Agnes (Eva Victor) accueille pendant quelques jours chez elle dans le Massachussetts sa meilleure amie Lydie qui est partie vivre à New York, s’y est mariée et lui annonce qu’elle attend un enfant. Agnes et Lydie ont passé leur doctorat en littérature anglaise ensemble dans la faculté où Agnes vient d’être titularisée. Quelques années plus tôt, la jeune femme y a vécu un traumatisme dont elle partage avec Lydie le secret et dont elle peine à se relever.
Produit par A24, la société américaine tellement tendance, Sorry, Baby a été projeté à Sundance en janvier, y a remporté le prix du meilleur scénario avant de clôturer la dernière Quinzaine des cinéastes à Cannes. Sorry Baby révèle une réalisatrice et une actrice née en 1994, venue du web où ses vidéos sont devenues virales. Elle m’a rappelé par sa taille, sa silhouette dégingandée et le thème de son film, Greta Gerwig et son personnage dans Frances A.
Sorry, Baby est organisé selon une construction intelligente en cinq chapitres. Le premier et le dernier, qui enserrent le récit, se déroulent au présent, à quelques mois d’intervalle à peine pour laisser le temps à Lydie d’accoucher. Les trois autres se succèdent dans le passé depuis cet événement fondateur qu’on a tôt fait de deviner. Cette structure est parfaitement adaptée au sujet du film : la reconstruction post-traumatique.
Sorry, Baby vaut surtout par son actrice principale. Elle est atypique, perchée en haut de son 1m80, sans le moindre maquillage ni le moindre bijou. Son agression l’a traumatisée mais elle ne s’y réduit pas et ne verse jamais dans la misanthropie. Au contraire, elle saisit les mains qui lui sont tendues : celles de sa meilleure amie avec laquelle les liens noués à l’université ne se sont jamais distendus, celles d’un inconnu avec qui elle partage un sandwich sur un parking désaffecté, celles de son voisin dont la maladresse et la gentillesse la touchent.
Eve Victor ne se contente pas de raconter une histoire. Elle le fait selon une grammaire mûrement réfléchie. Grâce à son scénario destructuré, on l’a dit. Grâce aussi à l’attention qu’elle porte au cadrage. Son héroïne est toujours filmée dans l’embrasure d’une porte, à travers une fenêtre, comme si son corps immense était entravé dans un cadre qui la limite.
Sorry, Baby est un film doux et amer à la fois, touchant sans être mielleux. Une réussite.