Vitalina Varela ☆☆☆☆

Vitalina Varela est Cap-Verdienne. Son mari, Joaquim, l’a quittée pour aller vivre et travailler au Portugal. Elle est restée sans nouvelles de lui pendant vingt-cinq ans avant de débarquer à Lisbonne, la cinquantaine déjà bien entamée, pieds nus, au lendemain de ses obsèques. Elle hérite d’un logement minuscule et insalubre.

Le jury du festival de Locarno – qui lui a décerné le Léopard d’or en 2019 – et les critiques des Cahiers du Cinéma, du Monde, des Inrocks et de Libération sont unanimes : le dernier film de Pedro Costa, vétéran du cinéma portugais est un chef d’oeuvre. Et de vanter sa « picturalité flamboyante », sa « fondamentalité » (sic), son « bovarysme inversé » (?????), sa « description ciselée de la misère ». Et de s’ébaubir devant « une oeuvre de feu et de froid » (thermostat mal réglé ?), un « oppressant théâtre d’ombres où errent quelques fantômes désespérés », un « miroir lethéen d’eau croupie » (problème d’évacuation ?), « un ballet d’ombres imprégnées sur le béton fêlé de la migration ».

Je n’ai hélas pas autant de sensibilité qu’eux. Je me suis solidement ennuyé devant ce film de plus de deux heures qui en compte au moins une de trop. Pendant les premières minutes, j’ai essayé d’admirer ces longs plans fixes, ces clairs-obscurs éclairés à la chandelle censés exalter la misère des taudis pouilleux du ghetto de Cova da Moura près de Lisbonne. J’ai essayé de laisser sourdre l’émotion suscitée par Vitalina, par sa rage rentrée devant sa vie gâchée, par sa colère, par ses regrets. Mais j’ai bien vite versé dans un ennui sans retour devant ce film quasiment muet, à peine entrecoupé de rares monologues prononcés d’une voix d’outre-tombe.

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Jane par Charlotte ★☆☆☆

Charlotte (Gainsbourg) filme sa mère Jane (Birkin). Les deux actrices sont si connues que le titre de leur film peut faire l’économie de leurs patronymes… et l’affiche celui de leurs visages.

Le titre et le procédé louchent du côté du documentaire qu’Agnès Varda avait consacré à la chanteuse franco-britannique, Jane B. par Agnès V. Comme Varda en 1988, Charlotte filme Jane chez elle, dans son intimité et la fait se raconter à travers les objets qu’elle accumule compulsivement : Jane confesse souffrir d’une maladie douce, celle de l’incapacité de jeter quoi que ce soit, qui transforme vite ses intérieurs en bric-à-brac nostalgiques. En 1988, c’était la maison parisienne de Jane qu’on découvrait. Aujourd’hui, c’est sa résidence secondaire en Bretagne, avec son immense baie vitrée, son jardin, le portillon qui donne sur la plage.

Jane par Charlotte est une émouvante déclaration d’amour d’une fille à sa mère qu’elle filme à Bréhat, mais aussi en concert, à Tokyo comme à New York, et enfin à Paris, rue de Verneuil, dans l’appartement où elle vécut avec Serge Gainsbourg, que Charlotte a transformé en musée. On ne peut qu’être séduit par ce tête-à-tête touchant, par la relation entre jane et sa fille avec qui on adorerait prendre un thé en regardant le soleil se coucher sur une plage bretonne un soir d’automne. En compagnie de Jo, la petite dernière de Charlotte dont la présence esquisse peut-être une autre transmission générationnelle, les deux femmes y font preuve l’une à l’égard de l’autre d’une grande pudeur qu’elles questionnent et dont elles testent les limites.

Plutôt que de dérouler platement la biographie, pourtant très riche de Jane, ses succès de chanson, puis de cinéma, Charlotte s’intéresse plutôt à sa vie de femme. Dans un troublant jeu de miroirs, elle l’interroge sur les hommes qui ont marqué sa vie et sur les trois enfants qu’elle a eus avec eux : Kate l’aînée, la fille de John Barry, brutalement décédée en 2013, Charlotte elle-même, la fille de Serge Gainsbourg, et enfin Lou, la fille de Jacques Doillon.

