Sandra (1965) / L’Innocent (1976) ★★☆☆

Hasard ou coïncidence ? J’ai vu coup sur coup deux films de Luchino Visconti que diffusaient deux cinémas d’art et d’essai du Quartier Latin dans le cadre de deux rétrospectives différentes.

Je connaissais déjà les principales œuvres de l’immense réalisateur italien : Senso, Rocco et ses frères, Le Guépard, Mort à Venise…. Mais je n’avais jamais vu ces deux-là, moins connues.

Sandra est un film en noir et blanc tourné en 1965. Son héroïne, interprétée par Claudia Cardinale, revient avec son mari dans sa maison natale, à Volterra, à l’occasion d’une cérémonie en mémoire de son père déporté et assassiné à Auschwitz. Elle y retrouve son frère, Gianni (Jean Sorel, un physique à la Alain Delon), avec lequel elle a entretenu une relation incestueuse dans son enfance.

L’Innocent est le dernier film tourné par Visconti, en 1976, que la maladie qui l’emporta ne lui laissa pas le temps d’achever. C’est l’adaptation d’un roman de Gabriele d’Annunzio. Son action se déroule dans la haute noblesse romaine à la fin du XIXème siècle. Son héros, Tullio Hermil (Visconti espérait qu’Alain Delon interprète le rôle mais dut se rabattre sur Giancarlo Giannini), est un monstre d’égoïsme qui trompe éhontément sa femme mais ne supporte pas qu’elle ait un amant et attende un enfant.

Le cinéma de Luchino Visconti est d’une folle élégance. Ce rejeton de la vieille noblesse milanaise a un temps flirté avec le communisme. Ses premiers films en portent la marque, qui s’inscrivent dans la veine du néo-réalisme italien : Les Amants diaboliques, La terre tremble… Mais avec Senso, en 1954, son premier film en couleurs, son œuvre tourne le dos au néo-réalisme et prend un tour qu’elle ne quittera plus : elle filme – comme dans Le Guépard, comme dans Mort à Venise, comme dans L’Innocent – la haute noblesse de l’Italie du Risorgimento confrontée, comme chez Proust, à l’imminence de sa décadence.

Quelques-uns de ses films se déroulent dans l’Italie contemporaine : Nuits blanches, Rocco et ses frères, Sandra, Violence et passion… Mais ils ont le même raffinement que ses films d’époque et racontent des histoires semblables de familles déchirées et pourtant lucides sur leur inéluctable déclin. Le cinéma de Visconti, c’est une fleur en putréfaction : il en a la beauté et le parfum.

La bande-annonce de Sandra
La bande-annonce de L’Innocent

Second Tour ☆☆☆☆

Sans passé politique, sans réputation sinon celle d’un économiste bardé de diplômes, Pierre-Henry Mercier (Albert Dupontel) est le candidat surprise à la prochaine élection présidentielle. Mademoiselle Pove (Cécile de France), placardée par sa chaîne pour son franc-parler, est chargée à la dernière minute de suivre sa campagne. Avec l’aide de son caméraman (Nicolas Marié), elle a tôt fait de découvrir que le candidat cache un secret.

J’adore Albert Dupontel, son tempo rebondissant, ses doux dingues. Son cinéma m’a tapé dans l’œil depuis son premier film, Bernie, en 1996. Adieu les cons est le film  de l’année 2020 que j’ai préféré et rien ne m’a fait tant plaisir que son succès public et la pluie de Césars qui l’a récompensé (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleur scénario original).

Aussi j’attendais avec beaucoup d’impatience son film suivant et étais tout faraud d’avoir déniché des places pour une avant-première. J’y ai retrouvé les mêmes ingrédients que dans ses films précédents : un sujet original, des acteurs euphorisants, Albert Dupontel en tête, quelques répliques qui font mouche et que la bande-annonce a la bonne idée de ne pas spoiler (Pagnol et ses sources m’a bien fait rire !).

