Jéro Yun est un jeune réalisateur sud-coréen venu étudier en France. Après avoir réalisé en 2011 un court-métrage sur une Nord-Coréenne, émigrée en France, hantée par la séparation de ses enfants, il approfondit ce sillon à travers le personnage éminemment romanesque de « Madame B. »
Quand la réalité dépasse la fiction. On a lu des témoignages sur les terribles conditions de vie qui poussent les Nord-Coréens à quitter leur pays. Mais on en a peu vu les effets, étant donné l’impossibilité d’aller les filmer à l’intérieur même de ce pays. Le court documentaire (une heure onze seulement) de Jéro Yun permet d’en prendre conscience.
Ce qui frappe, c’est la terrible dureté de ces personnages dont le comportement ne laisse rien deviner des tourments qui les assaillent. A ce titre, la photo qui orne l’affiche est particulièrement bien choisie. Cette photo ne recherche aucun effet esthétique. Juste le gros plan d’un visage déterminé capté sur le vif en plein mouvement.
Madame B est une survivante. Elle quitte un mari et deux enfants en Corée du Nord pour aller passer quelques semaines en Chine et s’y enrichir. Mais elle est vendue par son passeur à une famille de paysans pauvres. Oubliée une légitime révolte, elle s’attache à son nouveau mari et à ses beaux-parents. Elle utilise sa connaissance des réseaux pour participer à des réseaux. Drogue, êtres humains, proxénétisme : elle confesse, sans scrupule, face caméra, les trafics auxquels elle a participé. Mais elle souffre d’être séparée de ses enfants. Elle réussit à les faire passer l’un après l’autre en Corée du sud. Elle-même décide d’y aller via la Thaïlande où le documentariste la suit au cours d’un épuisant périple.
Le documentaire pourrait s’arrêter là. Mais c’est oublier la paranoïa des services secrets qui redoutent, à tort ou à raison, l’infiltration d’agents nord-coréens. Loin d’accueillir Madame B à bras ouverts, ils vont la soumettre pendant de longues années à une période probatoire. Du coup, Madame B, qui aurait souhaité faire venir son mari chinois, se retrouve contrainte à revivre avec son ancien mari nord-coréen – qui a entretemps quitté la Corée du Nord.
La situation de Madame B est si absurde qu’elle en devient cocasse. Elle est écartelée entre trois foyers : la Corée du Nord, la Chine, la Corée du Sud. A travers le portrait de cette femme courageuse, Jéro Yun nous fait toucher du doigt la situation déchirante de tout un peuple.