Jane par Charlotte est un film qui touchera peut-être plus les femmes que les hommes, soit qu’elles aient une relation douloureuse à leur mère, soit au contraire qu’elles aient réussi à construire une relation aussi épanouie et complice que celle qui unit Charlotte à la sienne, soit enfin qu’elles l’aient perdue et en nourrissent la nostalgie…. ce qui devrait, si l’on additionne les femmes de ces trois catégories, représenter environ la moitié de l’humanité. En tant qu’homme – et au risque de m’attirer les foudres de mes amies universalistes – j’y ai moins trouvé d’intérêt.

Surtout, après le documentaire de Varda de 1988, après Boxes, l’autobiographie à peine romancée qu’avait réalisée Jane en 2007, sur son père et les pères de ses filles, on frise l’overdose. Si pudeur est le maître mot de ce documentaire-là, s’il est celui qui caractérise le mieux la relation entre ces deux femmes exceptionnelles, le risque est que cet exercice le galvaude ou pire le corrompe.

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Conférence ★☆☆☆

En octobre 2002, une attaque terroriste fomentée par un commando tchétchène dans un grand théâtre de Moscou s’est soldée par la mort de tous les assaillants et d’une centaine d’otages. Dix sept ans plus tard, une ancienne otage, Natalia, qui a pris le voile dans un monastère orthodoxe, revient à Moscou pour organiser une cérémonie commémorative. Son retour rouvre dans sa famille, auprès de sa fille, qui fut, elle aussi, otage, des blessures non cicatrisées.

Ivan I. Tverdovskiy fait partie de cette nouvelle vague de réalisateurs russes dont la puissance des oeuvres balaie tout sur leur chemin. Il appartient à la même famille que Zviaguintsev (Leviathan, Elena, Faute d’amour), Balagov (Une grande fille, Tesnota), Bykov (L’Idiot !, Factory), Loznitsa (Une femme douce), Khlebnikov (Arythmie)… La liste est longue de ces films russes qui nous laissent hébétés, pantois. Ces œuvres ont en commun de filmer à l’os, sans concession, une société dure à l’homme, violente, égoïste et les fragiles îlots de résistance que lui opposent quelques individus esseulés et leurs moyens dérisoires : leur courage, leur intégrité, leur amour…

Réalisé à vingt-six ans à peine, le premier long de Tverdovskiy m’avait laissé une marque durable. Classe à part racontait la lente descente aux affaires d’une adolescente atteinte de myopathie placée dans un institut spécialisé, un sujet qui fait écho à la polémique zemmourienne du week-end. Tverdovskiy a réalisé ensuite deux films en 2016 et 2018 qui ont fait l’objet d’une diffusion confidentielle et que je n’ai pas vus. Le voici de retour avec son quatrième long métrage aux frontières de la fiction et du documentaire.

Conférence joue en effet sur ces deux tableaux. D’un côté, il nous raconte les faits, par la bouche des anciens otages, réunis l’espace d’une soirée dans la salle du théâtre où s’est déroulé le drame. De l’autre, à travers le personnage de Natalia, de sa sœur, de sa fille, de son mari désormais grabataire, il illustre les fractures familiales que le drame a ouvertes et qui ne se sont jamais refermées. Un troisième sujet est ébauché mais tourne court : une sorte de répétition générale du drame de 2002 revécu dix-sept ans plus tard par quelques uns de ses protagonistes face à une bureaucratie tatillonne qui veut les expulser du théâtre.

Le résultat est moins réussi que je ne l’escomptais. La figure hiératique de la moniale photographiée sur l’affiche, les quelques extraits visibles dans la bande-annonce me laissaient espérer un film sec et poignant, du niveau de ceux que j’ai cités plus haut. Certes Conference contient quelques scènes impressionnantes. Notamment la dernière. Mais le film, trop long, aurait pu sans dommage être amputé d’un quart. Et, plus grave, le silence gardé sur la polémique qu’ont fait naître les moyens disproportionnés utilisés par les forces spéciales russes pour déloger les terroristes (en utilisant un gaz neurotoxique qui tua beaucoup d’otages) laisse un malaise.