La recette du succès des films de Dupontel repose dans un équilibre instable, dans une surenchère bluffante. Il s’en faut de peu pour que le navire prenne l’eau. Adieu les cons aurait pu être une navrante bluette. Second Tour hélas, à force de trop en faire, fait naufrage. La grinçante satire promise du monde politique et de ses compromissions se dévoie en brûlot populiste lesté de quelques idées écolo à la mode sur les néonicotinoïdes et le glyphosate. Son scénario lourdingue est ultra-prévisible. L’irritation gagne et l’emporte bientôt sur le rire.
On est d’autant plus déçu qu’on aimait Dupontel et qu’on attendait tellement de son nouveau film alléchant.

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Animalia ★☆☆☆

Itto est une jeune Marocaine d’un milieu modeste. Elle a épousé le riche héritier d’une famille très aisée et vit dans le luxueux riad que sa belle-famille s’est fait construire sur les contreforts de l’Atlas. Elle est enceinte de plusieurs mois déjà quand de mystérieux événements plongent la région dans le chaos. L’armée bloque les routes et Itto, coupée des siens, doit quitter le cocon protecteur de sa maison pour les retrouver.

Animalia est le premier film d’une jeune réalisatrice franco-marocaine, Sofia Alaoui. Sa sortie, après celle cet été des Meutes, des Damnés ne pleurent pas et du Bleu du caftan, témoigne de la belle vitalité du cinéma marocain.

Son héroïne campe une transfuge de classe et le film aurait pu fort bien se borner à raconter son histoire et les difficultés, plus ou moins insurmontables, qu’elle doit traverser. Mais Animalia – dont la signification du titre m’est restée opaque – va moissonner du côté du cinéma fantastique en utilisant un argument surnaturel : d’impressionnants phénomènes cosmiques qui annoncent peut-être l’arrivée d’extraterrestres.

Hélas, n’est pas François Truffaut ou M. Night Shyamalan qui veut. À force de loucher du côté de Rencontres du troisième type ou de Signes, Sofia Alaoui s’égare et nous égare dans un film trop ambitieux. Plutôt que de se perdre dans les étoiles, on aurait aimé rester les deux pieds sur terre, à hauteur d’homme et de femme, et suivre l’attachante Itto dans sa maturation.

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Le Festin nu (1991) ★★☆☆

En 1953, à New York, William Lee (Peter Weller, devenu alors récemment célèbre dans le rôle titre de Robocop) replonge dans la drogue quand sa femme (Judy Davis) le convainc , comme elle le faisait jusqu’alors en cachette, de s’injecter l’insecticide qui lui est fourni par la société qui l’emploie comme exterminateur. La consultation d’un charlatan, le Dr Benway (Roy Scheider, garde-côte d’anthologie dans Les Dents de la mer), qui au lieu de soigner son addiction l’y enfonce, le désoriente encore un peu plus. Après avoir tué accidentellement sa femme, Lee se retrouve en Interzone, un Maghreb de cauchemar dont Lee serait devenu l’agent involontaire. Il y tape ses rapports sur des machines à écrire mi-mécaniques, mi-organiques qui se révèlent posséder une vie à part entière.

J’avais raté Le Festin nu à sa sortie en 1992. Je me souviens même avoir failli le voir avec mon ami Henri à ce qui n’était pas encore l’UGC Ciné Cité Les Halles et qui s’appelait je crois le Forum Horizon. Pour une raison que j’ai oubliée, nous avions changé d’avis et étions allés faire (ou voir ?) je ne sais quoi. Sa reprise en salles, près de trente ans plus tard, me permet enfin de l’y voir. Filmé dans des 50ies de carton-pâte, il n’a pas pris une ride. La patte de Cronenberg y est immédiatement identifiable avec son obsession gore pour des créatures visqueuses et cauchemardesques.

Cronenberg est un artisan qui, avant les progrès que les technologies permirent depuis, bricolait à la main ses effets spéciaux. Les créatures improbables du Festin nu n’ont pas été dessinées à la palette graphique mais réalisées à l’échelle avec du latex et de la colle. Le procédé donne à l’image un côté un peu vieillot, un peu amateur.

