du cinéma. Il a sa place, méritée, dans toutes les anthologies.

La bande-annonce

Frankenstein (1931) ★★★☆

Le docteur Frankenstein fut un brillant étudiant en médecine, passionné par le galvanisme et l’électrobiologie, avant de devenir obsédé par un projet prométhéen : recréer la vie. Avec son fidèle assistant, Fritz, il s’est reclus dans un moulin abandonné pour se livrer à de sinistres expériences sur des cadavres qu’il déterre en cachette. Sa fiancée, la belle Elizabeth, son ancien maître, le docteur Waldman, et son père, le Baron Frankenstein, se rongent les sangs pour lui et voudraient le détourner de sa macabre entreprise.

Fort du succès qu’elle vient de remporter avec Dracula, Universal décide en 1931 d’adapter le roman à succès de Mary Shelley qui, durant tout le dix-neuvième siècle, avait déjà fait l’objet de nombreuses adaptations théâtrales. Bela Lugosi doit jouer le rôle du monstre sous la direction de Robert Florey. Mais finalement James Whale et Boris Karloff leur sont préférés par le studio. Le maquillage est confié à Jack Pierce qui leste de cire les paupières du monstre et lui rajoute un front carré bourré de coton et une calotte.

Frankenstein prend beaucoup de libertés avec le livre de Shelley dont il ne reste quasiment rien. Ce n’en est pas moins un film de légende qui figure en bonne place dans toutes les anthologies du cinéma. Il a bien sûr vieilli. Ses personnages ont les poses artificieuses dont le cinéma naissant n’était pas encore arrivé à s’affranchir. Mais le monstre n’a rien perdu de son aura magnétique. Son apparition provoque encore chez le spectateur un frisson régressif. Son destin nous émeut – qui rappelle celui de King Kong que filmera deux ans plus tard Selznick.

On croit souvent que Frankenstein est le nom du monstre, mais c’est celui du docteur qui l’a créé. Le monstre, c’est lui, qui défie la loi de Dieu et les règles de la Nature. Le monstre, lui, restera innommé tout au long du film, symbole du refus de lui reconnaître une quelconque identité. Par un étonnant renversement, il devient sympathique – comme Kong le deviendra aussi – dès qu’il se retrouve en butte à la méchanceté des humains.

La dernière scène n’est pas aussi connue que celle de King Kong. Mais elle pose une grammaire qui restera celle de tout le cinéma d’horreur pendant des décennies.

La bande-annonce

Le Droit du plus fort (1975) ★☆☆☆

Franz Biberkopf (Fassbinder en personne dans le rôle principal) est un ancien forain au chômage. Sans éducation, d’un milieu très modeste, homosexuel en mal d’amour, il rencontre dans une pissotière Max, un antiquaire, qui lui présente Eugen, un fils de bonne famille. Entretemps Franz a miraculeusement gagné un demi-million de marks au loto.
Son pactole lui permettra d’acheter un penthouse et de le meubler luxueusement. Il permettra surtout à Eugen de renflouer l’entreprise familiale en quasi-faillite.

Quand Rainer Werner Fassbinder tourne Le Droit du plus fort, il a trente ans à peine, le visage encore poupin… et sept ans seulement encore à vivre.
Il traite ici l’homosexualité frontalement en mettant en scène des couples homosexuels, en filmant leurs lieux de rencontres (les toilettes publiques, les bars, les saunas, le tourisme sexuel au Maroc…). À sa sortie, le film fut réprouvé par la communauté gay qui s’estimait caricaturée et accusait Fassbinder d’homophobie et de haine de soi.

Mais le sujet du film n’est pas l’homosexualité.
Il est, comme son titre l’annonce, la lutte des classes qui opprime les plus faibles. Franz est un beauf, sans manière, un Eddy Bellegueule avant l’heure, propulsé dans le monde frelaté de la haute bourgeoisie qui va le tolérer, le temps de siphonner son argent, l’essorer et enfin le jeter une fois qu’il aura les poches vides.

