Borat Subsequent Moviefilm ★☆☆☆

Borat Margaret (sic) Sagdiyev est libéré du goulag où il a été expédié. Un cadeau lui est confié par le Président du Kazakhstan, qu’il devra remettre au président Donald Trump ou, à défaut, au vice-président Mike Pence. C’est l’occasion pour le journaliste kazakh, perclus de préjugés antisémites et racistes, de revenir aux Etats-Unis, quinze ans après son précédent séjour. Sa fille, Turat, est du voyage.

Borat est de retour.
Comment pouvait-il en être autrement ? Certes le créateur de ce personnage iconoclaste, le Britannique Sacha Baron Cohen, avait juré ses grands dieux que son film n’aurait pas de suite. Mais après avoir engrangé en 2007 plus de deux cent cinquante millions de dollars de recettes (pour un budget de dix-huit millions seulement), comment résister à la perspective de faire coup double ?

Pour ne pas décevoir ses fans, Borat 2 est condamné à ré-utiliser les mêmes recettes que Borat 1. Sur le fond : un soi-disant journaliste kazakh au sabir hilarant tend aux Etats-Unis le miroir déformant de ses pires défauts (antisémitisme, sexisme, complotisme, bigoterie…) auxquels s’ajoute depuis 2020 le refus de certaines franges de la population de se plier aux précautions sanitaires que la pandémie du Covid appelle. Dans la forme : des saynètes sont filmées en caméra cachée où des Américains se font piéger.

Le fond fait toujours autant rire. Borat 2 contient des scènes inégales plus ou moins drôles. Certaines sont franchement hilarantes et risquent, comme celles du premier opus, de devenir cultes. L’une en particulier a déjà défrayé la chronique où l’on voit Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York, l’un des plus fidèles supporters de Donald Trump, céder au charme d’une journaliste et l’accompagner dans une chambre d’hôtel.

Mais le rire que Borat suscite est un rire bien particulier. Il est basé sur la gêne, sur l’outrance. C’est un rire qui suscite un malaise. On se souvient, dans le premier film, de cette scène où Borat, feignant d’ignorer le fonctionnement des toilettes américaines, en était sorti avec un sac plastique rempli de ses excréments. On peut la trouver hilarante ; on peut aussi la trouver très embarrassante. C’est le même embarras que j’ai ressenti durant le bal des débutantes où la fille de Borat (interprétée par l’épatante Maria Bakalova) exhibe son sexe rougi par ses règles.

Dans la forme, Borat 2 atteint vite ses limites. Le visage de Sacha Baron Cohen est en effet devenu trop célèbre pour permettre à l’acteur de filmer dans l’anonymat ses rencontres. Il est condamné à se grimer ou à se dédoubler à travers sa fille. Certaines scènes ont été réellement tournées en caméra cachée; mais il semblerait qu’elles ne l’aient pas toutes été, rompant le pacte tacite qui liait le réalisateur à ses spectateurs.

Qui aura aimé Borat 1 risque d’être déçu de cette resucée sans surprise. Qui ne l’aura pas aimé ne pourra qu’être déçu.

La bande-annonce

Bird Box ★☆☆☆

Une femme et deux enfants descendent à leurs risques et périls une rivière les yeux bandés pour fuir un terrible fléau.
Cinq ans plus tôt, Malorie (Sandra Bullock) était une femme indépendante, enceinte de six mois, inconsciente du danger qui menaçait la planète, en chemin vers sa deuxième échographie avec sa sœur.

Bird Box est un film d’un genre que j’aime tout particulièrement : le survival post-apocalyptique. La Route, 28 jours après, Les Fils de l’Homme, L’Armée des douze singes ou Mad Max comptent parmi mes films préférés et sont construits sur la même trame : après une épidémie/une invasion d’extra-terrestres/ une guerre nucléaire, un héros courageux survit dans l’adversité. D’ailleurs, mon achat compulsif de PQ mi-mars s’explique en grande partie par la sur-consommation de ce genre de films et les peurs tapies qu’elle a fait naître.

Bird Box a deux qualités. Une première demi-heure trépidante, filmée sous la forme d’un flash-back qui raconte les premières heures de la catastrophe – ce que, notons-le, les films précités traitent souvent par euphémisme. Un danger qui se répand sous une forme pernicieuse et contre lequel le seul remède semble être l’occultation de la vue.