L’univers halluciné de Burroughs est parfaitement raccord avec celui du réalisateur canadien qui était alors à l’apogée de sa carrière, à l’approche de la cinquantaine, après les succès de La Mouche et de Faux-semblants. Si son film porte le titre du plus célèbre roman de Burroughs, il assemble en fait des éléments tirés de plusieurs autres livres : JunkyExterminatorQueerInterzone
Wikipedia présente, mieux que je ne saurais le faire, le livre de Burroughs : « Le Festin nu se veut une descente cauchemardesque dans l’esprit d’un junkie, transcendant la forme classique du roman en le déstructurant, maltraitant la forme et le fond, donnant chair à ses divagations morphinisées dans des allégories oscillant de la science-fiction à la tragédie, parlant de modifications corporelles, d’orgies homosexuelles, de complots et de créatures angoissantes, dans un pays étrange, lieu de toutes les folies, nommé Interzone. »

Ce résumé conviendrait parfaitement au film de Cronenberg. Paradoxalement, la rencontre de cet écrivain sous emprise et de ce réalisateur visionnaire, si elle donne naissance à un univers fantastique à nul autre pareil, produit un résultat assez sage dont la clé se comprend (trop) aisément : William Lee est le double autobiographique de Burroughs qui, à Tanger au Maroc, au mitan des 50ies, y teste toutes sortes de drogues, assume ouvertement son homosexualité et tente avec sa machine à écrire de mettre des mots sur les expériences qu’il traverse.

Le Festin nu est aujourd’hui un film-culte. Il n’a pas volé ce statut. Mais je m’attendais à un spectacle plus déjanté que celui, somme toute très raisonnable qu’il nous propose.

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L’air de la mer rend libre ★★☆☆

Sous la pression de ses parents, Saïd accepte de se marier avec Hadjira. Les deux mariés ont l’un et l’autre un lourd passif : lui est homosexuel qui n’a jamais eu le courage de faire son coming out, elle ne s’est jamais remise d’une liaison toxique avec un dealer qui l’a conduite jusqu’à la prison. Compte tenu de ces lourdes hypothèques, quel avenir pour leur couple ?

Je suis allé voir à reculons L’air de la mer rend libre ; car j’avais le pressentiment, très présomptueux, d’en connaître à l’avance le déroulement et le point d’arrivée. Ce pressentiment n’a pas été démenti. Comment un tel scénario peut-il en effet se dénouer ? On n’imagine pas les deux époux au bout de quelques mois faire le constat de leurs différences et se séparer pas plus qu’on ne conçoit qu’ils s’apprivoisent lentement et construisent ensemble un couple solide. La première option tournerait court et la seconde serait chargée d’une homophobie intenable.

Pour autant, aussi peu surprenant soit-il, L’air de la mer rend libre m’a plu. La raison en est dans la maîtrise de sa mise en scène et dans sa direction d’acteurs. Nadir Moknèche n’est pas né de la dernière pluie. Depuis plus de vingt ans, ce réalisateur chevronné joue à saute-moutons sur les deux côtés de la Méditerranée et raconte la difficulté d’être Algérien, qu’on vive en France ou en Algérie (Le Harem de Madame Osmane, Viva Laldjérie, Délice Paloma…).

Il retrouve Lubna Azabal, qui tourna dans ses deux précédents films, et lui adjoint les valeurs sûres que sont Zinedine Soualem et Saadia Bentaïeb pour interpréter les parents des jeunes mariés. Hidjara est interprétée par Kenzia Fortas, César du meilleur espoir féminin 2019 pour Shéhérazade. Pour cicatriser une blessure de cœur elle se jette à corps perdu dans la religion. Sexy en diable, dans le rôle de Saïd, Youssouf Abi-ayad a fait ses armes au théâtre, à Strasbourg, sous la direction de Christophe Honoré ou de Thomas Jolly, avant de créer sa propre troupe. Le casting commet toutefois une erreur de carre avec Zahia Dehar dont la célébrité sulfureuse pour son implication dans l’affaire Ribéry autant que la poitrine généreuse éclipsent encore ses talents d’actrice.

L’air de la mer rend libre suit donc lentement un chemin tracé d’avance. Mais il le fait avec tant de charme et de délicatesse qu’on lui pardonne volontiers son manque de surprise. Autre originalité bienvenue : il nous fait découvrir, loin des clichés touristiques, Rennes, la capitale bretonne qui, à ma connaissance, n’avait guère servi de décor à un film.

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De la conquête ★☆☆☆

Née en 1952, scripte pour Bresson, monteuse pour Depardon et Goupil, Françoise, alias Franssou, Prenant,  a passé une partie de son adolescence en Algérie où ses parents « pieds-rouges » s’étaient engagés après l’indépendance. À sa patrie de cœur, elle a déjà consacré un premier documentaire en 2012.

