En Argentine, dans les années 70. Marié, père de famille, Claudio (Dario Grandinetti, aperçu chez Almodovar) est un notable local. Il exerce sans scrupules la profession d’avocat.
Un soir, une altercation l’oppose dans un restaurant à un inconnu. Les deux hommes se retrouvent à l’extérieur de l’établissement. Le face à face tourne au drame.
Le cinéma latino-américain, d’Argentine (Kóblic), du Chili (Mariana) et même de l’Uruguay (Compañeros), est obnubilé par les années de la dictature, comme le fut longtemps le cinéma français par l’Occupation. Il y a un article à écrire sur la façon dont il revisite ce « passé qui ne passe pas » – voire un article de « cinéma comparé » sur la manière différente dont les cinémas latino-américain et français le font.
Avec Rojo, le jeune réalisateur argentin Benjamin Naishtat puise aux sources de cette veine cinématographique là. Rojo rappelle en effet L’Histoire officielle de Luis Puenzo, un film qui connut un succès international (prix d’interprétation féminine à Cannes, Oscar du meilleur film étranger), moins à cause de ses qualités intrinsèques que parce qu’il était le premier à lever le voile sur la dictature argentine au lendemain de son renversement. L’Histoire officielle avait pour héroïne une enseignante qui avait traversé sans tracas la dictature et qui lentement prenait conscience des mensonges de « l’histoire officielle » qui lui avait été servie et qu’elle servait à ses élèves.
Rojo choisit lui aussi de filmer la dictature – ou, plus précisément, les mois qui la précèdent – du point de vue d’une famille bourgeoise provinciale et ordinaire. Il n’y est ni question des événements politiques qui se déroulent à Buenos Aires, ni, comme souvent dans les films sur cette période, des tortures infligées aux adversaires du régime. Si l’on ignore tout du sujet en entrant dans la salle, on pourrait tout à fait le voir sans comprendre son contexte. Sans doute un spectateur argentin, qui a baigné dans cet environnement, ne s’en laisserait-il pas compter.
Rojo n’est pas sans qualités qui réussit à diffuser un climat anxiogène sans montrer aucune scène de violence, sans que soit proférée aucune menace. Rojo relève la gageure de filmer la disparition, c’est-à-dire le creux, l’absence, par exemple en montrant – c’est le tout premier plan, muet, du film – une maison vidée de ses meubles (fuite précipitée de ses habitants ? ou main basse de la police sur les biens laissés par une famille qu’on vient d’arrêter ?).
Mais, à force d’abstraction, d’ellipses, de non-dits, Rojo étouffe tout sentiment, nous égare et nous plonge dans une profonde catalepsie. J’ai vu le film hier soir et je suis incapable de me souvenir de ses dernières images. Signe de l’Alzheimer qui me gagne ou défaut structurel d’un film auquel je suis resté désespérément étranger ?