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Ouistreham ★★★☆

Écrivaine du réel, Marianne Winckler (Juliette Binoche) a quitté Paris pour s’installer à Caen dans un HLM désolant et pour y vivre le temps de quelques mois l’existence d’une chercheuse d’emploi et d’une travailleuse précaire en cachant son projet. Recrutée comme femme de ménage, elle est intégrée aux équipes chargées de l’entretien du ferry qui relie Ouistreham à l’Angleterre.

Florence Aubenas avait raconté en 2010 dans Le Quai d’Ouistreham son expérience de femme de ménage embedded. Ce livre, d’une vibrante humanité, témoignait avec une force rare de l’alinéation sociale, de la vie étriquée de ces femmes de ménage aux horaires impossibles, aux salaires misérables, aux conditions de travail exténuantes, aux vies sans joie et sans avenir.

Ce livre eut un grand succès, tant public que critique. Il réjouit en particulier les bobos parisiens – dont je fais partie plus souvent qu’à mon tour – qui y découvrirent ou feignirent d’y découvrir l’âpreté des conditions de vie dans la France dite périphérique (l’essai de Christophe Guilluy lui est de quatre ans postérieur). il fut mis en onde, sur France Culture évidemment. Il fut adapté au théâtre. La rumeur voudrait que Florence Aubenas n’ait accepté qu’il soit porté à l’écran à la seule condition que la réalisation en soit confiée à Emmanuel Carrère. Las ! L’écrivain à succès racontait dans Le Royaume avoir définitivement tourné la page du cinéma après quelques coups d’essai plus ou moins convaincants (La Moustache, Retour à Kotelnitch). L’anecdote semble trop belle pour être vraie : il se laissa convaincre et après bien des déboires, le film nous arrive enfin sur les écrans.

Il reçoit des critiques assez sévères sur la façon dont y est filmée la précarité sociale. Ces critiques sont pertinentes. Ouistreham est un film naturaliste sans originalité, bien en dessous des films de Dardenne, de Ken Loach ou de Nomadland, coincé entre la dénonciation de conditions de vie exténuantes et l’exaltation de la chaleur qui instille malgré tout la solidarité qui jaillit dans le lumpenprolétariat.

En revanche, Ouistreham devient beaucoup plus intéressant dans son autre dimension, qui n’était qu’à peine esquissée dans le livre, mais que Emmanuel Carrère, qu’elle obsède, creuse : l’imposture. L’auteur de L’Adversaire – consacré, on s’en souvient, à ce faux médecin qui a assassiné sa famille lorsque sa supercherie allait être sur le point d’éclater – interroge la démarche de Florence Aubenas (auquel il donne le nom d’un médecin-écrivain célèbre écrivant sous pseudonyme) et sa légitimité. Une journaliste parisienne a-t-elle le droit de « jouer à la femme de ménage » ? Pourra-t-elle en comprendre l’existence dès lors qu’elle garde toujours la possibilité de suspendre « l’expérience » ? Le mensonge dont elle entoure son « infiltration » n’est-il pas une trahison de la confiance que lui donnent les amis qu’elle se fait sous sa nouvelle identité ?

Ces questions là sont posées à Marianne Winckler par la conseillère de Pôle Emploi qui a découvert son identité. C’est la scène la plus intelligente du film. Dommage que le reste se perde dans du sentimentalisme un peu fade. Jusqu’à un épilogue éclatant de lucidité et d’intelligence qui évite l’écueil de la mièvrerie.