Le second est d’une grande exigence. Son titre élégant, qui emprunte aux essais latinisants des siècles passés (De Natura Rerum, De l’horrible danger de la lecture, De la démocratie en Amérique…), en annonce la couleur : il s’agira de mettre en images des textes relatifs à la conquête de l’Algérie par la France entre 1840 et 1848.

Ces textes, lus en voix off par des acteurs ou des historiens, ont été écrits par les acteurs de cette conquête, les militaires français à la tête des troupes d’occupation ou les Algériens qui ont essayé de leur résister, ou par d’éminents commentateurs de l’époque (Hugo, Renan, Tocqueville…). Ils sont tour à tour d’un cynisme révoltant, quand ils décrivent avec complaisance les exactions commises, ou d’une remarquable lucidité quand ils dénoncent la barbarie des conquérants et leur cynisme (« Les pauvres diables se souviendront de notre visite. Que veux-tu, nous leur apportons les lumières, seulement nous leur faisons payer la chandelle un peu cher. »).

De la conquête souffre hélas de deux défauts rédhibitoires. Le premier est que les textes lus ne sont pas sourcés. Il faut attendre le générique de fin pour en connaître sinon la source du moins l’auteur. Si bien que leur longue récitation devient vite une psalmodie répétitive et soporifique, aussi divers que soient les timbres de voix des récitants.
Le second est que les images glanées par Franssou Prenant d’un Alger ensoleillé et contemporain dont on comprend qu’elles montrent la résilience d’un peuple qui a su survivre à cette conquête et conserver malgré tout son âme, n’ont aucun rapport avec les textes lus qui s’y superposent. Le résultat, schizophrène, est d’abord déroutant. Il devient vite lassant. C’est d’autant plus dommage que le sujet s’annonçait passionnant.

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La Fiancée du poète ★☆☆☆

Cabossée par la vie, Mireille (Yolande Moreau) hérite de ses parents une grande bâtisse sur les bords de la Meuse. Pour l’entretenir, elle suit les conseils avisés que lui prodigue un curé fantasque (William Sheller), en met en location les chambres et y accueille bientôt trois lascars : un jeune peintre très doué (Thomas Guy), le jardinier municipal en pleine instance de divorce (Gregory Gadebois) et un chanteur de country (Esteban). Un quatrième locataire les rejoindra bientôt (Sergi Lopez) qui fut jadis l’amour de jeunesse de Mireille.

Yolande Moreau a soixante-dix ans passés. Mais elle a toujours douze ans dans sa tête. Elle instille à tous ses films, qu’elle les tourne, comme celui-ci qui est son troisième derrière la caméra, ou qu’elle y joue comme celui-ci qui est son soixante-quatorzième devant, un parfum unique, mélange de poésie, d’humour absurde, de mélancolie douce et de douceur enfantine.

Tous ceux qui aiment son univers la retrouveront, identique à elle-même. Son motif tient en peu de mots : c’est l’histoire d’une femme au crépuscule de sa vie qui, pour rompre la solitude qui la hante, rassemble autour d’elle des paumés qui lui ressemblent. Le thème qui la sous-tend est aussi ténu : nos vies sont tissées de mensonges plus ou moins graves. Le peintre talentueux va s’avérer être un faussaire redoutable ; le jardinier municipal se travestit la nuit tombée ; Elvis, le chanteur de country, est en fait un immigré turc en mal de régularisation ; quant au fiancé de Mireille, c’est un banal plombier et non un brillant poète comme il avait prétendu l’être pour la séduire.

