Le documentariste Claus Drexel avait réalisé en 2014 le formidable Au bord du monde en partant à la rencontre de quelques clochards parisiens particulièrement marginalisés. Après un détour par l’Amérique de Trump (America), il s’était frotté sans guère de succès à la fiction en faisant endosser à Catherine Frot les hardes d’une SDF (Sous les étoiles de Paris). Il revient à raison au documentaire en fouillant le bois de Boulogne et les prostitué.e.s qui y travaillent.
Il en filme une douzaine en longs plans fixes, les unes après les autres, à l’intérieur de leurs combis ou en extérieur, assises sur un pliant, debout près d’un arbre. Son documentaire n’a pas vocation à s’ériger (si j’ose dire) en précis de sociologie ; mais il montre la diversité des parcours. On voit des Françaises et beaucoup d’étrangères (avec une prépondérance de Latino-Américaines, brésiliennes ou péruviennes), des jeunes et des moins jeunes voire des plus jeunes du tout qui évoquent les années Giscard (!), des travesties et des transsexuelles, des Bac +3 et des Bac -3.
Les prostituées font toujours bonne figure même quand elles racontent des épisodes douloureux ; mais l’impression qui domine est la violence de leur métier et des conditions dans lesquelles elles l’exercent. Au cœur du bois prend volontiers un ton politique en pointant du doigt l’arsenal abolitionniste et notamment la pénalisation des clients qui, nous dit-il, loin de mettre un terme à la prostitution, a rendu plus précaire et plus périlleuse la situation des prostituées interviewées.
Et c’est là qu’il faut dénoncer le hiatus qui rend le film bancal. À côté du tableau sociologique riche d’enseignements, à côté de la dénonciation politique, à laquelle on adhère ou pas, Au cœur du bois joue, dans son titre, dans son affiche, dans ses images sur un troisième registre qui ne colle pas : celui de la poésie élégiaque d’une forêt merveilleuse voire fantastique, illuminée de couleurs artificielles, le jour et la nuit. Cette poésie déplacée ne fait pas bon ménage avec le sujet du film.