Limbo ★☆☆☆

Omar vient de Syrie. Il a demandé l’asile au Royaume-Uni. Dans l’attente de la réponse de l’administration, il a été assigné à résidence sur une île isolée des Hébrides écossaises, avec l’interdiction de travailler. Quelques immigrés partagent son infortune : Fahrad, un Afghan zoroastrien fan de Freddie Mercury, Wasef, un Nigérian qui rêve de jouer pour Arsenal…

Il y a quelques mois, Any Day Now racontait l’interminable attente d’une famille de réfugiés iraniens venus chercher asile en Finlande. Sous les cieux ventés de l’Ecosse (qu’on vient de voir dans L’Ombre d’un mensonge), Limbo traite du même sujet. Si Any Day Now avait choisi de raconter par les yeux d’un enfant cet état limbesque, intermédiaire, entre le monde ancien qu’on a quitté et le monde nouveau qu’on espère intégrer,  Limbo prend un parti différent : celui du cinéma absurde sinon loufoque dans la veine de Kaurismäki, Suleiman, Abel et Gordon.

C’est ainsi que Limbo débute par une longue saynète où deux formateurs (il faudra attendre le générique de fin pour identifier Sidse Babett Knudsen, l’héroïne de Borgen) essaient d’expliquer à des immigrés perplexes que le sourire d’une femme ne vaut pas consentement. Puis les longs plans fixes s’enchaînent où l’on voit Omar téléphoner à ses parents depuis une cabine téléphonique, au milieu de la lande déserte. On le voit aussi souvent marcher seul sur une route rectiligne battue par le vent. Il porte un instrument de musique traditionnel, un oud, dont il jouait avec virtuosité en Syrie. On comprend que l’enjeu du film sera de savoir s’il acceptera d’en jouer à nouveau. Enjeu bien mince d’une intrigue étique qui s’étire longuement, sans guère de rebondissements.

Interrogeant le fossé culturel que rencontrent les demandeurs d’asile, Limbo avait tout pour séduire ; mais, en se détournant du groupe pour se focaliser sur le seul Omar, il perd en intérêt et en décrivant sa longue attente, c’est le spectateur qu’il finit par écraser d’ennui.

La bande-annonce

Tom ★★☆☆

Jocelyne (Nadia Tereszkiewicz aussi incandescente ici que dans Babysitter) vit dans un mobil home au milieu des bois avec son fils Tom. Elle travaille dans une exploitation agricole en attendant de passer le concours qui lui permettra peut-être de trouver un emploi plus stable. Elle passe ses soirées dans le rade minable de sa copine Lola (Florence Thomassin).
Son quotidien est basculé par le retour de Samuel (Félix Maritaud) dont Tom va bien vite percer le mystère.

Tom est le cinquième film de Fabienne Berthaud, une réalisatrice française trop rare. J’avais beaucoup aimé Pieds nus sur les limaces en 2010 et j’ai retrouvé dans Tom ce qui m’y avait plu : le respect qu’elle porte à ses personnages, le soin qu’elle met à en décrire les contradictions, l’omniprésence de la nature autour d’eux…. Diane Kruger jouait dans les trois premiers. Nadia Tereszkiewicz lui ressemble. Elle est l’héroïne de son cinquième.

Tom est l’adaptation d’un livre de Barbara Constantine. Comme le livre, le film raconte l’histoire à hauteur d’enfant, du point de vue de ce jeune garçon, éveillé et sensible. Le procédé n’est pas inédit qui était utilisé par exemple dans Le Milieu de l’horizon (qui était lui aussi l’adaptation à l’écran d’un roman).

Tom aurait pu se concentrer sur la relation mère-fils. Mais ce tête-à-tête est perturbé par l’apparition de deux autres personnages : un mystérieux inconnu – qui ne restera pas mystérieux longtemps – et la vielle propriétaire solitaire d’un château environnant. On pourrait reprocher au scénario ces béquilles inutiles et ces personnages secondaires qui nous détournent de l’essentiel. On pourrait aussi lui reprocher un certain irénisme qui fait verser le drame social façon Rosetta dans un mélo plus mièvre.
Mais ne soyons pas bégueule et ne boudons pas le plaisir qu’on a pris en compagnie de Tom et de sa mère.

