Ali & Ava ★★☆☆

Ali (Adeel Akhtar) vient du Pakistan. Passionné de musique, cet ancien DJ ronge son frein en assurant la maintenance de quelques logements bon marché qui appartiennent à sa famille. Sa femme Runa est sur le point de le quitter ; mais il a obtenu d’elle qu’elle maintienne encore pour quelque temps l’illusion de leur union afin de donner le change à sa famille, très présente.
Ava (Claire Rushbrook) est assistante scolaire. La cinquantaine, d’origine irlandaise, elle vient de perdre son mari. Elle veille jalousement sur ses trois enfants, désormais majeurs, et sur ses petits-enfants.
Ali et Ava habitent Bradford, dans le nord minier et pluvieux de l’Angleterre, à quelques blocs de distance l’un de l’autre. Les hasards de la vie les feront se rencontrer.

Clio Barnard est une réalisatrice britannique dont le cinéma s’inscrit dans la veine naturaliste des Ken Loach, Jake Garvin (Hector), Francis Lee (Seule la terre), Paddy Considine (Tyrannosaur), Gaby Dellal (Une belle journée), etc. Le Géant égoïste en 2013 puis Dark River en 2017 avaient révélé son talent. Elle ne le force pas dans ce troisième film un peu trop convenu, qui zigzague entre comédie romantique et film social.

On sait par avance ce qu’il adviendra des deux héros, de l’attraction qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, des obstacles qu’ils devront dépasser, Ali avec sa famille indienne conservatrice, Ava avec son fils qui a hérité d’un père néo-nazi sa colère et sa violence.

Ali & Ava est sorti une semaine seulement après Ils sont vivants qui mettait en scène un couple similaire. Le personnage de Béatrice, comme celui d’Ava, devait vaincre les préjugés de sa famille pour faire accepter Mokhtar, le réfugié iranien dont elle était tombée amoureuse. Ce hasard de calendrier a desservi Ali & Ava qui est déjà quasiment disparu des écrans une semaine plus tard.

La bande-annonce

Sous le ciel de Koutaïssi ☆☆☆☆

À Koutaïssi, en Géorgie, Lisa est préparatrice en pharmacie,  Giorgi joueur de football. Ils se rencontrent et tombent instantanément amoureux l’un de l’autre. Mais, une malédiction pèse sur leurs têtes. Dès le lendemain, ils sont condamnés à changer d’apparence et à ne plus se reconnaître.

Je me sens fort gêné de critiquer ce film…. car j’ai dormi pendant une bonne moitié de sa projection. La faute en incombe-t-elle au déjeuner trop copieux que j’avais pris juste avant ? à la nuit trop courte de la veille ? Ou à la longueur excessive d’un film de 2h31, véritable OVNI cinématographique à mi-chemin du conte et du documentaire voire de la performance ?

Un couple de spectateurs discutait à la sortie de la longue scène qui en constituait le mitan : une partie de football entre adolescents filmée au ralenti pendant près de dix minutes. Elle : « Quelle poésie ! »; lui : « quel ennui ! ». J’étais d’accord avec tous les deux…. avec une légère préférence pour le second !

Sous le ciel de Koutaïssi est (peut-être) un film très poétique. Il filme la ville de Koutaïssi, qui fut la capitale historique de la Géorgie au temps de la Colchide avant de sombrer dans l’oubli et dans l’ennui (la fin de cette phrase vaut tout autant pour la ville que pour l’œuvre). Il filme surtout avec beaucoup de délicatesse un jeune homme et une jeune femme éprouvant l’un pour l’autre une attirance d’une touchante pudeur – qui espérait de cette séance des scènes de sexe torrides aura été amèrement déçu. L’aurait-il fait en quatre-vingt dix minutes, je n’aurais pas été le dernier à saluer sa modestie et sa fraîcheur. Mais l’obésité de son film le prive de son charme.

