The Dawn Wall ★★☆☆

Au cœur de la vallée de Yosemite se dresse El Capitan un monolithe vertical de près de neuf cents mètres de haut. Il a depuis toujours fasciné les alpinistes qui ont entrepris de l’escalader de toutes les façons possibles et par toutes les voies possibles.
Sa partie la plus lisse, le « mur de l’aube », plein est, qu’éclaire en tout premier le soleil levant, était resté longtemps inconquis. Deux grimpeurs s’y attaquent en escalade libre, à la force de leurs bras et de leurs jambes.

J’avoue un penchant coupable pour les films d’alpinisme. Everest ou La Mort suspendue font partie de mon panthéon. Je leur vois plusieurs qualités. D’abord, ils sont fantastiquement dépaysants et permettent de découvrir des paysages à couper le souffle, tels que les immense monolithes de la vallée de Yosemite. Ensuite ils présentent d’évidentes qualités cinématographiques : unité de temps, de lieu d’action, et un enjeu simple et captivant : les alpinistes réussiront-ils ou pas à atteindre le sommet – et à redescendre sain et sauf ? Enfin, ils ont pour personnages des héros nietzschéens, en quête de dépassement, à la contagieuse énergie.

Aussi, j’ai naturellement cédé au charme californien de Tommy Caldwell et Kevin Jurgenson dont quelques flashbacks racontent la vie avant leur ascension d’El Capitan en janvier 2015. J’ai vibré avec eux à chaque étape de leur incroyable exploit. Et l’émotion a naturellement débordé avec sa conclusion.

Pour autant, The Dawn Wall est irrémédiablement plombé par la comparaison avec Free Solo, sorti un an plus tard, qui raconte l’ascension par Alex Honnold de la même paroi, mais en solo libre. Honnold, comme Caldwell & Jurgenson, grimpe la paroi à mains nues ; mais à la différence d’eux, il n’est pas assuré. Aucune corde, aucune protection. La moindre chute pour lui serait mortelle. Du coup, les images de Free Solo, qui a décroché l’Oscar 2019 du meilleur documentaire, sont autrement plus impressionnantes que celles de The Dawn Wall. Si l’exploit de Caldwell & Jurgenson est galvanisant, celui de de Honnold, au regard des risques (inconsidérés ?) pris par le grimpeur, est plus sidérant encore.

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American Factory ★★★☆

À Moraine, près de Dayton, dans l’Ohio, dans une usine désaffectée, fermée en 2008 par General Motors, le milliardaire chinois Cao Dewang a inauguré en 2016 Fuyao Glass America, un site de production de verre automobile. Steven Bognart et Julia Reichert, qui avaient filmé en 2008 les derniers jours de l’usine GM, ont été invités par la nouvelle direction chinoise à filmer ce qui aurait dû être l’exemple d’un mariage réussi entre deux cultures entrepreneuriales. Mais au fil des mois, un fossé se creuse entre la direction et les employés. Le conflit se cristallise autour d’un sujet : le droit à se syndiquer.

American Factory est un documentaire Netflix sorti en 2019, produit par Higher Ground, la société à laquelle Barack et Michelle Obama sont désormais associés, et couvert d’éloges. Il a raflé une moisson de récompenses à commencer par l’Oscar 2019 du meilleur film documentaire.

L’une des principales qualités d’American Factory est qu’il ne se réduit pas à une thèse. Est-il pro-chinois ? ou anti-chinois ? On pourrait penser, pendant sa première moitié, qu’il tresse les louanges d’une mondialisation heureuse qui verrait le capitalisme chinois voler au secours de l’industrie américaine. Comme un – mauvais – film d’entreprise, American Factory montre l’inauguration des nouveaux locaux sous les applaudissements, des ouvriers américains reconnaissants à leurs nouveaux patrons de leur redonner du travail, puis la visite à Fuqing, au siège de la maison mère, d’une délégation d’ouvriers américains, invités d’honneur de la réception qui marque le Nouvel An chinois.