La bande-annonce

Contes du hasard et autres fantaisies ★☆☆☆

Une jeune femme confie à une autre qu’elle est en train d’entamer une romance avec un homme qui se console d’un chagrin d’amour.
Une femme mariée tend un guet-apens sexuel à un écrivain à succès.
Deux anciennes camardes de classe se retrouvent.

Oscar du meilleur film étranger, Drive My Car avait reçu l’an passé un succès public et critique élogieux. Je dois avouer, le rouge au front, n’avoir pas communié dans cet enthousiasme général. Profitant de cette popularité, son producteur a choisi de distribuer en France le précédent film de Ryusuke Hamaguchi qui n’en méritait pas tant.
Il est composé de trois nouvelles indépendantes les unes des autres. Elles sont interprétées par des actrices différentes et n’ont aucun lien entre elles sinon une même construction : une longue discussion entre ses deux personnages principaux qui lentement révèle une vérité étonnante.

Force m’est de reconnaître, comme devant Drive My Car, la maîtrise de Hamaguchi, sa délicatesse, sa cruauté aussi parfois dans la narration de ces trois contes qui louchent du côté de Rohmer et de Hong Sang Soo.
Mais force m’est aussi d’avouer que je me suis considérablement ennuyé devant ces dialogues interminables, à commencer par le premier dans ce taxi tokyoïte dont on ne peut s’empêcher au bout de vingt minutes de se demander la somme astronomique de la course qu’il aura facturée, ou de cet autre dialogue soi-disant érotique qui m’a laissé de marbre. Quitte à aggraver mon cas, je ferais à ce mode narratif, qui consiste à poser la caméra face à deux acteurs et à les laisser dialoguer dans un interminable plan séquence, le reproche de constituer une forme de paresse, de nonchalance à l’égard du spectateur, voire même d’arrogance ou de négation de ce qu’est le cinéma : « ce qui va être dit est tellement passionnant que nul n’est besoin de le mettre en scène ».

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Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis ★☆☆☆

Tsuji est, comme beaucoup de jeunes cadres japonais, au début de sa vie professionnelle. Il loge dans un appartement minuscule dont la seule originalité est son bruyant aquarium. Il travaille dans une PME qui vend des jouets et des feux d’artifice. Il y entretient, en violation du règlement intérieur qui les interdit, deux relations amoureuses parallèles avec deux collègues : Minako, une jeune employée frivole, et Hosokawa, la contremaitre, plus âgée et plus mature. Mais c’est de Ukiyo qu’il tombera amoureux après l’avoir rencontrée un soir dans des circonstances exceptionnelles : il lui sauve la vie en dépannant sa voiture bloquée sur un passage à niveau.
Ukiyo se révèle vite une femme profondément instable, vivant dans la précarité, couverte de dettes et cachant un lourd passé. Pour la conquérir, Tsuji doit avaler bien des couleuvres jusqu’à la racheter à des yakuzas qui allaient la mettre sur le trottoir.

Suis-moi je te fuis et Fuis-moi je te suis est l’adaptation d’une série télévisée en dix épisodes. Elle est diffusée en salles sous la forme de deux films de près de deux heures chacun (sortis à une semaine d’intervalle alors que leur visionnage d’une seule traite est conseillé). Leur titre chiasmatique [le mot pédant du jour !] laisse augurer une structure en miroir : on imagine volontiers qu’après avoir vu Tsuji courir après Ukiyo, les rôles se renverseront dans la seconde partie. Ce n’est qu’en partie vrai. Une autre fausse piste : on avait imaginé que les mêmes événements, vus par les yeux de Tsuji prennent, à travers les yeux de Ukiyo, une toute autre signification dans la seconde partie. Cette piste là n’est pas utilisée : la structure du récit est globalement linéaire, qui révèle peu à peu les pans du mystérieux passé de son héroïne.