La Fiancée du poète est un film plaisant. Ne pas lui reconnaître cette qualité serait malhonnête. Mais c’est aussi un film gentillet et sans surprise. La Fiancée du poète sort la même semaine que Le Consentement dont j’ai fait la critique il y a quelques jours. Un lecteur m’avait laissé le commentaire suivant : « Je n’ai pas envie de voir Le Consentement, trop traumatisant. Je lui ai préféré La Fiancée du poète, tendre et drôle ». Tous les goûts sont dans la nature…

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Anselm ★★★☆

Anselm Kiefer est peut-être l’un des plus grands peintres allemands contemporains. J’avoue l’avoir découvert tardivement, l’an dernier, au Grand Palais Éphémère sur le Champ-de-Mars. J’en ai gardé un souvenir inoubliable. Wim Wenders, qui connut très jeune le succès pour ses premiers films (L’Ami américain, Paris, Texas, Les Ailes du désir…) avant d’abandonner le terrain de la fiction pour celui du documentaire (Buena Vista Social Club, Pina, Le Sel de la terre…) reste peut-être le plus grand réalisateur allemand contemporain.
La rencontre de ces deux monstres sacrés ne pouvait qu’être fascinante.

Wim Wenders utilise le même procédé que celui qu’il avait utilisé il y a une dizaine d’années pour filmer les chorégraphies de Pina Bausch : la 3D. J’ai pris un plaisir régressif à retrouver au fond d’un tiroir les lunettes que j’avais achetées pour aller voir Avatar en 2010 et à les chausser. Mais je ne suis pas totalement convaincu de l’utilité de cette technologie qui se justifiait peut-être pour filmer un ballet mais pas nécessairement une peinture : un ballet est un spectacle vivant dans lequel la caméra 3D permet de s’immerger alors que la peinture, aussi monumentale et réussie soit-elle, reste une œuvre inerte et bi-dimensionnelle.

Pour autant, le documentaire de Wim Wenders n’est pas sans intérêt qui éclaire les toiles écrasantes du peintre allemand en rappelant les sources de son inspiration, notamment les ruines de la nation allemande dans lesquelles il est né en 1945. C’est là que le documentaire s’avère un médium particulièrement bien adapté pour pénétrer l’œuvre d’un peintre en nous la faisant comprendre.

Wim Wenders est un trop grand réalisateur pour mener banalement cette entreprise. Certes il a recours à quelques documents d’archives, où l’on découvre le jeune Kiefer – et sa déroutante coiffure. Mais le plus intéressant sont les images filmées aujourd’hui, dans sa résidence du Sud de la France, qui, compte tenu de la taille de ses toiles, ressemble plus à un hangar aéronautique qu’à l’atelier d’un peintre. On y voit cet homme, étonnamment ingambe pour son âge, manier le couteau ou même le lance-flammes pour donner à ses toiles leur texture si caractéristique, à laquelle on reconnaît immédiatement leur auteur.

Les fans d’Anselm Kieffer n’auront pas attendu ma critique pour courir voir ce documentaire. Je conseille à tous les autres, ceux qui ne le connaissent pas mais sont curieux d’art contemporain, de faire de même.

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Une année difficile ★★☆☆

Albert (Pio Marmaï) et Bruno (Jonathan Cohen) ont les poches trouées, des dettes en pagaille et une montagne de problèmes que leur inépuisable jovialité ne suffit plus à régler. Leur chemin croise par hasard celui  de Cactus (Noémie Merlant). À la tête d’une bande de jeunes activistes écolos, elle multiplie les coups de force pour sensibiliser l’opinion publique aux dangers de la surconsommation et du dérèglement climatique. Autant de préoccupations qui a priori n’émeuvent guère les deux trentenaires goguenards.

Le duo le plus successful du cinéma français est de retour. Après Intouchables, Le Sens de la fête et Hors normes, il signe une nouvelle comédie qui, comme les précédentes, prend le parti du rire pour traiter d’un sujet sérieux. Un sujet ou plutôt deux ici qu’il percute : la fin du mois et la fin du monde.
Cette percussion, qui recoupe un fossé entre deux générations, celle des millenials et de la génération X, est intelligente car les deux sujets peuvent s’opposer : peut-on « en même temps » lutter contre la fin du monde, en réformant nos modes de consommation, sans mettre en péril la fin du mois ? Ou pour le dire autrement, l’éco-anxiété est-elle un luxe d’enfants de riches, qui ont les moyens d’acheter bio, alors que les masses prolétaires ont d’autres priorités hélas plus urgentes à traiter avant de se soucier de ces questions de long terme ? Le sujet opposerait donc non seulement les générations mais aussi les classes sociales.