La satire est cruelle. Elle n’a rien de drôle, même si Fassbinder, pour une des rares fois dans son oeuvre, la parsème de quelques scènes comiques. Elle s’étire sur deux heures, un format sans doute un peu long pour un scénario cousu de fil blanc dont on connaît par avance la cruelle conclusion.

La bande-annonce

Les Petites Marguerites (1966) ★☆☆☆

Deux jeunes femmes, l’une brune, l’autre blonde, toutes deux prénommées Marie, vivent un rêve éveillé où elles s’autorisent une vie « dépravée ». Elles se font inviter au restaurant par de vieux messieurs libidineux, dînent à l’œil dans un dancing dont elles se font expulser, barbotent dans une baignoire remplie de lait, saccagent un buffet, dont elles essaient vainement de recoller les débris…

Les Petites Marguerites est un film-culte qui est ressorti début septembre en version restaurée au Reflet Médicis. Tourné en 1966 à Prague, il est devenu le symbole du vent de liberté qui soufflait alors en Tchécoslovaquie, brutalement éteint par les chars russes en août 1968.

Les Petites Marguerites est un film de la Nouvelle vague, inspiré de Godard et du dadaïsme. Formellement, Věra Chytilová joue avec les filtres, les couleurs, le noir et blanc. La morale du film est ouvertement libertaire et ne pouvait que déplaire aux hiérarques communistes qui l’interdirent dès sa sortie. Ses héroïnes, innocemment dénudées, sont filmées dans une succession de situations transgressives où leur absence de retenue sonne comme autant de provocations anarchistes. Le film, qui débute et s’achève par des images d’archives de bombardements aériens et de villes en ruines, est ironiquement dédicacé à « ceux dont la seule source d’indignation est une salade piétinée »

Sans doute Les Petites Marguerites mérite-t-il sa place dans les anthologies. C’est une œuvre clé d’un moment de l’histoire du cinéma. Pour autant ses aimables provocations ne transgressent plus aucun tabou. Sa succession répétitive de saynètes devient vite lassante, même si le film a le bon goût de durer moins de quatre-vingts minutes.

La bande-annonce

Cent mille dollars au soleil (1964) ★★★☆

Castagliano (Gert Fröbe), le directeur d’une compagnie de transport installée dans le Sud marocain a embauché un nouveau chauffeur pour lui confier la responsabilité d’un poids lourd à la cargaison mystérieuse. Flairant un bon coup, Rocco (Jean-Paul Belmondo), un autre routier, en prend le volant et s’enfuit avec le précieux chargement en compagnie de Pepa (Andréa Parisy), sa maîtresse. Fou de colère, Castagliano missionne Marec (Lino Ventura) pour le rattraper. S’engage une course poursuite dans l’Atlas marocain.

Cent mille dollars au soleil est un film archétypique du cinéma de Henri Verneuil qui lui vaudra d’être voué aux gémonies par les cinéastes de la Nouvelle Vague. Un « cinéma à la papa » qui louche du côté de la série B, dont les lourds relents machistes et racistes scandaliseront les wokistes les plus sourcilleux. Dans le genre, Cent mille dollars au soleil pousse le bouchon vraiment très loin, dont les héros machos considèrent chaque femme et chaque Arabe qu’ils croisent avec un paternalisme d’un autre âge.

Henri Verneuil a su s’entourer des plus grandes stars françaises : Fernandel (La Vache et le Prisonnier, près de neuf millions de spectateurs à sa sortie en 1959 et combien de rediffusions à la télé), Gabin (Le Président, Un singe en hiver), Delon (Mélodie en sous-sol, Le Clan des siciliens), Montand (I… comme Icare), Dewaere (Mille milliards de dollars) mais aussi Belmondo avec lequel il ne tourne pas moins de huit films qui sont – presque – tous des succès, ou Ventura. Aucune femme ou presque dans ce cinéma viriliste où elles sont réduites aux rôles de maman ou de putain.
À la musique Georges Delerue. Aux dialogues Michel Audiard dont certaines répliques sont devenues mythiques : « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent » ou encore «  Dans la vie on partage toujours la merde, jamais le pognon ».

