Souleymane Bagaré a fui la Guinée à la recherche d’une vie meilleure pour lui et pour sa mère malade laissée au pays. Il a traversé le Sahara, la Méditerranée et a rejoint la France. À Paris, il tire le diable par la queue, dort au 115, sillonne la ville à vélo pour y livrer des repas, alors que son statut de demandeur d’asile lui interdit de travailler. Il comparaît dans deux jours à l’Ofpra qui statuera sur sa demande de titre. Son dossier est fragile : faute d’avoir lui-même subi des persécutions, Souleymane s’est procuré auprès d’un compatriote moyennant finances un récit apocryphe qu’il peine à mémoriser.
L’Histoire de Souleymane nous vient de Cannes où il a obtenu le prix du jury et où Abou Sangaré a remporté le prix du meilleur acteur, alors même qu’il était sous le coup d’une OQTF. C’est le troisième film de Boris Lojkine, un normalien, agrégé de philo, passé par le documentaire, auteur de Hope et du remarquable Camille dont l’actrice principale, Nina Meurisse, illumine la dernière et la plus longue scène de ce film.
Le scénario de L’Histoire de Souleymane est étouffant. Son rythme haletant m’a rappelé celui d’À plein temps. Les héros de ces deux films doivent relever le même défi d’un quotidien en apparence anodin. On dira que Souleymane a la poisse. Mais ce n’est pas le cas. Sa vie n’est pas qu’une succession d’avanies. La quasi-totalité de ses livraisons se passent bien, les personnes qu’il croise font souvent preuve à son égard de gentillesse ; mais il suffit d’une chute à vélo, d’une altercation avec un restaurateur, d’une autre avec le titulaire de son compte Uber pour que tout dérape.
Le scénario manque d’être victime de cette facilité : ajouter à ce quotidien déjà bien chargé une déconvenue supplémentaire. Mais il n’y cède pas. Comme chez les frères Dardenne, il filme un héros qu’on qualifierait à tort de résilient : Souleymane a-t-il en effet le luxe de pouvoir ne pas l’être ? Quel choix a-t-il sinon encaisser les coups du sort en serrant les dents ?
Comme la Lily de Pierre Perret, venue vider les poubelles à Paris, Souleymane est politiquement correct. À l’image repoussoir de l’immigré, délinquant et/ou paresseux, il oppose celle, autrement vertueuse, du damné de la terre qui demande simplement à jouir des fruits de son travail honnêtement gagnés dans son pays d’accueil. Il serait bien cynique de s’en moquer.
Quelle jolie critique et analyse que je partage pleinement. J’ai vu le film hier soir et il me poursuit ce matin.
Ce film nous questionne, il n est ni politique ni militant mais il est fort : comme une course à la dignité ?