Ces questions sont passionnantes. Toledano & Nakache le savent mais choisissent de ne pas les traiter de front, de peur de lester leur film de trop de gravité. Ils font le choix revendiqué de la légèreté, de l’humour, de la blagounette sinon du cabotinage. Ils sont tellement doués dans leur écriture qu’ils s’en sortent haut la main. Ils sont considérablement aidés par les incroyables show-men que sont Pio Marmaï et Jonathan Cohen, dont on se demande comment ils ont réussi à tourner certaines scènes en gardant leur sérieux.

Dès la première, on est happé. Je me souviens de la première scène de Hors normes qui avait, avec la même efficacité, réussi à me scotcher. Jusqu’à la dernière, sacrément bluffante, dont on se demande avec quel artifice elle a été tournée (la réponse est : à 6 heures du matin), on est conquis. On passe un excellent moment. Et on applaudit à tout rompre au générique de fin.

Mais, avec le recul, quand on a laissé le film infuser, on modère son enthousiasme. On le trouve moins convaincant. On reproche aux réalisateurs une certaine lâcheté, sinon de l’hypocrisie, à vouloir traiter ces sujets brûlants sans vouloir trop se mouiller. Pour être tout à fait honnête, on leur aurait aussi peut-être reproché leur militantisme s’ils avaient pris un parti trop affirmé. Si l’on était militant, on pourrait même trouver blessante la façon dont ils se moquent des jeunes écolos du film. Un peu comme à Thomas Lilti dans son dernier film sur l’Education nationale, on fait grief à ces deux réalisateurs sacrément roués d’avoir appliqué la même recette que celle qui avait fait précédemment leur succès.

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Le Ravissement ★☆☆☆

Lydia (Hafsia Herzi) est sage-femme. Coupée de sa famille, fraîchement séparée de l’homme avec qui elle vivait depuis deux ans, elle a pour seule amie Salomé (Nina Meurisse) qui, le soir de son anniversaire, découvre qu’elle est enceinte. Lydia va accompagner Salomé pendant toute sa grossesse, présider à son accouchement et s’attacher avec une force irrépressible à sa fille, Esmée. Lorsque Lydia recroise Milos, un conducteur de bus avec lequel elle avait eu neuf mois plus tôt, une brève idylle, un quiproquo la conduit à présenter le bébé comme sa propre fille.

J’ai lu beaucoup de critiques très positives du Ravissement, dans la presse ou chez mes amis. Hélas je ne les partage pas. Pour quatre raisons.

La première est son titre prétentieusement durassien, qui louche du côté du Ravissement de Lol V. Stein et qui ne s’en cache pas. Télérama en pâmoison l’évoque dès l’entame de la critique de Jacques Morice : « Ouvert au double sens, voilà un titre séduisant. Le ravissement comme extase ou comme rapt ? ».

La deuxième est l’envahissante voix off d’Alexis Manenti qui leste l’histoire d’un inutile surplomb et en révèle, dès les premières scènes, l’issue et le procès qui viendra la clore, tuant dans l’oeuf tout suspense.

La troisième est l’interprétation de Hafsia Herzi, que je n’ai jamais aimée, dont je trouve le jeu et l’élocution monocordes et à laquelle je reproche depuis quinze ans et sa révélation dans La Graine et le Mulet d’avoir pour seul atout sa longue chevelure de jais.

La quatrième et la principale est son scénario. Le rapt d’enfant n’est pas un sujet nouveau. Plusieurs films s’en sont emparés depuis La Main sur le berceau un nanar des 90ies qui pourrait revendiquer le titre de plus mauvais film de l’histoire (avec Rebecca De Mornay, une star en devenir qui ne l’est jamais devenue) ou, plus subtilement, Karin Viard dans Chanson douce, l’adaptation poignante du prix Goncourt 2016 de Leïla Slimani. Dans un registre très proche j’ai un souvenir glaçant de l’interprétation d’Emilie Dequenne dans À perdre la raison de Joachim Lafosse.
Outre que le sujet n’est guère novateur, le problème ici, de mon point de vue, est qu’il n’est guère crédible. Je n’ai pas cru une seule seconde à cette histoire, au personnage de Lydia et à l’amitié qui la lie à Salomé à laquelle elle ne dit rien de ses histoires de cœur, et surtout à celui de Milos qui se laisserait convaincre d’être le père d’une enfant qui n’est pas la sienne.

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