Mais ce sont là les seules et uniques qualités du film qui compte, sinon, bien des défauts qu’un bouche-à-oreille calamiteux s’est empressé d’épingler lestant Bird Box d’une bien mauvaise réputation.

Le principal est de sortir six mois seulement après Sans un bruit – mon film préféré de l’année 2018 – et d’en reproduire quasiment à l’identique le schéma sans en posséder les qualités : ici, on se cache les yeux pour éviter des visions suicidaires, là on évitait le moindre bruit pour tromper des créatures aveugles mais hyperacousiques.

Le deuxième est, comme dans une vulgaire sitcom, de réunir un échantillon d’humanité dans une maison cadenassée (un propriétaire misanthrope interprété par le détestable John Malkovich, un Noir en surpoids dont on sait qu’il sera bientôt sacrifié, un mâle séduisant dont Malorie tombera immanquablement amoureuse, un rescapé de la dernière heure dont le comportement louche suscite la défiance de ses compagnons, etc.). On sait par avance, puisqu’on vient de voir cinq ans plus tard Malorie livrée à elle-même, qu’ils mourront à tour de rôle. Reste à découvrir comment…

Le dernier est peut-être la nature du danger contre lequel les survivants doivent se prémunir. Il altère les pupilles, dans un mauvais effet spécial, des humains qui s’aventurent à le regarder. Il restera jusqu’au bout mystérieux. Sa seule manifestation : un gros ventilateur qui brasse les feuilles.

La bande-annonce

La Ballade de Buster Scruggs ★★☆☆

Annoncé au départ comme devant former une mini-série de six épisodes d’une heure chacun, La Ballade de Buster Scruggs est finalement un film à sketchs de deux heures. On y croise un as de la gâchette amateur de bel canto, un braqueur de banque malchanceux, un homme-tronc et son impresario, un chercheur d’or têtu, une jeune femme en route vers l’Oregon et cinq voyageurs dans une diligence.

La soixantaine passée, les frères Coen se font rares. Leur célébrité remonte aux années 90 avec Barton Fink, Palme d’or à Cannes en 1991, et Fargo en 1997 ; mais elle ne se dément pas dans les années 2000 avec sans doute leur meilleur film No Country for Old men, Oscar du meilleur film et des meilleurs réalisateurs (au pluriel) en 2008. En revanche, on les voit moins depuis quelque temps : Inside Llewyn Davis remonte à 2013 et Ave, César !, leur dernier film au cinéma en 2016 était un échec.

On attendait beaucoup de leur collaboration avec Netflix – même si on pestait in petto de ne pas voir leur réalisation en salles. Une mini-série était annoncée ; finalement ce fut un film à sketchs annoncé dans un communiqué de presse plein d’humour : « Nous avons toujours aimé les films à sketchs, surtout les films italiens des années 1960, qui mettent côte à côte les œuvres de différents réalisateurs ­autour d’un même thème. Nous avons ­essayé de faire la même chose en écrivant un western à sketchs, dans l’espoir de s’entourer des meilleurs réalisateurs du moment. Par chance, ils ont tous les deux accepté de participer. »

À la différence des films italiens des années soixante qui agglutinaient des séquences très inégales, les six sketches de La Ballade de Buster Scruggs (ce titre renvoie en fait au premier sketch) frappent par leur homogénéité. On retrouve dans chacun le soin apporté à l’image, presque soyeuse, de la nature sauvage du Wild West, à l’interprétation qui rassemble quelques-unes des stars les plus connues de l’époque (James Franco, Liam Neeson, Brendan Gleeson…) et surtout cet humour noir si particulier qui distingue les films des frères Coen.

Comment le qualifier ? Même si la mort y a souvent maille à partir, il ne s’agit pas à proprement parler d’humour noir. Il ne s’agit pas non plus d’un humour cynique, grinçant ou sardonique à la Tarantino. Car il s’y glisse une part non négligeable de tendresse et de douceur.