Mais bientôt le rêve se brise. Là encore, American Factory ne verse pas dans le manichéisme, même si les Chinois, dont on est stupéfait qu’ils n’aient pas exigé l’interruption du tournage, n’ont pas le beau rôle. Les cadences de travail des employés américains sont trop lentes ; les objectifs de production ne sont pas atteints ; plutôt que de se remettre en cause, la main d’œuvre locale ne semble avoir qu’une seule préoccupation : se voir reconnaître le droit de se syndiquer.

American Factory est une œuvre riche qui peut donner lieu à plusieurs conclusions. Elles ne sont guère optimistes. La plus évidente est l’immense fossé qui sépare les cultures d’entreprise américaine et chinoise et qui nécessitera beaucoup de temps pour être franchi sinon comblé. La seconde, plus glaçante encore, renvoie à l’avenir de la main d’œuvre humaine, lentement mais inexorablement remplacée par des robots, moins coûteux, plus fiables et moins revendicatifs.

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Joan Didion : Le centre ne tiendra pas ★★☆☆

Née en 1934, Joan Didion est l’une des plus grandes écrivaines contemporaines. Romancière, essayiste, journaliste, scénariste pour Hollywood, elle n’a cessé de comprendre et d’interpréter l’Amérique de son temps.

Le neveu de Joan, Griffin Dunne, un acteur de cinéma qui tourna dans les années quatre-vingts avec Scorsese et Madonna, l’interviewe et revient avec elle sur sa vie. À quatre-vingts ans passés, Joan Didion est méconnaissable. D’une maigreur maladive (elle pèse à peine trente-cinq kilos), elle n’a plus guère que la peau sur les os. Ses gestes sont compulsifs, sa diction parfois hésitante ; mais le feu qui brûle dans ses yeux n’est pas éteint et le regard qu’elle porte sur sa vie n’a rien perdu de son intelligence.

Joan Didion formait, avec son mari John Dunne, lui aussi homme de lettres, un couple fusionnel jusqu’à sa mort brutale d’un arrêt cardiaque en décembre 2003. Le couple était symbiotique. John et Joan travaillaient ensemble sur des projets communs ou des livres séparés. La renommée de l’un ne fut jamais un obstacle à celle de l’autre. Mais on sent néanmoins un déséquilibre (c’est John qui finissait les phrases de Joan) qui ferait tiquer plus féministe que moi.

Le couple avait adopté en 1966 une fille qui décéda deux ans après la mort de son père. Joan Didion fit de ses deux disparitions quasi-simultanées la substance de ses deux livres les plus poignants, L’Année de la pensée magique et Le Bleu de la nuit. Elle y trouve les mots justes et forts pour décrire le deuil. Un must-read pour tous ceux qui ont traversé la même épreuve ou qui appréhendent de la traverser un jour – ce qui fait, tout bien réfléchi, beaucoup de monde.

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Derrière nos écrans de fumée ★☆☆☆

Derrière nos écrans de fumée (traduction besogneuse de The Social Dilemma) est un réquisitoire à charge contre les réseaux sociaux. Certes, il ne verse pas dans le complotisme : il n’accuse pas les dirigeants de Facebook, Instagram Twitter, YouTube ou Google de nourrir un projet criminel de manipulation universelle. Mais il montre comment la logique purement entrepreneuriale de ces sociétés, leur désir de capter et de retenir une audience toujours plus large, sont lourds de menaces.

La charge semble d’autant plus légitime qu’elle vient d’anciens dirigeants de ces plateformes qui, comme des mafieux italiens tentant d’obtenir une réduction de peines, comparaissent les uns après les autres devant la caméra de Jeff Orlowski. Pour enfoncer le clou, cette succession d’interviews est entrecoupée par une fiction mettant en scène une famille américaine ordinaire dont les enfants souffrent d’une dépendance accrue aux écrans : la cadette perd confiance en elle après avoir reçu une remarque sur son physique, l’aîné se laisse séduire par les thèses complotistes.

Le sujet est grave : exploitation des données personnelles, dépendance aux réseaux sociaux, propagation de la désinformation, haine en ligne…. Il nous concerne tous – qu’il s’agisse de moi qui suis en train d’écrire cette critique pour la poster sur les réseaux sociaux, ou vous qui êtes en train de la lire alors que vous pourriez consacrer ce temps précieux à de vrais échanges avec de vrais gens dans la vraie vie !

