El buen patrón ★★☆☆

Julio Branco (Javier Bardem) est le patron charismatique d’une petite entreprise familiale de balances industrielles. Déjà couvert de prix, il aspire à une nouvelle récompense qu’un jury lui décernera peut-être sous huit jours. Mais d’ici là, les tracas s’accumulent qui menacent le bon déroulement de la visite du jury : le fils d’un fidèle employé a été arrêté par la police, son bras droit est à la dérive depuis que sa femme menace de le quitter, une nouvelle stagiaire a tapé dans l’oeil du patron….

Meilleur film, meilleur réalisateur, prix d’interprétation masculine : El buen patrón a fait un carton plein aux derniers Goyas espagnols. Peut-être l’un des plus grands acteurs contemporains, Javier Bardem y livre une prestation inoubliable. Il réussit l’incroyable défi de rendre sympathique un personnage foncièrement antipathique : un patron dont le seul talent est d’avoir hérité de son père une entreprise familiale. Avec chacun des employés de sa petite entreprise, il se montre tour à tour paternaliste et intraitable. Est-ce le trait d’une personnalité hypocrite ou perverse ? Même pas. Et c’est là que le personnage de Julio Branco est diablement intéressant : Javier Bardem incarne un « brave type » pétri de bonnes intentions qui a juste envie que tout rentre dans l’ordre. À notre corps défendant, on prend très vite son parti et on se surprend à espérer avec lui que tous ses soucis disparaissent d’ici la visite du jury censé consacrer sa réussite.

Même si la fin du film est d’un délicieux cynisme, le procédé a toutefois ses limites qui sont vite atteintes. Le talent de Javier Bardem a beau être immense, les ressorts qui animent son personnage sont assez pauvres. Le film aurait pu basculer dans un autre genre, plus sombre. Il reste dans le même registre : celui de la comédie noire. Sa cohérence est paradoxalement sa dernière faiblesse.

La bande-annonce

Guanzhou, une nouvelle ère ★☆☆☆

En 2008, les habitants ancestraux d’une petite île située dans un bras de la Rivière des perles près de Canton ont été délogés manu militari et leurs maisons ont été rasées. Leur éviction devait permettre la construction d’un immense projet immobilier soi-disant écologique, à une encablure du centre-ville de Canton. Quelques habitants, sans droit ni titre, ont refusé de quitter les lieux et continuent de vivre dans les ruines. L’anthropologue franco-argentin Boris Svartzman est venu les filmer.

Le thème des mutations urbaines pénètre de part en part le cinéma chinois contemporain. Il est au cœur de l’oeuvre de Jia Zhangke, peut-être le plus grand réalisateur chinois vivant. C’est aussi le thème principal de Séjour dans les monts Fuchun ou de So Long, My Son qui ont remporté récemment en France un succès mérité, mais aussi de Vivre et Chanter ou de Les anges portent du blanc, passés plus inaperçus. Plusieurs documentaires l’ont pris à bras le corps tels que Derniers jours à Shibati réalisé par un documentariste français dans la ville multimillionaire de Chongqing au Sichuan.

Ce qui frappe, dans Guanzhou, une nouvelle ère, c’est moins ce refrain déjà souvent entendu du temps qui passe, des vieux quartiers qu’on détruit, des insolentes tours ultra-modernes qu’on érige et du dédain dans lequel on laisse les anciens habitants nostalgiques, que la liberté de ton de ces Chinois expulsés. On imaginait, à tort ou à raison, que la Chine était un État policier, cadenassé, où la liberté de parole n’existait guère et où chaque Chinois était encadré par un contrôle social très strict et un appareil d’Etat omniprésent et omniscient. Les témoignages glanés par Boris Svartzman sidèrent par leur liberté de ton et par la dureté des critiques qu’ils font entendre. Ils suscitent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses : les paysans qui ont parlé à visage découverts ont-ils été inquiétés pour leurs propos ? le réalisateur s’est-il vu interdire à tout jamais le droit de retourner en Chine ? Des réponses positives ne nous surprendraient guère et accréditeraient l’idée préconçue qu’on nourrit d’une Chine autoritaire. Des réponses négatives nous surprendraient plus et ouvriraient l’espoir (ou l’horizon) d’un État moins omniscient qu’on l’imagine et/ou acceptant qu’une contestation sociale s’exprime – dès lors qu’elle ne menace pas l’ordre établi.