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Twist à Bamako ★☆☆☆

Bamako. 1962. Le Mali vient d’accéder à l’indépendance et d’instaurer le socialisme pour tourner la page de la colonisation. Mais le nouveau régime se heurte à bien des obstacles.
Samba (Stéphane Bak) est le fils d’un riche commerçant de textile qui renâcle contre le contrôle des prix et l’instauration d’un Code du travail garantissant aux employés qu’il exploite des conditions décentes d’emploi. Ardent militant socialiste, protégé par le ministre de la Jeunesse en personne, Samba mène avec deux de ses camarades des actions de propagande dans les provinces. C’est là qu’il rencontre Lara (Alicia Da Luz) qui a été mariée de force au petit-fils alcoolique d’un chef de village hostile aux idées du nouveau régime. Avec la complicité de Samba, Lara s’enfuie à Bamako. Entre les deux jeunes gens, qui fréquentent les clubs de la capitale, une idylle se noue.

Robert Guédiguian nous a habitués à filmer à Marseille, sa ville, depuis bientôt quarante ans, avec une réussite jamais démentie, la même troupe d’acteurs : Ariane Ascaride Jean-Pierre Darroussin, Jean-Pierre Meylan, Jacques Boudet… De temps en temps, il s’autorise quelques échappées loin de la cité phocéenne : dans l’Arménie de ses racines (Le Voyage en Arménie), à Paris pendant la Résistance (L’Armée du crime). Juste avant l’épidémie du Covid, qui interrompit le tournage en plein milieu,, il était parti au Sénégal y reconstituer à grands frais le Mali des 60ies, juste après l’indépendance. Qui y a voyagé ou vécu reconnaîtra peut-être le centre de Thiès (où mon père servit en 1951-1952), les berges du fleuve Sénégal à Podor (où ma sœur aînée naquit en septembre 1951) et le pont Faidherbe de Saint-Louis…. Mais arrêtons d’égrener les souvenirs familiaux pour saluer la qualité de cette reconstitution (inspirée des photographies de Malick Sidibé que Guédiguian découvrit – comme moi – à la Fondation Cartier en 2017), les décors, les costumes et la musique.

Twist à Bamako souffre à mes yeux de deux défauts majeurs.

Le premier, comme souvent dans les films de Guédiguian, est son didactisme un peu guindé. Ce reproche mérite des explications. Le cinéma de Guédiguian a d’immenses qualités : son naturalisme, sa sensibilité, son humanisme, l’émotion qu’il sait faire naître (Les Neiges du Kilimandjaro compte parmi les films les plus émouvants que j’aie vus) ; mais il manque à mes yeux de second degré, de légèreté, d’ironie sur lui-même. Pour le dire méchamment, Guédiguian, bien qu’il sache être drôle, se prend au sérieux. Et cela se voit parfois. Cela éclate dans les « grandes » scènes du film, celles où Samba débarque dans une réunion de commissaires politiques, où il va chercher son père en prison, où il échange avec le ministre de la Jeunesse. Jusqu’à la scène finale censée nous arracher des sanglots, mais trop prévisible, trop artificielle pour nous surprendre et nous toucher.

Second défaut plus substantiel : le choix de ce sujet. Militant toujours aussi engagé, Robert Guédiguian dit avoir voulu filmer un « moment communiste » : « Nous voulions raconter une belle et tragique histoire d’amour pour incarner ce que j’appelle ce « moment communiste », de construction, de fête révolutionnaire où les possibles se heurtent à la contre révolution mais aussi à la tradition et aux coutumes ancestrales ». Or, Guédiguian choisit de montrer non pas le printemps de ce socialisme en construction mais au contraire son automne, le moment où il se fracasse contre ses contradictions (l’interdiction du twist et des clubs) et ses résistances (les intérêts mercantiles des grands commerçants, le conservatisme des religieux). Son film prend une teinte crépusculaire et est cohérent avec sa conclusion dramatique. C’est un choix. Mais c’est un choix en contradiction avec la tonalité optimiste promise par le titre du film et par son affiche, le choix de filmer non pas la révolution en marche, mais ses lendemains qui déchantent.