Mais ce documentaire a trop de défauts pour convaincre. Son plus cocasse est d’être produit et distribué par Netflix, une plateforme qui utilise elle aussi les algorithmes pour influencer le choix de ses clients. Ses séquences fictionnelles, qui rappellent un mauvais épisode de Black Mirror, sont particulièrement balourdes. Il ne donne pas la parole à la défense, qui aurait pu souligner par exemple les récents efforts déployés pour lutter contre la désinformation. Enfin, et c’est peut-être le défaut le plus rédhibitoire, il ne contient guère d’informations qu’on ne connaissait déjà sur les réseaux sociaux et les addictions qu’ils suscitent.

Basta ! J’ai piscine ! Zut…. elle est fermée.

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Les Affamés ★☆☆☆

La campagne québécoise est dévastée par des hordes de zombies. Quelques survivants tentent tant bien que mal de les éviter : Bonin (Marc-Antoine Grondin), Tania (Mona Chokri), Zoé, la gamine qu’ils recueillent, Pauline et Thérèse, deux femmes d’âge mur qui les abritent un temps dans leur maison, Céline (Brigitte Poupart), que la mort de son enfant a durcie à jamais, Réal, un vendeur d’assurances mordu mais pas encore contaminé et Ti-Cul, l’ado qui l’accompagne fidèlement….

Si La Nuit des morts-vivants (1968) de George Romero constitue l’œuvre la plus emblématique du genre, le film de zombies est presqu’aussi vieux que le cinéma. Il connaît son âge d’or dans les années soixante-dix, traverse dans les années quatre-vingt-dix une décennie d’oubli avant de revenir à la mode depuis une vingtaine d’années. 28 jours plus tard (2002) et sa première demi-heure d’anthologie lui redonnent ses lettres de noblesse. L’hilarant Shawn of the Dead (2004) crée un sous-genre : la comédie de zombies. World War Z (2013) est le premier blockbuster à leur ouvrir ses portes. À partir de 2010, la série Walking Dead tient en haleine des téléspectateurs, petits ou grands, en mal d’émotions fortes.

Tabarnak d’ostie d’crisse de calisse ! Les Affamés est une nouvelle déclinaison de ce genre désormais bien balisé. Il n’a guère d’originalité, sinon l’accent à couper au couteau de ses personnages qui rend indispensable le secours des sous-titres. Il a remporté un grand succès au Québec, raflant pas moins de sept Iris, l’équivalent des Césars, dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et du « film s’étant le plus illustré à l’extérieur du Québec » (sic). Pour autant, il n’est jamais sorti en salles en Europe où Netflix le diffuse depuis mars 2018.

Ce succès laisse rêveur. Car, à regarder Les Affamés, la déception est grande. On n’y trouve rien qui justifie une telle moisson de récompenses. Le scénario voit s’enchaîner, sans originalité, quelques rebondissements attendus. Les personnages incarnent les différentes facettes de la résilience dans une atmosphère estivale et champêtre, aux antipodes de l’image qu’on se fait de la Belle province sous la neige. Grosse déception.

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La Maladie du dimanche ★★★☆

Anabel (Susi Sanchez) est une grande bourgeoise de la haute société espagnole. Rien ne peut laisser imaginer qu’elle a eu une jeunesse rebelle et qu’elle a abandonné sa fille, Chiara (Barbara Lennie), qui la retrouve trente ans plus tard. Contre toute attente, Chiara ne lui demande pas d’argent, mais du temps : passer dix jours avec elle dans sa maison natale, perdue au cœur des Pyrénées françaises. Anabel accepte, non sans réticence cet étrange contrat.

Sortie début 2018 en Espagne, La Enfermedad del Domingo a remporté le Grand prix du festival du film espagnol de Nantes. Il a valu à Susi Sanchez le Goya – l’équivalent du César – de la meilleure actrice. Hélas, il n’a jamais trouvé le chemin des salles en France et est sorti directement sur Netflix.