La bande-annonce

Incroyable mais vrai ★★★☆

Alain (Alain Chabat) et Marie (Léa Drucker) déménagent. Un agent immobilier leur a vendu leur nouvelle maison en les avertissant du secret qu’elle recèle. Ils refusent de s’en ouvrir à Gérard (Benoît Magimel) et à sa nouvelle fiancée (Anaïs Demoustier) qui viennent leur annoncer une nouvelle étonnante.

Le cinéma de Quentin Dupieux étonne et détonne. J’avoue ne pas être un inconditionnel de son humour nonsensical. J’ai détesté Mandibules ; Au poste ! m’a semblé bien insignifiant ; j’ai vaincu mes réserves pour mettre au Daim deux chiches étoiles.

La bande-annonce de Incroyable mais vrai m’avait laissé perplexe qui annonçait un film dans la même ligne que les précédents. L’affiche, hideuse (on dirait un mauvais Mocky), me laissait augurer le pire. Aussi quelle ne fut pas ma surprise à la découverte en avant-première, grâce au Club Allociné, de ce petit bijou.

Il est construit autour d’un mystère dont il ne faut rien dire. La bande-annonce – ou plutôt les bandes-annonces – joue sur sur cet effet d’attente. Le début du film aussi. Le procédé est délicieusement sadique : « Je vais vous dire un secret … ». On rêve qu’un film l’utilise tout du long sans jamais révéler ce fameux secret. Frustré d’une révélation toujours retardée, crierait-on au génie ou à la fumisterie ?

Incroyable mais vrai ne va pas jusque là et révèle ce fameux secret. On n’en dira rien bien entendu sinon qu’il est suffisamment étonnant et absurde pour justifier l’attente de son annonce repoussée et pour servir de sujet au reste du film. En revanche, l’autre secret révélé par Gérard et sa fiancée, aussi drôle soit-il, semble peut-être superflu, même s’il crée un effet de miroir entre la situation des deux couples, minés par la même obsession. Peut-être Incroyable mais vrai aurait-il gagné à se concentrer sur le seul couple d’Alain et Marie (pourquoi avoir laissé à Alain Chabat son prénom et avoir privé Léa Drucker du sien ?).

Autre défaut du film : son rythme. Le premier quart d’heure, on l’a dit, est sadiquement jubilatoire. Il l’est d’autant plus que le montage multiplie les flashbacks et les flashforwards : on voit Alain et Marie en train de visiter leur nouvelle maison et en train de s’y installer. Le montage devient plus linéaire ensuite avant de connaître, dans son dernier quart d’heure une brusque accélération, comme si Quentin Dupieux voulait bâcler son histoire sans se laisser le temps de la développer. J’ai suffisamment pesté contre des films trop longs pour en critiquer un qui dure 1h14. Mais pour autant, je n’aurais pas détesté que celui-ci me fasse rire pendant quelques dizaines de minutes encore.

La bande-annonce

Vedette ★☆☆☆

Élue reine de l’alpage, Vedette est une vache majestueuse de huit cents kilos. Ses propriétaires, Elise et Nicole, lui sont très attachées. Mais quand Vedette vieillit et est détrônée, elles doivent se résoudre à monter à l’alpage sans elle et à la laisser aux bons soins de leurs voisins.

