Lydia Tár (Cate Blanchett) est une star. Elle dirige l’orchestre philharmonique de Berlin, s’apprête à publier sa biographie et à boucler pour la Deutsche Grammophon l’enregistrement de l’intégrale des symphonies de Mahler. Accompagnée de Francesca (Noémie Merlant), sa fidèle assistante, elle vit entre New York et Berlin où habitent son épouse Sharon (Nina Hoss), premier violon à la Philharmonie, et leur fille Petra.
La maestro est au sommet de sa carrière. Mais une série d’événements provoquera sa chute.
Tár est un film intimidant. Intimidant par les critiques qui le précèdent, par la pluie d’Oscars qui lui est promise. Intimidant par sa durée (2h38). Intimidant par la prestation immédiatement canonisée de Cate Blanchett. Intimidant enfin par son sujet – la musique symphonique – et ses décors – les immenses appartements glacés d’un Berlin automnal.
Tár est un film profondément cérébral qui tangente plusieurs sujets très contemporains : la cancel culture, #MeToo, la masculinité toxique. Il a le culot de les évoquer non pas, comme moult productions hollywoodiennes, au demeurant très réussies, du point de vue de la bien-pensance ou du politiquement correct (je pense à She Said que j’ai beaucoup aimé) mais au contraire à travers une héroïne à laquelle il fait endosser le mauvais rôle. C’est elle qui, dans une scène d’anthologie, ridiculise un de ses élèves, noir qui plus est, pour avoir exprimé son manque de goût pour Bach auquel le jeune homme woke reproche d’être un compositeur blanc et cisgenre. C’est elle qui repousse les appels à l’aide d’une de ses anciennes protégées et l’accule au suicide. C’est elle qui, au risque d’humilier son épouse, s’entiche d’une jeune violoncelliste russe, la recrute et la promeut (la façon dont la jeune femme répond à ses avances est remarquable de finesse et de cruauté).
Tár n’est pas un film plaisant et ne cherche pas à l’être. Mais est-il pour autant un film déplaisant ? C’est le reproche qu’on pourrait lui faire. C’est le reproche que j’ai été sur le point de lui faire, hésitant jusqu’au point final de cette critique à lui mettre une étoile de moins – là où d’autres peut-être me reprocheront de ne pas lui mettre une étoile de plus.
En particulier, le jeu de Cate Blanchett m’inspire quelques réserves. Cette voix dissonante, dans un concert de louanges, est sacrilège à l’égard de celle qui semble au zénith de sa carrière et dont on voit mal comment l’Oscar pourrait lui échapper. Je reproche à la star australienne son « huppertisation ». Cette accusation cinglante sous ma plume mérite quelques explications. Le principal blâme que j’adresse à la star française est son omniprésence. Je n’en blâme pas Cate Blanchett. Mais je lui reproche de s’enfermer dans le même jeu qu’Isabelle Huppert : celui d’une femme froide et forte, d’une impériale beauté, d’un glaçant égoïsme. Je reproche à ce jeu-là son manque de générosité, de tendresse, de chaleur, d’humour. Je déplore aussi son manque de finesse.
Pour autant, il serait bien mesquin de refuser à Tár la place qui lui revient parmi les meilleurs films de cette année nouvelle qui s’annonce décidément très riche. Comme Babylon, c’est un film exigeant, c’est un film intelligent, c’est un film qui nous élève.