Après quatre heures de films, on sort frustré et déçu. On n’a pas vu l’ombre de la « fresque romanesque » promise par la publicité. Au contraire, on a dû ingurgiter une longue romance sirupeuse qui, lorsque la panne sèche menace, introduit un nouveau personnage : un yakuza philosophe, un mari trompé, un ancien amant désespéré….

Le cinéma japonais est peut-être l’un des plus riches au monde. L’an dernier encore, Drive my car recevait un accueil critique et public enthousiaste, ratait de peu la Palme d’Or et emportait l’Oscar du meilleur film international. Pour autant, ce qu’on en voit aujourd’hui en France (The Housewife, Contes du hasard et autres fantaisies, Aristocrats….) est au mieux très répétitif, au pire de plus en plus décevant.

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Nitram ★★☆☆

Martin (Caleb Landry Jones) est toqué. Une scolarité chaotique, vite interrompue, lui a valu un surnom en forme de palindrome : Nitram. À vingt ans passés, il vit encore chez ses parents qui semblent être les seuls capables de supporter ses sautes d’humeur. Contre toute attente, Nitram fera une étonnante rencontre qui lui permettra de quitter le cocon familial. Helen, une excentrique sexagénaire, riche à millions, l’accueille dans sa vaste demeure à l’abandon. Sa disparition brutale laissera Nitram orphelin.

Nitram repose sur un malentendu. Même si sa bande-annonce n’en dit rien, son affiche annonce la couleur : une date, le 28 avril 1996, un événement, dont on imagine qu’il ne fut pas joyeux. Toutes les critiques dévoilent le pot aux roses : Martin Bryant, un homme de vingt-huit ans, mentalement attardé, a assassiné le 28 avril 1996 à Port-Arthur en Tasmanie, trente-cinq personnes de sang froid.

Il y a deux façons de voir le film.
La première aurait été de ne rien savoir de son dénouement. Aurait-on deviné son terme ? Aurait-on senti l’imminence de son issue fatale ? Comment aurait-on perçu la trajectoire de ce grand gamin un peu foutraque mais au fond si attachant ? Sa passion pour les armes à feu nous aurait-elle semblé une lubie anecdotique ou inquiétante ?
Hélas, nous sommes condamnés à voir ce film de la seconde façon : en en connaissant l’issue. Tout devient plus lourd, plus inéluctable. On sait qu’Helen va mourir. On sait que Martin/Nitram va exploser comme son surnom le laissait hélas augurer.

Certains de mes amis me disent qu’ils refusent de lire quoi que ce soit afin de découvrir un film libre de tout préjugé. Je ne suis en général pas d’accord avec eux : je lis tout ce que je trouve d’un film pour me préparer à sa rencontre, pour savoir ce à quoi je dois m’attendre, ce sur quoi je devrai réagir… Mais pour une fois, je leur donnerai raison : Nitram est un film qu’il faut aller découvrir vierge. Désolé de ne plus l’être après m’avoir lu 😉

La bande-annonce

Frère et Sœur ★☆☆☆

Louis (Melvil Poupaud) et Alice (Marion Cotillard) sont frère et sœur et se haïssent. Ils ont grandi à Roubaix auprès d’un père autodidacte et d’une mère autoritaire. Ils ont chacun fait leur vie : Louis est devenu un écrivain à succès, Alice une grande actrice de théâtre. Mais tous deux cachent une immense fêlure intérieure qu’ils soignent à coup d’alcool, de drogue et de médicaments. Si Louis a rencontré l’amour avec Faunia (Golshifteh Farahani), la mort de son fils Jacob à six ans à peine l’a détruit. Quant à Alice, quoique mariée au grand dramaturge Borkman, et mère d’un ravissant Joseph, elle n’est guère plus vaillante.
Louis et Alice se haïssent à tel point qu’ils ne se voient plus depuis des années. Mais le grave accident dont sont victimes leurs parents les oblige à se croiser à leurs chevets.

