La filmothèque du Quartier Latin ressort deux films de Kenji Mizoguchi sortis respectivement en 1951 et 1952. Ces dates méritent doublement d’être soulignées. Pour le Japon : quelques années à peine après la défaite, il se relève rapidement et va connaître l’une des croissances économiques les plus rapides qui soient. Cette croissance coïncide avec une étonnante vitalité culturelle : Kurosawa (Rashômon), Ozu (Voyage à Tokyo) et Mizoguchi signent leurs plus grands films à cette époque. Pour l’Occident aussi qui s’ouvre à un cinéma non occidental : Rashômon reçoit le Lion d’or à Venise en 1951 puis l’Oscar du meilleur film étranger, Kinugasa obtient la Palme d’or en 1954 pour La Porte de l’enfer, Satyaijit Ray décroche le Lion d’or en 1957 avec le deuxième volet de la trilogie du Monde d’Apu et Inagaki pour L’Homme au pousse-pousse l’année suivante.
La Vie d’Oharu, femme galante est souvent présentée comme la première œuvre majeure de Mizoguchi ouvrant une série exceptionnelle de chefs-d’œuvre : Les Contes de la lune vague après la pluie (1953), L’Intendant Sansho (1954), L‘Impératrice Yang Kwei-Fei (1955). L’action de ces films a en commun de se dérouler dans le Japon médiéval. Ils présentent la même unité formelle : chaque scène est tournée en un seul plan avec un cadrage large et des mouvements de caméra complexes (Iñárritu n’a rien inventé !). Ils présentent la même thématique : la femme, éternelle victime de la veulerie des hommes et d’une organisation sociale sourde à leurs souffrances. Oharu (irlandaisement orthographiée O’Haru dans beaucoup d’encyclopédies) est l’héroïne tragique par excellence. Sa vie est une lente déchéance provoquée par les hommes : son père, son seigneur, son patron, ses clients…
Miss Oyu n’est pas construit selon le même schéma. Adaptation d’une nouvelle de Tanizaki, ce film a pour cadre le Japon contemporain. Mais, il ne s’agit pas de filmer comme chez Ozu ou comme dans l’ultime film de Mizoguchi, La Rue de la honte, l’inexorable transition vers la modernité. Même si l’époque est le XXe siècle, le sujet de Miss Oyu est intemporel. Il s’agit d’un triangle amoureux : un célibataire tombe amoureux de la soeur aînée de la femme qu’il va épouser. L’héroïne du film est moins Miss Oyu elle-même, condamnée après la mort de son premier mari à rester célibataire par une société qui lui interdit de se remarier, que sa sœur cadette qui a compris les sentiments de son futur époux et qui les accepte par amour pour lui et par attachement pour elle.
Même s’ils n’ont pas toujours bien vieilli (les deux heures dix-huit de La Vie d’Oharu sont bien longues), ces deux films restent des témoignages marquants de l’âge d’or du cinéma japonais.