La Ballade de Buster Scruggs se déguste gentiment, au rythme d’un cheval qui cheminerait au pas. Confortablement installé devant sa télévision, on peut, entre chaque épisode, interrompre sa vision pour aller faire autre chose. Plus de deux heures s’écoulent lestées de quelques pauses additionnelles. La Ballade de Buster Scruggs n’aura pas révolutionné le cinéma, mais aura fait passer un bon moment.

La bande-annonce

D’abord, ils ont tué mon père ★★☆☆

D’abord, ils ont tué mon père est l’adaptation fidèle du livre autobiographique de Loung Ung, déportée avec toute sa famille dans un camp de travail khmer entre 1975 et 1979. Il est l’oeuvre d’Angelina Jolie, la super star hollywoodienne qui entretient une relation particulière avec le Cambodge où elle était allée tourner au début des années 2000 quelques scènes de Tomb Raider : elle y a adopté son premier enfant et a obtenu la double nationalité.

Plein de préjugés, on pouvait craindre le pire et redouter une sorte de Sac de billes à la sauce khmero-hollywoodienne : une histoire manichéenne et mièvre racontée à hauteur d’enfant. Angelina Jolie n’évite pas certains de ces écueils. La campagne khmère est sans doute un peu trop belle, l’herbe des rizières y est trop verte, les couchers de soleil trop somptueux… L’histoire est sans doute trop simplifiée, qui n’explique rien des conditions de l’accès au pouvoir des Khmers rouges en 1975 et de leur chute quatre ans plus tard.

Mais la réalisatrice du remarquable et méconnu Au pays du sang et du miel, sur le conflit fratricide entre Serbes et Bosniaques réussit à éviter d’autres écueils autrement rédhibitoires. Premièrement, elle tourne son film au Cambodge, avec des acteurs khmers, qui s’expriment en khmer là où tant de productions super-hollywoodiennes sont d’infâmes gloubi-boulga cosmopolite tournés au Maroc avec des acteurs européens qui s’expriment en – mauvais – anglais. Deuxièmement, elle évite de surligner chaque plan d’une musique envahissante comme on en entend trop souvent. Troisièmement, elle accepte de suivre un scénario assez pauvre, sans twists, ni rebondissements ; un scénario qui s’étire sur plus de deux heures et se donne le temps de nous faire ressentir de l’intérieur l’ennui mortel que l’inanition, l’endoctrinement idéologique et un travail harassant peuvent provoquer chez des populations emprisonnées.

D’abord, j’ai tué mon père n’est pas sorti en salles. Il a été directement diffusé sur Netflix en 2017.

La bande-annonce

The Edge of Democracy ★★☆☆

Présenté au festival de Sundance en janvier 2019, diffusé sur Netflix depuis juin 2019, nominé aux derniers Oscars (où American Factory lui fut préféré), Democracia em Vertigem (littéralement « la démocratie prise de vertige ») est un documentaire sur la vie politique brésilienne contemporaine. Sa réalisatrice, la jeune Petra Costa, n’hésite pas à s’y mettre en scène, elle et sa famille, composée pour partie de riches entrepreneurs liés au patronat conservateur et pour une autre de jeunes révolutionnaires anti-système.

Democracia em Vertigem évoque l’arrivée au pouvoir en 2003 de Lula, l’espoir qu’elle a suscité et les réalisations que le leader syndical devenu Chef d’Etat a accomplies. Il évoque également la succession de Lula huit ans plus tard, au terme des deux mandats successifs et non renouvelables que la Constitution brésilienne lui autorisait, par Dilma Rousseff, une économiste venue à la politique par le militantisme étudiant, qui connut la prison et la torture pendant la dictature militaire.

Le mandat de Dilma Rousseff fut interrompu en 2016 par une procédure d’impeachment menée par l’aile conservatrice de sa majorité parlementaire. On lui reprochait d’avoir maquillé les comptes de la Nation. Il s’agissait moins de remettre en cause son intégrité personnelle que sa politique. La procédure, très violente, a conduit à sa destitution et à son remplacement par le vice-président conservateur Michel Temer.

Pour remporter les élections présidentielles de 2018, Lula a fait un come back qui s’annonce victorieux. Mais sa campagne a été compromise par une procédure judiciaire à charge, menée par un juge acquis à l’opposition. Condamné à douze ans de prison, incarcéré, interdit de se présenter à l’élection présidentielle, Lula laisse la voix libre à Jair Bolsonaro qui l’emporte en octobre 2018 avec 55 % contre le candidat du PT.