La bande-annonce

Robuste ★★☆☆

Georges (Gérard Depardieu) est une star de cinéma vieillissante qui vit seul dans sa luxueuse villa en plein Paris, mange trop, dort mal, peine à se souvenir du texte qu’il doit appendre pour son prochain film. Son seul lien avec le monde extérieur est Lalou, son garde du corps, qui doit s’abstenter quelques semaine pour enterrer son père au pays. Lalou est remplacé par une employée de la société chargée de la protection rapprochée de Georges : Aïssa (Déborah Lukumuena), une imposante jeune femme de vingt-quatre ans, qui pratique la lutte amatrice. Si Georges lui réserve un accueil plutôt frais, il va vite s’attacher à elle.

Constance Meyer a du culot. Pour son premier film, elle s’est lancé un double pari. Le premier est de filmer Gérard Depardieu, le monstre sacré du cinéma français, dans un rôle quasi documentaire : celui d’un immense acteur en bout de course. Le second est de lui opposer un autre personnage aussi « robuste » que lui, en la personne de la jeune actrice Déborah Lukumuena. Sacré culot de lui donner la moitié de l’affiche et d’y mettre son nom à égalité avec celui de notre Gégé national !

Robuste courait le risque de raconter une histoire cousue de fil blanc et courue d’avance. Ce risque là n’est qu’à moitié évité. Comme l’annonçait le pitch, Gérard (oups… je voulais dire Georges) et Aïssa vont lentement s’apprivoiser. Rien n’advient dans leur relation qui nous surprenne et qui, par conséquent, ne nous bouleverse.

En revanche, Constance Meyer relève haut la main le double pari qu’elle s’était lancée. Gérard Depardieu – si l’on oublie un instant ses inutiles provocations russo-dubaïotes – est impressionnant dans un rôle autobiographique qui évite tout à la fois la parodie, l’égocentrisme et l’auto-dépréciation. Déborah Lukumuena l’est peut-être tout autant. D’autres qu’elle se seraient laissés démonter face à la statue du Commandeur. Elle non. Reste toutefois à déterminer si son aplomb constitue une des nombreuses facettes d’un jeu qui en révèlera d’autres dans ses prochains films.

La bande-annonce

Viens je t’emmène ★☆☆☆

Médéric (Jean-Charles Clichet) est un geek clermontois, maladroit et célibataire, amateur de course à pied. Alors qu’un attentat meurtrier vient de frapper la capitale auvergnate et que la paranoïa gagne ses habitants, Médéric noue une idylle improbable avec Isadora (Noémie Lvovsky), une prostituée dans la force de l’âge, aliénée par un mari violent.

Alain Guiraudie est un réalisateur hors normes. Communiste, homosexuel, aveyronnais, il s’est fait connaître en 2013 avec L’Inconnu du lac – dont l’affiche polémique avait été retirée à Versailles et à Saint-Cloud. En 2016, Rester vertical divisait la critique. Zéro étoile pointé dans mon blog et un commentaire lapidaire :  » Rester vertical est peut-être un bon film. Mais je l’ai détesté. »

Viens je t’emmène n’aura pas suscité de ma part une telle hostilité. Mon jugement n’en est pas pour autant enthousiaste.

J’ai trouvé en effet que les deux récits qui y étaient entremêlés peinaient à se rencontrer.

D’un côté, c’est l’histoire d’amour qui se noue entre un célibataire maladroit et une prostituée aux orgasmes retentissants. Cette histoire d’amour qui n’a rien de romantique est joyeusement dionysiaque. Elle est l’occasion de plusieurs scènes de sexe systématiquement interrompues par un facteur extérieur : le flash télévisé qui annonce l’attentat, l’arrivée impromptue du mari d’Isadora, un appel téléphonique de l’associée de Médéric (Dora Tillier méconnaissable), etc. Noémie Lvovsky, dans une improbable fourrure rouge renard, y prend, comme toujours, sa part à la perfection en jouant du charme gouailleur qu’elle possède.

De l’autre, c’est une histoire plus politique qu’Alain Guiraudie nous raconte en montrant le poison délétère que le terrorisme distille dans une ville de province qui se claquemure pour se protéger d’un meurtrier en cavale. L’action se recentre sur l’immeuble où habite Médéric et où il a accepté d’héberger temporairement Sélim, un jeune Maghrébin qui se dit à la rue et qui pourrait en fait être recherché par la police. Cet hôte inopiné excite les réactions contrastées des voisins de Médéric : certaines sont franchement haineuses, d’autres sont plus empathiques.

