The Mumbai Murders ★☆☆☆

À Mumbai, de nos jours,un psychopathe fasciné par Raman Raghav, un tueur en série des années soixante, essaie de dupliquer sa folie meurtrière. Son arme de prédilection : un démonte-pneu.
Son chemin croise celui d’un policier, aussi déjanté que lui, carburant à la coke, corrompu jusqu’à la moelle.

À qui croirait que le cinéma indien se résume aux chorégraphies endiablées de Bollywood, l’œuvre de Anurag Kashyap apportera un démenti cinglant. Ce jeune réalisateur avait été découvert en Occident à l’occasion de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2012. Il y présentait Gangs of Wasseypur, un film feuilletonesque de 5h19, sorti sur les écrans en deux volets. L’année suivante, il confirmait son talent avec Ugly, l’histoire du rapt d’une petite fille à Mumbai. Le revoici cinq ans plus tard, toujours sélectionné à la Quinzaine, avec un film qui n’a plus le charme de la nouveauté qu’offraient ses précédentes réalisations mais en a la même violence.

Son titre international a été édulcoré. « The Mumbai Murders » est censé nous indiquer le lieu de l’action et le thème du film. Raman Raghav 2.0., son titre original, aurait été moins immédiatement compréhensible pour une audience étrangère. Il fait référence au tueur en série des années soixante sur les pas duquel marche le héros, prénommé Ramanna. Le chiffre 2 renvoie spontanément à une modernité cybernétique dont on ne trouve pourtant guère d’écho : ce n’est pas avec des gadgets électroniques que Ramanna tue, mais avec un bonne vielle bar en métal trempé. Le chiffre 2 renvoie plutôt au couple gémellaire que forment Ramanna et Raghav, le policier chargé de l’arrêter.

Car, on le comprend dès la première scène, l’un est aussi fou et dangereux que l’autre. Si l’un a pour lui le droit légal de porter une arme et de s’en servir, il n’en est pas moins nuisible à l’ordre social. Une explication psychologique bien pesante nous l’explique par l’héritage trop encombrant d’un père dominateur – alors que rien ne nous sera dit des origines de la psychose de Ramanna sinon les attouchements d’un Tonton trop pressant.

Lancé sur cette voie, The Mumbai Murders met en scène le jeu du chat et de la souris auquel se livrent ces Dr Jekyll et Mr Hyde marathes. Au risque de la vraisemblance, le chassé et le chasseur ne sont pas ceux qu’on croit, Ramanna maintenant autour de Raghav et de sa fiancée une étroite surveillance qui laisse augurer un final trop longtemps différé. D’un noir pessimisme, il confirme, si besoin en était, que le cinéma indien est moins gai qu’on l’avait cru jusqu’alors.

La bande-annonce

Les Filles du soleil ★☆☆☆

Mathilde (Emmanuelle Bercot) est une reporter de guerre chevronnée qui se relève péniblement de la mort de son conjoint, journaliste comme elle, tué dans l’exercice de sa profession, en Libye. Elle est envoyée sur le front syrien où un bataillon de femmes kurdes, commandé par Bahar (Golshifteh Farahani) s’apprête à lancer l’assaut sur une ville contrôlée par Daesh.
Le bataillon des Filles du soleil est composé de femmes qui, comme leur commandante, ont été réduites en captivité par les hommes de Daesh mais ont réussi au péril de leur vie à leur échapper.

Les meilleures intentions du monde ne font pas les meilleurs films. On ne peut que partager la rage d’Eva Husson devant le malheur des femmes réduites en esclavage par Daesh et son admiration devant le courage de celles qui s’en sont libérées et ont décidé de prendre les armes pour reconquérir les territoires passés sous le contrôle de l’État islamique. Stéphane Breton leur avait d’ailleurs déjà consacré un documentaire sorti au printemps avec un titre quasi-identique : Les Filles du feu.

Eva Husson choisit la fiction pour inventer le personnage de Bahar et raconter à travers elle deux histoires. La première est celle du combat de ces femmes courageuses, figures paradoxales de la violence guerrière dans des sociétés pourtant encore patriarcales. La seconde, présentée sous la forme de longs flash-back, est celle du sort traumatisant des femmes yézidis capturées par les combattants de Daesh et réduites à la fonction d’esclaves sexuelles.

