Dans le Pas-de-Calais, au pied des terrils, Pauline (Emilie Dequenne) déploie une infatigable énergie pour exercer la profession d’infirmière à domicile, élever seule ses deux enfants et s’occuper d’un père malade et ancien communiste. Sa popularité auprès des petites gens conduit le docteur Berthier (André Dussolier), un cadre du Bloc, à lui proposer de prendre la tête de liste aux prochaines élections municipales.
On a trop souvent dit que le cinéma français répugnait à se saisir des questions politiques les plus contemporaines pour ne pas se précipiter voir « Chez nous ». La circonstance que le Front national ait lancé une campagne diffamatoire contre ce film lui reprochant tout à la fois d’être un navet financé par les impôts du contribuable et un complot ourdi par « l’établissement » pour saper les chances de Marine Le Pen de remporter l’élection présidentielle ne peut que renforcer la sympathie spontanée que « Chez nous » suscite.
Cette curiosité n’est pas déçue. « Chez nous » est un bon film, qui soutient de bout en bout en bout l’intérêt et qui mérite trois étoiles. Il est servi par l’interprétation exceptionnelle de Emilie Dequenne, qui joue le rôle pas facile de la brave fille sympathique, un peu godiche, qui se laisse prendre aux miroirs aux alouettes du Front national – pardon du « Rassemblement national populaire ». Elle incarne à merveille le « Français moyen ». Travailleuse méritante, elle ne comprend pas que sa patiente marocaine puisse obéir à son mari qui refuse qu’elle soit examinée par un homme gynécologue. Venue de la gauche, mais écœurée par la classe politique (« PRAFiste » – comme « plus rien à faire » – pour reprendre la riche expression de Brice Teinturier), elle a depuis longtemps cessé de voter. Elle se laisse séduire par les raccourcis simplistes du programme frontiste et l’illusion d’exercer des responsabilités concrètes à la tête d’une mairie.
Jusque-là, le film est parfait qui dénonce les poisons que distillent le Front national auprès d’une France rongée par la peur du déclassement. Mais hélas, les scénaristes, pas assez sûrs d’eux pour nourrir leur film de ce message trop abstrait, ont voulu le lester d’une dimension plus dramaturgique. Avec le personnage de Stankowiak (Guillaume Gouix), dont Pauline tombe amoureuse, c’est la face sombre du Front national qui est mise en lumière : ses groupuscules néo-nazis, où il recrutait jadis ses militants mais dont il cherche à se distancer pour ne pas ternir son image, ses services d’ordre musclés, les ratonnades qu’il inspire…
Sans doute le Front national possède-t-il une face sombre qu’il faut dénoncer sans relâche. Mais ne voir qu’elle, c’est oublier le plus important et le plus dangereux. En en faisant le sujet de son film, Lucas Belvaux manque sa cible.