C’est un film poignant sur un duo improbable : la blonde Anabel semble avoir réussi sa vie, à force d’ambition et de sacrifices, la brune Chiara a raté la sienne et le reconnaît sans regrets. La cinquantaine bien sonnée, Anabel entretient son corps avec application, s’habille avec élégance. Les cheveux gras, la clope au bec, la flasque d’alcool à portée de main, Chiara a renoncé à entretenir le sien qui se venge. Tout les sépare sauf ce lien de filiation que la mère a nié trente ans plus tôt par un geste dont on attend qu’elle nous révèle la cause.

Le film est construit sur un suspens. Que veut Chiara ? A-t-elle attiré Anabel dans cette ferme pour se venger d’elle, pour lui faire payer (par la torture ? par le meurtre ? par l’obtention d’un impossible pardon ?) le prix de l’impardonnable abandon qui l’a privé de sa mère sans explication alors qu’elle avait huit ans à peine ?

Le film est long. Trop long. Près de deux heures. Il est peuplé de silences, entrecoupé d’ellipses. Le réalisateur Ramon Salazar a pris le parti radical de l’hyper-stylisation. Il a donné à son héroïne la froideur glaciale des grandes héroïnes hitchcockiennes. Sa façon de filmer les Pyrénées l’hiver flirte avec le fantastique. La dernière scène du film, d’une logique implacable, qu’on a hélas sentie venir un peu trop tôt pour en être surpris, ne s’oublie pas facilement.

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Palm Springs ★★☆☆

Nyles (Andy Samberg) est prisonnier d’une boucle temporelle. Il est condamné à revivre éternellement la journée du 9 novembre où il accompagne sa petite amie Misty (Meredith Hagner) à Palm Springs, dans le désert californien, au mariage de Abe et Tala dont Misty est la demoiselle d’honneur. Nyles y fait la connaissance de Sarah (Cristin Milioti), la sœur de la fiancée qui le rejoint, après bien des péripéties, dans ce « jour sans fin ».

Boucle temporelle + comédie romantique loufoque ? La recette est éprouvée et possède déjà son idéaltype : Groundhog Day (Un jour sans fin) avec Bill Murray et Andie McDowell. Palm Springs marche sur ses brisées et, inévitablement, laisse un goût de déjà-vu sans parvenir à dépasser son modèle indépassable.

Groundhog Day était bâti sur plusieurs ressorts irrésistibles. La boucle temporelle autorisait Bill Murray, comme elle autorise les personnages interprétés par Andy Samberg et Cristin Milioti, aux outrances les plus saugrenues, leur souvenir étant effacé le jour suivant. Autre ressort irrésistible : l’éternel recommencement de la même journée permettait à Bill Murray de tester toutes les stratégies de séduction possibles pour conquérir la belle Andie McDowell. Ce n’est pas le cas dans Palm Springs où s’installe entre les deux héros une relation sans amour – avant, hélas, bien sûr, de changer de nature.

Les personnages des deux films suivent la même évolution, évoluant peu à peu vers un épicurisme nihiliste : puisque rien n’a de sens, alors tout est permis. À la différence de Groundhog Day – ou du moins du souvenir que j’en ai gardé – Palm Springs se fait lentement plus profond sinon métaphysique. Quel est le sens de la vie ? Quel est le sens de nos actes s’ils sont condamnés à un inéluctable effacement ? Comment construire une relation d’amour sur une journée éternellement recommencée ?

Groundhog Day dans sa dernière partie devenait une ode bien-pensante à l’altruisme et à la générosité façon Frank Capra : le ronchon Bill Murray, plein de mépris pour le provincialisme de la petite ville où il était condamné à vivre, s’amendait sous l’influence de Andie McDowell et rompait avec son nombrilisme cynique pour rendre meilleure la vie des autres. Rien de tel dans Palm Springs, ce qui dit peut-être quelque chose sur l’évolution de nos sociétés, qui reste focalisé sur le couple formé par nos deux héros. Resteront-ils prisonniers de leur boucle temporelle, où la vie est répétitive mais pas si désagréable ? réussiront-ils à en échapper ? C’est le seul suspens, bien mince, de ce film finalement moins réussi qu’on l’avait espéré.