Pour qui, comme moi, la connaît mal, Democracia em Vertigem a le mérite de faire découvrir la démocratie brésilienne de l’intérieur. On est surpris par sa violence. Les débats sont violents : ce qu’on voit de la procédure d’impeachment à la Chambre des députés, toute de bruit et de fureur, ravale nos questions au Gouvernement du mercredi après-midi à l’Assemblée nationale au rang d’aimable causerie. La vie politique est violente, qui broie les destins.

Malgré sa longueur (plus de deux heures), Democracia em Vertigem échoue pourtant à nous donner plus de clés. Le public visé est sans doute plus brésilien qu’étranger et est censé connaître déjà les ressorts d’une histoire que nous, de ce côté-ci de l’Atlantique, moins informés, découvrons.

Surtout, Democracia em Vertigem nourrit une frustration : ne pas s’être concentré sur la personnalité de Jair Bolsonaro et son incroyable élection. « Trump tropical », le personnage détonne et sidère. Son culot, son charisme, les idées provocatrices qu’il professe, font de lui un personnage de comédie. On le voit de-ci de-là s’agiter en coulisse pour la destitution de Dilma Rousseff. Son heure n’est pas encore arrivée ; mais elle sonnera bientôt. Et on regrette qu’il n’occupe pas le centre de l’écran.

La bande-annonce

Icare ★★☆☆

Documentariste et cycliste amateur, Bryan Fogel avait décidé de mener une enquête sur le dopage sportif en utilisant son propre corps comme cobaye. Un peu comme Morgan Spurlock dans Super Size Me, qui mesura les effets de la malbouffe en se nourrissant uniquement de McBurgers. Pour mener à bien son enquête, le cycliste est entré un contact avec Gregory Rodchenkov, un chimiste russe qui dirigeait à l’époque le laboratoire de Moscou référent de l’Agence mondiale antidopage. Avec sa complicité active, Bryan Fogel a suivi un programme anabolisant censé développer ses performances.
Quand la Russie est suspectée par le Comité international olympique de mener un programme à large échelle de dopage, Rodchenkov, craignant de servir de bouc-émissaire, décide de quitter Moscou, de se réfugier aux États-Unis et d’y raconter au New York Times la nature exacte de ses activités. Bryan Fogel l’aide dans sa fuite et filme ses révélations.

Icarus est un documentaire étonnant qui n’a pas volé son Oscar en 2018. Il filme de l’intérieur, en temps réel, l’exfiltration d’un lanceur d’alerte russe et la façon dont il dévoile les secrets en sa possession. On pense à Snowden, ou à manning, sauf que les films ou les documentaires qui leur ont été consacrés (Citizen Four, Snowden, XY Chelsea…) ont été tournés après coup. Icarus en revanche a été tourné sur le vif. Et, quand on n’en connaît pas le dénouement, on suit avec angoisse les rebondissements de son histoire.

Le défaut de ce documentaire repose dans la complexité de son dispositif et, du coup, dans son inhabituelle longueur (plus de deux heures). Au lieu d’aller droit au but, Icarus emprunte un long chemin de traverse en documentant la façon dont Bryan Fogel est entré en contact avec Gregory Rodchenko, non pas pour enquêter sur le dopage dans le sport russe de haut niveau, mais pour répliquer le protocole suivi par Lance Armstrong pour gagner frauduleusement sept Tours de France consécutifs. On y passe trois bons quarts d’heure et on y perd de vue ce qui constitue en fait le cœur d’Icarus : des révélations dévastatrices sur l’un des plus grands scandales de l’histoire du sport.

La bande-annonce

Lucy in the Sky ★☆☆☆

Lucy Cola (Natalie Portman) rêvait depuis l’enfance de voyager dans l’espace. Son rêve est devenu réalité à force de travail et de sacrifices. Après une mission spatiale, elle doit se réacclimater à la banalité du quotidien. Lucy n’a qu’une seule obsession : repartir.