Arnaud Desplechin est de retour sur la Croisette. La quasi-totalité de ses films y a été présentée – sans jamais y décrocher la moindre récompense. Arnaud Desplechin incarne jusqu’à la caricature un certain cinéma d’auteur français : sombre et grave dans les thèmes qu’il traite (la famille et ses déchirures), théâtral dans sa mise en scène, alignant toujours une palette de stars suffisamment bankables pour faire la une des gazettes (Marion Cotillard, candidate à la Palme de la meilleure actrice, et Melvil Poupaud ici, Léa Seydoux, Denis Podalydès, Emmanuelle Devos, Roschdy Zem, Mathieu Amalric, Sara Forestier, Charlotte Gainsbourg, Catherine Deneuve avant eux).

La haine qui déchire un frère et une sœur ferait sans nulle doute un excellent thème de tragédie. Le problème de Frère et Sœur est de le traiter avec un sérieux plombant et un manque criant de crédibilité.
D’où vient la haine qui sépare Louis et Alice ? Parce qu’on a l’esprit mal placé et parce qu’une lecture entendue à la synagogue (où Louis accompagne son ami Zvi, interprété par un Patrick Timsit à contre-emploi étonnamment touchant dans un rôle grave) le laisse augurer, on imagine le pire. Mais on n’en saura rien. Ellipse du scénario ? ou paresse des scénaristes ?
Pourquoi ne se réconcilient-ils pas ? Leur haine serait d’autant plus crédible que leurs personnages seraient haïssables. Or, ni Louis ni Alice n’inspire un tel sentiment. Au contraire, leurs souffrances font peine à voir et on n’aspire qu’à une chose : leur inéluctable réconciliation.

Sauf à prendre un plaisir malsain à regarder des suicidaires qui menacent de se jeter du toit, des comateux qu’on ampute d’une jambe gangrenée, des héros alcooliques déchirés de chagrin et des enterrements à la pelle, on préfèrera à ce morbide Frère et Sœur, l’autrement plus réjouissant Coupez ! et ses joyeuses giclées de faux sang.

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Coupez ! ★★★☆

Rémi (Romain Duris) accepte de tourner en direct un plan-séquence de trente minutes, remake d’un film japonais à succès : le tournage d’un film de série B de zombies interrompu par l’arrivée de vrais zombies.

Pourquoi diable Michel Hazanavicius, qui a reçu l’Oscar du meilleur film, le César du meilleur réalisateur (The Artist) et signé la parodie la plus drôle du film d’espionnage (OSS 117), s’est-il embarqué dans le remake d’une obscure série Z japonaise (Ne coupez pas ! sorti en catimini en France en 2019) ? Pour en faire un des films les plus drôles et les plus malins de l’année.

Tout tient à une idée géniale de scénario : plier en trois l’histoire que j’ai résumée en début de critique. On verra d’abord le fameux plan-séquence de trente minutes du point de vue du spectateur, combinaison plus ou moins consternante de plans flous ou ratés, de répliques improvisées sur un scénario indigent. On reviendra ensuite en arrière sur la genèse de ce film et les raisons qui ont conduit Rémi à l’accepter et la bande d’acteurs et de techniciens qui l’entourent à y participer. On assistera enfin, dans une séquence d’une demi-heure parmi les plus hilarantes jamais vues, à la somme d’imprévus que cette joyeuse bande a rencontrés pour filmer cette histoire.

On rit devant Coupez ! On rit beaucoup. Et ce rire fait du bien. Coupez ! redonne ces lettres de noblesse à un genre en faillite : la comédie. Le genre attire les foules – même si les foules sont de moins en moins nombreuses à aller au cinéma. Mais le genre ne se renouvelle guère avec quelques stars en voie de momification : Danny Boon, Christian Clavier, Gérard Jugnot….