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En attendant Bojangles ★☆☆☆

Juan-les-Pins 1958. Georges (Romain Duris) est un fêtard invétéré, un homme à femmes et un bonimenteur. Il rencontre à une réception huppée où il s’était invité Camille (Virginie Efira) et tombe éperdument amoureux d’elle. Neuf mois plus tard leur naît un fils prénommé Gary
Huit ans passent. Profitant de la générosité de leur fidèle ami Charles (Grégory Gadebois), Camille et Georges accueillent dans leur superbe appartement parisien une succession tourbillonnante de fêtes et de soirées sous les yeux émerveillés de Gary.
Mais la réalité bientôt les rattrape…

En attendant de devenir un film, En attendant Bojangles fut d’abord un immense succès de librairie. Le premier roman d’un auteur inconnu publié début 2016 chez un minuscule éditeur, bientôt couvert de prix et vendu à plusieurs centaines milliers d’exemplaires. Le livre fut d’abord adapté pour la radio, puis pour le théâtre, avant, comme de bien entendu, d’être porté à l’écran.

Régis Roinsard fut choisi pour réaliser cette adaptation. Le choix avait sa logique. On doit en effet à Roinsard Populaire, une délicieuse comédie où Déborah François interprète une championne de dactylographie. L’action s’en déroulait à la fin des 50ies, comme celle de En attendant… et le rôle principal masculin était joué par Romain Duris qui livre ici une interprétation qu’on croirait copiée de celles de Jean-Paul Belmondo : même sourire charmeur, même bagout irrésistible.

Virginie Efira rappelle Catherine Deneuve jeune dont elle affiche la même naïveté primesautière. On la voit énormément ces temps-ci, au risque de friser l’indigestion. Je l’ai déjà dit le mois dernier dans ma critique de Madeleine Collins. Malgré l’admiration inconditionnelle que je lui voue depuis toujours, elle m’a laissé ici de marbre.

La faute en revient peut-être au roman que j’avais lu à sa sortie sans en comprendre l’improbable succès. Il m’avait fait penser, par son mélange de fantaisie et de tragédie, à L’Écume des jours de Boris Vian dont je confesserai, au risque d’aggraver irrémédiablement mon cas, que je ne l’ai jamais aimé.

J’ai goûté la première partie de En attendant… Et notamment sa première scène, ses costumes splendides, l’apparition de Camille, le coup de foudre entre les deux personnages… J’ai moins aimé la suite, d’autant plus prévisible qu’on a lu le livre : la folle énergie et le refus des convenances de ce couple fusionnel vus à travers les yeux de leur fils, la descente aux enfers de cette mère que son époux vénère et enfin la longue espagnolade qui vient funestement la conclure.

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Mes frères et moi ★★☆☆

Nour a quatorze ans. Ses trois frères veillent sur lui : Abel, l’aîné, fait figure de père de substitution, Mo, le plus fêtard, fait de la musculation et drague les filles, Hédi, le cadet, est un chien fou mouillé dans des trafics louches. Ces quatre frères hauts en couleurs vivent d’expédients et ont décidé, contre l’avis de leur oncle, de garder chez eux leur mère plongée dans un coma irréversible. Le jeune Nour est convaincu des vertus thérapeutiques des airs d’opéra que son père chantait à sa mère quand ils se sont rencontrés et que Nour lui fait réécouter. Au collège où il doit effectuer des travaux d’intérêt général, il rencontre une cantatrice, qui anime un atelier d’art lyrique et qui l’initiera au chant.

On se souvient au début des années 2000 de Billy Elliot, de son sujet (un fils de prolétaire devient danseur étoile en dépit de tous les préjugés) et de son succès mondial. Mes frères et moi repose sur un ressort similaire et médiocrement convaincant : un enfant, même issu des classes les plus modestes, pourra s’élever hors de sa condition grâce à la pratique d’un art, même le plus élitiste qui soit. Sorti en juillet 2019, Yuli, la biographie romancée du danseur étoile cubain Carlos Acosta, creusait un sillon similaire.

On pouvait donc légitimement craindre le pire devant ce drame social cousu de fil blanc et lesté de tant de bonnes intentions. On pouvait craindre en particulier la partition de Judith Chemla, convoquée grâce à son joli filet de voix pour jouer le rôle de la professeure de chant, passeuse entre deux mondes : celui de la noire misère du lumpenprolétariat et celui des amateurs d’opéra.

