À la veille de l’élection de Donald Trump, en pleine campagne présidentielle américaine, Claus Drexel est allé poser sa caméra dans le désert de l’Arizona, un État qui, sauf en 1996, a depuis toujours porté ses suffrages sur le candidat du parti républicain. Au bord de la mythique route 66, dans la petite ville de Seligman, il a longuement interrogé ses habitants, des rednecks pauvres à la langue bien pendue, viscéralement attachés au deuxième amendement et volontiers favorable à Donald Trump. Son directeur de la photographie les filme dans des plans millimétrés.
Le documentaire de Claus Drexel est glaçant ; car il donne à voir la frange la plus pauvre, la plus entêtée des États-Unis, celle qui donne ses suffrages à Donald Trump – même s’il donne la parole également à une ex-beatnik électrice de Bernie Sanders et à un couple d’immigrés sri-lankais dont rien n’est dit sur les préférences politiques. Le raisonnement de ces fortes têtes, dans une région où la mythologie du western et de la fronteer n’est pas morte, est profondément individualiste. Porter des armes est pour eux un droit irréductible ; car il garantit leur sécurité. Refouler les étrangers n’est pas xénophobe ; car il s’agit de défendre sa terre et le droit d’y vivre en paix contre toute immixtion extérieure. Glorifier la domination des États-Unis, se lamenter de son soi-disant déclin et aspirer au retour de sa puissance est une évidence.
Claus Drexel joue sur du velours en nous montrant à nous, spectateurs français, des échantillons monstrueux du rêve américain. Loin de New York, loin de L.A., nous voici dans l’Amérique profonde, celle des derniers cowboys, aux cheveux longs et aux idées courtes. Et nous Français, qui avons tant aimé Obama et qui considérons à tort ou à raison Trump comme un clown dément, comme un phallocrate dangereux, sommes révulsés d’entendre ses supporters. Les arguments de la NRA nous choquent car un homme en armes est pour nous une menace. Attachés au bien public, à l’intérêt général, nous ne partageons pas l’individualisme forcené des Américains. Inquiets de voir le patriotisme dégénérer en nationalisme et conscients de la fragilité de l’hégémonie occidentale, nous sommes mal à l’aise face aux manifestations débridées de chauvinisme cocardier.
On me rétorquera que Claus Drexel – qui avait réalisé en 2013 un documentaire bouleversant sur les SDF parisiens – ne juge pas les personnes qu’il interviewe. Ce n’est pas tout à fait exact car, s’il affiche une objectivité de principe à leur égard, les spectateurs français ont tôt fait de faire leur procès, qui se scandalisent par exemple lorsqu’une mère avoue qu’elle a donné son premier pistolet à son fils dès l’âge de cinq ans. America n’est pas tant un documentaire sur l’Amérique pro-Trump que la mise en scène esthétisante des reproches que, nous Français, lui adressons.