Un simple accident ★★★☆

Vahid croit reconnaître, au seul son de sa démarche, le tortionnaire unijambiste qui, des mois durant, l’a martyrisé, les yeux bandés, durant son emprisonnement pour un supposé délit pourtant véniel. Vahid le kidnappe, le ligote, le roue de coups, menace de l’enterrer vivant ; mais au moment de sceller sa vengeance, il est pris d’un doute face aux dénégations de l’individu : n’y a-t-il pas erreur sur la personne ? Pour en avoir le cœur net, Vahid retrouve des compagnons de cellule et essaie avec eux de percer à jour l’identité du captif.

Un simple accident a obtenu la Palme d’or à Cannes. Il est l’œuvre de Jafar Panahi, sans doute le réalisateur iranien le plus célèbre de son époque, auréolé à la fois par la moisson de récompenses prestigieuses obtenues dans tous les festivals du monde (Léopard d’or à Locarno pour Le Miroir, Lion d’or à Venise pour Le Cercle, Ours d’or à Berlin pour Taxi Téhéran…) et par son statut de résistant intransigeant à la censure iranienne qui voulait le bâillonner (il a été assigné à résidence, il lui a été interdit de réaliser des films, une interdiction qu’il a contournée en continuant à filmer au nez et à la barbe (!) des autorités, il a été plusieurs fois emprisonné…).

Autant dire que la sortie de son film était attendue avec impatience. Une impatience décuplée lors de l’avant-première organisée en sa présence fin septembre au Forum des images par le Club Allociné.

Ma première réaction a été un peu mitigée, comme c’est souvent le cas face à un film qu’on nous a survendu. « Tout ça pour ça » me suis-je dit. Et je commençais déjà à nourrir le procès d’un jury qui s’est donné bonne conscience en décernant la Palme à un film si politiquement correct alors que d’autres œuvres, cette année, l’auraient autant sinon plus mérité : Sirāt, Valeur sentimentale, The History of Sound (que je n’ai pas vu mais dont on dit le plus grand bien)….

Mais, en écoutant le débat avec Jafar Panahi, en me documentant sur le film et son arrière-plan, en le laissant lentement infuser, j’ai rapidement mis sous le tapis mes réserves mesquines. Un simple accident est un grand film qui méritait la Palme. La simplicité de son dispositif, presque théâtral (cinq personnes dans un minivan se déchirent sur le sort de leur prisonnier), ne doit pas nous tromper. Il s’agit d’une réflexion puissante sur le pardon, la rédemption et le vivre-ensemble : peut-on pardonner à son tortionnaire ? peut-on l’oublier ? a-t-on le droit de s’en venger sans en devenir à son tour le tortionnaire ?

Un simple accident courait un risque fatal : celui de faire du surplace, une fois les personnages introduits et la situation installée, ou celui, symétrique, de passer d’une scène à l’autre sans rime ni raison. Mais son scénario est remarquable, qui ménage un crescendo jusqu’à une scène finale, ou plutôt à une longue scène qui précède la toute dernière, en plan fixe américain, qui solde tous les comptes. La toute dernière scène est plus brève. Elle a la forme d’un point d’orgue et interroge : l’amie italienne qui m’accompagnait en a eu une compréhension radicalement différente de la mienne.

Paradoxalement, on rit souvent dans Un simple accident qui multiplie les situations cocasses – dont la bande-annonce donne l’avant-goût de quelques unes. Ces scènes désamorcent une tension qui deviendrait vite insupportable (c’est le reproche que je faisais à La Jeune Fille et la Mort, au point de départ très proche). Le revers de la médaille – et c’est le seul reproche que je ferais au film – est que cet humour nous tient à distance de la gravité du sujet. Un simple accident est un film qui m’aura beaucoup fait réfléchir mais qui ne m’aura pas ému.

La bande-annonce

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