Mes frères et moi réussit de justesse à éviter cet écueil grâce à la peinture jamais misérabiliste qu’il fait de Nour et de ses frères. Chacun incarne à sa façon, et sans verser dans la caricature, une façon d’être dans la France d’aujourd’hui un Rebeu en mal d’intégration : l’autorité virile pour Abel, le commerce de ses charmes pour Mo (interprété par le toujours excellent Sofian Khammès qui construit de film en film une carrière prometteuse), la rebellion violente pour Hédi et la curiosité d’être au monde pour Nour dont j’aurais volontiers dit qu’il rappelle le héros de La Vie devant soi de Ajar/Gary si Télérama ne l’avait pas déjà écrit.

Mes frères et moi a aussi une autre qualité : c’est un film joyeusement estival, tourné à Sète, qui devient décidément une ville de cinéma (outre la série de TF1 Demain nous appartient et les films d’Abdellatif Kechiche, Sète avait accueilli le tournage de Fragile, une petite pépite sortie  l’été dernier et injustement passé inaperçu). Ce soleil insolent, ces plages, ces flots méditerranéens sont un baume dans l’hiver parisien pluvieux, dont on aurait tort de se priver.

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Licorice Pizza ★★★☆

À Encino, près de Los Angeles, au début des 70ies, Gary (Cooper Hoffman) tombe amoureux au premier regard de Alana (Alana Haim). Il a quinze ans mais il est déjà presque autonome, assume seul la garde de son frère cadet, tourne dans une série télévisée, a un sacré esprit d’entreprise. Elle a vingt-cinq ans, est couvée par une famille juive étouffante, n’est pas sûre d’elle. S’aimeront-ils malgré leurs différences ?

Le pitch que je viens d’écrire pourrait laisser redouter le pire : une RomCom sirupeuse dont les deux héros, sans surprise, dépassant les obstacles qui s’opposent à leur amour impossible, finiront, au dernier plan du film, par courir dans les bras l’un de l’autre pour s’unir dans un baiser qui durera toujours. Sans vouloir en divulguer la fin, Licorice Pizza présente ces ingrédients-là…. mais les accommode selon une recette délicieusement originale.

Commençons par jeter un oeil à l’affiche. Il est d’usage, dans les films qui racontent une histoire d’amour, d’y voir les deux héros s’enlacer tendrement en se lançant des regards espiègles et/ou énamourés. Rien de tel ici : l’héroïne est au premier plan, les mains sur les hanches, un brin effrontée et semble nous lancer un regard de défi. Le héros est au second plan, adossé à une voiture, les mains… comment dire…. Vers où dirige-t-il un regard dont on devine qu’il s’accompagne d’un sourire ? Vers Alana. Ce sera donc l’histoire d’un garçon qui aime une fille qui lui tourne le dos.

Arrêtons nous à présent sur le choix de ces deux acteurs. On est loin des stéréotypes hollywoodiens. Le personnage de Gary est interprété par le fils du regretté Philip Seymour Hoffman (que PT Anderson avait souvent fait tourner). Il a quelques kilos en trop, le visage couvert d’acné et une coiffure impossible. Alana Haim est la révélation du film : une jeune Barbara Streisand avec un nez « tellement juif » (c’est pas moi qui le dis mais une directrice de casting), un corps athlétique, toujours en mouvement. Exit Ken et Barbie.

Un mot enfin sur le titre. Sa police rappelle celle d’American Graffiti, le film iconique de Georges Lucas sur cette période. Le surlignage qui l’entoure est le même que celui utilisé pour l’affiche de Grease. On attendra en vain pendant les deux heures du film que s’éclaire sa signification. Le réalisateur confesse dans le dossier de presse qu’il s’agissait d’un diner d’Encino où sa famille se rendait parfois, dont le nom et les sonorités lui rappellent son enfance.