Alain Guiraudie avait la matière pour faire deux films, tout aussi stimulants l’un que l’autre. L’émulsion qu’il a essayé de concocter n’est pas franchement réussie.

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Zaï Zaï Zaï Zaï ★★★☆

Fabrice (Jean-Paul Rouve) est un acteur comique de cinéma jouissant d’une petite notoriété. Il vit heureux dans un pavillon de banlieue avec son épouse Fabienne (Julie Depardieu) et son fils Gérard. Il commet hélas l’erreur de faire les courses de la semaine au supermarché sans sa carte de fidélité et devient illico l’ennemi public numéro un. Toutes les polices de France, sous la direction du commissaire Jeanne Weber (Yolande Moreau), spécialement rappelée au service pour l’occasion, sont à ses trousses. Fabrice part se cacher en Lozère. La population réclame la tête du criminel. Une partie de la profession, sous l’égide de Florence (Julie Gayet) se mobilise pour le défendre. Un film se prépare même où Benjamin (Ramzy Bedia) interprétera le rôle de Fabrice.

Fabrice Caro alias Fabcaro est à la mode ces temps-ci. Quelques mois après son roman Le Discours, c’est au tour de la bande dessinée qui l’avait révélé au grand public en 2015 d’être adaptée au cinéma.

Le Discours m’avait enthousiasmé ; c’est coup double avec Zaï Zaï Zaï Zaï. J’en ai aimé l’humour burlesque. J’ai été convaincu par la dénonciation volontiers politiquement incorrecte de nos sociétés contemporaines et de leurs travers. J’ai pouffé de rire à quelques unes des scènes les plus drôles – je rends grâce aux distributeurs du film de ne pas les avoir toutes éventées dans la bande annonce (« Non, pas toi Malek »).

Attention ! Cet humour ne plaira peut-être pas à tous. D’ailleurs il montre vite ses limites après la première heure de film, l’introduction de tous les personnages, l’intrigue lancée sur ses rails. Zaï Zaï Zaï Zaï s’essoufle un peu dans son dernier tiers mais a l’intelligence de ne durer que quatre-vingt deux minutes à peine. la bonne humeur qu’il a su nous insuffler n’a pas eu le temps de se dissiper avant son générique.

La bande-annonce

The Batman ★☆☆☆

Deux années ont passé à Gotham City. Les élections municipales approchent qui opposeront le maire sortant et une jeune Afro-américaine réformiste. Batman, le justicier masqué, prend toujours sa part dans la lutte contre la criminalité qui gangrène la mégalopole ; mais sa tâche semble sans fin.
Un tueur sadique le défie, qui enchaîne les crimes, tous plus sadiques les uns que les autres, sur les hautes personnalités de la ville dont il dévoile la corruption. Pour le traquer, Batman  (Robert Pattinson) doit se muer en détective, avec l’aide de son toujours fidèle majordome (Andy Serkis), du lieutenant Gordon de la GCPD (Jeffrey Wright) et celle, plus inattendue, de Catwoman (Zoë Kravitz).

Batman revient. Si on compte bien, The Batman est le dixième film de la franchise Warner/DC Comics à lui être consacré. Je me souviens du premier, sorti en France en septembre 1989 et réalisé par Tim Burton. Michael Keaton (dont la ressemblance frappante avec Julien Lepers m’a toujours empêché de le prendre au sérieux) y endossait le costume, sans doute trop grand pour lui, de Bruce Wayne ; Jack Nicholson, dans le rôle du Joker lui volait la vedette. Après les deux films, oubliables et oubliés, tournés par le besogneux Joel Schumacher avec Val Kilmer et George Clooney, Batman connut sa plus incandescente incarnation à l’écran sous la direction de Christopher Nolan. The Dark Knight en 2008 constitue à ce jour le plus grand succès critique et public (un milliard de recettes au box-office à travers le monde !) de la saga, amplifié par l’aura funèbre que lui a conférée pendant la post-production le suicide de Heath Ledger, qui y reprenait le rôle du Joker.