Malheureusement, Les Filles du soleil sonne faux. Les scènes de combat, filmées à l’économie dans la montagne géorgienne, ne sont guère crédibles. Et les bourreaux de Daesh sont si caricaturaux qu’ils prêteraient plus à sourire qu’à faire peur. Le tout nous est présenté à travers les yeux d’une photographe de guerre, censée tout à la fois incarner la (mauvaise) conscience occidentale et faciliter l’identification du spectateur. Cette photographe est borgne – suite à un éclat de mortier reçu à Homs (où la journaliste américaine dont s’est inspirée Eva Husson est d’ailleurs décédée). Tout un symbole…

Sur le papier (une réalisatrice à la mode dont le précédent film avait laissé un parfum de soufre, un sujet politique, un film féministe), Les Filles du soleil avait tout pour séduire le Festival de Cannes qui l’a retenu pour sa sélection au printemps dernier. Il ne mérite pas les huées qu’il y a reçues en projection officielle. Il est moins calamiteux qu’on l’a dit à l’époque. Il n’en est pas moins raté.

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Le Grand Bal ★★★☆

Chaque année depuis 1990, le Grand Bal de l’Europe réunit à Gennetines dans l’Allier pendant deux semaines des milliers de participants de tous âges et de tous milieux. Durant la journée, ils apprennent en atelier la technique des danses traditionnelles : polka, mazurka, bourrée, gavotte, quadrille… Le soir c’est le grand bal qui les réunit tous dans des virevoltes qui durent jusqu’à l’aube.
Laetitia Carton, une habituée du festival, les a filmés.

Il y aurait eu bien des façons de filmer ce Grand Bal. L’une aurait été d’en raconter l’histoire en interviewant les organisateurs de la manifestation et en questionnant leur entreprise. L’autre aurait été d’en faire la sociologie, afin d’insister sur sa mixité sociale ou au contraire de souligner telle ou telle surreprésentation. Un autre angle d’approche encore, celui de l’héroïsation, aurait été de s’inscrire dans les pas d’un ou deux participants – comme Guillaume Brac l’a fait dans L’Île au trésor pour nous faire découvrir l’Île de loisirs de Cergy-Pontoise.

Le parti pris de Laetitia Carton est plus audacieux. Elle ne s’adresse ni à notre raison ni à notre cœur mais à notre sensualité. Elle choisit de ne rien nous expliquer mais de nous faire ressentir intimement la transe de la danse. Elle y réussit admirablement en plaçant sa caméra au centre de la piste de danse. Depuis ce poste d’observation privilégié, nous sommes immergés dans la danse, noyés dans sa musique, submergés par son mouvement.

Le Grand Bal nous fait partager le sentiment de plénitude, d’épanouissement que ressentent les danseurs. Peu importe leur origine sociale, leur âge, leur sexe et même leur aptitude à la danse, tous semblent atteindre – et nous avec eux – une forme d’extase chamanique.

Le film n’est pas seulement poétique. Il est aussi politique. Car ce Woodstock à l’envers propose une autre relation au corps, au besoin de toucher et d’être touché délesté de toute violence érotique, aux relations entre les sexes, au rapport au temps qui semble se dilater jusqu’au bout de la nuit dans les « bœufs » qui prolongent les bals.

Les images sont accompagnées de la voix off de la réalisatrice qui lit des textes d’une fulgurante beauté. Je lis ici ou là qu’elle serait inutilement démonstrative. Je l’ai trouvée au contraire parfaitement adaptée.

Sans doute, on pourrait reprocher à ce Grand Bal de n’avoir ni début ni fin, de durer un chouïa trop longtemps, en un mot, de tourner en rond comme ses danseurs. Mais la critique serait bien mesquine pour un documentaire si délicat, si souriant, si euphorisant.

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Heureux comme Lazzaro ★★★☆

Lazzaro est un benêt. Il vit parmi les siens, des paysans pauvres qui exploitent un champ de tabac pour le compte d’une aristocrate, la marquise Alfonsina De Luna, qui, avec le concours de son contremaître, les maintient dans un état anachronique de servitude. Lazzaro se rapproche du fils de la marquise en pleine rupture de ban et l’aide à se cacher dans la montagne en faisant croire à une prise d’otage doublée d’une demande de rançon.
Mais Lazzaro fait une chute mortelle. La demande de rançon a attiré l’attention des Carabiniers qui libèrent les paysans de leurs jougs et les escortent en ville. Les années passent. Miraculeusement, Lazzaro se réveille. Il n’a pas vieilli d’un jour. Il marche jusqu’à la ville et y retrouve ses amis.

