Amos Gitaï plante sa caméra dans le tout neuf tramway de Jérusalem et traverse la ville d’est en ouest. On s’attend à un documentaire ; mais il s’agit bien d’une fiction tournée avec des acteurs professionnels. Chacun a droit à sa saynète : on reconnaît Mathieu Amalric qui lit à son fils – qui n’en a pas grand-chose à fiche – le journal de Flaubert, Yael Abecassis, Menahem Lang (le héros de M le documentaire coup de poing de Yolande Zauberman). On voit un Juif orthodoxe faire l’exégèse d’un passage de la Torah, un couple se séparer violemment, un jeune homme embrasser une dernière fois sa fiancée avant de partir à l’armée, un passager arabe violemment interpelé par un agent de sécurité, une Palestinienne présenter son passeport néerlandais à un contrôle d’identité, un prêtre italien revivre la Passion du Christ…
Il y a vingt ans, Amos Gitaï était le porte-drapeau d’un cinéma israélien encore confidentiel. Ses premiers films lui ouvrirent la porte des festivals internationaux et lui valurent une célébrité mondiale. Mais depuis une dizaine d’années, alors que le cinéma israélien s’est fait connaître à travers d’autres réalisateurs, la veine artistique d’Amos Gitaï s’est tarie.
J’avais détesté Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin, mélange trop long et maladroit de documentaire et de fiction. Je n’ai pas aimé Un tramway à Jérusalem, assemblage paresseux et artificiel de scènes montées sans souci de cohérence. Ceux qui espèrent voir la Jérusalem éternelle seront déçus : Amos Gitaï ne quitte jamais le tramway et ses environs immédiats et se refuse d’aller filmer le reste de la ville.
La construction du tramway qui traverse Jérusalem-Est a soulevé de délicates questions juridiques. Pour ses opposants, sa construction légitime la reconnaissance des colonies juives installées sur des territoires dont l’annexion n’a pas été reconnue par la communauté internationale. Des actions en responsabilité ont été engagées en France, contre Veolia et Alstom devant les tribunaux civils, contre l’État devant les tribunaux administratifs (Hélène de Pooter, « L’affaire du tramway de Jérusalem devant les tribunaux français », Annuaire français de droit international, volume 60, 2014. pp. 45-70). Hélas le documentaire d’Amos Gitaï n’en dit pas un mot.