Claudine Bories et Patrice Chagnard forment un couple de documentaristes engagés unis par la même passion cinématographique et les mêmes valeurs politiques. J’avais beaucoup aimé Les Arrivants, leur tout premier documentaire, en 2010, sur le parcours semé d’embuches des demandeurs d’asile, et je n’avais pas raté les deux suivants Les Règles du jeu (2014) sur la réinsertion professionnelle de jeunes chômeurs dans le Nord-Pas-de-Calais et Nous, le peuple (2019) sur la rédaction par plusieurs groupes de citoyens d’un projet de Constitution.

Les deux septuagénaires changent radicalement d’horizon avec ce documentaire rural, tourné dans la vallée alpine où ils passent la moitié de l’année. C’est à eux qu’est échue la lourde responsabilité de veiller sur Vedette pendant l’absence d’Elise et de Nicole.

Ce « cow-sitting » peu ordinaire va susciter avec le formidable bovin une relation que Vedette essaie de nous faire toucher du doigt. Vainquant ses réticences initiales, Claudine, que filme Patrice, se rapproche de Vedette, la nourrit, la caresse, lui parle.

Le documentaire se veut politique, écologique : un plaidoyer antispéciste en faveur d’une cohabitation harmonieuse de l’homme et de l’animal et une réfutation par l’exemple de la théorie cartésienne de l’animal-machine qui a suscité trois siècles d’exploitation animale. Emmanuel Gras avait déjà exploré le même sillon avec Bovines en 2012.

Tout cela est fort intéressant…. mais très ennuyeux. Quelques minutes après s’être réjoui de la beauté de certains paysages alpestres, à commencer par celle de son affiche – dont on sent que les co-réalisateurs ne veulent pas faire le clou du film – on s’ennuie sec devant ce remake pas drôle de La Vache et le Prisonnier.

La bande-annonce

Compétition officielle ★★☆☆

Humberto Suarez, un milliardaire mégalomane veut laisser son nom à la postérité. Il décide de produire un film. Il en confie la direction à la réalisatrice la plus cotée du moment, Lola Cuevas (Penélope Cruz). Elle recrute deux acteurs célèbres : Felix Rivero (Antonio Banderas) est une star internationale qui tourne dans des blockbusters hollywoodiens tandis que Ivan Torres (Oscar Martinez) est un acteur de théâtre radical et exigeant.
Les deux acteurs commencent les essais dans l’immense fondation Suarez. Ils n’ont jamais tourné ensemble et éprouvent aussitôt une antipathie spontanée l’un pour l’autre.

La présence au sommet de l’affiche de Penélope Cruz et Antonio Banderas, avec lesquels le réalisateur espagnol a tourné une dizaine de fois, pourrait laisser penser que Compétition officielle est un film d’Almodovar. Mais c’est le duo argentin Cohn & Duprat qui est aux manettes. On lui doit le très réussi Citoyen d’honneur en 2016 avec déjà Oscar Martinez dans le rôle principal : l’histoire d’un prix Nobel de retour dans sa ville natale.

Ils s’en donnent à cœur joie avec leur trio d’acteurs époustouflants filmés tout au long des essais que dirige d’une main de fer le personnage interprété par Penélope Cruz avec une coiffure démente. Antonio Banderas est incroyable dans sa propre caricature, celle d’un bellâtre égocentrique cachant sous son apparente médiocrité un sacré talent. Le personnage d’Oscar Martinez est un chouïa moins intéressant – et cet acteur partait avec le handicap de nous être moins familier que les deux autres que nous retrouvons avec tant de plaisir.

Compétition officielle ne sort pas des murs de la luxueuse fondation où se déroulent les essais. L’aurait-il fait que je lui aurais reproché de s’écarter de son sujet. Mais son parti pris fait naître, au fil du temps, une certaine routine et une lassitude. On a vite compris les rapports de force qui se créent dans ce trio électrique entre les deux acteurs que tout oppose et vis-à-vis de cette réalisatrice castratrice et tyrannique. Aurait-elle été plus rythmée, plus rebondissante, cette satire grinçante aurait été franchement réussie.