Après Christopher Nolan, Zack Snyder a essayé, avec Ben Affleck, de mélanger Batman à d’autres personnages de son « univers » (les initiés parlent de crossover). Matt Reeves, révélé par Cloverfield et réalisateur de quelques unes des suites (ou des reboots ? mon esprit s’égare) de La Planète des singes, a été recruté après la défection de Ben Affleck qui a renoncé à passer derrière la caméra tout en interprétant le rôle titre. C’est Robert Pattinson, le chouchou de ses dames, qui lui succède dans une prestation hélas bien fade. Quelques acteurs célèbres l’entourent mais sont tellement grimés qu’on les reconnaît à peine : ainsi de Colin Farrell méconnaissable dans le rôle du Pingouin (j’ai un instant cru qu’il s’agissait de Robert de Niro).

Cette longue introduction pour dire que le dixième Batman arrive sur nos écrans après une longue et pénible gestation, un tournage interrompu en plein Covid en mars 2020, qui reprit en septembre avant que Robert Pattinson ne contracte le Covid, pour s’achever début 2021 seulement et une post -production de près d’un an.

Le jeu en valait-il la chandelle ? Hélas non.
Certes, The Batman prend le pari osé de la sobriété et du retour aux sources. On est loin des délires pyrotechniques des films les plus mirobolants de l’univers cinématographique Marvel. Le scénario gagne en profondeur, rappelant les chefs d’oeuvre du film noir des années cinquante. L’intrigue en a la même complexité sinusoïdale, les ambiances, pluvieuses et nocturnes, sont tout aussi envoutantes. Mué en détective, Batman porte la cape comme Humphrey Bogart le trench coat et affiche la même impassibilité stoïcienne.

Le film dure 2h55. Ce serait lui faire un reproche injuste de lui reprocher sa longueur excessive. car le scénario est suffisamment bien rythmé et recèle suffisamment de rebondissements pour qu’on ne regarde pas sa montre. Mais si le plaisir qu’on prend sur le moment est grand, la marque que laisse The Batman se révèle, dès la sortie de la salle, bien fugace, comme ces vins californiens trop charpentés à la majestueuse attaque mais cruellement dépourvus de longueur en bouche.
J’ai vu The Batman hier soir ; je peine à m’en souvenir ce matin ; je l’aurai oublié demain….

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Kombinat ★★☆☆

Le documentariste suisse Gabriel Tejedor est allé planter sa caméra à Magnitogorsk, à la frontière de l’Europe et de l’Asie, dans cette immense cité sidérurgiste. Pendant plus d’une année, il a attaché ses pas à ceux de trois familles et en a filmé la vie quotidienne.

Après deux documentaires inédits en France, le premier en 2014 sur l’ancien bagne de la Kolyma, le deuxième en 2017 sur les élections présidentielles en Biélorussie, Gabriel Tejedor poursuit son exploration impressionniste des débris de l’ancien empire soviétique. Son documentaire ressemble beaucoup à celui sorti il y a trois ans de François-Xavier Destors dans la cité minière de Norilsk, au nord du cercle polaire arctique.

L’un et l’autre décrivent un environnement ingrat, une immense cité industrielle bâtie au milieu de nulle part, toute entière organisée autour d’une seule fonction : la production métallurgique. Le climat y est extrêmement ingrat – les minimas hivernaux à Magnitogorsk sont presqu’aussi rigoureux qu’à Norilsk – et la pollution y fait des ravages. Si les salaires confortables garantissent un revenu supérieur à celui que touchent les salariés dans le reste de la Russie, c’est bien là le seul avantage comparatif de la vie dans ces cités ouvrières sans charme.

Après le long plan séquence qui ouvre sur le film en circulant dans un paysage industriel steam punk encombré par un amas tentaculaire de tuyaux et de conduites, Kombinat s’éloigne de l’usine – où Gabriel Tejedor n’a peut-être pas eu toutes les autorisations de tournage – pour se focaliser sur la vie quotidienne de trois familles de Magnitogorsk. Lena, fille de métallurgistes, y dirige un cours de salsa avec son compagnon. Sasha est un de ses élèves les plus fidèles. C’est un métallurgiste pur et dur, marié, père d’une adolescente boudeuse, dont ces séances de danse semblent être le seul rayon de soleil dans une vie de dur labeur. Son frère Guenia est métallurgiste comme lui. La fille de Guenia semble souffrir d’un retard mental qui l’incite avec son épouse à organiser son départ de Magnitogorsk pour un environnement moins hostile.