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I Care a Lot ★★☆☆

Marla Grayson (Rosamund Pike) a développé un business aussi immoral que juteux : avec la complicité d’un médecin véreux et d’un juge crédule, elle obtient la tutelle de personnes âgées qu’elle place en EHPAD et en siphonne les économies. Jennifer Peterson (Dianne Wiest) est sa dernière proie. Mais Marla va vite apprendre à ses dépens qu’un dangereux baron du crime est prêt à tout pour reprendre la main sur la fragile septuagénaire.

I Care a Lot est la dernière production Netflix en date (Amazon Prime en a acquis les droits de diffusion pour le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie). Mis en ligne le 19 février, c’est le film le plus vu au monde le week-end dernier. Mérite-t-il une telle gloire ? Certainement pas. Est-ce pour autant un mauvais film ? Non.

I Care a Lot est une comédie noire qui met en scène deux héros également haïssables. D’un côté une femme dévorée de cupidité et prête à abuser de la faiblesse des seniors pour la satisfaire ; de l’autre un parrain de la mafia caricatural, entouré d’une horde de gros bras. Rosamund Pike interprète le premier de ces deux rôles avec une élégance folle et la froide détermination dont elle faisait déjà preuve dans Gone Girl, son meilleur film à ce jour. C’est Peter Dinklage, le nain chétif mais courageux de Game of Thrones, qui interprète le second.

Le choix de ces deux acteurs est troublant. Il suscite une confusion chez le spectateur habitué à prendre spontanément parti pour le Gentil face au Méchant (sauf chez les spectateurs particulièrement vicieux qui prennent systématiquement parti pour les Méchants !). I Care a Lot met face à face deux Méchants entre lesquels on ne sait pas qui soutenir – sauf à considérer qu’il n’y a rien de bon ni chez l’un ni chez l’autre et à rejeter le film en bloc. Marla Grayson est profondément immorale ; mais la détermination que manifeste cette lesbienne revendiquée face au patriarcat et la résilience dont elle fait preuve dans les épreuves la rendent sympathique. Symétriquement, le personnage interprété par Peter Dinklage a beau être un dangereux sociopathe, la sympathie suscitée par l’interprète de Tyrion Lannister est si universellement spontanée qu’on a du mal à haïr son personnage ici.

I Care a Lot n’est jamais ennuyeux et ses presque deux heures se regardent sans loucher vers l’horloge. Ses rebondissements invraisemblables et le virage qu’il prend à mi-parcours vers le pur cinéma d’action en gâtent la valeur. Mais sa délicieuse amoralité en font un produit original qui mérite le détour.

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Pelé ★★☆☆

Le roi Pelé a longtemps été considéré comme le plus grand footballeur de tous les temps. Le titre lui est disputé par Maradona – dont étonnamment il ne sera pas question dans ce documentaire hagiographique mis en ligne depuis hier sur Netflix.

Très classiquement Pelé raconte la carrière du footballeur brésilien, en alternant les images d’archives et les interviews : Pelé lui-même, affaibli par l’âge, qui se déplace désormais avec un déambulateur, ses anciens coéquipiers dont on peine à croire, en les voyant si vieux et si bedonnants, qu’ils furent jadis des sportifs de haut niveau et quelques personnalités extérieures (l’ancien Président Cardoso, le musicien Gilberto Gil, des journalistes sportifs, etc.)

Pelé ne déçoit pas notre attente en nous montrant quelques uns des plus beaux buts inscrits par le jeune prodige. Son accession à la célébrité coïncide avec le développement de la télévision. Mais ses moyens sont encore balbutiants, le nombre de caméras autour du stade limité et les phases de jeux souvent mal cadrées. On revit la Coupe du monde de 1958 en Suède – dont la France s’est longtemps enorgueillie pour y avoir décroché la troisième place et le titre de meilleur buteur pour Just Fontaine… dont le nom n’est même pas prononcé – et le premier titre du jeune prodige âgé de dix-sept ans seulement qui inscrit deux buts en finale. On revoit également celle de 1962, encore victorieuse, où il est blessé en poules et celle de 1966 où le Brésil est sèchement éliminé dès le premier tour. L’apothéose de la carrière de Pelé – et le point d’orgue du documentaire – est la victoire de 1970 au Mexique où Pelé ouvre le score de la tête en finale face à l’Italie défaite 4-1.