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Mizrahim – Les Oubliés de la Terre promise ★☆☆☆

La Française Michale Boganim ressuscite la mémoire de son père, décédé en 2017. Juif marocain immigré en Israël dans les années cinquante, il faisait partie des Black Panthers israéliennes, un mouvement radical composé de Juifs et d’Arabes qui combattait la domination des Juifs ashkénazes.
Michale Boganim part en Israël sur la trace des Mizrahim, ces Juifs orientaux, originaires du Maroc, d’Algérie, de Syrie, du Yemen, attirés dans la Terre promise par la promesse d’une vie meilleure, mais souvent relégués dans des cités pionnières, en lisière du désert, et cantonnés à des tâches subalternes.

Son documentaire a le mérite de nous faire découvrir une vérité sociologique méconnue. Israël s’est construit avec une immigration plurielle. Aux premières vagues de Juifs ashkénazes fuyant les pogroms et les persécutions nazies en Europe ont succédé des Juifs séfarades. Ils venaient de terres d’Islam où la cohabitation pourtant séculaire avec la population musulmane était devenue impossible après les indépendances et l’arrivée au pouvoir de dirigeants pourtant laïcs mais volontiers antisémites, en Égypte ou en Irak par exemple.
Loin de l’image d’Epinal du kibboutz cosmopolite où ces Juifs, laïcs ou religieux, se seraient harmonieusement fondus, la réalité fut plus sombre. L’élite ashkénaze exerçait une domination de fait. Les minorités séfarades, dont la langue, les coutumes, la couleur de la peau les assimilaient aux Palestiniens honnis, étaient relégués aux marges de la société.

Mizrahim raconte l’histoire de ces discriminations et celle du mouvement politique créé par le père de la réalisatrice pour les combattre. Ce mouvement a fait long feu et a disparu avec le sursaut d’unité nationale provoqué par la guerre du Kippour en 1973. Les Mizrahim ont exprimé leurs revendications autrement : via la droite nationaliste qu’ils soutinrent dans son accession au pouvoir contre la gauche historique de David Ben Gourion et Golda Meir.

Mizrahim a le défaut d’osciller entre trois niveaux de lecture sans arrêter son parti. 1. Le documentaire historique sur l’histoire des Mizrahim hélas pas assez documentée. 2. Le road movie à la rencontre de leurs descendants, un peu trop mécanique. 3. L’émouvante histoire familiale, hélas à peine effleurée.

La bande-annonce

Don Juan ★☆☆☆

Parce qu’elle l’a vu lancer à une inconnue un regard lourd de sens et qu’elle y voit le poison menaçant de l’infidélité conjugale, Julie (Virginie Efira) renonce devant l’autel à épouser Laurent (Tahar Rahim). Amoureux monomaniaque, il croît la reconnaître dans toutes les femmes qu’il croise et qu’il tente de séduire pendant la nuit et les jours qui suivront cette noce ratée.
Malgré le chagrin, Laurent doit partir en province jouer le rôle principal du Don Juan de Molière. Après la défection de l’actrice censée jouer Elvire, c’est Julie qui la remplace au pied levé. ce sera peut-être pour le couple brisé l’occasion de se reformer.

Je suis allé deux fois au cinéma voir Don Juan. La première, je m’y suis lourdement endormi, sans savoir avec certitude s’il fallait que j’en blâme le film et ses débuts poussifs ou l’heure tardive de la séance. Pris de scrupule à l’idée d’écrire une critique d’un film dont je n’avais pas vu grand-chose – et a fortiori pas compris beaucoup plus – je me suis résolu à aller le voir une seconde fois à un horaire plus comestible et avec une bonne dose de caféine dans les veines. Je ne m’y suis pas assoupi une seconde fois. Conséquence logique : je l’ai beaucoup mieux compris. Mais suspense torride : l’ai-je plus apprécié pour autant ?