Heureux comme Lazzaro est le troisième film de Alice Rohrwacher. Ses deux premiers étaient remarquables. Corpo Celeste (2011) racontait l’histoire d’une petite fille en Calabre à la veille de sa première communion. Les Merveilles (2014) campait une famille de joyeux marginaux vivant de la culture du miel dans les montagnes de l’Ombrie.

Dans sa première partie, Heureux comme Lazzaro rappelle les drames pastoraux de Ermanno Olmi (L’Arbre aux sabots) ou des frères Taviani (Padre, padrone). L’action se déroule hors du temps (sommes-nous au début du vingtième siècle ou à sa fin ?). La vie de la communauté est rythmée par les travaux des champs. La terre est dure à l’homme. Lazzaro est un simple qui oppose un sourire inaltérable et une gentillesse sans fon à la méchanceté du monde.

Et brutalement, basculant dans le réalisme fantastique, Heureux comme Lazzaro bifurque. Son héros meurt pour renaître à lui-même plusieurs années plus tard. Il n’a pas pris une ride. Mais le monde autour de lui a changé. Ses proches ont quitté la campagne après que les pratiques d’un autre âge de la marquise De Luna ont été démasquées. Pour autant, entassés dans des abris de fortune au bord des rails, bruyants et pollués, ils ne vivent guère mieux.

La parabole prend vite son sens. On comprend qu’il s’agit de dénoncer le sort des opprimés, hier à la campagne, aujourd’hui à la ville. La fable pourrait être lourdement démonstrative. Elle réussit à ne pas l’être. Le mérite en revient aux acteurs, notamment à Alba Rohrwacher, la propre sœur de la réalisatrice, qui jouait déjà dans Les Merveilles, qui interprète ici le rôle d’Antonia, la gamine de la première partie devenue une belle adulte dans la seconde.

Heureux comme Lazzaro, ses deux films en un, pourront laisser le spectateur sur le bord du chemin ou le séduire par son subtil équilibre entre poésie et politique.

La bande-annonce

Premières solitudes ★☆☆☆

Claire Simon devait tourner un court métrage avec des élèves de première, option cinéma, d’un lycée du Val-de-Marne. Avant de commencer ce travail, la réalisatrice les a filmés face caméra leur demandant de parler de la solitude. Leurs réponses l’a étonnée : au lieu de parler de leurs premières solitudes, les jeunes lui ont parlé de leurs parents, de leurs difficultés à communiquer avec eux.
La réalisatrice a eu l’idée d’en faire un long métrage.

J’aurais adoré aimer ce documentaire qui a priori présentait tous les ingrédients dont sont faits les films qui me touchent. Sa réalisatrice d’abord, dont on connaît depuis plus de vingt ans l’œuvre sensible, entre documentaires (Récréations sur une cour de maternelle, Le Concours sur la sélection à l’entrée à la Fémis) et fictions (Ça brûle, Gare du nord). Son sujet ensuite : ces jeunes lycéens à l’orée de leur vie, pleins d’enthousiasme et d’appréhension, de courage et de maladresse. Et enfin les critiques élogieuses qu’on lit depuis une semaine, saluant « un film exceptionnel de justesse, de sincérité, de pudeur et de profondeur » (Le Figaro), un documentaire « tour à tour drôle, malicieux, troublant et poignant » (Première).

Hélas, mille fois hélas, la sauce ne prend pas. Le documentaire est constitué d’une dizaine de saynètes où les jeunes sont filmés par deux ou trois dans leurs lieux familiers : les salles de cours, les terrains de sport, le bus… Le procédé frappe par son artificialité. Les dialogues sonnent faux, manquent d’authenticité. Il devient vite répétitif faute de ligne directrice. Les lycéens parlent de leurs parents, des couples souvent bancals :  un père muré dans son silence que son fils, un grand malabar, ne peut pas évoquer sans pleurer, une mère qui regarde des films sur sa console pendant que sa fille dîne seule. Et ils parlent d’amour avec une candeur désarmante – loin de l’image inquiétante d’ados sevrés de vidéos X.

