
Recherchant un sujet pour son projet de fin d’études, Isabela Tent a fait la rencontre de Dorian, un vieil artiste punk. Dorian venait d’épouser Alice, sa cinquième (!) épouse. Dorian avait cinquante-deux ans, Alice dix-sept. Alice venait d’accoucher d’un petit garçon prénommé Aristo après que sa mère avait refusé qu’elle avorte et demandé à Dorian de prendre ses responsabilités. La documentariste s’est attachée aux pas de ce couple dysfonctionnel dont elle a vu grandir pendant dix ans l’enfant.
La démarche est la même que celle de Marie Dumora qui, dans Belinda, avait, pendant quinze ans, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, suivi une jeune fille de la communauté yéniche élevée en orphelinat.
Alice par ci par là est un documentaire doublement dérangeant. Parce qu’il filme deux adultes sous substances, lui, vieillissant, affaibli par la maladie, elle, toxicomane, qui se prend pour une artiste, mais gagne péniblement sa vie en s’exhibant devant sa sexcam. Parce qu’il prend à témoin le malheureux Aristo, victime innocente de leurs disputes incessantes et de l’incapacité de sa mère défaillante à l’aimer.
Hasard du calendrier, ce documentaire confidentiel sort sur les écrans au même moment que plusieurs films français qui posent tous la même question : qu’est-ce qu’être mère ? C’est notamment le thème du fabuleux docufiction Dites-lui qui je l’aime de Romane Bohringer qui, à travers l’expérience de Clémentine Autain et de la sienne, essaie de « rompre la chaîne de l’abandon ». C’est ce cycle qu’Alice semble bien incapable de briser quant à elle, qui fut victime d’une éducation défaillante, abandonnée par ses parents, prise en charge par une grand-mère autoritaire.
J’ai vu ce documentaire avant-hier dans une petite salle d’art et d’essai du Quartier Latin. Nous étions cinq seulement dans la salle. Stoïquement, la réalisatrice et le producteur ont animé un débat après le film. À leur place, j’aurais été désespéré par un public si clairsemé. J’aurais baissé les bras, annulé le débat et souhaité une bonne soirée aux trois derniers spectateurs. Mais, avec une générosité admirable, ils ont « fait le job », présenté leur démarche, répondu à nos questions, qui furent d’autant plus nombreuses que nous étions en petit comité. Ce débat-là fut peut-être l’un des plus stimulants auxquels j’aie jamais assisté. Merci !