Alors que la Russie est au centre de l’actualité, Kombinat nous donne l’occasion de plonger dans la vie quotidienne de Russes ordinaires. Leur vie banale ne donne guère l’occasion de longues discussions politiques. On ne saura guère ce qu’ils pensent de leurs dirigeants, non pas que la censure les fasse taire, mais simplement parce qu’ils ne s’en préoccupent pas. Tout au plus, voit-on dans leur quotidien (les émissions télévisées qu’ils regardent, les slogans volontaristes que diffuse MMK, la société propriétaire de l’usine, et les fêtes qu’elle organise) des signes de l’embrigadement dont ils sont l’objet. Comme au temps glorieux du communisme, les mêmes valeurs sont exaltées, recouvertes d’une large couche de chauvinisme patriotique.

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Rien à foutre ★★☆☆

Cassandre (Adèle Exarchopoulos) a vingt-six ans. Elle est hôtesse de l’air dans une compagnie low cost basée aux Canaries. Chaque jour, elle répète la même routine : elle se maquille, tire ses cheveux dans un chignon impeccable, endosse son uniforme et arbore un sourire de façade pour servir un mauvais café à des hommes d’affaires méprisants ou des touristes alcoolisés. Le mutisme de Cassandre est l’armure qu’elle s’est construite pour soigner une blessure enfouie.

Le premier film d’Emmanuel Marre et de Julie Lecoustre réussit un pari enthousiasmant : nous entraîner dans le monde si particulier d’une profession jamais, à ma connaissance, filmée à l’écran et pourtant si photogénique, les PNC. Qui prend l’avion, pour son travail ou ses loisirs, a un jour ou l’autre croisé des hôtesses de l’air ou des stewards, a admiré leur parfaite élégance et s’est gentiment moqué du flegme inaltérable avec lequel ils présentent des consignes de sécurité que personne n’écoute. Une question demeurait sans réponse : qu’y a-t-il derrière le chignon impeccable et le sourire Ultra Brite ?

Les deux premiers tiers du film sont remarquablement réussis qui suivent pas à pas Cassandre d’un vol à l’autre. Le danger était de sombrer dans les clichés en enchaînant les anecdotes attendues : l’alcoolisme dégobillant d’un passager ivre, la drague insistante d’un autre, les bagages trop volumineux d’une famille qui a refusé de les enregistrer en soute, etc. Or, les anecdotes que choisit de raconter Rien à foutre ne sont pas celles auxquelles on s’attend : celle par exemple de cette jeune passagère à laquelle on exige le règlement d’un supplément bagage dont elle n’a pas les moyens de s’acquitter, celle de cette passagère plus âgée dévorée de chagrin et que Cassandre essaie de réconforter…

Rien à foutre insiste surtout sur les conditions de travail ingrates auxquels sont soumis ces personnels, écartelés entre les impératifs de sécurité qu’ils sont censés faire respecter et des objectifs commerciaux qui constituent en fait leur principal intérêt du point de vue de la compagnie qui les emploie et qui veut compenser les prix écrasés des billets qu’elle vend par les ventes effectuées à bord. Sont particulièrement rudes les face-à-face de Cassandre avec son supérieur comparés aux scènes les plus dures de Stéphane Brizé et de Vincent Lindon qui, elles, semblent bien douces.

Le défaut de Rien à foutre est de s’écarter de son sujet dans son dernier tiers. Pour comprendre la psychologie de son héroïne, le film quitte les aéroports et les tarmacs pour un long retour au pays natal, dans une Belgique pluvieuse. On y apprend le drame qui vient de frapper Cassandre et on l’accompagne dans sa lente cicatrisation. Cette dernière partie n’est pas calamiteuse ; mais elle est beaucoup plus convenue que la première dont les réalisateurs n’auraient pas dû dévier.

Rien à foutre ne m’aura pas enthousiasmé, même si j’allais le voir avec un biais très subjectif pur Adèle Exarchopoulos que j’adore. Une scène du film l’a sauvé, en son milieu, assez stupéfiante. Vous a-t-elle autant frappé que moi ?