Coupez ! nous fait rire intelligemment en mettant en abyme le tournage d’un film : c’est l’histoire d’un réalisateur qui tourne un film sur un réalisateur en train de tourner un film. Et c’est, comme dans le jeu des sept erreurs, l’intelligence du spectateur qui est sollicitée en lui montrant les coulisses du film qu’il vient de voir. Ces coulisses sont désopilantes (on n’oubliera pas de sitôt Grégory Gadebois en acteur alcoolique et dégobillant) et elles transpirent d’amour pour le cinéma, un art fait de mille débrouillardises. Hazanavicius a mis dans ce film des tonnes d’anecdotes vécues, drôles et attachantes, qui reflètent l’imagination que nécessite un miracle toujours renouvelé et invisible : réussir à mettre une scène dans une boite. Seul un réalisateur avec une telle expérience était capable de le faire. Merci à lui ! Merci au Festival de Cannes d’avoir eu le culot d’en faire son film d’ouverture cette année !

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Evolution ★☆☆☆

Evolution compte trois tableaux d’inégale longueur, filmés en plan-séquence.
On devine lentement l’endroit et l’époque où se déroule le premier : il s’agit d’une chambre à gaz d’Auschwitz en 1945 où trois soldats de l’Armée rouge, sidérés, découvrent un bébé survivant dans une bouche d’égoût.
Ce bébé, c’est Eva, l’héroïne octogénaire du deuxième tableau filmé dans son grand appartement de Budapest au crépuscule de sa vie, avec sa fille Lena venue lui réclamer des papiers d’identité pour prouver sa judéité.
Le dernier tableau est filmé quelques mois plus tard à Berlin où on comprend que Eva est désormais installée, après son divorce, avec son fils Jonas, un jeune lycéen en butte aux brimades de ses camarades.

Kornél Mundruczó est décidément un réalisateur marquant. Ses films sont à couper le souffle. White Dog racontait, au ras du pavé, la révolte d’une horde de chiens errants condamnés à mort par un pouvoir hygiéniste. La Lune de Jupiter avait pour héros un migrant syrien laissé pour mort à la frontière hongroise et désormais doté de pouvoirs surnaturels. Pieces of a Woman filmait en temps réel un accouchement qui tournait à la catastrophe.

Après un détour par Hollywood, Kornél Mundruczó revient en Europe avec les mêmes recettes que dans ses précédents films : un sujet coup de poing (ici, le traumatisme intergénérationnel causé par la Shoah) filmé avec maestria.

Le problème est que cette recette tourne au procédé sinon à la posture un peu vaine.
Comme dans les précédents films de Mundruczó, on est bluffé par sa mise en scène. La première scène  de Evolution est dantesque : filmée au cœur de l’enfer, dans un lieu qui ne peut qu’imposer un respect horrifié (je cherche la meilleure traduction à l’anglais « awe »), ce plan halluciné – qui rappelle un autre film hongrois, Le Fils de Saul –  est quasiment muet.
La deuxième ne l’est pas moins, entièrement tournée à l’intérieur d’un appartement et qui se conclut par un événement surréaliste proprement incroyable.
La troisième est tout aussi virtuose qui suit le jeune Jonas dans les rues de Berlin.

Le problème du cinéma de Mundruczó est qu’on ne comprend pas au service de quoi est mis cette maîtrise hallucinante. Que veut-il dire ? Et surtout : pourquoi le dire de cette façon-là ? La virtuosité de ses plans-séquence finit par être contre-productive : on ne voit qu’elle et, passée l’admiration qu’elle suscite, on ne ressent rien.

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The Duke ★★☆☆

Kempton Bunton (Jim Broadbent) est un modeste sexagénaire habitant à Newcastle. Farouche défenseur de la justice sociale, père inconsolé d’une fille décédée dans la fleur de l’âge d’un accident de vélo, il écrit à ses heures perdues des pièces de théâtre, malgré les exhortations de sa femme (Helen Mirren) qui préfèrerait qu’il utilise son énergie à trouver un emploi stable.
Avec la complicité de son fils, Kempton Bunton dérobe à la National Gallery de Londres le Portrait du Duc de Wellington par Francisco de Goya. Il est prêt à le restituer moyennant une rançon pour financer des oeuvres charitables.