Lucy in the Sky est le film miroir de Proxima. Celui-ci racontait les angoisses d’une spationaute française sur le point de partir en mission, tiraillée par la séparation à venir avec son mari et sa fille, angoissée de ne pas être à la hauteur de la mission exaltante qui l’attend. Celui-là pourrait être la suite de celui-ci. On y retrouve presque la même femme, de retour de mission. L’angoisse est toujours là ; mais elle a changé de nature.

Lucy in the Sky est directement inspirée d’une histoire vraie : après avoir participé en juillet 2006 à une mission à bord de Discovery, l’astronaute américaine Lisa Nowak a, en février 2007, agressé et tenté de kidnapper une femme qui entretenait une liaison avec l’astronaute William Oefelein dont Nowak était éprise.

L’affaire Nowak a jeté le soupcon sur l’équilibre psychologique des astronautes missionnés dans l’espace et sur l’efficacité des tests censés dépister des troubles éventuels. Malheureusement cette dimension n’est guère exploitée. Le film se focalise sur son héroïne que l’on voit lentement basculer dans la folie.

Lucy in the Sky met en scène une winneuse, une première de la classe qui n’a jamais connu l’échec. L’histoire aurait tout aussi bien pu concerner une championne olympique ou une danseuse étoile – comme celle d’ailleurs que Natalie Portman avait interprétée dans Black Swan. Du coup la similarité que j’évoquais à l’instant avec Proxima s’avère moins évidente qu’il n’y paraît. Si le film français nous emmenait dans les étoiles, le film américain, qui nous ramène sur terre, est moins original.

La bande-annonce

Beasts of No Nation ★★☆☆

Le jeune Agu coule des jours heureux dans une petite ville d’Afrique de l’Ouest entre son père, sa mère, son frère aîné et sa petite sœur. Mais la guerre civile menace cet Eden. Sa mère et sa sœur doivent s’enfuir à la capitale. Quand l’armée régulière exécute sous ses yeux son père et son frère, Agu n’a d’autre alternative que de s’enfuir dans la jungle. Il y est recueilli par un bataillon d’enfants-soldats dirigé par un « commandant (Idris Elba) aussi charismatique que violent.

En 2005, Uzodinma Iweala publiait Beasts of No Nation, un court roman de deux cents pages à peine (traduit en français trois ans plus tard aux Editions de l’olivier sous le titre Bêtes sans patrie). Après d’âpres négociations, Netflix – qui n’était pas encore la plateforme qu’elle est devenue – en achetait les droits et confiait au réalisateur américain Cary Fukunaga le soin d’en faire un film. Anticipant les débats qui agitèrent la sortie de Roma trois ans plus tard et son triomphe aux Oscars, la profession se déchirait sur l’accueil à réserver à Beasts of No Nation, privé de salles, directement diffusé en ligne.

Beasts of No Nation a un immense atout et un sévère handicap : Idris Elba.

L’immense acteur, qui aurait fait un James Bond d’exception, aimante le film – qu’il a par ailleurs co-produit. Il l’aimante par son charisme. Il l’aimante aussi par l’ambiguïté de son personnage, un criminel de guerre, ivre de pouvoir, violent et pédophile qui, malgré ses défauts rédhibitoires, réussit pourtant à être attachant. Pendant tout le film, le spectateur résiste contre la sympathie spontanée que l’acteur inspire. Ce pourrait être un défaut de scénario ; mais tout bien réfléchi, ce n’en est pas un, le jeune Agu éprouvant lui aussi un infini besoin de reconnaissance de la part de ce père de substitution.

Le défaut de construction est ailleurs. Idris Elba est si fascinant, si charismatique, si omniprésent à l’écran, qu’il fait dévier la focale du film. Les enfants-soldats auraient dû être son sujet, comme c’était le sujet du film, à travers l’expérience d’Agu, sa séparation traumatisante d’avec les siens, les violences barbares qu’il subit ou qu’il inflige (âmes sensibles s’abstenir), les drogues hallucinogènes qu’il ingurgite, les privations débilitantes qu’il endure. Le jeune acteur ne s’en sort pas si mal, évitant le cabotinage qui pollue si souvent le jeu à son âge. mais face à Idris Elba, il ne peut pas faire le poids. Beasts of No Nation n’est pas un film sur les enfants-soldats ; c’est un film sur le colonel Kurz !