Don Juan fait partie de ces films dont les critiques qu’on en lit inhibent les reproches qu’on était sur le point de lui adresser. Elles vantent toutes ses indéniables qualités.
Son thème d’abord, très malin : un Don Juan inversé à l’ère de #MeToo – dont on apprend, à la lecture du dossier de presse, que la co-scénariste, Axelle Roppert, en est une des figures de proue. Chez Serge Bozon, Don Juan n’est plus un Casanova briseur de cœurs, mais un homme au cœur brisé par l’amour de sa vie qui l’a quitté, qui l’obsède et qu’il s’emploie à reconquérir.
Son traitement ensuite d’une grande élégance qui flirte avec l’artificialité sans jamais s’y égarer. Une musique très travaillée qui s’autorise quelques échappées belles vers la comédie musicale. Des éclairages sophistiqués. Une ambiance décalée, au bord de l’Atlantique, dans la cité touristique et gentiment bourgeoise de Granville alors que le thème du film appelait un cadre plus intimidant façon Resnais à Marienbad ou Duras à Calcutta.
Le jeu des acteurs enfin. Parfait. Deux des tout meilleurs du cinéma français contemporain (qu’on me pardonne cette nationalisation de la Belge Virginie Efira) : Tahar Rahim qui réussit d’un film à l’autre à se renouveler radicalement et qui est aussi à l’aise dans les superproductions hollywoodiennes (Désigné Coupable) que dans les séries françaises (The Eddy) et Virginie Efira à laquelle des esprits ronchons pourraient reprocher son omniprésence alors que d’autres, sans doute aveuglés par son charme, s’en féliciteraient.

Toutes ces qualités auraient dû m’emporter.
Et pourtant, un je-ne-sais-quoi m’a retenu. Pendant toute la première heure du film, je me suis ennuyé – mais, je le répète, je n’ai pas fermé l’oeil pour autant – l’exercice de style me semblant un peu vain, la mise en abyme de ce Don Juan inversé un peu facile. J’ai aimé la façon dont le récit se dénouait et, plus j’y réfléchis, plus je la trouve audacieuse et intelligente. Mais cette conclusion arrive trop tard pour sauver un film prisonnier de ses outrances, empêtré dans un protocole guindé qui m’a plus asphyxié que séduit.

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All Eyes Off Me ★★★☆

Avishag (Elisheva Weil) est une jeune Israélienne libérée. Elle entame une liaison avec Max dont l’ex petite amie, Danny, vient pourtant de tomber enceinte. Dogwalker en attendant mieux, Avishag s’occupe du chien de Dror, son voisin, et se sent attiré par lui.

J’expliquais doctement à une amie que j’avais besoin qu’on me raconte une histoire, avec un début, un milieu, une fin, pour aimer un film. All Eyes Off Me est bizarrement construit en trois épisodes d’inégale longueur et n’a ni début, ni milieu, ni fin. J’ajoutais que rien ne m’irritait autant que les films qui créent une atmosphère, présentent des personnages, sans rien raconter. All Eyes Off Me ne raconte rien et n’a d’autre objet que de nous introduire aux contradictions intimes de son héroïne.

All Eyes Off Me avait donc, sur le papier, tout pour me déplaire. Pourtant ce deuxième film d’une jeune réalisatrice israélienne, emblématique de la génération post-Oslo, lassée des querelles politiques qui ont enflammé ses aînés et d’une guerre sans nom et sans issue, m’a profondément bouleversé.
Je ne suis pas suffisamment assuré de mon jugement pour affirmer que cet enthousiasme est objectif et pour conseiller les yeux fermés un film qui m’a touché mais auquel peut-être d’autres resteront insensibles.

À quoi tient mon émotion ? Pas à la première séquence filmée dans une soirée festive où plusieurs jeunes femmes se confient les unes aux autres. L’une d’entre elle raconte, sans affect, l’avortement qu’elle a subi. On oscille entre la gêne et la sidération.
C’est le personnage d’Avishag qui m’a touché, personnage secondaire du premier épisode qui devient le personnage principal des deux suivants. Sa relation avec Max pourrait être banale. Elle ne l’est pas. Ou plutôt elle l’est sans l’être. Comme deux amants qui se découvrent, ils explorent ensemble leur sexualité.