Se serait-il borné à remontrer tous ces buts étourdissants, Pelé aurait déjà ravi des fans par avance conquis. Mais il va plus loin, tout en restant dans les limites de ce que l’hagiographie autorise. Il montre comment le jeune Brésilien à l’éternel sourire séducteur est devenu une star, la première star mondiale du football, grâce à la télévision, à la publicité et aux vols intercontinentaux qui lui ont permis d’être applaudi et connu partout sur la planète. Il montre aussi comment la carrière de Pelé s’inscrit dans l’histoire du Brésil.

Le Brésil qui avait longtemps été, selon la formule cruelle de Clémenceau, « un pays d’avenir voué à le rester », sort enfin du sous-développement dans les années cinquante. Mais ce boom économique va de pair avec une remise au pas politique marquée, en 1964, par la prise de pouvoir des militaires. Tandis que Pelé enchaîne les buts au FC Santos, la junte arrête et torture ses opposants à São Paulo, à Rio de Janeiro, à Salvador de Bahia… Pelé aurait-il pu s’y opposer ? Sans doute pas. Aurait-il dû refuser, par ses exploits sportifs sous le maillot de la Seleção, de cautionner le régime ? C’est un procès rétrospectif qu’il est bien plus confortable d’instruire aujourd’hui qu’à l’époque.

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The Prom ★★☆☆

Deux stars vieillissantes du music-hall, Dee Dee Allen (Meryl Streep) et Barry Glickman (James Corden), peinent à se blanchir du four de leur dernière pièce à Broadway. Pour redorer leur blason, elles décident de se rendre dans l’Amérique profonde, où une polémique agite la petite communauté d’Edgewater dans l’Indiana qui refuse à la jeune Emma Nolan le droit de participer au bal de fin d’année avec sa petite amie.

The Prom est d’abord une comédie musicale à succès qui joue à guichets fermés à Broadway depuis deux ans. Son adaptation à l’écran était inéluctable, comme l’est celle de toutes les comédies musicales à succès, qu’elles soient londoniennes ou new yorkaises : Cats, Chicago, Mamma Mia, Les Misérables, Sweeney Todd, etc.

C’est aussi une œuvre terriblement américaine. Elle joue sur l’opposition entre New York et le Midwest et s’en moque gentiment. L’ironie est d’autant plus croustillante que la comédie musicale aura été vue à Broadway, en plein cœur de New York, par des hordes de touristes venus …. du Midwest ! C’est aussi une œuvre qui s’organise autour du « prom », le bal de promo, un événement authentiquement américain, un véritable rite de passage pour tous les lycéens US, qui n’a pas (encore ?) son pareil en France mais que des décennies de films américains depuis Grease et Carrie jusqu’à American Pie et Sex Academy nous ont rendu familier.

The Prom est enfin une œuvre terriblement bien pensante. C’est une ode à la tolérance à l’égard des personnes LGTB qui résonne avec notre époque. Certains y verront un message nécessaire et bouleversant contre l’homophobie sous toutes ses formes. D’autres trouveront que le plaidoyer est bien maladroit et l’émotion qu’il suscite un peu trop racoleuse. D’autres encore – et espérons qu’ils soient une minorité – seront franchement outragés par Love Thy Neighbor, une chanson qui tourne en dérision les interdits religieux bannissant l’homosexualité.

À condition d’aimer les comédies musicales, à condition d’avoir été prévenu des lourdeurs de son scénario, on se laissera emporter par l’énergie communicative des chorégraphies de The Prom et par le talent de ses acteurs – avec une mention spéciale pour la jeune Jo Ellen Pellman qui réussit à tenir la dragée haute aux monstres sacrés que sont devenues Meryl Streep et Nicole Kidman.

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