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Belfast ★★★☆

Buddy, neuf ans, est un adorable garçonnet couvé par sa mère qui grandit, malgré les absences de son père qui travaille en Angleterre, sans avoir conscience des nuages qui s’accumulent au-dessus de sa tête. Belfast, à l’été 1969, est frappé par la guerre civile qui oppose catholiques et protestants. Les tensions interconfessionnelles transforment la rue de Buddy en camp retranché. La question du départ se pose à ses parents qui ne veut pas abandonner la ville où il a grandi et ce grand-père si attachant qui se meurt lentement de silicose.

Les hasards du calendrier ont quasiment fait se percuter les dates de sortie de Mort sur le Nil et de Belfast. Pourtant, si ces deux films sont signés du même réalisateur, ils n’ont rien en commun. Le premier est une superproduction hollywoodienne, une machine à cash. Le second est au contraire un film beaucoup plus arty et beaucoup plus personnel où Kenneth Branagh ne se cache pas de revisiter ses jeunes années dans la capitale de l’Irlande du Nord.

Cette autobiographie à peine déguisée n’est que bienveillance. Il ne s’y loge pas une once de méchanceté ou de malice. Même les « méchants » du film – les deux Protestants qui voudraient attirer le grand frère de Buddy dans leur combat haineux – deviendraient presqu’inoffensifs à force d’être caricaturaux. Le résultat évite de justesse l’overdose mielleuse de bons sentiments.

La réussite de Belfast tient beaucoup, outre son merveilleux noir et blanc, à la qualité de son interprétation, entièrement irlandaise. Il est difficile d’apprécier le jeu du jeune Jude Hill, un peu trop adorable pour être tout à fait honnête. En revanche, j’ai trouvé terriblement sexy les deux acteurs qui interprètent ses parents :  Jamie Dorman (qui avait déjà hystérisé la gent féminine par son interprétation de Cinquante nuances… et de ses avatars) et Caitrionia Balfe (dont je vais de ce pas apprendre à prononcer correctement le prénom au cas où je la croise un jour et me jette à ses pieds). Judie Dench (qui démontre qu’il y a une vie après James Bond) et l’excellent Ciarán Hinds, qu’on a déjà souvent vu dans un tas de films anglo-saxons sans jamais avoir été capable de retenir son nom, complètent cette remarquable distribution.

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Piccolo Corpo ★☆☆☆

Au début du vingtième siècle, dans un petit village de pêcheurs sur une plage du Frioul, Agata accouche d’une fille mort-née, enterrée avant d’être baptisée. La jeune mère ne se résout pas à laisser son enfant errer anonyme dans les limbes. Elle a vent d’une légende : il existerait un sanctuaire dans la montagne où les enfants mort-nés sont ressuscités le temps qu’on les prénomme. Elle décide, contre toute raison, de s’y rendre. En chemin, sa route croise celle de Lynx, un autre vagabond.

Présenté à la Semaine de la Critique, à Cannes, en 2021, Piccolo Corpo fait partie de ces films exotiques et intemporels, qui auraient pu être filmés sous n’importe quelle latitude, à n’importe quelle époque. On retrouve, en le regardant, le parfum des vieux films des frères Taviani ou de Ermanno Olmi (on pense à L’Arbre aux sabots, Palme d’or à Cannes en 1978). On y retrouve des gens de peu, des paysans durs à la tâche, vivant depuis des temps immémoriaux des fruits trop rares qu’une Nature ingrate leur concède.

Piccolo Corpo suit pas à pas Agata dans son long voyage. Les personnes qu’elle rencontre parlent toutes sortes de langages (que je ne suis pas certain d’avoir tous reconnus) : l’italien, le frioulan, le slovène peut-être. On s’attend à ce que cette odyssée la change, à ce qu’on nous raconte son émancipation. Mais hélas, son registre ne change jamais. Un seul motif la meut, aussi irrationnel soit-il : le deuil impossible de son enfant. Piccolo Corpo, bien qu’en constant mouvement, fait du surplace, jusqu’à sa conclusion tristement prévisible. L’ambiguïté de Lynx, qu’on découvrira à la toute fin ou, si on a été attentif, à la lecture de la distribution, est à peine exploitée.

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