All Eyes Off Me, qui a étonnamment reçu de la commission de classification un visa tous publics alors qu’il montre sans fard de longues scènes de sexe non simulé, nous entraîne alors dans un territoire intime. Pas celui caricatural de Neuf Semaines et Demie ou Cinquante nuances de gris (pourquoi diable les pornos soft ont-ils un nombre dans leur titre ?!) mais celui très troublant de l’intimité ordinaire d’un couple. Avishag demande à son amant de lui faire mal, de la gifler, de la mordre, de lui cracher dans la bouche… Perversité malsaine ? Ou quête des limites dans un monde qui n’en a plus ?

Cette longue scène de sexe entre Avishag et Max, qui aura provoqué chez les spectateurs qui n’y étaient pas préparés bien des raclements de gorge embarrassés, constitue le deuxième épisode du film. Max disparaît du troisième qui met en présence Avishag et Dror, son voisin, beaucoup plus âgé qu’elle. Compte tenu de la substance du deuxième, on appréhende le contenu de ce troisième épisode. Que se passera-t-il entre Avishag et Dror ? Comment s’exprimera la tension érotique qu’on sent naître ? On redoute le pire. Je vous laisse découvrir la scène qui clôt le film qui est peut-être l’une des plus étonnantes que j’aie jamais vue.

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Inexorable ★★☆☆

Marcel Bellmer (Benoît Poelvoorde) est un romancier qui n’a jamais réussi à retrouver le succès rencontré par son premier livre, « Inexorable ». Il emménage avec sa femme, Jeanne (Mélanie Doutey), et sa fille, Lucie, dans l’immense demeure familiale que son beau-père leur a laissée à sa mort. Leur sérénité est vite bouleversée par l’arrivée d’une jeune inconnue Gloria (Alba Gaïa Bellugi).

J’avais tant entendu de mal d’Inexorable que je n’étais pas allé le voir à sa sortie, en pleine campagne présidentielle. Télérama l’exécute en trois phrases : « On ressort consterné de ce gros film qui tache, où tout, des dialogues à l’intrigue en passant par la musique, semble hurler sa haine de la subtilité ». Le Monde est à peine plus indulgent en trois paragraphes.  J’ai profité d’un mois de juin bien pauvret pour rattraper mon retard dans une petite salle parisienne dont la programmation est construite pour les retardataires de mon espèce.

Je m’attendais à un mauvais téléfilm ; aussi n’ai je pas été trop déçu. M’aurait-on annoncé un chef d’oeuvre, j’aurais sans doute crié à l’imposture. Bref, une fois encore, mon jugement est lourdement influencé par la somme de mes préjugés.

Le scénario d’Inexorable n’est guère original. Il emprunte à une veine déjà maintes fois utilisée : l’histoire de l’écrivain raté dont la renommée s’est artificiellement construite sur une imposture (Un homme idéal, Eva…). Mais on peut compter sur Fabrice Du Welz, ex-jeune prodige du cinéma belge, lentement déclassé faute de ne jamais avoir décroché le succès qui aurait fait décoller sa carrière, pour ne pas se borner à le filmer platement.

Fabrice Du Welz est un cinéaste de genre et entend le rester. Inexorable flirte avec le giallo. D’ailleurs il est interdit aux moins de douze ans. Une interdiction bien sévère pour un film qui n’est pas si horrifique que ça. Mais le film réussit efficacement à créer une ambiance oppressante dans ce grand château perdu au fond de la forêt des Ardennes et à raconter une histoire autour d’une interrogation : quel lourd secret cache la mystérieuse Gloria ?