Sur le même canevas, David André avait filmé en 2013 un bijou Chante ton bac d’abord qui suivait des lycéens de Boulogne-sur-mer durant l’année précédant leur bac. Au contraire Premières solitudes s’étire trop sagement, trop gentiment, trop mièvrement, sans jamais susciter l’empathie ni même l’intérêt.

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Overlord ★☆☆☆

À la veille du Débarquement, un groupe de soldats américains est envoyé en France pour y saboter une antenne allemande de transmission. Après un parachutage chaotique, ils trouvent refuge dans un petit village. Son église fortifiée a été transformée en hôpital par les Nazis qui s’y livrent à de mystérieuses expériences.

Dans sa première partie, Overlord a des airs de Band of Brothers. On y voit un peloton de soldats américains débarquer en Normandie sous le feu ennemi et tenter tant bien que mal de s’y cacher et d’y mener à bien sa mission. Rien qu’on ait déjà vu mille fois, filmé avec autrement de talent dans par exemple Il faut sauver le soldat Ryan, Inglorious Bastards, Fury ou Monuments Men. Rien non plus d’indigent car J.J. Abrams, qui ne signe pas la réalisation mais contrôle la production, n’a pas lésiné sur les moyens pour filmer, comme si on y était, le parachutage en temps réel d’une unité aéroportée de Marines pris sous le feu de la DCA allemande.

Et dans la seconde partie, le film bascule dans l’horreur sinon dans l’épouvante. Là encore, il revisite des scénarios déjà existants – quoique plus oubliables que les films de guerre précédemment cités. Dans War of the Dead (2011), Marko Mäkilaakso imaginait que les nazis avaient mis au point en 1941 un virus qui permettrait de transformer les hommes en créatures immortelles assoiffées de sang humain. Le scénario était déjà le même dans Outpost (2008) de Steve Barker. Des séries B sinon Z tombées dans un oubli mérité.
Dans Overlord, les méchants nazis utilisent des malheureux villageois français pour tester sur eux un élixir diabolique leur donnant l’immortalité et une force surhumaine.

Le film n’épouvantera pas grand’monde et n’intéressera personne sinon quelques ados boutonneux fan de comics. Il est révélateur de la place qu’occupent dans notre imaginaire les Nazis. Avec leurs uniformes fétichisés, leur idéologie démente, leur violence froide, leur discipline de fer, ils continuent soixante-dix ans après leur défaite à personnifier le mal absolu.

À signaler dans le rôle du méchant très méchant Pilou Asbæk (Borgen, Game of Thrones) toujours excellent et la révélation d’une jeune actrice française dont on reparlera : Mathilde Ollivier.

La bande-annonce

Millenium : Ce qui ne me tue pas ★☆☆☆

Lisbeth Salander est de retour. La cyberpunk est recrutée pour remettre la main sur un logiciel permettant de contrôler l’accès aux sites de lancement d’armes nucléaires. Mais elle n’est pas la seule sur le coup : le NSA est de la partie ainsi qu’un mystérieux gang de mercenaires.
L’enquête oblige Lisbeth à se confronter à son passé : un père toxique et une sœur aussi blonde qu’elle est brune.

On sait que Stieg Larsson avait écrit une trilogie publiée après sa mort en 2004 et devenue populaire dans le monde entier. Ses ayants-droits ont confié à David Lagercrantz le soin d’en écrire la suite. Un quatrième tome est sorti en 2015. Publié sous le titre suédois Det som inte dödar oss (littéralement « Ce qui ne me tue pas »), bizarrement traduit en anglais The Girl in the Spider’s Web, le roman traduit en trente-huit langues connut un succès mondial que ne parvint pas à altérer les procès en paternité des fans les plus irréductibles de Stieg Larsson.

L’Urugayen Fede Alvarez, qui s’est fait une réputation en signant quelques films d’horreur pour adolescents boutonneux, a été recruté pour en signer l’adaptation. Il peine à faire oublier les quatre films précédents : les trois suédois directement inspirés de la trilogie avec Noomi Rapace dans le rôle de Lisbeth Salander et le film de David Fincher (inspiré du premier roman) avec Rooney Mara. Sa seule qualité : Claire Foy dans le rôle principal qui est décidément l’actrice de l’année’ avec sa prestation dans The Crown puis dans les films de Steve Soderbergh (Paranoïa) et Damien Chazelle (First Man).

