Shahin est un jeune réfugié iranien qui au péril de sa vie a quitté son pays à la recherche d’une vie meilleure en Occident. Les réalisatrices l’avaient rencontré plein d’énergie et d’espoir, à l’aube d’une vie nouvelle, en Grèce en 2016 après qu’il avait réussi à traverser clandestinement la mer Égée. Un an plus tard, elles le retrouvent dans le Nord de l’Angleterre, qui se morfond dans l’attente fiévreuse d’un titre d’asile.
Il y avait mille façons de documenter l’odyssée de Shahin et sa longue attente dans un centre d’accueil anglais. Celle de Michael Winterbottom dans In This World (2002) ou, plus récemment celle de Ben Sharrock, dans Limbo (2020) une fiction qui documentait la vie vide de réfugiés moyen-orientaux ou africains assignés à résidence dans les Hébrides écossaises dans l’attente du traitement de leur demande.
Le parti pris par les deux réalisatrices, Vivianne Perelmuter et Isabelle Ingold, est original. Elles sont allées dégotter sur Internet des vidéos de télésurveillance, au grain grossier, filmant en d’interminables plans fixes des lieux anomiques : parkings, routes, supérettes….
Elles y ont ajouté le texte des SMS échangés avec Shahin pendant sa longue réclusion, l’enregistrement de ses conversations téléphoniques avec sa mère, à laquelle il cache une partie de la réalité, et la reconstitution de ses interrogatoires par la police britannique, qui essaie de débusquer les incohérences de son récit.
Le résultat est paradoxal. Clarisse Fabre du Monde, enthousiaste, parle d’une « œuvre godardienne hantée par le dessin, la photographie, la peinture ». Je serais moins dithyrambique. Je comprends volontiers le parti pris radical du refus d’une illustration sursignifiante du parcours d’un réfugié, déjà mille fois filmé. Mais je n’ai pas été convaincu du choix de ces vidéos anonymes et glaciales. Outre leur manque revendiqué de beauté, elles soulèvent bien des questions : pourquoi telle vidéo et pas telle autre ? à ce moment du film ? ou à celui-ci ? Sans doute ces choix ont-ils été mûrement réfléchis par les réalisatrices. Mais très vite, comme souvent face à l’incompréhension que suscite l’art contemporain chez les béotiens comme moi, perce le soupçon du grand-n’importe-quoi sinon du foutage de gueule.