Le scénario du film, ses personnages, ses décors rappellent furieusement Le Salaire de la peur. Sa dernière scène, tournée à Marrakech, est entrée dans la légende. Quand j’avais treize ans, je me souviens être allé dans le cinéma de ma petite ville de province voir Les Morfalous et l’avoir adoré. Je ne connaissais pas encore Cent Mille dollars…. dont Les Morfalous constitue la lointaine et pâle resucée.

La bande-annonce

Affreux, sales et méchants (1976) ★★★☆

Une vingtaine de gueux s’entassent dans un minuscule taudis d’un bidonville à Rome. Giacinto (Nino Manfredi) y règne en despote, assis sur le magot qui lui a été versé par son employeur après la perte de son oeil gauche. Sa femme, sa mère impotente, ses enfants et ses beaux-enfants vivent ou survivent dans un bruit insupportable et une crasse répugnante  : les garçons volent, les filles se prostituent tandis que les plus jeunes sont parqués dans un enclos pour éviter de se dissiper.

Une rétrospective au Champo donne l’occasion de voir ou de revoir les principaux films de Ettore Scola. Son étoile a toujours souffert de la concurrence de ses aînés : Rossellini, De Sica, Fellini, Pasolini, Visconti… Son succès coïncide avec le début du déclin du cinéma italien. Affreux, sales et méchants marque son apothéose : Nous nous sommes tant aimés, sorti deux ans plus tôt, l’aura fait connaître dans le monde entier, Une journée particulière, sorti un an plus tard, confirmera sa renommée.

Réalisateur si élégant, si nostalgique, Scola réalise avec Affreux, sales et méchants, une satire grinçante qui louche du côté de Dino Risi et des outrances de la comédie italienne. Rien n’est trop gros, trop gras, trop grotesque, trop grinçant chez les gueux de Scola qui se disputent, se frappent, se saoulent, se prennent avec une bestialité répugnante. Nino Manfredi s’en donne à cœur joie dans le rôle du patriarche tyrannique et veule, au risque de verser dans la caricature.

Bien entendu, cette surenchère cache un message humaniste (même si Ettore Scola, à la différence de la plupart de ses collègues, n’a jamais flirté avec le parti communiste) : le quart-monde qu’il dépeint , comme chez Rossellini (Rome ville ouverte), Fellini (Les Nuits de Cabiria) ou Pasolini (Accatone), suscite la pitié plus que le dégoût. Et cette gamine – dont je n’arrive pas à retrouver le prénom – qu’on voit au début du film, à l’aube blanchissante, chausser ses bottes jaunes pour aller puiser l’eau et qu’on revoit au dernier plan du film à la même heure dans la même activité, cette fois-ci le ventre gonflé par une grossesse sans doute non désirée, nous arracherait presque des larmes….

La bande-annonce

Les oiseaux vont mourir au Pérou (1968) ★☆☆☆

Sur une plage, au Pérou, au lendemain du Carnaval, qui s’est achevé en folle bacchanale, Adriana (Jean Seberg), une femme nymphomane, frigide et suicidaire, fuit son mari (Pierre Brasseur) et attend la mort. Elle trouvera un temps refuge dans un bordel tenu par une Française (Danielle Darrieux) avant de rencontrer un humaniste (Maurice Ronet) qui la sauvera peut-être d’elle-même au risque de sa propre vie.

Romain Gary, personne ne le conteste, est un immense écrivain. C’est aussi un homme au destin romanesque qui combattit dans les Forces françaises libres avant d’intégrer la diplomatie française. Consul général de France à Los Angeles, il y rencontre Jean Seberg et le tout-Hollywood. Après avoir participé à plusieurs scénarios, il décide de passer derrière la caméra en adaptant une des nouvelles de son recueil Les oiseaux vont mourir au Pérou.

La production ne lui permet pas d’aller tourner sur place – le tournage aura lieu en Andalousie dans le golfe de Cadix – mais réunit autour de Jean Seberg une belle brochette d’acteurs. Dimanche dernier à l’Archipel, dans le dixième arrondissement, son dernier survivant, Jean-Pierre Kalfon, a distillé devant des aficionados transis quelques anecdotes. On pensait le film disparu. Jean-François Hangouet, éminent garyen et auteur chez Découvertes Gallimard d’un ouvrage de référence, en a dégotté une copie 35mm aux Etats-Unis, sous-titrée en anglais par Gary en personne. Et, en écho avec Kalfon, il a éclairé de sa science immense la genèse de ce film, les conditions de sa réalisation et sa réception à sa sortie, moins calamiteuse qu’on n’a coutume de le dire.