Cette version de Millenium louche ostensiblement vers James Bond depuis son générique qui reproduit les tocs et les tics des productions signées Albert R. Broccoli (j’adore ce nom !). Comme dans James Bond, le héros/l’héroïne est indestructible et vient à bout, par son intelligence et par sa force, des plus redoutables méchants au terme de combats épiques filmés dans des décors à couper le souffle. Comme dans James Bond – et comme dans Mission Impossible ou Jason Bourne – on multiplie les gadgets électroniques et on voit défiler entre les bras du personnage principal quelques sylphides donzelles dénudées. Car Lisbeth Salander est une héroïne de son temps : femme, bisexuelle, punk, maîtrisant comme une seconde peau les arcanes du www.

Mais l’intérêt de cette superproduction hollywoodienne tournée sur les bords enneigés de la Baltique s’arrête là. Si on ne s’ennuie pas une seconde, on oubliera sitôt sorti de la salle, ce divertissement sans profondeur. Et on redoute par avance la sortie du suivant, tiré du tome 5, qu’on ira voir si et seulement si Claire Foy accepte d’y jouer.

La bande-annonce

Un amour impossible ★★☆☆

Rachel (Virginie Effira) vient de coiffer la Sainte Catherine à Châteauroux à la fin des années cinquante. Elle rencontre Philippe (Niels Schneider), en tombe amoureuse, en attend bientôt un enfant. Mais Philippe ne veut ni l’épouser ni même reconnaître la petite Chantal.
Les années passent. Rachel élève seule sa fille mais est attachée à garder le contact avec son père qui s’est entre-temps marié. Chantal a une adolescence difficile, étouffe auprès de sa mère, fantasme un père d’autant plus merveilleux qu’il reste lointain.

Il est difficile d’aller voir le film de Catherine Corsini sans a priori. Qu’on ait lu ou pas le livre de Christine Angot qui en est l’adaptation, on n’est pas insensible à la romancière devenue célèbre grâce à sa participation à l’émission de télévision On n’est pas couché. Selon les cas, on admire son intelligence, ses froides colères ou on prend en grippe son intransigeance, ses obnubilations.

Autre préjugé : le livre lui-même publié en 2015, en lice pour les prix littéraires mais couronné par défaut seulement par le Prix Décembre. Un livre à la belle écriture. Plus classique moins provocateur que les précédents ouvrages de cette romancière de l’autofiction. Le film semble s’inscrire dans cette veine comme en attesterait sa bande-annonce : reconstitution impeccable de la province des années soixante, personnages romantiques à souhait parfaitement éclairés, costumés, maquillés, grande fresque s’étalant sur plusieurs décennies…

Et le film commence. Comme on l’espérait, il est porté par la grâce de ses acteurs. Viriginie Effira dans son virginal chemisier blanc est belle comme le jour. Niels Schneider avec ses cigarettes fumées à la chaîne, son sourire carnassier et ses bonnes manières est la séduction faite homme.

Mais, bientôt, du charme naît un malaise. Les deux personnages, aussi parfaitement interprétés soient-ils, sont trop manichéens. Virginie Effira incarne l’innocence prise au piège, la femme à la vie gâchée, la mère aveugle aux violences sournoises subies par sa fille. Niels Schneider est plus caricatural encore. Chacun de ses sourires cauteleux annonce la prochaine banderille qu’il plantera dans le cœur saignant de Rachel. Chacune de ses réparties est une escalade dans l’abjection. L’amant irresponsable se transformera bientôt en père pédophile. N’en jetez plus ; la coupe est pleine.

Et puis il y a une dernière demie-heure en forme d’épilogue. Chantal est désormais adulte ; Rachel est au crépuscule de sa vie. On craignait le pire en imaginant la radieuse Virginie Effira éhontément grimée pour jouer une septuagénaire. Au contraire, Un amour impossible atteint in extremis une justesse, une ambiguïté qui lui avaient jusqu’alors manqué.