La bande-annonce

The Coldest Game ★☆☆☆

Alors que la crise des missiles de Cuba place États-Unis et URSS au bord du gouffre fin 1962, un match d’échecs se déroule à Varsovie entre un grand maître soviétique et un génie des mathématiques, appelé à la dernière minute pour remplacer le joueur américain qui vient d’être mystérieusement assassiné.

J’adore les films d’espionnage aux histoires à tiroirs, sur fond de Guerre froide, avec des agents de la CIA courageux, des officiers soviétiques cruels et des espionnes du KGB vénéneuses (j’espère que cet élément ne me classera pas définitivement dans la classe des machistes sexistes). Si L’espion qui venait du froid constitue à mes yeux LE chef d’oeuvre indépassable, Sens unique, L’Affaire Farewell ou La Taupe comptent au nombre de mes films préférés depuis que j’ai l’âge d’aller au cinéma.

Dans ces conditions, j’étais un client tout désigné pour regarder pendant le confinement la dernière production Netflix sur ce thème. Les scénaristes ont imaginé une partie d’échecs en pleine crise des missiles de Cuba. Ce choix, sans lien avec la réalité historique, n’a pour seule utilité que de relier deux arcs narratifs : celui de la confrontation américano-soviétique à Cuba et celui d’une partie d’échecs au meilleur des cinq manches.

Hélas, le procédé fait long feu. Une fois qu’une équipe de la CIA est allée récupérer dans un rade new-yorkais l’alcoolique joueur d’échecs interprété par Bill Pullman, une fois que le match commence dans un immense hôtel stalinien de Varsovie, l’intrigue fait du sur-place. Tourné sous la direction d’un réalisateur polonais, le film se sent obligé de rendre un hommage appuyé au courage de la Pologne, écrasée sous la botte soviétique durant la Guerre froide. Comme de bien entendu, l’histoire connaît quelques rebondissements. Tel personnage se révèle agent double ; tel autre manifeste un courage et une abnégation inattendus. Mais on perd vite tout intérêt dans son dénouement.

Autrement plus convaincant était en 2014 Le Prodige, le film consacré à Bobby Fischer, interprété par Tobby Maguire, qui affronta Boris Spassky en 1972 à Reykjavik dans un match d’anthologie qui résumait à lui seul le bras de fer américano-soviétique de la Guerre froide.

La bande-annonce

The Laundromat ★★☆☆

Comment raconter les Panama Papers ? Par un documentaire intelligent façon Inside Job ? Par une fiction sophistiquée façon The Big Short ?

Steven Soderbergh, sans doute l’un des réalisateurs les plus roublards de sa génération, opte pour un style bien à lui. Une sorte de numéro de cabaret présenté par deux Monsieur Loyal : Antonio Banderas et Gary Oldman qui campent deux banquiers panaméens sans scrupule spécialisés dans l’évasion fiscale.

Face à eux, symbole de l’Amérique victime innocente : Meryl Streep. La star inoxydable interprète une veuve inconsolable dont le mari est mort dans un accident de navigation sur un bateau de croisière dont les propriétaires, mal assurés, tardent à lui verser les indemnités auxquelles elle a droit. Ne vous fiez pas à ses airs candides : la dernière scène du film révèlera la rouerie dont elle est capable pour faire triompher la justice.

Mais avant d’en arriver là, The Laundromat nous baladera à travers la planète de la finance pour illustrer quelques pans de la crise. On appareillera pour Saint-Christophe-et-Nieves, un paradis fiscal aux Caraïbes. On croisera en Californie un Africain corrompu et infidèle. Avec Matthias Schoenaerts, on ira jusqu’au Sichuan pour une saynète par la faute de laquelle Soderbergh et ses producteurs se seront probablement privés de l’accès au marché chinois.

Steven Soderbergh navigue avec rouerie entre deux eaux. Fin connaisseur de la machinerie hollywoodienne, il concocte, avec son lot de stars et de décors miroitants, un pur produit d’entertainment. Mais, derrière les flonflons, il instruit le procès en règle de la finance internationale et de ses dévoiements.

Le tout est mené à un train d’enfer. Mais, pour autant, la sauce ne prend pas vraiment. The Laundromat n’est pas assez informatif pour nous apprendre grand-chose, pas assez drôle pour nous faire vraiment rire.

La bande-annonce