À Moscou, en 1940, Veronika et Boris s’aiment et se fiancent. Mais la guerre éclate et Boris doit partir au front. Mark, le cousin de Boris, force Veronika à l’épouser. Boris meurt sur le champ de bataille. Mais Veronika ne l’apprendra qu’à l’armistice.
Staline et le stalinisme avaient tué le cinéma soviétique. Après la mort du tyran, le dégel krouchtchevien laisse augurer sa renaissance. Quand le film de Mikhaïl Kalatozov arrive sur la Croisette au printemps 1958, il est précédé d’une aura élogieuse. Une vingtaine de millions de Soviétiques avaient déjà vu l’hiver précédent l’adaptation de la pièce de Viktor Rozov.
Rozov, oligarque sans talent, président de l’Académie russe des arts du théâtre et membre de l’Union des écrivains, avait écrit une pièce au sujet très académique : une jeune femme, malgré les vicissitudes des temps, reste fidèle à l’homme parti à la guerre se sacrifier pour la patrie. Sans trahir cette épure et sans se mettre à dos la censure communiste, Kalatozov parvient à en détourner le sujet. Летят журавли (littéralement « Les Grues volent »… qu’il a bien fallu traduire autrement pour éviter les doubles ou triples sens fâcheux) n’est pas une ode au communisme ou à la résistance contre l’envahisseur nazi. Sautant par dessus Eisenstein, le cinéaste des foules, Kalatozov renoue avec Dostoïevski et Tolstoï. Quand passent les cigognes n’est pas si différent de Docteur Jivago, publié la même année 1957, qui toutefois, pour la façon dont il décrit la Révolution d’Octobre et le sort fait aux Russes blancs, encourut les foudres de la censure.
Son héroïne, Tatiana Samoïlova, un faux air d’Audrey Hepburn, aurait fait merveille dans Guerre et Paix. C’est son histoire qui est racontée – et pas celle du fier peuple soviétique : son amour pour Boris, son chagrin à son départ, ses remords d’avoir cédé à Mark…
Si le film de Kalatozov connut un tel succès c’est aussi en raison de sa hardiesse technique. Avant la Steadicam, le chef opérateur Sergueï Ouroussevski réalisa des plans d’anthologie. On montre souvent dans les écoles de cinéma celui où Boris gravit quatre à quatre les marches de l’escalier le menant à l’appartement de Veronika. À la même époque, en France, Max Ophüls s’essayait à des audaces similaires.
Sans doute Quand passent les cigognes a-t-il vieilli. Son histoire naïve et édifiante fait sourire ; ses plans-séquences n’impressionnent plus guère. Il n’en reste pas moins un témoignage marquant de l’histoire du cinéma soviétique.