Inexorable s’appuie sur un trio d’acteurs remarquables. On a beau voir Benoît Poelvoorde presqu’aussi souvent que Isabelle Huppert, je ne me lasse pas de la richesse de son jeu, qui sait osciller entre le comique le plus désopilant et le drame. Mélanie Doutey me charme depuis vingt ans. Ses rides lui vont bien. Alba Gaïa Bellugi (la Prune du Bureau des légendes) n’a qu’un seul défaut qu’on lui pardonnera : sa sœur cadette, Galatéa, est plus douée qu’elle.

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Top Gun: Maverick ★★☆☆

Le pilote d’essai Pete « Maverick » Mitchell (Tom Cruise) a refusé les promotions pendant toute sa carrière pour continuer à vivre sa passion : voler. A la demande de son ancien rival et ami Tom « Iceman » Kazansky (Val Kilmer), il se voit confiée la charge de préparer les jeunes diplômés de l’école Top Gun à une mission impossible en territoire ennemi.

On ne l’attendait plus. Trente six ans après Top Gun, sa suite est enfin tournée. Qu’il ait fallu attendre si longtemps cette sequel dans l’industrie hollywoodienne si bien huilée, la rendrait presque sympathique (les producteurs ne se sont pas précipités pour capitaliser sur le succès du premier opus)… ou au contraire antipathique (« Tu quoque… »).

Top Gun 2 ne s’intitule pas Top Gun 2. Au cas où on ne l’ait pas anticipé, il porte le nom de son héros : l’immarscecible Tom Cruise qui, comme James Bond, mourra un jour peut-être (l’éventualité de sa mort constitue d’ailleurs un ressort efficace du film) mais qui ne vieillira jamais. Contre toute logique, administrative autant que physique, il reprend du service à près de soixante ans, toujours aussi jeune, toujours aussi souriant, toujours aussi ingambe. Tom Cruise incarne jusqu’à la caricature une société Peter Pan qui refuse de vieillir et qui, grâce à un cocktail mystérieux de cocktails anabolisants et de coaching draconien, y parvient.

Dans Top Gun2, Tom Cruise retrouve quelques uns des personnages qui l’accompagnaient déjà dans le 1. Val Kilmer, qui se meurt d’un cancer du larynx, y fait une émouvante apparition. Trop vieille, trop grosse, trop moche, Kelly McGillis a dégagé de l’affiche sans provoquer le tollé qu’on aurait volontiers imaginé ; Jennifer Connelly la remplace avantageusement.

Top Gun2 est ultra-référentiel. Il fonctionne sur la nostalgie du premier volet dont il reprend la musique (pourtant horriblement démodée), les accessoires fétiches (la Kawasaki 900, le blouson en cuir, les Ray-Ban Aviator) et quelques scènes mythiques, au premier rang desquelles la fameuse séance de beach-volley – transformée en match de football américain – où chacun et chacune scrutent avec une admiration jalouse les abdos impeccables du presque sexagénaire Tom Cruise.

Sans doute le scénario de cette suite n’est-il pas d’une folle originalité. Il louche du côté du tout premier Star Wars : il s’agit, ici comme là, comme dans un jeu vidéo, de conduire une flottille d’appareils de combat à travers une série d’épreuves pour détruire une base ennemie invincible protégée par un intimidant système de défenses. Ses rebondissements ne sont guère crédibles.

Mais l’essentiel n’est pas là. Il est, pour les spectateurs les plus âgés, dans le plaisir régressif de retrouver l’univers inchangé d’un de leurs premiers émois cinématographiques. J’avais quinze ans quand j’ai vu Top Gun au cinéma, dans une petite salle de province, après avoir acheté une glace à l’eau Popsicle à l’ouvreuse qui les vendait à l’entracte dans un panier en osier. J’en avais offert une à ma voisine que j’essayai maladroitement d’embrasser pendant le film. Tom Cruise avait mon âge – ou presque. Et maintenant, j’ai l’air d’avoir le double de lui !

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