Aussi incroyable que cela paraisse, l’intrigue de The Duke est inspirée d’une histoire vraie qui avait défrayé la chronique au début des 60ies mais n’avait pourtant jusqu’à présent jamais été racontée. Le vol inédit d’un des joyaux de la National Gallery avait été un temps attribué par Scotland Yard à un dangereux gang de trafiquants – au point de le placer parmi le butin du Dr No du premier James Bond tourné début 1962 . Il était en fait l’oeuvre d’un bien inoffensif sexagénaire.

Tourné fin 2019, projeté à Venise en septembre 2020, The Duke a vu sa sortie en salles compliquée par le Covid. Diffusé directement sur les plateformes américaines et britanniques, il a finalement trouvé le chemin des salles françaises avec deux ans de retard.

The Duke déborde de bons sentiments. Drame social, mélo, film de prétoire, The Duke passe avec fluidité d’un genre à l’autre sous la houlette de Roger Michell, le réalisateur de Coup de foudre à Notting Hill, My Cousin Rachel et Blackbird – qui m’avait ému aux larmes. On pourrait bien sûr bouder son plaisir devant cette réalisation trop sucrée et les grimaces de son héros. On pourrait au contraire se laisser séduire par ce feel-good movie si attachant, gorgé du lait de la tendresse humaine, admirablement servi par l’impériale Helen Mirren.

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Les Passagers de la nuit ★★☆☆

Elizabeth (Charlotte Gainsbourg) doit se reconstruire après son divorce. Elle le fera avec l’aide de ses deux enfants qui sont en train de quitter l’adolescence. Elle le fera grâce au travail que lui offre Vanda Dorval (Emmanuelle Béart), l’animatrice d’une radio nocturne sur France Inter. Elle le fera enfin grâce à Tallulah (Noée Abita), une jeune femme un peu perdue qu’Elizabeth prend sous sa coupe.

S’il était précédé de critiques élogieuses, qui en faisaient presque le film du mois dans un mois pré-cannois il est vrai bien pauvre, les mauvais retours de mes amis m’ont fait retarder le moment de voir Les Passagers de la nuit (un titre que les cinéphiles ont du mal à ne pas définitivement associer à Bogart et Bacall). Qui avait raison ? les premières qui encensaient un film « tendre, émouvant et sensible » qui « nous transporte avec délicatesse au cœur des années 80 » ? ou les seconds qui, dans un style plus direct, se sont ennuyés devant une Charlotte Gainsbourg « à baffer » ?

Avec le sens pathologique du compromis macronien qui m’habite, je donnerais raison aux deux et tort à personne. Le jeu chuchoté de Charlotte Gainsbourg m’a plus irrité qu’ému, d’autant qu’il nous arrive quelques mois à peine après l’insupportable Suzanna Andler. De là à dire que cette actrice serait en voie d’huppertisation, il y a un pas que je franchirais peut-être à son prochain film si elle s’entête dans ce jeu melliflu.
Mais pour le reste, j’ai été touché par l’évocation mélancolique des 80ies, reconstituées en entremêlant des images d’archives à celle de décors méticuleusement reconstitués (un appartement des tours Beaugrenelle, la salle de cinéma de l’Escurial où les trois jeunes gens vont voir Les Nuits de la pleine lune).
Il y a un mystère sinon une incongruité à vouloir reconstituer cette période si inesthétique. Tout était laid dans les années 80 : les vêtements, les coiffures, le maquillage, les voitures… Mais c’était la période où j’ai grandi (Mikhaël Hers a, à quelques années près le même âge que moi) et pour laquelle j’entretiendrais toujours une émouvante nostalgie.

La principale critique que j’adresserais aux Passagers de la nuit est son anachronisme. Sur cette reconstitution minutieuse des années 80 sont plaqués des sentiments très contemporains, pas très éloignés de ceux qui avaient fait le succès du précédent film de Mikhaël Hers, Amanda : la reconstruction d’une quinquagénaire cabossée (interprétée avec beaucoup de justesse l’an dernier par la même Emmanuelle Béart dans L’Etreinte), la complexité des sentiments que ressent un parent au départ de ses enfants du nid familial…

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