S’agit-il donc d’un film autobiographique ? pas tout à fait. Paul Thomas Anderson est né en 1970. Il a donc une douzaine d’années de plus que Gary. Mais il est né et a grandi à Encino et Licorice Pizza a le parfum de madeleine de ses amours enfantines.

Paul Thomas Anderson est un des plus grands réalisateurs américains contemporains. Il a acquis cette réputation en un quart de siècle et avec moins de dix films qui, tous ou presque, ont enthousiasmé la critique : Boogie Nights, Magnolia, There Will Be Blood (son plus grand succès), Phantom Thread… Son cinéma n’est pas reconnaissable au premier coup d’oeil comme le serait celui de son homonyme, Wes Anderson, ou de Quentin Tarantino. Mais il y revisite souvent les mêmes thèmes (la famille unie, déchirée, recomposée) tire toujours le meilleur parti d’une bande musicale très riche (comme le montre évidemment Licorice Pizza qui puise abondamment dans les standards des 70ies) et attache un prix particulier à la qualité de l’image (il est un des rares réalisateurs à être resté fidèle au 35mm).

Il réussit avec Licorice Pizza une sacrée gageure : réaliser un film surprenant à partir d’une trame éculée. On devine dès sa première image comment il se terminera. Et pourtant on reste en alerte pendant tout le film – les esprits chagrins pourraient estimer que son dernier quart est de trop. Pourquoi ? Parce que cette histoire est faussement commune. Gary et Alana sont des adolescents comme tant d’autres ; mais ils sont uniques. Leur différence d’âge – censée constituer le principal obstacle à leur amour – s’efface très vite. Gary s’avère beaucoup plus mature que ses quinze ans – au point parfois de laisser douter de la crédibilité de certains épisodes de sa vie ; Alana au contraire a la vie cadenassée d’une ado couvée par des parents hyper-protecteurs.

Licorice Pizza est traversé par une immense vitalité, une réjouissante fraîcheur. C’est un film plaisant, sans que se cache derrière cet adjectif dévalorisé la moindre ironie condescendante. C’est un film qui m’a plu. C’est un film qui, je l’espère, vous plaira.

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Rosy ★★☆☆

En 2015, âgée de vingt-et-un ans à peine, Marine Barniéras apprend qu’elle est atteinte d’une sclérose en plaques (SEP). Elle décide alors d’entreprendre pendant six mois un extraordinaire voyage au bout du monde pour se réconcilier avec son corps. De ce voyage, elle tirera un livre, publié en 2017, Seper hero, puis un film baptisé Rosy, du nom qu’elle donne à la maladie tapie en elle et avec laquelle elle doit désormais cohabiter à jamais.

J’ai lu un jour, je ne sais où, un aphorisme un peu péremptoire, dont la pertinence pourtant ne s’est jamais démentie : une personne dépressive, qui gagne au Loto, redevient malheureuse après six mois d’euphorie ; une personne équilibrée, tétraplégique après un accident de la route, retrouve son équilibre après six mois de déprime noire.

C’est cet aphorisme (mais s’agit-il à proprement parler d’un aphorisme ou d’un adage ou d’un axiome ?) qui m’est revenu en regardant Rosy.

Est-ce un film sur la maladie, sur la sclérose en plaques ? Pas vraiment. Un film de voyages alors sur les splendides paysages de Nouvelle-Zélande, de Birmanie et de Mongolie que l’héroïne visite ? Pas vraiment non plus.
Ce film de Marine Barniéras par Marine Barniéras avec Marine Barniéras est un film sur Marine Barniéras.

La connaître c’est l’aimer. Son charme est irrésistible. Derrière ses longs cheveux blonds, elle a un visage d’ange. Mais surtout c’est son bagout qui nous fait chavirer, son enthousiasme communicatif, sa force de caractère face à l’adversité et bien sûr la compassion que suscite la maladie terrible qui lui est tombée dessus.

Rosy est un hold-up sentimental. Comment ne pas être séduit par son héroïne – dont je viens de dire qu’elle était irrésistible ? Comment ne pas être ému par l’injustice qui la frappe et la force de caractère avec laquelle elle y fait face ?

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