Lui (Dario Argento, le pape du giallo italien qu’on avait plus souvent vu derrière la caméra que devant) a quatre-vingt ans et a été victime trois ans plus tôt d’un accident vasculaire qui menace de se répéter ; mais il garde sinon le pied ferme et la tête claire. Elle (Françoise Lebrun, l’égérie de Jean Eustache), ancienne psychiatre, a deux ans de moins que son époux mais est frappée d’un Alzheimer qui ne veut pas dire son nom. Ce couple habite un appartement labyrinthique du vingtième arrondissement parisien. Leur fils (Alex Lutz), un ancien toxicomane qui essaie tant bien que mal de décrocher, ne peut qu’assister impuissant à leur lente déchéance.
Gaspar Noé est un réalisateur qui ne laisse pas indifférent. On aime ou on déteste son cinéma coup de poing, volontiers provocateur, parfois un peu gratuit. Qui a vu Irréversible , la description brutale d’un viol en treize plans antichronologiques, s’en souvient à jamais. Enter the Void, Love ou Climax ne sont pas loin d’avoir eu sur moi le même impact. Critiquant Love, j’écrivais il y a cinq ans : « (…) il y a dans le cinéma de Gaspar Noé, qu’on l’aime ou pas, un dynamisme, une urgence, une ambition qui forcent l’admiration. Loin des « petits » films français pleins d’une ironie souriante, sitôt vus sitôt oubliés, Gaspar Noé ose traiter des sujets ambitieux. Tant pis s’il s’y fracasse. » Je pourrais au mot près dire la même chose de ce Vortex.
De quoi s’agit-il ? Du même sujet que celui traité avec la maestria que l’on sait par Michael Haneke il y a dix ans dans Amour : un couple aimant, au crépuscule de sa vie, dont l’épouse lentement perd la tête face à son mari impuissant. Cette histoire a déjà été racontée dans un film couvert de prix : palme d’or à Cannes, cinq Césars, dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur acteur, de la meilleure actrice, et l’Oscar du meilleur film étranger. Qu’y ajouter ? L’ombre portée d’Amour pèsera toujours sur Vortex et l’éclipsera à jamais.
Gaspar Noé, qui est un petit malin avide d’innovations formelles, utilise un procédé original pour filmer son histoire : le split screen. On voit deux images à l’écran filmées par deux séries de caméras : l’une s’attache à lui, l’autre à elle. Quelle est l’utilité de ce procédé, sinon celle de pouvoir afficher une originalité à tout prix ? Montre-t-il que ces deux vieillards évoluent dans deux univers séparés que rien ne réunira jamais plus ? Ce n’est guère évident, sachant qu’ils passent leurs journées ensemble à se croiser et à se recroiser.
Vortex dure deux heures et vingt deux minutes. C’est beaucoup. C’est trop. Au bout de quelques minutes, à suivre l’héroïne dans ses errances dont on comprend vite qu’aucune logique ne les guide plus sinon le chaos d’un cerveau déréglé, on se dit que le film sera long. Très long. Trop long. Quelques rebondissements viennent le relancer au bout d’une heure, notamment l’irruption de leur fils – au risque, dans deux séquences où on le voit loin de l’appartement parental, de nous faire perdre de vue ce qui aurait dû rester le seul lieu et le seul sujet du film. Mais Vortex n’en reste pas moins exténuant. Au point de se demander si Gaspar Noé n’a pas voulu avec sadisme épuiser notre patience. Tout comme il ne veut rien nous épargner avec tous ses détails scabreux d’une issue que l’on sait par avance fatale à son récit.
Arrivé à ce point de ma critique, je devrais logiquement la solder par une note assassine. Pourquoi trois étoiles alors à ce film dont je viens de dire qu’il plagiait le chef d’oeuvre de Haneke, que son split screen était m’as-tu-vu, que sa durée était exténuante ? Parce que, malgré tous ses défauts, Vortex et le cinéma de Gaspar Noé demeurent envers et contre tout un cinéma cent fois plus exigeant, dérangeant, novateur que le tout-venant dont Canal Plus – qui l’a produit – nous abreuve à longueur de semaines.