Et boum ! Patatras ! Un face à face inutilement bavard entre la mère et la fille vient clore ce film qui venait juste de trouver son point d’équilibre. Tout est dit, expliqué, surligné. Pire : l’histoire individuelle de Rachel et Chantal devient le procès à charge intenté à une société paternaliste et capitaliste. Alors qu’on allait saluer la conversion de Christine Angot, on la retrouve sous son pire visage : péremptoire, vindicative, horripilante.

La bande-annonce

 

En liberté ! ★☆☆☆

Le capitaine de police Jean Santi (Vincent Elbaz) vient de mourir. Ses collègues, qui lui érigent une statue, et sa veuve Yvonne (Adèle Haenel) qui raconte à son fils ses faits d’armes glorieux pleurent le disparu. Mais la vérité est moins belle : Santi était un ripou. Yvonne est dévastée par cette révélation. Elle va tenter de racheter les fautes de son mari en portant assistance à Antoine (Pio Marmai) qu’il avait fait injustement incarcérer.

Avec son neuvième long métrage, Pierre Salvadori poursuit une œuvre entamée il y a un quart de siècle avec une comédie décalée et attachante réalisée avec trois acteurs trop tôt disparus : Jean Rochefort, Marie Trintignant et Guillaume Depardieu. Cible émouvante (1993) contenait déjà les ingrédients qui font l’originalité de En liberté ! : un sujet original, des personnages aussi drôles que dépressifs, des situations loufoques…

L’équilibre est délicat à trouver entre la comédie grasse et le drame sentimental. Pierre Salvadori y est parvenu quasiment à chaque coup, notamment dans … comme elle respire (1999), sans doute la meilleure prestation de Marie Trintignant dans le rôle d’une mythomane loufoque.

L’affiche de En liberté ! qui annonce fièrement « la comédie de l’année » voudrait nous faire croire que la recette fonctionne toujours. Une moitié de la salle s’y retrouvera qui rira aux éclats des gags décalés dans lesquels un scénario ébouriffant entraîne des acteurs tous parfaits au premier rang desquels Adèle Haenel bien sûr mais sans oublier Damien Bonnard qui la dévore avec des yeux de merlan frit.

Mais une autre ne marchera pas, qui aura déjà vu les meilleurs moments du film dans sa bande annonce et qui ne se ralliera jamais vraiment à une histoire trop tirée par les cheveux pour rester crédible. Hélas c’est à cette seconde moitié là que j’appartiens.

La bande-annonce

Les Chatouilles ★★★☆

Odette est une ravissante petite fille chérie par ses parents. Elle aime dessiner et rêve de devenir ballerine. Mais tout n’est pas rose dans l’enfance d’Odette aux prises avec un ami proche de ses parents, Gilbert, un pédophile.
Odette est devenue adulte. Elle entreprend une psychanalyse. Par la parole, elle met des mots sur ses maux. Par la danse, elle tente d’exorciser son traumatisme.

Andréa Bescond a été violée enfant par un ami de la famille. Danseuse professionnelle, elle a monté à Avignon un seule-en-scène (traduction désormais autorisée de one woman show) cathartique inspirée de son expérience traumatisante. C’est ce spectacle qu’elle porte à l’écran. Pour ce faire, elle s’est entourée de vedettes : Karin Viard dans le rôle de la mère, mélange terrifiant d’aveuglement irresponsable et de conformisme petit-bourgeois, Clovis Cornillac dans celui du père, bloc de rage impuissante, Pierre Deladonchamps dans celui du prédateur sexuel, qui présente tous les gages de la respectabilité, Carole Franck en thérapeute motivée.

Le risque était grand que Les Chatouilles se transforme en film à thèse sur la pédophilie. La façon dont le film a été vendu aux médias le laissait craindre. Mais Andréa Bescond et son coréalisateur Éric Metayer parviennent à éviter cet écueil. Ils y réussissent grâce au dispositif scénaristique sur lequel était construit le seul-en-scène : des chassés croisés  souvent comiques parfois surréalistes entre l’Odette adulte en cure psychanalytique et l’Odette enfant sidérée par son tourmenteur.

Le résultat réussit miraculeusement à trouver le juste équilibre entre exhibitionnisme autobiographique, tirelarmisme racoleur et plaidoyer vengeur. Une réussite.

La bande-annonce