La critique depuis 1968 a pris l’habitude d’étriller Les oiseaux… et il y a de quoi !
Les défauts du film apparaissent dès la première scène, inutilement étirée et mal montée (si j’ose dire), où Adriana fait l’amour sur la plage avec quatre hommes successivement. Même si les dialogues font souvent mouche, surtout dans la bouche de Brasseur ou de Kalfon, les acteurs sont en roue libre, notamment Maurice Ronet qui semble complètement perdu. La très belle musique de Kenton Coe est gâchée par une mauvaise utilisation. Gary sasse et ressasse les thèmes et les caractères qui encombrent son oeuvre : la nymphomanie, l’impuissance, la mort inéluctable et la force du destin

Les oiseaux… constitue une curiosité exotique qui intéressera peut-être quelques amoureux inconditionnels de Gary. Mais passé ce cercle plus ou moins étroit, je vois mal qui pourrait y trouver de l’intérêt et a fortiori du goût.

Vous connaissez Les Oiseaux vont mourir au Pérou ? – Blow Up – ARTE

L’Évangile selon saint Matthieu (1964) ★★★☆

L’Évangile selon saint Matthieu, qu’il réalise la quarantaine venue, marque un tournant dans l’oeuvre de Pier Paolo Pasolini. Il rompt définitivement avec le néoréalisme sous la paralysante tutelle duquel il avait réalisé son précédent film Accattone. Il fait le pari, réussi, d’aborder de front la question du sacré qui ne cesse de le hanter.

Marxiste et athée, Pasolini s’attaque au texte le plus sacré qui soit. Des quatre évangiles, il choisit le plus intellectuel, le moins visuel, celui qui donne le plus de place à la parole du Christ.

On est immédiatement touché par ce qu’il y a cherché et trouvé : la profonde humanité du Christ, débarrassé du fatras du dogme.

Mettre en scène un Évangile est un défi cinématographique. Le spectateur connaît d’avance chaque scène, sans parler de la conclusion de son histoire. La surprise, l’étonnement ne peuvent venir que de la façon dont chaque plan sera construit et dont la Passion du Christ et sa résurrection seront filmées. Pasolini dit s’être inspiré de l’iconographie médiévale, de Piero Della Francesca, de Duccio, de Masaccio. Il use de tous les procédés que le cinéma lui autorise : le zoom, le très gros plan, le grand angle, la post-synchronisation du son (une hérésie pour les tenants du néo-réalisme)…. Il fait surtout, comme dans ses autres films, un usage immodéré de l’accompagnement musical, utilisant ici bien sûr La Passion selon saint Matthieu de Bach, mais aussi Prokofiev, des negro spirituals et la Missa Luba congolaise.

Son Évangile…, dédié au « glorieux Pape Jean XXIII », qui venait de mourir d’un cancer foudroyant après avoir lancé le concile Vatican II, est profondément fidèle au texte. Après quelques atermoiements, il a été validé par l’Eglise catholique.

Qu’on connaisse ou pas chacun de ses épisodes, qu’on soit ou non croyant, on ne pourra qu’être ému au tréfonds par certains des plans de L’Evangile… Je ne me suis pas remis du visage en larmes de Marie au pied de la Croix, interprétée par la propre mère de Pasolini, pleurant son fils martyrisé.

La bande-annonce

Ne vous retournez pas (1973) ★★★☆

John (Donald Sutherland) et Laura Baxter (Julie Christie) sont un couple aimant frappé par un drame effroyable : leur petite fille, Christine, s’est noyée dans la mare devant leur maison en Angleterre. Laura peine à s’en remettre et accompagne son époux à Venise. Johny est chargé de la restauration d’une église.
Mais la rencontre de deux sœurs, dont l’une est une médium aveugle qui révèle à Laura qu’elle a vu Christine mais l’exhorte à quitter Venise où un danger les menace, va bouleverser leurs destins.

L’horrible coiffure de Donal Sutherland et de Julie Christie sur cette affiche démodée pourrait laisser penser que Ne vous retournez pas a très mal vieilli. Sans doute l’esthétique marronnasse des 70ies le dessert-il. Pour autant, ce film souvent cité dans les anthologies de cinéma se regarde encore volontiers.

Ne vous retournez pas est l’adaptation d’une longue nouvelle de Daphné du Maurier, une romancière très souvent portée à l’écran (notamment par Hitchcock : La Taverne de la Jamaïque, Rebecca, Les Oiseaux). Il s’agit d’un giallo, un film noir qui tire vers le cinéma d’horreur et le surnaturel, un genre qui connaissait à l’époque en Italie son âge d’or.

Tout le film est habité par un lourd mystère. John est hanté par des visions dont le sens ne s’éclairera qu’avec le dernier plan Mais si Ne vous retournez pas fit scandale à sa sortie, c’est à cause de la longue scène d’amour entre ses deux héros. Elle était pour l’époque très crue et fut coupée par la BBC à sa première rediffusion à la télé… même si elle peut paraître aujourd’hui bien anodine. Pour la première fois un cunnilingus y était suggéré. Son montage la rend très originale : on y voit en plans séquencés les deux amants se déshabiller, s’aimer et se rhabiller pour se préparer à se rendre au dîner auquel ils sont conviés. Si la description que j’essaie d’en faire n’est pas claire, la solution s’impose : courir voir ce film !

La bande-annonce

Des oiseaux petits et grands (1966) ★★★☆

Toto et son fils Ninetto marchent dans la campagne. Un corbeau très bavard les rejoint qui leur assène des leçons de morale politique et religieuse. Il les projette notamment au douzième siècle où Toto et Ninetto sont des disciples auxquels Saint-François d’Assise a confié le soin d’évangéliser faucons et moineaux. Revenus à notre époque, Toto et Ninetto font diverses rencontres : des fermiers qui n’ont pas les moyens de payer leur loyer, une famille de grands bourgeois, des forains qui circulent en Cadillac, une prostituée….

A l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, les films de Pasolini ressortent en salles. Il y a quelques semaines j’ai découvert Accattone que je n’ai pas aimé. Cela ne m’a pas dissuadé de poursuivre ma découverte de l’oeuvre de ce sulfureux réalisateur italien tragiquement décédé sur la plage d’Ostie en 1975. Bien m’en a pris ; car Des oiseaux… est un film drôle et léger, débarrassé de la pesante idéologie dont Accattone m’avait semblé lesté.

Des oiseaux… était le film préféré de Pasolini, « le plus pauvre et le plus beau ». C’est en effet un film drôle et léger qui contraste avec le reste de son oeuvre autrement plus grave. Pasolini reconnaît sa dette à Rossellini et à ses Onze Fioretti de François d’Assise sorti en 1950, qui racontait en onze tableaux la vie du saint franciscain dont l’idéal ascétique exerça une telle influence, bien au-delà de la seule communauté des croyants.

Mais Des oiseaux… louche aussi du côté du burlesque, du cinéma comique italien, dont il reprend certains des effets, pas des plus subtils, tel l’accéléré, mais aussi du côté de Chaplin (le dernier plan du film est copié sur celui des Temps modernes) ou de Laurel et Hardy que rappelle le duo formé par l’immense acteur comique Toto et la jeune révélation Ninetto Davoli (qui fut l’amant et l’acteur fétiche de Pasolini).

Sa morale – si tant est qu’il en ait une – est ambiguë. Sans doute est-ce un film de « gauche » dont le rôle principal est joué par le corbeau auquel Pasolini prête sa propre voix. Ce corbeau – et on imagine aisément les difficultés que son dressage a dû causer pendant le tournage – professe des idées progressistes, mais sur un ton sentencieux qui les rend vite inaudibles, si bien que les deux héros finissent par s’en lasser, jusqu’à une conclusion d’une amère dérision.

La bande-annonce